Alors voilà, je m'excuse encore pour le retard (une semaine entre deux publications c'est horriblement long, je sais ;-)), j'espère que ce chapitre-ci vous plaira (pour information, au cas où je n'aurais pas été très clair cette 'scène se passe 4 ans et demi après la conférence, sachant que la précédente ce déroulait un peu moins de deux ans après cette même conférence...)

Sinon je re-remercie mais trois fidèle revieweuses (ça ce dit, ça ?) et je suis désolée pour Megara qui voulais sa scène à l'aéroport, mais tu vas comprendre ici pourquoi ça ne t'aurait pas avancé :-)

XXX


(Two steps behind, Def Leppard)

Gil resta un moment dans la salle d'interrogatoire après le départ du docteur Lurie. Cet 'interrogatoire' l'avait secoué plus qu'il n'aurait voulu l'admette. Toute cette affaire l'avait secouée, ramenant de douloureux souvenirs à la surface. Catherine n'avait pas compris. Jim non plus. Mais ils ne pouvaient pas comprendre. Ils ne savaient pas. Ils ne pouvaient pas savoir. Pour eux Debbie Marlin n'était qu'une victime parmi d'autre. Pour lui, elle était bien plus que ça. La première fois qu'il l'avait vu, agenouillé sur le carrelage clair, morte… son cœur s'était arrêté, son sang s'était glacé dans ses veines, la Terre avait stoppé sa course et il s'était surpris à prier. L'intense soulagement qu'il avait ressenti en apprenant son identité l'avait presque fait culpabilisé. Presque.

Oui, il était désolé pour cette jeune femme. Mais ce n'était pas Sara. Et ce n'est que fort de cette certitude qu'il avait pu se remettre au travail. Tout au long de l'enquête, il avait eu diverses 'visions' de l'adorable brune qui lui avait volé son cœur un matin d'avril entre deux phrases sur la régression linéaire… Le fait que la morte aurait pu aisément passée pour la jumelle de la jeune experte l'avait profondément affecté. Son premier réflexe avait été de saisir son portable et d'appeler Andrew, juste pour se rassurer, pour s'entendre dire que Sara était en vie, qu'elle allait bien. Il ne l'avait pas fait bien sûr. Après tout, il était Gil Grissom et ne se laissait pas aller à ce genre d'impulsions. Au fond de lui il savait qu'il n'était rien arrivé à la brunette au sourire enchanteur, quelque part il était persuadé qu'il l'aurait senti…

Souvent, durant ces quelques quatre années et demi, il avait été tenté de l'appeler mais il n'aurait pas su quoi dire, il n'avait jamais été très doué avec les mots. Et puis, à quoi bon ? Elle était mieux sans lui. Il avait eu Andrew au téléphone quelque fois et son vieil ami n'avait jamais évoqué sa jeune subordonnée. Jusqu'à ce qu'il se décide de mettre le sujet sur le tapis, l'année dernière. Juste avant son opération, lorsque son désir de revoir Sara avait atteint des sommets. Le new-yorkais lui avait alors appris que la jeune femme ne travaillait plus au labo de Manhattan et qu'elle avait même quitté la ville. Rien de plus. Il avait seulement ajouté qu'à l'heure actuelle Megan et Ben devaient se trouver quelque part en Europe pour leur lune de miel. L'idée avait fait plaisir à l'entomologiste.

Il n'avait pas cherché plus loin, ayant le sentiment que même si son ami en savait plus – et nul doute que c'était le cas – il ne dirait pas un mot de plus. Il ne se sentait pas le droit d'en savoir plus de toutes façons. Dieu sait qu'elle lui avait manqué pourtant… Et apprendre qu'elle s'était fiancée, mariée ou qu'elle attendait son troisième enfant n'était vraiment pas quelque chose qui le tentait. Il repensa à la conversation qu'il venait d'avoir avoir nul autre – il en était persuadé – que le meurtrier de la jeune infirmière. La similitude entre leurs deux histoires l'avait bien évidemment frappé – durement – et la triste ironie de la situation ne lui avait pas échappé. Il avait pensé chacun de ses mots et il en avait ressentit la moindre parcelle d'amertume. Il n'avait effectivement pas pu ou pas voulu prendre le risque autrefois et il ne se passait pas un jour sans qu'il le regrette.

Gil resta encore un moment dans la salle sombre, se complaisant dans sa solitude et dans sa mélancolie… Ce jour-là, quand il rentré de Manhattan, défait, le moral au plus bas, il se souvenait de la réflexion de Catherine. Son amie était venue le chercher à l'aéroport et l'avait bien entendu inondé de questions d'une sollicitude toute fraternelle qu'il aurait pu trouver charmante s'il n'avait pas l'esprit totalement tourné vers l'image d'une jeune femme brune alanguie dans un lit. Finalement découragée par son mutisme – mais plus ou moins consciente de sa cause – Cath lui avait assuré que ça passerait. Et lui, il l'avait cru. Foutaise. Ça n'était pas passé du tout. Ça n'était pas passé avec le temps. Et ça n'était sûrement pas passé ni avec Terri Miller ni avec Lady Heather – respectivement trop blonde, trop stricte, trop universitaire et trop débauchée, trop cynique, trop sur d'elle… pas assez Sara.

Evidemment Catherine ne savait pas à l'époque – pas plus qu'elle était susceptible de le savoir à présent – combien cette jeune brune comptait pour lui, combien elle était spéciale, combien elle était parfaite ou combien il l'aimait… Alors elle avait cru que ça lui passerait. Et il avait tenté d'agir comme si ça lui était effectivement 'passé'. Il était très doué pour cacher ses sentiments. Trop peut-être… Il soupira, sentant une migraine particulièrement aigue le gagner, et se décida à rejoindre son bureau. Deux cachets d'aspirine et un morceau de Bach plus tard, il allait un peu mieux. Mais les images de Debbie Marlin – morte – et du Dr. Lurie – triomphant – ne cessaient de le hanter, se mélangeant pernicieusement aux souvenirs sacrés d'une certaine semaine et d'une certaine brunette…

- « Salle affaire, hein ? »

La voix de son vieil ami – et accessoirement directeur adjoint du labo – le fit à peine sursauter. Il se contenta de relever la tête, son regard noir constituant une réponse suffisante à cette interrogation plus rhétorique qu'autre chose. Salle affaire en effet. Frustrante aussi. Non seulement la victime ressemblait trait pour trait à la femme qu'il adorait, mais en plus son meurtrier resterait impuni. Salle affaire. C'était un euphémisme.

- « Vous ne travaillez pas ce soir » fit Jim Brass, toujours adossé au chambranle de la porte, pensif. Il avait rarement vu l'entomologiste dans un tel état – pas pour ce genre d'affaire en tous cas – et si sa frustration était compréhensive, il lui semblait qu'il prenait cette histoire un peu trop à cœur. « Que diriez-vous d'une bonne bière ? »

- « Je ne serais pas contre quelque chose d'un peu plus fort… » répondit Grissom en passant une mai sur sa nuque. Il ne savait pas trop s'il avait envie d'en parler mais il n'avait pas envie d'être seul non plus. « Il doit me rester une bouteille de bon whisky à la maison, je vous invite » lança t'il à la grande surprise de son interlocuteur avant de se lever, bien décidé à quitter cet endroit qui ne lui rappelait que trop son dernier échec.

C'est ainsi que Jim Brass se retrouva – sans qu'il ne sache vraiment comment – sur le seuil de la maison de l'entomologiste. Il pénétra dans l'antre de Gil Grissom, conscient du – presque – symbolisme de cette situation. En presque 8 ans, c'était seulement la deuxième fois qu'il se trouvait ici. Et la première fois qu'il y venait seul et sans réelle raison professionnelle. C'est donc avec une certaine expectative que l'homme s'avança dans le salon comme son ami l'invitait à le faire. Abandonnant manteau et veste sur le dossier d'une chaise, il dédaigna le canapé et préféra embrasser la pièce du regard. Ce n'est pas parce qu'il passait à présent son temps dans un bureau que sa curiosité et son inclinaison pour l'observation – déformation professionnelle oblige – l'avaient quitté.

La maison de Grissom le reflétait parfaitement. Du moins elle reflétait à merveille l'impression que l'entomologiste souhaitait donner de lui-même, de son caractère. Ni trop grande ni trop petite. Spacieuse. Claire. Moderne mais pas trop. Fonctionnelle. Bien rangée. Les bibliothèques croulant de livres – passant des traités d'entomologie aux classiques de Shakespeare. Les murs vierges en grande majorité et égaillés par quelques papillons figés pour l'éternité… Les lieux étaient définitivement habités mais n'étaient pas chaleureux pour autant. Pas de couleurs vives. Pas de fleurs. Pas même une plante verte ou un poisson rouge. Cette dernière pensée fit légèrement sourire Brass. Gil était plutôt mygale que poisson rouge.

- « Alors, un whisky ? » proposa Grissom depuis la cuisine américaine. « J'ai aussi de la vodka ou… du vin rouge » reprit-il après une rapide inspection de ses placards.

- « Un whisky, merci » répondit Jim sans se retourner. « Sans glace » précisa t'il avec un léger sourire avant de reprendre l'étude minutieuse à laquelle il se livrait.

Un cadre de bois attira son attention. Il n'était pas particulièrement imposant ni même travaillé. Mais sa place centrale sur l'étagère et le fait qu'il était le seul de la pièce attisa la curiosité ingénue du policier. Il s'en rapprocha donc et l'examina un moment. Il s'agissait d'une esquisse. Les traits de crayons étaient fins et précis, agréables à l'œil. Ils avaient saisi avec finesse l'expression de ce visage et l'artiste avait croqué l'instant avec une dextérité qui sous-entendait une intime connaissance de son modèle. La jeune femme représentée était ravissante. L'air un peu rêveuse. Ses yeux, attentifs et profonds, fixés sur un point que l'on ne voyait pas. Ses boucles – que l'on devinait sombres – retombant gracieusement sur ses épaules. Un léger sourire aux lèvres.

Avec un amusement tout enfantin Jim s'interrogea sur la présence de cette œuvre ici. Si Gil l'avait ainsi livrée aux yeux du monde – qui se limitaient le plus souvent aux siens – c'est qu'il devait y avoir une raison. Mais l'entomologiste était-il attaché à l'artiste, à l'œuvre ou au modèle ? La question méritait réflexion et la réponse ne manquerait certainement pas d'intérêt. Encore un pan mystérieux du passé du Dr. Grissom… Et puis quelque chose frappa l'invité. Il eut un mouvement de recul et ses yeux s'écarquillèrent. La jeune femme, sur le papier, était le portrait craché de…

- « Debbie Marlin ? » souffla Brass, incrédule.

- « Pardon ? » fit Gil qui arrivait dans le salon, deux verres à la main et n'avait pas réussi à interpréter le murmure de son ami – et accessoirement supérieur hiérarchique.

- « Vous la connaissiez ? » s'enquit Jim avec brusquerie. « Debbie Marlin ? » continua t'il devant la perplexité manifeste de l'entomologiste.

- « Non… Non, je ne la connaissais pas » nia Grissom, surpris par la question. Il compris où Jim voulait en venir quand ce dernier lui mit le cadre fautif sous le nez. « Oh, non, ce n'est… ce n'est pas Debbie Marlin » le corrigea t'il en s'emparant de l'objet. Il passa un doigt sur le verre dans une caresse presque tendre sous le regard radouci du policier. Puis l'expert sembla se reprendre et tendit son verre à son hôte avant de prendre place dans le canapé.

Alors que Jim faisait de même, l'entomologiste réprima un soupir. Il savait que ce moment viendrait un jour et l'autre. Et quelque part – bien qu'anxieux – il se sentait plus détendu que ce à quoi il s'attendait. Il en était presque… soulagé. Et il était réellement soulagé que la personne en face de lui soit celle-ci. Jim. Pas Catherine. Entendons-nous bien, il adorait la jeune femme mais dans le cas présent quelqu'un de plus 'objectif' et de plus 'masculin' lui semblait davantage approprié. Peut-être même l'avait-il cherché en laissant ce cadre bien en vue, en ne se refusant pas immédiatement le dialogue... Le regard rivé sur le visage familier de la jolie brune – et qui pourtant semblait appartenir à une autre vie, à un rêve lointain – il s'autorisa un sourire. Sara…

- « Qui est-ce ? » osa Brass d'une voix précautionneuse en prenant place à ses côtés. Il était rare de voir Gil aussi 'expressif' et ça avait un côté un peu déroutant et même vaguement inquiétant. Il pouvait lire sur son visage la tristesse, la douleur, la détresse et l'hésitation… Il ressemblait à un petit garçon qui a grandi trop vite, qui a du renoncé à ses rêves pour avancer et qui s'est perdu en chemin.

- « Vous vous rappelez de cette conférence à Manhattan il y a un peu plus de quatre ans ? » fit l'entomologiste au bout de longues minutes de silence.

- « Oui… » acquiesça doucement le policier après un moment de réflexion. Il se souvenait en effet du comportement distant, quelque peu hors de caractère qu'avait été celui de son ami à son retour et ce pendant presque un mois.

- « Je l'ai rencontrée là-bas. Elle faisait partie de l'équipe d'Andrew. Du docteur O'Brian je veux dire » se reprit l'entomologiste, les yeux dans le vague. « Elle s'appelle Sara. Sara Sidle. Une jeune femme vraiment brillante, vive, cultivée, très belle… et très jeune aussi » ajouta t'il comme à regret.

- « Je vois… » fit le policier avec un air entendu.

- « Oh non, non ! » se récria Grissom, presque choqué par ce que venait de sous-entendre son ami. « Ce n'est pas se que vous croyez » le détrompa t'il avec une fougue qui fit sourire Jim.

Finalement, l'entomologiste entreprit de tout lui raconter. Du début à la fin. Depuis leur rencontre jusqu'à son départ en passant par la semaine parfaite qu'ils avaient passée là-bas, ensemble. Et Brass écouta avec attention sans l'interrompre une seule fois. Il découvrait un autre Gil Grissom. Quelqu'un de plus ouvert, de plus enjoué, de plus humain. Quelqu'un d'affectueux, d'amoureux même… Il ne fit pas de commentaire, préférant le laisser parler, comprenant qu'il en avait besoin. Il n'intervint qu'à la fin, quand il fut sûr que son ami n'avait plus rien à ajouter.

- « C'est donc cette Megan qui a fait l'esquisse… elle est douée, c'est certain » énonça t'il avec calme, les yeux fixés sur le cadre.

Cette affirmation surprit Gil qui, en toute honnêteté, s'attendait presque à un sermon. Il fut reconnaissant à son ami de ne pas discuter ses choix passés – qu'il critiquait bien assez lui-même… Le fait d'avoir pu s'ouvrir de la sorte à quelqu'un avait un effet apaisant. Ça ne réglait rien, ça ne rendait pas les choses plus faciles, mais ça allégeait le poids qui semblait peser sur ses épaules.

- « Vous en avez déjà parlé à quelqu'un ? A part moi je veux dire… » s'enquit Brass, curieux.

- « Non » répondit l'entomologiste avec honnêteté.

- « Catherine n'est pas au courant ? » s'étonna son ami. La blonde était vraisemblablement la seule à pouvoir affirmer qu'elle connaissait Gil. Elle était en tous cas la seule à le contredire et à oser le prendre de front. Et elle était la seule à le voir régulièrement en dehors du labo.

- « Non » répéta Grissom, plus fermement cette fois après avoir pris une gorgée de whisky. « Comprenez-moi, » reprit-il en s'enfonçant davantage dans le canapé, « j'aime beaucoup Catherine mais elle peut parfois se montrer… Enfin, si je lui avais parlé de 'ça', soit elle se serait indignée, je n'en aurais jamais vu la fin et je me sentais assez coupable comme ça, soit elle se serait lancée dans des banalités telles que 'ça va passer', 'tu l'oublieras'… et ça, je ne l'aurais pas supporter » expliqua t'il très sérieusement.

- « Je ne vous juge pas » fit Brass en penchant la tête sur le côté. Et c'était vrai. Comment aurait-il pu sans être totalement hypocrite ? Lui aussi avait sacrifié sa vie de famille au nom de son travail. Il aurait sans doute agit de même à sa place…

- « Je sais » rétorqua l'entomologiste avec une suffisance feinte. « Merci. »


TBC (la prochaine fois ce sera Washington...)