Quand le jouet se réveilla, il avait perdu toute notion du temps. Pendant combien d'heures avait-il dormit ? Faisait-il jour ou bien faisait-il nuit ? Il se frotta les yeux et s'assit. Où était la rose ? Un vague regard derrière lui le rassura à ce sujet. C'est alors qu'il la sentit, discrète encore, subtile comme les volutes d'un poison troublant. A mesure que l'odeur envahissait ses poumons les souvenirs s'apposèrent à ses yeux. La carte, le combat, la mort et le sang qui coule.
Il serra mécaniquement son bras contre lui, appuyant fermement là ou il avait été blessé la veille. Presque guérit. Ce n'était pas normal, mais rien ne l'était ici.
Il se releva. La faim cette fois. Depuis quand n'avait-il pas avaler quelque chose ? Mais l'odeur de la pourriture lui coupait toute envie de manger.
Son regard courra les lieux jusqu'au cadavre qui diffusait en un flux continue sa délicate fragrance de mort dans toute la pièce .Il n'y avait même pas de mouche pour s'affairer dessus. Ou peut-être était-il encore trop frais pour les insectes ?
Il s'avança jusqu'au corps et s'agenouilla, évitant de croiser les yeux restés grand ouverts du visage pétrifié et blafard, pour venir prendre de la petite main blanche entre les siennes. Froide, glacée même et puis, tellement raide. Condamnée à pourrir sans sépulture décente. Pourtant, il cru apercevoir un faible mouvement sur le visage figé et lâcha immédiatement la main avec une moue de dégoût et de répulsion.
Il avait du rêver. Elle était morte ! Son regard balaya à nouveau la pièce à la recherche d'un jeu de lumière qui aurait pu le tromper et le forcer à se méprendre. Rien. Non, c'était sûrement les chair qui commençaient à s'affaisser sous le processus de décomposition…Oui voila…Bientôt elle serait molle comme une flasque. Ces propres pensées le dégoûtaient. Il fallait qu'il sorte d'ici. Les lieux étaient trop malsains.
Avec un haut le cœur, il se rebaissa pour détacher la faux de l'autre main rigide de la carte. Qui savait ce qui les attendait à la prochaine pièce. Les lieux étaient fous. Ils cherchaient à le rendre fou lui aussi…mais il ne tomberait pas dans leur jeu….non….
Faux en mains, il s'humidifia les lèvres, il fallait réveiller la fleur. Et il s'y attela immédiatement. Elle fut rapidement sur pied et Alice put constater avec une joie sereine mais non dissimulée que plus le temps passait plus la rose semblait plus vivante et surtout tellement plus réactive….
Cependant, elle avait toujours quelques difficultés à marcher et une fois encore, le jouet du la soutenir.
Son regard se posa alors sur elle et il détailla pensivement les traits de son visage. Quelle céleste métamorphose s'était opérée en elle depuis la dernière fois où, arrivant dans la clairière, il l'avait réellement regarder ? Ses yeux glacés brillaient enfin de l'éclat de la conscience et ces lèvres maintenant colorées d'une pourpre troublante s'étaient entrouvertes tel un bouton de roses à l'aurore, pour mieux permettre à l'air de pénétrer ses poumons alors qu'elle peinait, inconsciente d'être l'objet d'une telle étude, à se tenir sur ses jambes et à avancer.
Un sourire étira les lèvres du jouet. Ciel, qu'elle semblait fragile avec sa peau d'un blanc si pur presque luminescent laissant doucement entrapercevoir les sillions bleutés de ses veines sur ses mains délicates. Comme l'avant-veille, il sentit naître en lui une sorte de compassion pour elle. Rien à voir avec le désir farouche éprouvé pour la Rouge.
Il remarqua alors que, dans ses pensées, il s'était arrêté sans s'en rendre compte et que la rose avait tourné vers lui ses deux prunelles de glace et de flocons de neige attendant qu'il se remette en route avec une patience et une candeur innocente.
Il aurait aimer rougir, lui faire comprendre indirectement quelles avaient étés ses pensées mais à peine y avait-il songer que déjà cela lui semblait totalement impossible. Avait-il seulement jamais rougit ?
Ils avancèrent encore jusqu'à se pointer devant la porte. Ouvrir, ne pas ouvrir. Il fallait bien pourtant. La seule sortie était par là. Alice resserra la faux dans sa main libre et tacha de maîtriser la panique qui lui empêchait toute concentration. Inspiration…Expiration. Il ouvrit la porte.
La première chose qu'il remarqua dans la pièce était l'effroyable odeur de pourriture puis la lucarne sale au plafond qui déversait une lumière malsaine et crue au centre de la pièce rendant plus obscure encore par contraste tout ce qui n'était pas dans son rayon blafard. Et au centre de la pièce, divine attraction, morne trophée, trônait une étrange créature sur un fauteuil empoussiéré aux joyaux de peinture. Chaise d'un monarque fou se croyant roi quand il n'est que bouffon.
Elle était belle, oui, la fragile chose reposant sur ce risible trône, tellement plus macabre et froide que la rose a coté de lui et cela de telle sorte que le jouet se demandait si sa beauté ne provenait pas uniquement de la terreur qu'elle inspirait.
Sanglantes reine de pique aux bras croisés sur sa poitrine dont un sein découvert, blanc presque luminescent s'exposait sans pudeur sous la lumière glauque, sortant de sa robe déchirée rouge et noire. Oh ! Et tant de piques ! Noir sur sa joue, rouge sur son sein, comme une tâche de sangs juste au dessus de son mamelon rose.
Sa robe qui aurait pu être jolie sans ces couleurs grotesques était élimée et couverte en maints endroits de tâches de sang. Sang qui semblait couler sans fin de ses yeux recouverts d'un ruban de satin noir qui rappelait les caches vu des condamnés et de ses lèvres vermeilles.
Le regard du jouet restait fixé sur les longues traînées épaisses et luisantes. N'était-elle pas horrible ? Sans le faible mouvement de sa poitrine il l'aurait cru morte.
Elle ne bougeait toujours pas et ne manifestait aucune réaction à la venue du jouet et de sa fleur. L'odeur était maintenant insoutenable et il lui sembla que les effluves du cadavre de la pièce précédente n'étaient qu'une fragrance peu agréable face au parfum de décomposition qui émanait de ses lieux. Son regard se détacha enfin de la morbide créature pour observer la salle et à mesure que ses yeux s'habituaient à l'obscurité la conscience du jouet s'éveilla à la source de cette pourriture : le décor lui-même.
Tout autours de lui, sur de multiples étagères d'un bois sombres recouvrant tout les murs et exposants leur collection détestable. Des bocaux, par centaine d'un vers légèrement teinté bleu offrait à la vue de tous des visages isolés en ces pots, se décomposant lentement, souvent envahi par un flot grouillant d'insectes rampant venu se repaître par quelques capuchons mal fermés de ses chairs en putréfaction.
A quelques mètres d'Alice à peine, se trouvait le visage de ce qui devait être l'ancienne reine de cœur si l'on se basait au dessin de cœur rouge sur sa joue. Ses yeux s'étaient flétris en une sorte de gelée noirâtre et sa bouche n'était plus qu'un trait tremblant au milieu de la chair molle. Heureusement aucun vers ne s'était introduit dans ce pot sans quoi le jouet aurait sans doute rendus immédiatement toute la nourriture qu'il n'avait pas ingurgitée.
C'était simplement écoeurant et tout ce qu'il avait vu auparavant ne lui semblait plus rien face à cela. Et plus rien ne pouvait le détacher de la contemplation dégoûtée de ces horreurs. Plus que jamais il n'en pouvait plus il ne voulait plus jouer, cela prenait des proportions inquiétantes bien trop inquiétantes. Il voulait partir…d'où qu'il venait il voulait y retourner.
Et il se contentait de regarder bêtement les visages pourris qui flottaient dans leurs bocaux, il lui semblait voir les chairs s'étirer et reconnaître des sourires moqueurs en elles. Qu'on cesse cela ! C'était trop pour lui ! Il se plaqua les mains contre le visage et rien pas même les cris étouffés et angoissé de la rose ne parvenait à le détacher de cette vision.
Elle le secouait par le bras, le suppliait de par ses gémissements mais il l'ignorait, il n'avait pas vu la reine bouger lentement la tête sur le coté, il n'avait pas vu un réel sourire cette fois étirer ses lèvres. La rose pleurnichait maintenant réellement à son bras et d'un geste impatient il la repoussa la laissant percuté l'une des étagères dont les contenus se déversèrent au sol. Elle hurla quand elle sentit les liquides couler sur elle visiblement folle de terreur.
Il n'avait pas sentit que la reine c'était maintenant animé, aussi discrète qu'une ombre cachant derrière son dos une fine dague longue et acérée, se mouvant en silence derrière lui pour plaquer avec douceur ensuite une main glacée sur sa joue, le forcer à se retourner pour coller ses lèvres sanglantes sur celle du jouet dans un long baiser de mort. Et il était bien trop choqué pour seulement la repousser.
Le cœur d'Alice battait à toute épreuve. Il était incapable de penser, incapable de bouger, incapable de se soustraire à sa fin imminente comme une médiocre mouche prise dans la toile d'Arachné. Le sang barbouillait ses lèvres et dégoulinait sur son menton sans qu'il ne s'en soit seulement rendu compte. Et doucement, dans son dos, comme une sentence que l'on aurait pas vue venir la reine leva doucement sa dague dont la lame tranchante étincelait dans l'obscurité comme la lame d'une guillotine au couchant mais le jouet ne le voyait même pas ou s'il l'avait vu, il était incapable de quoi que ce soit.
Et tout était allé beaucoup trop vite. La dague s'était abaissée, un cri avait fusé, le jouet avait fermé les yeux, un bruit de lame perçant la chair, il s'était sentit violement poussé vers l'étagère, avait reprit l'équilibre et ses réflexes avaient fonctionnés, il avait pivoté sur le coté, tenant toujours sa faux dans ses mains, les yeux toujours fermés et il entendit à nouveau le bruit l'une lame tranchant la chair. Après cela, il se laissa tomber et ouvrit les yeux.
Dans sa chute, il s'était trouvé bien plus éloigné de la reine qu'il ne l'aurait cru et pourtant, malgré les trois mètres qui la séparaient de lui il arrivait à percevoir parfaitement dans l'ombre des lieux l'expression de son visage. Son voile avait glissé dévoilant les tâches sombres de ses paupières fermées et ensanglantées et tout son visage était constellé de petite gouttes de sang comme quelques sombres tâches de rousseur. Mais elle n'avait rien de candide alors qu'elle ouvrait les lèvres cherchant à aspirer un air qui lui manquait. A genoux, appuyée aux débris de l'étagère elle agonisait, ignorant le jouet et la rose recroquevillée au sol, ignorant la tête à ses pieds et portant la main au débris de verre qui barrait sa gorge.
Enfin, elle ouvrit ses lourdes paupières rougies vers Alice et le regarda à travers les grottes sombres et flasque que semblaient être ses yeux puis chuta, ses cheveux sales et emmêlés flottant derrière elle en un voile opaque qui la recouvra tantôt. Un si triste linceul.
Et la pièce sembla alors affreusement vide, tellement moins angoissante mais tellement plus oppressante. Seuls les sanglots de la rose troublaient le silence qui s'était installé.
Alice se releva, essuyant d'un revers de manche le sang de ses lèvres et s'accroupis prés des fleurs soulevant les quelques mèches pâles qui avaient recouvertes son visage. Elle pleurait, délicieuse dans cette manifestation d'une émotion bien humaine. Et son petit corps qui se convulsait à chacun de ses sanglots avait quelques choses d'attendrissant. Quand elle sentit la main du jouet sur elle s'éloigna un peu de lui, rampant comme pour lui échapper. Etait-elle blessée ? Ses habits et son visage étaient recouverts de sang et elle gisait aux milieux de morceau de verres. Et elle continuait de sangloter, laissant parfois échapper de ses lèvres serrées un gémissement de douleur.
Qu'avait-elle ? Alice se contentait de la regarder de sachant que faire. Et les gémissement se faisait de plus en plus récurent, et de plus en plus longs. Elle refusait toujours que le jouet la touche et se traînait sur le sol laissant derrière elle une traînée ocre. De petites gouttes rouges perlaient parfois entre ses doigts qu'elle gardait rivés à sa poitrine.
Lorsqu'il les aperçu le jouet sentit un énorme malaise l'envahir. Il porta une main à ses lèvres tout en secouant négativement la tête. Elle n'avait pas le droit de faire ça ! Il craignait de ne trop comprendre l'agissement de la fleur, il craignait de trop deviner ce qu'elle cachait et cela l'horrifiait. Jusqu'à présent elles étaient toujours restées derrière lui hors de la folie qui l'entourait hors du danger et de ceux qui lui voulait du mal. Et maintenant elle était….C'était simplement trop affreux.
A genoux au milieu des débris il commençait à entrevoir tout l'enjeu de cette histoire. Ce n'était pas qu'avec sa vie que l'on jouait. Il avait envie de vomir, les mains pressées contre ses lèvres à regarder la fleur qui luttait contre la douleur. Chacun de ses souffles rauques, de ses gémissements et de ses sanglots était une lame qu'on lui plantait dans le cœur. Elle ne pouvait pas….pas maintenant et pas dans cette pièce affreuse au milieu de toutes ces horreurs.
L'odeur de la pourriture et les visages mornes qui semblaient tournés vers lui l'indifférait désormais et tout le dégoût qu'il avait pu ressentir tantôt était désormais dirigé contre lui-même. Oui, il voyait maintenant…Alors qu'il l'écoutait hurler il comprenait enfin l'irraison de toute son attitude. Il était entré dans un jeu de fou de son plein grés et il l'avait forcé quelqu'un à le suivre l'arrachant à ses fleurs et la conduisant jusqu'à cette horrible salle ou…
Les mots lui semblaient hors de propos. De quoi avait-il peur de dire, de penser ? Qu'elle allait mourir ? C'était pourtant bien ce qu'elle était entrain de faire ! Cela ne se pouvait. Il renifla incapable de verser les larmes qui lui brûlaient le cœur et se traîna à son tour prés d'elle alors qu'elle était désormais incapable de se mouvoir encore. C'était bien trop horrible.
Toute la douleur que les yeux ternes exprimaient le lacerait et l'anéantissait. Il ne voulait pas la voir mourir, pas elle aussi.
Doucement il prit la main souillée et moite de sang découvrant alors la plaie qu'elle cachait. Profonde et rouge saignant démesurément. La rose suffoquait, souffrant tellement plus qu'elle ne le méritait. Et Alice souffrait avec elle, se meurtrissait le cœur et expiait ainsi sa culpabilité.
Son regard se posa sur la main de la rose lui tendant la dague qui l'avait percée. C'était trop horrible. Il s'humidifia les lèvres et accepta la lame sale, poisseuse et collante entre ses mains acceptant de ce fait tellement plus. Elle avait peur.
Quand il eut finit avec elle, le jouet se releva. Il avait fermé les yeux de la rose ne voulant pas qu'elle regarde éternellement cette salle. Bien que sa douleur ai été immense il n'avait versé aucune larme, soupiré aucun cri ; rien ne l'avait aidé à le libérer de sa souffrance comme il avait aidé la fleur à se délivrer de la sienne et quand il avait plongé doucement la dague dans le cœur de celle qu'il aurait pu aimer c'était son propre cœur qu'il avait sentit se briser et éclater en mille morceau au moment ou la tendre âme avait quitté le corps meurtrit.
Il alla s'asseoir sur le trône et rabattit ses jambes vers lui les entourant ensuite de ses bras pour venir nicher son visage sur ses genoux. Il y resta longtemps, sans bouger, le cœur gros. C'était vraiment trop…il n'en pouvait plus et il avait beau se forcer, aucune larme ne venait le soulager. Etait-il à ce point inhumain ?
Il finit par se relever. La douleur c'était estompé et il ne restait d'elle désormais qu'une grande amertume. Il poussa le trône jusque sous la lucarne qu'il brisa en y jetant un des bocaux restant. Mise à part la reine c'était beaucoup trop simple….on cherchait à le rendre fou. Il ôta soigneusement les débris de verre qui pourraient le blesser et se hissa à l'extérieur
