Chapitre 3 :
- Rodney, vous êtes encore là ?
La voix surprise du Tchèque traversa la brume de son sommeil et le ramena à la dure réalité. Il se redressa, bâilla bruyamment, et se retourna enfin face à son collègue.
- Je travaillais, je n'ai pas vu l'heure tourner.
- Vous devriez aller dormir. Vous avez vraiment une sale tête, lui fit peu diplomatiquement remarquer Zelenka.
Avec une grimace, McKay se leva de son siège. Il ne voulait pas aller dans son appartement pour dormir dans son lit. Il y faisait des rêves, des rêves dérangeants. Il était mieux pour dormir dans le labo ces temps-ci, mais il ne voulait pas attirer l'attention en agissant bizarrement. Il avait déjà eu droit à une visite du Dr Beckett qui voulait savoir pourquoi il ne mettait plus les pieds au mess depuis une semaine. Il lui avait servi des excuses bidons en essayant de paraître le plus normal possible. Comme s'il était normal, comme s'il y avait quoi que ce soit de normal dans sa vie depuis la dernière mission. Il n'avait d'ailleurs pas dû être très convaincant, puisqu'il avait reçu la visite de la psychologue de la base dès le lendemain. Elle était inquiète pour lui, il avait reçu un véritable choc durant cette mission, ils devraient en parler… Rodney avait dû se contenir pour ne pas rire bêtement : pour un choc, il y en avait bien eu un, mais pas celui qu'elle croyait !
Il traversa lentement les couloirs de la cité encore endormie, car Zelenka était un matinal, espérant à chaque pas que les craquements de sa radio allait l'interrompre et lui donner une nouvelle tâche. Arrivé devant sa porte, il hésita, puis pénétra dans la pièce d'un pas rageur. Il allait dormir maintenant, et il ne ferait pas de rêve, il détestait ces rêves, ou plutôt il détestait ce que ces rêves disaient de leur propriétaire.
…Quelqu'un frappe à sa porte, il ouvre et c'est John… …Le corps de John étendu sur son lit, il se retourne et sourit avec ce charme ravageur qui plaît tant aux femmes… …John, étendu à côté de lui, lui dit des mots tendres en le caressant doucement d'une main experte…
Rodney se réveilla tout d'un coup. Il se redressa sur son lit. Il était en sueur, et une drôle d'odeur flottait dans l'air, comme dans sa chambre d'adolescent. Il se sentait horriblement mal, il avait encore fait de ces rêves, il voulait que ça s'arrête. Il se leva et se dirigea d'un pas chancelant vers sa salle de bain. Il ouvrit l'eau froide de la douche à fond et s'assit droit en dessous du jet. Le froid mordait douloureusement sa peau, pourtant il se sentait mieux, à l'abri, il reprenait le contrôle de son corps et de son esprit engourdi. C'était ce qu'il fallait faire, ça marcherait, ça avait déjà marché des années auparavant, quand l'adolescent qu'il était avait été surpris par ses parents en compagnie de son petit copain d'alors. Il avait fallu quelques semaines pour le remettre dans le droit chemin, mais il ne s'en était plus écarté depuis, pas une seule fois, jusqu'à ce que le major John Sheppard décide de tout foutre par terre en l'embrassant d'une façon si peu amicale… Rodney était furieux, il en voulait à John de ce qui s'était passé. Des larmes se mirent à couler de ses yeux gonflés d'insomniaque, et il resta là, sanglotant et grelottant sous l'eau glacée.
Pendant ce temps, le major était avachi sur une chaise au mess et consommait son petit-déjeuner, tandis que le lieutenant Ford, fidèle à lui-même, régalait l'assistance de ses blagues douteuses. Seule Teyla l'écoutait avec attention, cherchant sans doute à percer le mystère insondable de l'humour terrien et militaire. John pensait à la réunion de la veille, enfin il pensait surtout à McKay. Le scientifique l'évitait comme la peste, et cette situation devenait de plus en plus insupportable. Pour la deuxième fois, il avait même demandé à rester à la base alors que son équipe d'exploration partait en mission. Parce qu'il avait du travail. Ben voyons ! Mais le pire était sans doute qu'il l'avait demandé à Elisabeth au lieu de l'en informer directement, et pour la deuxième fois ! John était furieux contre le Canadien. Le militaire avait compris qu'il avait commis une erreur dès leur retour sur Atlantis, quand Rodney avait réussi le tour de force de lui parler sans le regarder alors qu'ils se trouvaient presque face à face. Qu'il l'ait gêné, cela il pouvait le comprendre, mais qu'il ne lui adresse plus la parole pendant plus d'une semaine alors qu'ils étaient censés travailler en équipe, qu'il cherche à l'écraser en affichant un mépris total à son encontre, ça c'était inadmissible. Ils auraient dû en discuter, décider de ce qu'ils allaient faire, ensemble, mais cela s'était révélé impossible.
Le major décida tout d'un coup qu'il allait passer un savon monumental à ce scientifique de malheur pas plus tard que tout de suite. Il se leva et se dirigea à grands pas vers la sortie sans plus s'occuper de Ford ni de Teyla qui le regardèrent partir avec stupéfaction.
- J'ai dit quelque chose de mal ? demanda timidement le jeune militaire en se tournant vers l'Athosienne.
- Je ne crois pas que cet air assassin nous était destiné, se contenta-t-elle de lui répondre avec un petit sourire. Elle aussi commençait à se demander combien de temps encore la situation allait continuer ainsi.
John se tenait à présent derrière la porte des quartiers du scientifique. Il hésitait à entrer. Il entendait le bruit de l'eau indiquant que McKay prenait sa douche, et il ne voulait surtout pas entrer pour le trouver nu, au risque d'être taxé de pervers. Il se décida finalement à faire demi-tour, se promettant qu'il n'en avait pas fini avec cette histoire et qu'il allait revenir avant midi.
Rodney était assis dans la douche depuis bientôt dix minutes quand il commença à se sentir bizarre. Son corps était tellement engourdi qu'il ne sentait même plus le froid, et il avait du mal à ordonner ses pensées. Que faisait-il là ? Où étaient ses parents ? Quand allaient-ils enfin venir le chercher ? Il savait qu'il y avait quelque chose d'anormal, mais il ne savait plus quoi, s'il l'avait jamais su. Il tenta de se redresser mais ses jambes refusèrent de soutenir son poids et il retomba lourdement dans la douche.
Sheppard avait entendu un bruit étrange en provenance de l'appartement derrière lui, et il fit demi-tour.
- McKay , appela-t-il à travers la porte.
Pas de réponse. John ne savait pas quoi faire. Il ne pouvait pas appeler des secours sur une simple intuition, et il aurait du mal à leur expliquer pourquoi il n'était pas entré. Après tout, les deux hommes étaient collègues, alors quoi de plus normal qu'une petite visite de temps en temps ? Fort de cette idée, le major ouvrit la porte du Canadien qui ne la verrouillait jamais. Il traversa la chambre et entra d'un pas décidé dans la salle de bain. Il s'arrêta aussitôt sur le seuil, horrifié à la vue du spectacle qu'il avait sous les yeux.
- Rodney, nom de D… ! Est-ce que ça va ?
Pas de réponse. Le scientifique était étendu, visiblement inconscient et dans une position très inconfortable, sur le sol de sa douche. L'eau continuait à lui couler dessus. Mais ce qui inquiétait réellement le militaire, c'était la coloration bleutée qu'avaient prise ses lèvres et ses doigts. Il se précipita pour arrêter l'eau, puis saisit le corps bleui par les épaules et tenta vainement de le réveiller. Voyant qu'il n'arrivait à rien, il le souleva comme un enfant pour le porter jusqu'à l'infirmerie, courant presque dans les couloirs déserts.
Pourquoi ? Mon Dieu pourquoi ? Faites qu'il aille bien !
Toute la rancune qu'il avait accumulée à l'encontre du scientifique ces derniers jours s'était envolée quand il avait vu que celui-ci respirait à peine, sa poitrine se soulevait de moins en moins alors que son corps était de plus en plus froid. John le serrait contre lui dans un effort dérisoire pour le réchauffer. Il ne savait même pas comment il avait pu soulever le corps du Canadien, lequel n'était pas vraiment mince, mais il s'en moquait, seul comptait maintenant d'atteindre l'infirmerie à temps. Il arriva là-bas les poumons en feu et déposa son colis humain sur un lit pendant que le Dr Beckett se précipitait vers lui en hurlant des ordres aux infirmières présentes. Une d'entre elles fit sortir Sheppard, et il s'éloigna reprendre son souffle dans le couloir à contre-cœur.
- John, que s'est-il passé ?
Elisabeth venait d'arriver, alertée par toute cette agitation, et il pouvait lire l'inquiétude dans son regard.
- C'est McKay, il… il…, le major essayait de dire quelque chose quand ses épaules s'affaissèrent et qu'il se mit à pleurer.
Elisabeth était tout à fait perdue. D'abord, on lui annonçait que quelque chose était arrivé au docteur McKay, alors qu'il n'était même pas en mission, et maintenant le major Sheppard se mettait à pleurer comme une adolescente hystérique. Elle s'assit à côté de lui et passa un bras autour de ses épaules, tentant maladroitement de le consoler. Elle ne l'avait jamais vu pleurer, même dans les pires situations, et elle ne s'attendait certainement pas à le voir un jour.
- C'est bon, major, il va s'en remettre. Il se repose maintenant.
Le Dr Beckett était sorti de l'infirmerie et lui aussi était surpris du spectacle. Sheppard était arrivé de nulle part en portant Rodney dans ses bras, et maintenant il pleurait devant l'infirmerie, consolé tant bien que mal par la cheffe de l'expédition qui paraissait elle-même complètement perdue.
- Que s'est-il passé ?
Si Elisabeth voulait une réponse, ce n'était manifestement pas à John qu'il fallait poser la question.
- Le Dr McKay nous a fait une belle frayeur, Dr Weir. Il était en hypothermie et en hypoglycémie, et dans un état que je qualifierais de crise de nerfs, ajouta le médecin en se tournant ostensiblement vers Sheppard.
- Je voulais juste le voir, je suis allé chez lui, il était sous une douche glacée et il ne bougeait plus. Alors j'ai … pris peur.
Le major avait repris ses esprits et jetait un regard suppliant au médecin.
- Je peux le voir ?
- Désolé, pas tant qu'on ne saura pas exactement ce qui s'est passé. Mais moi je veux vous voir, votre dos à dû en prendre un sacré coup, major.
Elisabeth regarda tour à tour les deux hommes. Elle ne comprenait rien à ce qui se passait, mais il était évident que le Dr Beckett allait prendre les choses en main. Un bon chef doit savoir déléguer, songea-t-elle avec un soupir. Elle se releva, aida John à faire de même, et informa le médecin qu'elle retournait à son bureau.
- J'attends votre rapport sur cet événement, Docteur. Et remettez-le vite sur pieds.
John suivit le médecin à l'intérieur de l'infirmerie et s'assit. Beckett se plaça face à lui et se pencha en avant.
- Je ne vais pas vous le demander deux fois, major. Comme vous le savez, tout ce que vous me direz restera entre nous. Maintenant il faut que je sache, que s'est-il passé pendant votre dernière mission avec le Dr McKay ? Pourquoi vous évitiez-vous systématiquement tous les deux ces derniers temps?
Le militaire jeta un regard surpris au médecin. Il ne pensait pas que c'était si évident, que tout le monde s'en était rendu compte. Et maintenant, il allait devoir répondre et révéler son secret. En partant pour une mission sans retour dans une galaxie lointaine dans le cadre d'une expédition composée pour moitié de militaires, il s'était juré de ne jamais laisser ses sentiments prendre le dessus et l'humilier face à ses hommes. Cela faisait si longtemps qu'il jouait son rôle, draguant la gente féminine à tout va pour donner le change, qu'il ne pensait pas avoir de problème avec ça. Mais il y avait eu McKay, et surtout cette stupide mission d'où il avait cru ne jamais revenir. Alors avant de mourir - quelle importance ? - il s'était laissé aller une dernière fois. Et il avait eu tort, c'était certain. Mais Rodney ne l'avait pas trahi, il avait gardé jalousement son secret, et il commençait à comprendre pourquoi à présent. Il devait dire la vérité au médecin s'il voulait aider son ami. C'était le plus important, il le savait et cette certitude l'aiderait à surmonter la crise que ne manquerait pas de déclencher dans la cité la rumeur que le chef militaire d'Atlantis était gay.
- Je l'ai embrassé, murmura-t-il à l'adresse de l'Ecossais.
- Je vois… et quelle a été sa réaction ?
Le médecin avait parlé lentement, articulant bien, pour se donner le temps de réfléchir. Il fixait le major en fronçant les sourcils.
- Sa réaction, vous l'avez vue comme moi, répondit sèchement Sheppard en regardant droit devant lui.
- Et c'est tout ?
John reporta son regard sur l'Ecossais pour vérifier que la question était sincère, puis il hocha lentement la tête. Un silence suivit, pendant lequel les deux hommes examinèrent chacun pour soi les implications de cette déclaration.
John s'en voulait d'avoir été aveugle à ce point. C'était lui qui avait déclenché tout ça, mais il n'avait pas vraiment cherché à comprendre la réaction de son ami par la suite. Peut-être que s'il s'était soucié un peu plus du bien-être de celui-ci et un peu moins de sa propre réputation, les choses se seraient arrangées d'elles-mêmes. Rodney n'en serait en tous cas pas arrivé là, il y aurait veillé. Il serra les poings et se leva.
- Je peux le voir maintenant , demanda-t-il au médecin qui semblait toujours perdu dans ses pensées.
- Oui, vous pouvez.
Carson ne savait pas trop ce qu'il devait penser de la déclaration du major. Son problème n'était pas de savoir que les deux hommes s'étaient embrassés, cette partie de l'histoire relevait de leur vie privée, mais plutôt de comprendre pourquoi McKay avait réagi de cette façon. L'examen rapide qu'il avait pratiqué laissait peu de doutes quant aux circonstances dans lesquelles tout ça était arrivé, mais le médecin ne voyait pas ce qui avait poussé le Canadien à se torturer de la sorte. S'il aimait le militaire, il savait que c'était réciproque, et sinon, il aurait pu lui en vouloir, ou l'ignorer, ou encore lui en parler. A moins que… Le Dr Beckett avait déjà vu des réactions semblables chez des adolescents, mais jamais chez un adulte trentenaire !
John approcha une chaise du lit sur lequel reposait le scientifique. Celui-ci était allongé sous une couverture chauffante, seul son visage apparaissait en–dessus, ses lèvres encore bleues et ces yeux cernés. Sheppard s'installa plus confortablement dans l'attente du réveil du Canadien. La journée risquait d'être longue.
