Chapitre 6 :

McKay passait une épouvantable journée au labo, sursautant à chaque fois que quelqu'un passait la porte. Il se sentait doublement coupable : pour avoir mis la réputation du major Sheppard en danger, d'abord, et puis pour avoir été dans la chambre de celui-ci durant la nuit. Le fait que Bates soit à présent au courant renforçait sa honte. Il ne pouvait s'empêcher de se demander ce que le sergent pensait de tout ça. Il ne faisait aucun doute que ses pensées ne devaient pas être très aimables.

Comme son estomac gargouillait furieusement, Rodney se résolut finalement à se rendre au mess pour manger. Habituellement, il arrivait toujours dans les premiers à l'heure des repas. Ford le taquinait avec ça en disant que c'était pour le cas où il n'y aurait pas assez à manger pour tout le monde. Il entra dans le grand réfectoire et parcourut machinalement l'assistance du regard, même s'il savait que l'équipe avec laquelle il s'asseyait toujours était en mission pour la journée. Assis seul à une table vide, le sergent Bates s'appliquait à terminer son repas. Lorsqu'il le vit, le sang de Rodney se gela dans ses veines. Il s'arrêta net et repartit d'où il venait, en essayant de prendre l'air dégagé de celui qui a oublié quelque chose d'extrêmement important derrière lui.

De retour au labo, il ferma soigneusement la porte et se rassit devant son ordinateur. Il se sentait stupide, il n'allait pas pouvoir éviter Bates toute sa vie, pas sur une cité entourée d'eau ! D'un autre côté, un petit régime ne lui ferait pas de mal, comme Sheppard n'aurait pas manqué de lui faire remarquer. Il décida donc de se remettre au travail. Rien de tel que des problèmes mathématiques compliqués pour vous simplifier la vie.

- Dr McKay, je peux vous parler un instant ?

Le sergent Bates se tenait debout derrière lui, le dominant de toute sa hauteur.

- Je… heu… je suis un peu occupé.

Malgré ses efforts, la voix de Rodney tremblait légèrement, tandis qu'il se retournait sur son siège pour faire face à son interlocuteur.

- Je ne vais pas vous déranger longtemps, mais j'ai eu l'impression que ma présence vous avait mis mal à l'aise, tout à l'heure au mess.

- Je ne vois pas de quoi vous voulez parler.

Rodney se sentait rougir jusqu'aux oreilles, il devait vraiment avoir l'air d'un imbécile à nier l'évidence comme ça, mais il ne voyait pas quoi faire d'autre. Il n'avait pas prévu de faire son coming-out auprès de Ford, Teyla ou Elisabeth avant, disons, une bonne cinquantaine d'années, alors parler de ça avec Bates ! Il déglutit péniblement et se força à fixer le militaire dans les yeux.

- Je me demandais si votre attitude à mon égard avait quelque chose à voir avec l'endroit où nous nous sommes croisés ce matin.

Pas de réponse. Rodney sentit sa gorge se serrer. Il aurait donné n'importe quoi pour être parti en mission avec les autres ce matin. Voyant qu'il n'obtenait pas de réaction de cette façon, Bates saisit une chaise qui traînait dans le labo et s'assit en face du scientifique.

- Je venais seulement vous dire que je n'ai pas l'intention de répéter ce que j'ai vu à qui que ce soit.

- …Merci…

- Mais Atlantis n'est pas exactement un endroit où il est facile de garder un secret comme celui-là.

Un lourd silence suivit cette déclaration. Bates avait raison bien sûr, et Rodney le savait. Sa relation avec le major Sheppard serait découverte tôt ou tard, et il préférait ne pas en imaginer les conséquences pour eux deux. Ils avaient eu de la chance jusque-là, mais il était temps qu'ils se montrent raisonnables et arrêtent de se voir, même si cette décision les faisait souffrir tous les deux. Rodney regarda le sergent dans les yeux et demanda calmement :

- Si ça cesse immédiatement, vous me promettez de ne le dire à personne ?

Bates lança un regard surpris à l'homme assis en face de lui. L'espace de quelques secondes, il ne sut plus que dire. Il était venu pour rassurer McKay, parce que celui-ci lui avait paru troublé, mais voilà que le Canadien réagissait comme s'il l'avait menacé.

- Dr McKay, ce n'est pas à moi de vous dicter votre conduite. Je ne dirai rien à personne. Je voulais seulement vous suggérer de faire une déclaration à ce sujet, si votre… relation avec le major Sheppard devait durer un certain temps. Plus vous essaierez de vous cacher, et pire ce sera. Les gens adorent spéculer sur la vie des autres, alors ne leur en laissez pas l'occasion.

- Une déclaration ! Vous voulez qu'on le dise aux autres !

Rodney était horrifié, comment pourraient-ils jamais le dire à quiconque ? Ses sentiments devaient se lire sur son visage, parce que le militaire se pencha vers lui avant de reprendre d'une voix douce, que personne sur Atlantis ne lui connaissait :

- Vous êtes libres de sortir avec qui vous voulez, Dr McKay. Et si cette personne partage vos sentiments, alors vous avez de la chance. Vous devriez en profiter. Personne n'a le droit de vous juger parce que cette personne est un homme. Si vos relations avec le major dérangent quelqu'un, qu'il aille se faire voir ! Vous savez comme moi que le Dr Weir vous soutiendra, le major Sheppard et vous, quoi qu'il arrive.

Rodney n'en croyait pas ses oreilles. Il fixa le sergent d'un air ébahi.

- Vous-même, est-ce que vous… ?

- Non. Je dirais même que je serais ravi de prendre la place du major dans le domaine des relations féminines !

Le militaire lui sourit franchement avant de quitter la pièce. Jamais Rodney n'aurait cru que Bates soit si tolérant, il n'en avait pas la réputation. Il réalisa soudain ce que tout ça impliquait. Le Dr Heightmeyer, John et même le Dr Beckett n'avaient pas arrêté de lui tenir le même discours. De lui dire qu'il n'avait pas à avoir honte, qu'il avait le droit d'être heureux comme ça lui plaisait. Seulement, il n'avait pas vraiment cru à ces belles paroles : ils étaient ses amis, et lui disaient ce qu'il avait besoin d'entendre. Mais le sergent n'était pas son ami, donc il n'avait aucune raison de lui parler comme il l'avait fait, sauf si c'était la vérité. Le Dr McKay sentit alors un poids énorme, dont il n'avait pas conscience jusque-là, quitter ses épaules. Il respirait plus librement. Un immense sourire se dessina peu à peu sur son visage. Comme il avait hâte que le major soit de retour de mission !