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L'annonce de Moyesïa surprit l'indigène qui se contint de rebondir sur ses résolutions. Les décisions de la démone ne la regardaient pas. Néanmoins, elle n'allait pas laisser Moyesïa lui filer entre les doigts. Elle pressentait qu'elle avait besoin de la jeune femme, que leur récente coopération pouvait atteindre des sphères plus hautes. Au vu des derniers évènements, se dire adieu dès maintenant n'était assurément pas une bonne idée. À tout moment une « nouvelle Cléo » pouvait apparaître et menacer la quiétude, fraîchement retrouvée, de son peuple.
– Que comptes-tu faire ?
– Remettre à leurs places les miens… Il suffit de fermer les différents portails pour mettre fin à l'invasion. En faisant cela, les démons n'auront plus de passerelle. Ceux sur terre seront aussi ramenés vers Akuma.
– Akuma ?
– Vous désignerez ma nation comme l'enfer, simplifia Kagugarami.
– Sais-tu la localisation de ces portes diaboliques ?
Le ton employé mit la puce à l'oreille de Moyesïa. Fronçant les sourcils, elle considéra en silence le visage impassible de la brune. Sans mal, elle réussit à décortiquer ses projets. L'ex-pirate connaissait depuis peu l'ancienne momie, mais son tempérament n'était pas énigmatique. Bien au contraire puisque même cette tête creuse de Sïa, dépourvue de flair, y parvenait. Il était évident que Tootsy désirait protéger les siens. Et visiblement les démons représentaient clairement une menace importante à ses yeux. Elle prévoyait, elle aussi, de les chasser à grands coup de pieds au cul… Et tant mieux ! Sans hésitation, la laissant prendre ses propres initiatives, Moyesïa partagea ses informations.
– Non. Je ne connais ni le nombre de portails, ni leurs positions.
– C'est pour cela que tu ne voulais pas que j'abatte l'autre garce.
La déduction rapide de l'Indienne était incontestable. D'un simple hochement de tête, la brune confirma sa supposition. Son plan était accessible aux esprits les plus simplistes. Elle avait juste à échanger les rôles jusque-là attribués. Elle constituait Cléo prisonnière tandis qu'elle prenait la place du bourreau. En tant que grande générale, la jeune femme devait assurément posséder des données capitales pour la suite. Le plus compliqué à réaliser serait de délier sa langue.
Tentant de s'extirper de sa couchette, son inactivité lui tapant sévèrement sur les nerfs, Moyesïa se fit réprimander. C'était totalement stupide de vouloir quitter le lit dans son état. L'ancienne bandée ne manqua pas de le lui dire crûment. Tout en ajoutant que la vision qu'elle renvoyait ne ferait même pas trembler un chaton. Cléo —un félin aux griffes bien affûtées, un vrai tigre à dents de sabre— ne risquait pas de coopérer, bien qu'elle soit enfermée et contrainte à subir bien des sévices.
L'ensemble de ces observations agaça Moyesïa. Elle grommela des paroles inaudibles et écouta d'une oreille son interlocutrice lui signifiant qu'elle appellerait le médecin pour un rapide contrôle. Il tardait à Sïa de retrouver sa liberté de mouvements. Le temps à sa disposition était une denrée rare.
La victoire face à Cléo était inespérée. En toute logique, les hautes sphères de la cité d'Akuma ne devaient pas avoir vent de sa chute. Pas tout de suite en tout cas. Mais cela ne durerait pas si elle n'agissait pas vite. Lançant un regard vers Tootsy, la démone refusa catégoriquement d'attendre l'avis du patricien.
– A défaut de te laisser me soigner, aide-moi. On doit au plus vite récupérer les affaires de Cléo. C'est urgent, sinon je perdrais le bénéfice de cette victoire.
Certainement encouragée par toutes les fois où les dires de la brune se sont avérés de bons conseils, Tootsy céda et n'essaya plus de lui faire obstacle. S'approchant du lit, elle redressa précautionneusement la jeune femme avant de lui offrir son épaule pour s'appuyer.
Bien que Tootsy était d'une taille inférieure à Moyesïa, elle n'eut pas grand mal à soutenir cette dernière. Kakugarami fut même surprise. La musculature de l'indigène était plus développée qu'elle ne l'aurait cru. Sous ses apparences frêles se cachait un corps robuste. Elle aurait dû s'en douter en même temps. Il fallait une certaine force pour manier les masses dont elle usait avec tant de dextérité et d'habilité.
Elles quittèrent la chambre rudimentaire, et passèrent rapidement à la seconde pièce donnant sur la porte d'entrée. Peu de chose était notable dans cette bâtisse de toute façon. L'espace vide remplissait plus que les meubles la pièce, si on ne comptait pas le lit sur lequel la démone reposait. L'extérieur ne fut guère plus animé. Après que les yeux de Moyesïa furent habitués aux rayons agressifs du soleil, elle découvrit une rue déserte. Les maisons environnantes semblaient inhabitées, certaines condamnées. Il n'y avait qu'un poste de garde dans les alentours. Eux aussi répondaient aux mêmes codes vestimentaires que Tootsy. Plumes, pagnes et cuir étaient la norme.
Autre chose capta l'attention de Moyesïa. Il y avait de l'agitation plus loin des éclats de rire.
– Où sommes-nous ?
Moyesïa avait beaucoup de mal à se repérer. L'air chaud et sec du désert s'était volatilisé. Tout comme les dunes perte de vue. Son homologue démoniaque avait sans doute maudit également l'île à son arrivée. Désormais, les grains de sable avaient été remplacés par une forêt luxuriante. La canopée enveloppait la ville où se situait la démone agressée par un temps lourd et humide. Une libellule aussi grosse que Bepo passa subitement devant Sïa, alors qu'au même moment elle remarquait une araignée aux dimensions de Jean-Bart se promener dans les branchages au-dessus de sa tête.
– On n'a pas bougé, déclara Tootsy. Nous nous trouvons là où Cléo avait érigé son palais. L'île a repris son vrai visage.
– Je regretterais presque les sables mouvants, commenta la démone tout en apercevant du coin de l'œil l'insecte volant tomber dans la toile tissée par le second. Ce malheureux devait lui aussi déplorer le maléfice de Cléo maintenant qu'il composait le menu de l'arachnide.
Ne relevant pas, l'impératrice guerrière entraîna Moyesïa. Plus elles avançaient, plus elles s'éloignaient du tumulte des autres habitants. Tout comme Cléo et Kaden, Moyesïa avait été placée à l'écart de la population. Clairement, on ne lui faisait pas confiance. Pas totalement. Se laissant guider, ralentissant le pas de Tootsy, Kakugarami fut conduite à un poste de garde nettement plus important. Les aborigènes protégeant une hutte entourée de barbelés lui lancèrent des regards méfiants et hostiles avant de quérir des nouvelles auprès de leur chef.
Après avoir rassuré les siens, Tootsy réclama sans cérémonie, d'un ton impérieux et ferme, les biens de l'ancien despote. On apporta alors plusieurs caisses recouvertes de peaux d'animaux placées afin d'en préserver le contenu. Déposant Sïa sur une chaise libérée par l'un des soldats— il valait mieux ménager la blessée affaiblie— Tootsy emporta les diverses boîtes à la brune. L'indienne les ouvrit avant de les fouiller activement sous la direction de Moyesïa.
– Tu ne peux pas les louper. Il doit y avoir des crânes là-dedans.
– Je vois. Ils doivent être à part j'imagine,… ils permettraient de communiquer… comme tu l'as fait avec ton père ?
La simple mention de cet homme glaça le sang de la démone. Elle avait presque réussi à oublier leur petite conversation… presque. S'abstenant de fournir une réponse à la momie – de toute façon elle était assez perspicace pour comprendre toute seule qu'elle visait juste— la brune récupéra les trois crânes que Tootsy lui tendit.
Tootsy remarqua qu'ils n'étaient pas identiques. Celui de droite était banal. Les deux derniers se démarquaient par des motifs. Au centre, il était de toute part coloré. Des teintes vives et éclatantes pour des dessins fleuris. Le dernier était teint tout en noir et surmonté d'une croix sur le front. Ce fut celui-ci qui attira l'attention de Kakugarami.
Récupérant des mains de la jeune femme l'objet, la démone se désintéressa du second. Tootsy put même le laisser moisissure au fond de la boîte. Toujours accompagnée, la pirate fut guidée jusqu'à la hutte servant de logis aux prisonniers. La garde y était renforcée. Les Indiens n'avaient pas fait dans la dentelle, s'assurant ainsi ne jamais avoir de résurgence du phénomène Cléo. Ils avaient creusé un sillon profond d'au moins trois mètres et large de deux autour de la baraque. Quelques piques au fond dissuadaient d'y plonger. Des fils barbelés encerclaient également la grande hutte, tout comme des sentinelles postées. À l'aide du haki, la brune détecta même les groupes placés plus à l'écart et surtout dissimulés entre les bâtiments des alentours.
Cette surveillance étroite paraissait peut-être, aux yeux de certains, excessive, mais selon Moyesïa, c'était le minimum qu'on devait mettre en œuvre vu le monstre capturé. Le granite marin ne pouvait pas entraver Cléo. Tout comme Moyesïa. Le minerai n'avait aucun effet sur leurs capacités. Les démons en étaient immunisés. La perspective que cette garce use de nouveau de ses malédictions fit déglutir Entrave qui ne put s'abstenir de jeter un coup d'œil en direction de son bras. La douleur se réveilla par la même occasion, mais elle préféra l'ignorer.
Ecartant la peau de bête masquant l'entrée de l'abri, elle se reconcentra sur la discussion, ou plutôt la querelle qu'elle devrait mener de front sous peu.
Dès lors qu'elle passa le bout de tissu, son attention se porta vers le sol. La communauté de Tootsy avait creusé une immense cuve. Dedans, chevilles et poings liés fermement à un poteau dans leurs dos, Cléo ainsi que Kaden se tenaient compagnie bien malgré eux. Le temps écoulé ensemble semblait les avoir rapprochés puisqu'ils s'imitèrent à l'arrivée des deux jeunes femmes. Ils leur lancèrent un regard noir transparent de haine et de colère.
Sans se laisser démonter, Moyesïa approcha du bord du trou. D'un saut, elle rejoignit les deux captifs alors que Tootsy demeura à bonne distance et en hauteur. Fronçant les sourcils, Moyesïa considéra l'autre représentante de son espèce. Cléo était amochée. Pire qu'avant qu'elle ne sombre dans l'inconscience. Et au vu de ses jours de convalescence, les bleus qu'elle arborait ne pouvaient pas dater de leur combat. L'ébène s'était clairement fait malmener par les autochtones. Sa lèvre était fendue, du sang coagulé commençait à former une croûte peu ragoûtante à la commissure. Ses vêtements, tout comme son visage par ailleurs, étaient couverts de terre. Sa robe blanche n'était plus aussi immaculée que dans le passé. Kaden, lui, n'avait pas eu droit à un tel traitement. Au contraire, il semblait indemne, bien qu'une bonne douche n'aurait pas été de refus.
– Tu n'as pas tenté de t'enfuir Cléo ? demanda honnêtement Moyesïa.
La candeur de la question scia sur place la jeune femme un court instant. Elle dut bien malgré elle marquer un temps d'arrêt. Puis, réalisant avec qui elle s'entretenait, tout lui parut moins absurde.
– Non ! Bien sûr que non ! Pourquoi une telle pensée me viendrait à l'esprit ? Ça se voit que je me plais ici tout de même ! … Tu es franchement doter de deux de QI.
– Ah, ça je confirme ! Intervint Kaden.
– On t'a pas sonné, arqua de mauvaise humeur la brune.
Sa dernière envie était bien devoir supporter le sarcasme de ces énergumènes. Respirant profondément, se reconcentrant sur les raisons de sa visite, la jeune femme se planta devant Cléo. Elle s'accroupit afin d'être sa hauteur et plongea son regard dans le sien. Récupérant du sac de Tootsy le cranophone qu'elle avait emmené, elle le brandit sous le nez d'Orgueil. Elle n'eut même pas besoin d'exposer ses revendications à son auditoire. Cléo comprit sans mal à quoi on voulait la résoudre. Et elle n'arriva pas à refreiner un rire.
– Non, mais tu rêves là. Jamais je ne te ferai cette fleure.
– Est-ce qu'un jour tu m'expliqueras ton plan ? s'exaspéra Tootsy dans le dos de Sïa.
La nomade en avait plus qu'assez d'être tenue dans l'ignorance. Surtout que l'ébène semblait avoir compris très rapidement où voulait en venir son alliée. C'était quand même le comble que l'ennemie en connaisse plus sur les stratégies de sa propre équipière ! Heureusement, après plusieurs minutes de silence, Moyesïa s'était décidée à faire cesser cette attente.
– L'armée démoniaque est très bien organisée. Les généraux, dont fait partie Cléo, ont l'habitude de se contacter régulièrement. Si Cléo manque cet appel, ils comprendront très facilement qu'il s'est passé quelque chose sur cette île. Nous perdrons alors notre avance et l'effet de surprise. Il faut qu'elle nous couve. Et je l'y forcerai.
Fronçant les sourcils, Tootsy peina à croire aux paroles de la brune. Elle voyait bien mal la jeune femme se plier docilement à leurs revendications. C'était même inimaginable pour tout dire selon l'indigène. Pourtant, elle dut admettre que l'assurance transpirant de Moyesïa laissait place au douter. Une fois de plus, elle détestait la posture dans laquelle son alliée la coinçait. Or, elle n'allait pas laisser passer si facilement la situation. L'Indienne ouvrit la bouche bien décidée à ramener la criminelle. Un repli stratégique lui était cruellement nécessaire. Elle voulait suivre la conversation sur un pied d'égalité avec Moyesïa, par conséquent, elle avait besoin d'être en possession des mêmes armes que la concernée.
Malheureusement ses projets furent contrariés. Sans crier gare, le crâne tenu par Moyesïa commença à pousser des cris stridents, dignes d'une femme que l'on égorge par surprise au beau milieu de la nuit. Il sauta également dans la paume de la brune tout en claquant des dents. À l'extérieur, plus d'un garde sursauta et posa une main au niveau de leur cœur. Un petit groupe se précipita même dans la prison de fortune pour savoir de quoi il en retournait. Ceux qui virent la scène ne purent qu'être choqués alors que les deux démones se jaugèrent froidement du regard.
– On dirait que je me suis réveillée pile au bon moment, commenta Sïa tout en braquant le crâne devant le visage de Cléo.
Elle le tenait par le menton ce qui lui permit d'appuyer sur l'une des incisives inférieures. La dent s'inclina vers l'intérieur, et dans la seconde qui suivit une nouvelle voix s'éleva. Tootsy déglutit. La jeune femme venait réellement d'entamer une communication avec les siens, sans avoir pour autant l'assurance que Cléo coopère. La sombre idiote, pensa-t-elle.
– Cléo !... Allô ?... Tu m'entends ? répéta l'interlocuteur à l'autre bout de la ligne.
Orgueil continuait d'assassiner des yeux Moyesïa. Cette sale petite peste… Tirant sur ses liens quelques secondes, méprisant sa situation, la détentrice du pouvoir de la malédiction refusa sa défaite. Elle n'émit qu'un souhait à cet instant enterrer vivante Moyesïa et piétiner sa tombe. Elle s'épuisa un moment alors que l'impatience se lisait dans la voix du crâne. Après bien une minute durant laquelle les nomades transpirèrent d'angoisses, Cléo s'arrêta. Ses épaules s'affaissèrent tandis que la lueur meurtrière dans ses prunelles redoubla.
– Je t'écoute, finit-elle par lâcher.
– Ton sable a dû te boucher les oreilles ma pauvre fille.
– Ferme-la Luxure. Si c'est pour être insupportable, je raccroche.
– L'appel de routine. Tu te doutes bien que je n'ai aucune envie d'entendre le son de ta voix. Mes tympans saignent à chaque fois que tu ouvres la bouche. Sinon, les ordres n'ont pas changé au passage. On continue sur notre lancée. Tu as réussi à maîtriser Moyesïa comme convenu ?
– Oui. Je l'enverrai au général Kagugarami quand m'amuser avec elle deviendra ennuyeux.
– L'amoche pas trop. Faut en laisser pour son père, finit par dire le démon tout en raccrochant abruptement.
Satisfaite, bien que les derniers mots de la conversation ne l'enchantèrent pas, Moyesïa se redressa et s'éloigna de Cléo. La demoiselle enrageait sur place et vociférera un tas d'injures et menaces à son encontre. Mais aucune n'affecta la criminelle. Elle se hissa avec difficulté hors de la fosse, l'exercice à un bras se montrant plus fastidieux, et rejoint Tootsy à qui elle adressa un sourire. Par la même occasion, elle lui rappela qu'elle lui avait proposé également une visite chez le médecin. Maintenant que le gros du travail était réglé, elle ne s'opposait pas à un rendez-vous médical. Acquiesçant, la dirigeante des lieux distribua des consignes avant de reprendre son rôle de guide auprès de l'étrangère.
Sa curiosité affûtée, elle n'hésita pas une seule seconde à poser ses questions.
– Comment as-tu deviné qu'elle irait dans notre sens ? Je n'aurai jamais imaginé que cette garce s'aplatirait si facilement. Pourquoi a-t-elle cédé ?
– Il suffit de connaître un peu le phénomène. Elle n'est pas surnommée Orgueil pour rien, elle allait refuser d'admettre sa défaite. On a gagné quelques semaines. Mais mieux vaut ne pas s'attarder ici trop longtemps. On va se dépêcher de remettre de l'ordre dans tout ce bordel. J'espère que tu as conscience de la charge de travail que nous attends, Tootsy.
Hello! Et non...Pas morte haha. Toujours vivante et j'ai une chose importante à dire!...La tortue est lente mais arrive un jour ou l'autre à sa destination U.U
Et n'oublions pas le grand merci pour Katy qui corrige toujours!
