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Un faisceau de lumière réchauffait Moyesïa confortablement allongée dans l'herbe fraîche. Yeux clos, elle profitait du trou dans la canopée pour se dorer la pilule dans un environnement serein. Plusieurs jours s'étaient écoulés depuis sa dernière conversation tumultueuse avec Cléo. Depuis, elle patientait et se remettait de ses blessures. Mis à part son bras, elle éprouvait nettement moins de difficulté à se déplacer. Heureusement qu'elle pouvait compter sur sa nature de démon. Son rétablissement était plus rapide comparé aux simples humains. Mais malgré cette constatation, Moyesïa trouvait que ça n'allait toujours pas assez vite. Si leurs opposants les retrouvaient trop tôt, elle serait diminuée, voire un poids mort. Une fois encore la vie ne lui faisait aucun cadeau.
Elle en était à ses réflexions quand brusquement on lui barra les rayons bienfaiteurs venus du ciel. La pirate se redressa à l'aide de son membre valide puis leva les yeux. Tootsy venait de la rejoindre. Son visage peinturé arborait les motifs guerriers de sa tribu. D'autres nomades les portaient fièrement également. Il avait fallu peu de temps pour qu'un grand nombre d'indigènes se mobilisent derrière leur impératrice. Tous étaient bien décidés à ne plus jamais perdre la terre de leurs ancêtres face à une vermine de la même espèce que Cléo. Les envahisseurs devaient être chassés, et l'unique chance d'y parvenir était Moyesïa. La meneuse indienne avait donc d'office intégré Moyesïa à ses projets.
-On attend plus que toi.
Acquiesçant, Moyesïa se mit en route sans attendre. Le petit village portuaire dévasté par Cléo quelques semaines auparavant renaissait de ses cendres. Les habitants se l'étaient réapproprié au fil des jours. Les artisans avaient été les premiers à l'investir. En un laps de temps record ils avaient œuvré en concert pour réparer un bateau endommagé par les démons. Le bâtiment naval était enfin prêt à retrouver le chemin des flots. Beaucoup de guerriers y avaient embarqué. Il ne manquait plus que les derniers retardataires pour que l'expédition commence. En d'autres mots Tootsy et Moyesïa. Mais avant les au revoir déchirants avec sa patrie, Tootsy devait s'assurer qu'un élément perturbateur se tienne à carreau.
-Que fait-on des prisonniers ? Les laisser ici ne m'enchante pas vraiment.
-Ne t'en fais pas. On emmène Cléo en voyage.
-Ça aussi ça ne me rassure pas. J'aurais préféré t'entendre dire qu'on lui ferait manger des pissenlits par les racines, rétorqua la native.
-Elle est encore bien trop utile pour s'en débarrasser.
L'indigène se tut cette fois-ci. La dernière fois que la brune avait prononcé de telle parole, elle n'avait pas menti. Les deux femmes atteignirent la hutte des prisonniers en silence. Si Kaden restait faible à cause de l'exposition constante au granite marin, Cléo pour sa part reprenait des forces à vue d'œil.
Insensible aux liens, une surveillance de tous les instants était indispensable. Si par malheur la jeune femme réussissait à reprendre contact avec ses hommes enfermés à l'autre bout de l'île, ou bien à jeter une nouvelle malédiction, ce serait une catastrophe. Tous étaient conscients de la situation, et la majorité peinait à comprendre les motivations des têtes pensantes. Les soupçons autour de Moyesïa grandissaient à mesure que les jours s'écoulaient. Peut-être n'était-elle pas si opposée à son peuple? Pas au point qu'elle le clamait en tout cas. Pourquoi en épargnerait-elle une si longtemps ?
Ses actions n'étaient pas logiques aux yeux des habitants. Néanmoins, il ne valait mieux pas se fier aux apparences. La brune avait eu tout le temps nécessaire pour réfléchir à son plan. Très bientôt, elle donnerait un coup de pied dans la fourmilière. Et l'assaut ne pourrait pas fonctionner sans l'appui de Cléo. Sortant de la poche arrière de son pantalon un bracelet dont l'un des grelots était un diamant aussi large que l'ongle de son pouce, Moyesïa le présenta à Tootsy.
-C'est une prison portative, expliqua la jeune femme, je l'ai récupéré dans ses affaires. Il provient d'une mine de la cité d'Akuma. Je me doutais bien qu'elle en possédait un. A titre informatif, c'est l'un des seuls moyens sûrs pour entraver un démon. Enfin, bloquer l'utilisation des pouvoirs surtout. Ce que vous appelez granite marin ne fonctionne pas sur nous. Mais une fois dans ce petit bijou, impossible de s'échapper. Seule une personne extérieure peut vous y aider.
Fascinée par ces objets venus d'ailleurs, Tootsy en fut tout aussi effrayée. Entre les crânes communicatifs et les pierres précieuses servant de prison, elle allait de découvertes morbides à celles tout simplement intrigantes.
Loin de laisser la jeune nomade digérer l'information, Moyesïa enchaîna sur sa lancée. Elle emmena sa main libre à sa bouche et s'entailla le doigt sur l'une de ses canines. Leur tranchant redoutable n'épargna pas sa peau qui céda sous la dent. Glissant son index sur la surface transparente, elle laissa une trace rougeâtre. La pierre réagit comme voulu. Sur le sommet en forme d'octogone, un symbole écarlate scintilla. L'ancienne pirate imposa la surface plane contre le front de Cléo l'assassinant du regard, et la seconde qui suivit, la prisonnière fut happée dans le diamant. Comme expliqué, elle s'y trouva emprisonnée mais surtout figée. Elle était incrustée dans la pierre, ne faisait qu'un avec. Son corps, son expression, était bloqué.
-Elle est bien plus sympathique comme ça, décréta Tootsy tout en jetant un coup d'œil en direction de Kaden. Tu n'en aurais pas un deuxième par chance ?
-Ce serait trop beau, confia la brune en comprenant très rapidement où voulait en venir l'impératrice aborigène. Malheureusement, un diamant, un prisonnier.
D'un regard traduisant quelques grossièretés, Kaden invita ses geôlières à fermer leurs clapets. Ces dernières n'émirent plus aucun commentaire désagréable à son encontre. Il fut rapidement convenu qu'il les suivrait malgré les vives protestations qu'il exprima. Il ne fallait pas croire pour autant que Sïa ou Tootsy étaient ravies de sa présence. La dirigeante ne pouvait tout simplement pas laisser un tel renard sur son île alors qu'elle s'en allait pour une durée indéterminée. Vivement la prochaine escale qu'elle abandonne ce type ! Il n'avait aucune parole, et ceci déplaisait souverainement bien à l'autochtone. Parmi tous les truands sur terre, elle haïssait en priorité ceux n'ayant ni foi ni loi.
Par la suite, Moyesïa accompagna la jeune femme dans ces dernières tâches, jusqu'au moment déchirant des au revoir entre Tootsy et les siens. Le bateau réquisitionné pour le périple était un immense bâtiment naval. Il contint aisément les deux tiers de la communauté guerrière qui malgré un attachement profond à la terre, maîtrisait tout aussi bien les océans. D'excellents marins entouraient Tootsy. Sur ce navire, plus que jamais, Moyens Ïa eu le désagréable sentiment d'être de trop. Elle n'avait pas sa place dans cette grande famille. Son cœur se serra à la pensée de ses anciens compagnons, mais elle se refusa de regretter sa décision. Elle avait mûrement réfléchi sur ses actes. Elle avait mis les Hearts assez en danger comme ça.
Bien que ceci était douloureux, elle espérait qu'ils la croient morte. C'était une possibilité fort plausible. En continuant à ne donner aucun signe de vie, il y avait des chances qu'ils finissent par le penser sérieusement. Et c'était pour leur bien avant tout.
Délaissant de telles pensées, elle remarqua rapidement que l'effervescence du départ retomba. Alors que l'île ne devenait qu'un point sur la ligne de l'horizon, depuis le pont supérieur, la meneuse de ces braves gaillards trouva l'heure appropriée pour un petit discours. Dans sa qualité de leadeuse charismatique, Tootsy avait parfaitement conscience que le moral de ses troupes était un enjeu fondamental. Sa prise de parole pourrait être décisive pour la suite. Pour l'occasion, elle avait demandé à Moyesïa de lui remettre Cléo toujours prise au piège. Elle comptait ne rien laisser au hasard, pas même la mise en scène.
-Nous nous apprêtons à combattre un ennemi puissant. C'est un immense sacrifice que nous tous sommes prêts à faire ! Quitter notre terre si durement récupérée à l'envahisseur pour mieux la protéger; elle mais aussi notre famille et nos coutumes. Regardez ! déclara l'impératrice indienne tout en brandissant le bijou.
Les yeux de tous se braquèrent sur l'objet. Il était évident que beaucoup n'y voyaient pas grand-chose à une telle distance, mais chacun savait de quoi il s'agissait. Sans oublier que personne ne remettrait en question les dires de l'impératrice. Elle affirmait avec conviction que l'objet retenait le monstre qui les avait asservi, alors chacun buvait ses paroles.
-Nous sommes parvenus à faire tomber l'un des leurs. C'est la preuve que nous pouvons tout accomplir. Reprenons le futur de notre monde avant que ces démons venus des enfers ne nous l'arrachent !
Un cri commun s'empara de la foule. La souveraine avait réussi à allumer un brasier, et bien consciente de son exploit, elle laissa s'exalter ses troupes, se laissant porter par la détermination émanant de ses compatriotes.
De loin, Sïa admira cette dévotion qui contrairement aux siens ne reposait pas sur la peur et la répression. Le petit peuple et la souveraine se battaient pour la même cause. Jamais un membre de la famille royale d'Akuma n'avait eu des motivations communes avec ses gens.
Malheureusement, Sïa ne trouva pas la force de les blâmer pour autant. Selon elle, elle ne valait pas mieux que ses semblables. Elle s'était toujours montrée égoïste, elle avait rejoint les Hearts dans son propre intérêt. Et maintenant, elle se liguait contre son peuple uniquement à cause de ses convictions personnelles. Elle avait surtout une vengeance à accomplir. Elle allait détruire ce qu'avait bâti son père, la construction de toute sa vie. Et ce but passait avant les sentiments de ses anciens camarades, avant la vie de ses acolytes.
Ses yeux balayaient l'attroupement. Elle ne put se retenir de se demander qui resterait en vie à la toute fin parmi ces guerriers. Les sacrifices seront nombreux, le doute n'était pas permis à ce sujet. Néanmoins, le prix était minime si l'on réfléchissait bien. Ces vies volées préserveraient celles d'innombrables autres. Sans se rendre compte de rien, le discours de Tootsy était parvenu également à titiller la combativité de la brune.
Après être parvenue à rétablir le calme sur son navire, - en réalité cette tâche n'avait pas été si compliquée que ça. Son entourage lui obéissait sans problème-, Tootsy retrouva sa nouvelle camarade et lui rendit sans broncher le bracelet. Elle avait beau rester méfiante envers Sïa, si les intentions de la démone étaient bien de les aider, il valait mieux qu'elle ait en charge la surveillance de la prisonnière. Elle était la seule accoutumée à cette curieuse « magie ».
Acceptant cette pénible besogne pourtant capitale, la jeune femme ferma le fermoir sur son poignet. Muette, la brune fixa le bijou avant de soupirer et d'accepter de suivre l'impératrice indienne. Les deux femmes s'enfermèrent dans leur chambre et commencèrent à diviser sur la suite des opérations. Très rapidement, Moyesïa expliqua qu'elles n'avaient pas droit à l'erreur. Leur action reposerait sur une attaque frontale d'ampleur. Des têtes allaient voler, il fallait désarticuler l'armée démoniaque. Et pour se faire elle n'avait qu'une seule solution. Séparer le cerveau et le corps. Malheureusement, une fois de plus tout reposait sur Cléo et sa coopération.
-Il va bientôt y avoir une réunion importante entre les généreux. Nous devons nous y infiltrer et en finir rapidement avec les six autres piliers. Cléo doit savoir où elle a lieu, nous devons lui tirer les vers du nez.
-Ça sera aussi simple que la dernière fois ? Elle dissimulera encore son échec ?
-Très franchement, je ne pense pas. Entre cacher sa défaite et nous emmener au siège des opérations, il y a clairement un monde. Elle ne veut pas s'afficher qui plus est, elle veut nous battre par ses propres moyens. Elle sait qu'on devra tôt ou tard la faire sortir de ce cristal. Et puis, en admettant qu'on parvienne à lui faire cracher le morceau, ça ne sera pas facile une fois sur place. La sécurité déployée sera considérable. Avant Cléo, j'avais déjà réglé son compte à un autre démon.
Agacée, Tootsy ne put se retenir de lâcher une injure dans son patois natal. Toutes ces composantes inconnues dans leur plan l'agaçaient au plus haut point. Tout comme la passivité dont témoignait la brune lui faisait face. Moyesïa n'exprimait aucun remord à combattre les siens. Pouvait-elle réellement lui faire confiance ? Cette question lui avait à de nombreuses reprises traversé l'esprit pour tout dire.
-Tu ne ressens rien à affronter tes anciens camarades ?
Elle avait osé poser cette question, tout en appréhendant la réponse à venir. Surprise que la conversation prenne cette tournure, Sïa ne répondit pas spontanément.
-Ils n'ont jamais été mes amis. Pour tout te dire, ils m'ont arraché les deux seules personnes en qui j'avais confiance. Je rends coup pour coup. C'est ma vengeance.
-Et les Hearts pirates ? Tu étais sérieuse quand tu as dit ne pas vouloir les rejoindre ? Même après notre petite association ?
Un sourire triste fleurit sur le visage de la démone. Enfin un changement facial, se réjouit intérieurement l'autochtone. Elle arrivait à tirer quelque chose de cette femme seulement lorsqu'elle mentionnait ses anciens compagnons de route.
-L'univers d'où je viens ne me laissera jamais lui tourner complètement le dos. J'étais stupide d'avoir espéré pouvoir tout simplement oublier le passé. Je ne veux pas leur attirer des ennuis. Et puis...à la toute fin, je ne serai plus de ce monde.
La déclaration glaça le sang de son interlocutrice qui avait peur de comprendre. De quel monde parlait Moyesïa ? Faisait-elle référence à ses terres d'origine, comptait-elle y retourner ? Ou bien usait-elle d'euphémisme, prévoyait-elle la fin de ses jours ? Lisant en cette dernière comme dans un livre ouvert, Sïa se montra rassurante en balayant ses doutes, sans pour autant donner de réponse claire :
-Ne t'inquiètes pas. Toi et les tiens n'êtes pas condamnés au même sort que moi. Je serai la seule à me rendre là-bas. Puis, nous n'y sommes pas encore. Le plus urgent est de découvrir le lieu de rendez-vous. Nous aviserons de la suite après, tu veux bien ?
Acquiesçant, délaissant à contre cœur le sujet, l'indigène laissa carte blanche à sa collaboratrice. Moyesïa était totalement libre dans ses actions, tant qu'elle la tenait au courant de ses projets. Elle était en ces lieux la personne la plus compétente pour faire parler Cléo. Et les choses étaient plutôt urgentes. Pour le moment, ils pouvaient se permettre de parcourir les flots sans trop se poser de question. Mais il faudrait tôt ou tard trouver une destination précise. Enfin, celle-ci était théoriquement déjà dans toutes les têtes. Il ne restait qu'à trouver le chemin pour l'atteindre. D'un ton autoritaire, Tootsy conseilla à Sïa de s'y atteler dès à présent. Mieux valait mettre chaque seconde à profit, connaissant le tempérament de leur otage ça ne serait pas de trop.
Acquiesçant, Moyesïa soupira. La tâche l'attendant s'avérerait ardue. Sans attendre, elle traversa le pont et rejoignit les cales où une pièce lui avait été dédiée. Elle prit soin d'inspecter la salle. Comme demandé, les hublots avaient été recouverts d'une toile noire. Aucun rayon de soleil ne pouvait les traverser. Deux chaises avaient été disposées, l'une en face de l'autre. Enfin, l'une des deux servira plus de décoration qu'autre chose. Moyesïa était bien trop tendue pour poser son fessier sur l'assise. Elle devrait se montrer particulièrement vigilante avec sa semblable. C'était un impératif, le pouvoir de Cléo était particulièrement handicapant. Il lui était encore possible de renverser la situation.
La brune finit par déposer le bracelet sur le siège et ne tarda pas à se mordre le pouce. Elle claqua des doigts avec celui blessé, et la seconde suivante, depuis un tourbillon provenant du bijou, Cléo fut littéralement éjectée. Elle nous fit un magnifique plat sur le sol et se retient bien difficilement de vomir. Heureusement, elle se contînt de retapisser le sol et se remit debout, sur ses jambes flageolantes.
Ah! Les désagréments de ces petites prisons ! Moyesïa pour avoir expérimenté cette situation aurait presque pu la plaindre. Mais bien rapidement, les actions de la jeune femme lui revinrent brusquement en mémoire. Finalement, non, cette garce ne méritait pas un gramme de compassion. Même cette cruche de Moyesïa n'était ni assez naïve ou gentille pour la lui accorder.
-Assieds-toi.
Moyesïa l'exigea tout en recouvrant l'épaule de l'autre femme de sa main. Elle la poussa quelque peu violemment en arrière. Autant dire que dépouillée de ses forces, Cléo ne se montra pas particulièrement combattive. Au contraire, pour le moment elle était presque docile si l'on oubliait le regard assassin qu'elle jetait à la brune. Kagugarami était bien trop tendue et préféra rester debout. C'était peut-être un maigre avantage, mais elle avait ainsi le sentiment de voir bien plus tôt tout mouvement suspect esquissé par son interlocutrice. En tout cas, elle ne comptait pas jouer sur la gestuelle ou la posture pour faire pression sur l'ébène, bien consciente qu'elle avait peu de chance de réussir à l'impressionner.
Sans perdre une précieuse seconde, le hors-la-loi entra dans le vif du sujet, et questionna d'office Cléo sur le lieu de rencontre démoniaque. Sans se retenir, Orgueil lui rigola au nez.
-Tu peux toujours courir pour que je te le dise.
-A ta place, je parlerais. J'ai appris auprès de quelqu'un de très sympathique les grandes bases de la torture.
Décidément, quoi qu'elle fasse Trafalgar n'était jamais bien loin de ses pensées.
-Ô vraiment ? Si tu veux on peut échanger nos rôles. Je me ferai une joie de compléter ton enseignement. Promis, je m'investirai corps et âme.
Le pire dans cette petite provocation était sans nulle doute que Cléo pensait chacun de ses mots. Ce n'était pas de simple parole en l'air. Comme elle l'avait déjà prouvé par le passé, elle était littéralement capable du pire. Sans se laisser impressionner, la brune préféra ignorer ses dires. Si elle commençait à répondre, elle n'arriverait jamais à dégager du positif de cette situation. Au lieu de ça, Sïa abattit ses cartes. Elle avait longuement médité sur l'approche qu'elle devait adopter auprès de Cléo. Négocier ou menacer. Et à dire vraie, malgré de profondes réflexions la brune n'était pas parvenue à discerner quelle méthode se révélerait la plus efficace. Son adversaire n'était pas du genre à être aisément impressionnable, et d'un autre côté on ne pouvait guère lui faire confiance. Cléo n'hésiterait pas un seul instant à la poignarder dans le dos.
Quitte à n'avoir aucune option sûre, autant se tourner vers celle paraissant la plus divertissante. La menacer bien évidemment. Après ce que Cléo lui avait fait subir, Moyesïa était un tantinet portée sur la vengeance. Elle se délecta de la mettre dans la confidence de son projet. Soit l'ébène parlait, soit elle retournait séjourner dans le diamant susceptible de finir dans les abysses. Sans vouloir trop s'avancer, il y avait peu de chance pour qu'elle soit un beau jour retrouvée. Et même si par miracle elle sortait de la pierre, elle serait sans nulle doute écrasée par la pression de l'eau. Et tout ce petit plan, Moyesïa se ferait une joie de l'exécuter de ce pas si elle n'avait pas tant besoin de Cléo.
Bien entendu puisque c'étaient les règles du jeu, la brune fut comme forcée de proposer une alternative à la partie adverse. Ce funeste sort pouvait être évité sans peine si elle se décidait de révéler l'emplacement de la réunion. Cependant, Cléo ne se laissa pas démonter si facilement. Le petit numéro d'intimidation de Moyesïa ne lui faisait ni chaud ni froid. Ses réactions étaient semblables à celles que Moyesïa attendait de sa part.
-Mais bordel Cléo, finit par dire la traître tout en prenant appui sur le dossier de la chaise en face d'elle, tu ne vas pas t'en sortir. Il y aura forcément des pots cassés pour toi maintenant.
-Nan mais je rêve. Tu as conscience d'être foutue ? Ma pauvre Sïa, tu as perdu l'esprit. Je savais que ton cerveau n'était pas une lumière, mais j'en arrive au point de m'apitoyer sur ton sort maintenant. Si ce n'est pas moi qui te ramène à ta famille, c'est ton père qui va venir pour toi.
-En attendant, t'es entre mes mains. Réfléchis à ce que tu vas faire.
Le ton de la jeune femme s'était fait nettement plus hargneux à la seule mention de son géniteur. Et même si Cléo n'avait pas la moindre crainte à se risquer sur ce terrain, elle resta méfiante quant aux prochaines actions de la brune. Elle n'était pas vraiment connue pour avoir une maîtrise parfaite d'elle-même, bien au contraire. Et sans doute la pirate jugeait ne pas avoir suffisamment déversé sa colère longuement accumulée.
Moyesïa lâcha la chaise et contourna lentement le meuble. Elle se planta juste devant Cléo. D'un geste porta son pouce à sa bouche et s'entailla de nouveau le doigt sur sa canine avant de présenter à Cléo sa surprenante prison.
-Retourne au frais. Tu m'énerves.
Comme sur l'île, son homologue se fit aspirer sans plus attendre. De nouveau seule, Sïa se laissa tomber sur la chaise et souffla sur une mèche de cheveux qui lui tombait devant les yeux. Cette conversation ne l'avait mené strictement à rien. Elle devrait réitérer l'expérience bien plus tard pour son plus grand désagrément. Et en attendant, elle devait de surcroît annoncer la mauvaise nouvelle à sa collaboratrice. Et dire que Tootsy devait l'attendre de pied ferme pour obtenir un cap à communiquer à ses hommes. Elle ne serait pas enchantée de la voir revenir bredouille, si bien que Moyesïa préféra rester isolée un peu plus longtemps.
Ce n'était pas vraiment comme si une tâche plus urgente l'attendait une fois sur le pont. Cléo ne changerait pas si facilement d'avis après à peine quelques minutes, et son énergie pour batailler ne remontait pas en l'espace d'un clignement d'œil.
Prenant du temps pour elle, pour remettre de l'ordre dans ses pensées, Sïa refit surface bien plus tard. Elle hocha négativement la tête de loin en direction de l'indigène qui ne prit même pas la peine de lui faire des reproches. A dire vrai, elle traça sa route jusqu'à la brune d'une démarche dynamique faisant rebondir à chaque pas sa forte poitrine uniquement retenue par une lanière en cuire.
Ses jambes sculptées, tout comme ses bras musclés pour un si petit gabarit, étaient mises en valeur par le peu de tissu sur elle. Mais aussi par son bronzage parfait. Son corps peinturé de signe de guerre lui donnait un aspect d'autant plus féroce qu'il ne l'était déjà sans artifice. Elle n'adressa pas un mot à Sïa, mais d'un signe se fit comprendre. Se pliant aux volontés de l'autre femme, la démone la suivit jusqu'au mat du navire. Kaden entretenait depuis peu une relation étroite avec, en étant solidement attaché par une corde.
En voyant Moyesïa, il afficha son plus beau sourire alors que Tootsy prit la parole :
-Qui te dis qu'on a besoin de tes services ? Ta situation, comme celle de l'autre connasse, ne vous laisse pas la possibilité de marchander.
-Si tu prends le temps de me parler, j'imagine que vous n'obtenez rien. Moi, je peux manipuler Cléo grâce à mes pouvoirs.
Ce détestable personnage était perspicace malheureusement. Bien trop. Aussi futé que rusé. Il était clairement impossible de lui faire pleinement confiance. Il était tout simplement inconcevable de faire abstraction de son animosité envers Moyesïa. Si bien que Tootsy se tourna vers son alliée et lui laissa endosser la responsabilité de la décision à venir. Et malheureusement, la brune n'avait pas vraiment de meilleure alternative. En réalité, Cléo pouvait bien se contenter de laisser tourner l'aiguille du temps. Ça suffirait largement pour faire basculer la bonne fortune de son côté. Si elle était absente à la prochaine réunion, les démons seraient alertés de sa défaite et prendraient les mesures nécessaires.
Restreinte et acculée, Moyesïa accepta l'offre. Enfin, elle n'était pas sotte pour autant – pas trop tout du moins-, et s'empressa de questionner Kaden. Et comme elle le pressentait, la participation de ce dernier n'était pas dénuée d'intérêt.
-Quand tu auras eu ce que tu veux, tu me libères et tu me donnes ma chance pour te refaire le portrait. On s'affronte, et tu as un handicap.
-Lequel ?
-Surprise~
Le regard sévère de Sïa n'arriva pas à bout du petit sourire narquois de cette vermine. Le chasseur de prime avait parfaitement conscience d'être en position de force et en jouait. Certes, il aurait l'air nettement moins fin si la jeune femme renonçait à sa proposition. Mais comme il l'avait si bien prédit, malgré les risques, Sïa accepta. Elle le mit néanmoins en garde. Il n'aurait sa vengeance qu' une fois ses propres petits problèmes réglés, et pour l'heure, en guise de bonne foi, Kaden pourrait profiter d'un traitement plus avantageux que Cléo. Les deux parties adverses s'entendirent là-dessus bien que Tootsy émettait des réserves. Cependant l'aborigène se réjouit à l'idée de bientôt pouvoir donner un cap à ses hommes et capitula à son tour.
Yo! Bon nouveau chapitre. Les temps d'attente sont plus courts vous trouvez pas mdr? Bon bref, la suite entre le 19 Mai et le 31 Mai
