Chapitre 19

Le plus court chemin d'un point à un autre étant la ligne droite, Boya ne s'embarrassa pas de détails pour rejoindre la statue de Zhuque au plus vite.

Il ne comprenait pas pourquoi le Dieu-Gardien ne s'était pas réveillé mais c'était sa faute, sa responsabilité. Chaque destruction, chaque blessure, chaque mort d'ici son réveil pèserait sur sa conscience comme sa faute pleine et entière.

Il poussa sa cultivation dans ses muscles pour rejoindre la statue de Zhuque le plus rapidement possible.

Lorsqu'il fut enfin près d'elle, il jura.

"- Mais qu'est-ce que cette saloperie en pierre à la con est en train de ficher !" Ha… Oui… Le sort de vérité. Toujours incapable de tenir sa langue. Magnifique.

Une aura rouge et brûlante entourait la statue mais ne s'en libérait pas comme les autres l'avaient fait.

Boya posa timidement une main sur l'énorme oiseau de pierre dans l'espoir qu'il trouverait peut-être ce qui le retenait. Un maléfice peut-être ? Un sort ?

Ses perceptions se retrouvèrent immédiatement submergées par les flammes de Zhuque.

Il tomba lourdement sur ses fesses, les membres tremblants.

Zhuque était bien là, juste à la surface de la statue, bel et bien réveillé.

Il ne prenait juste pas son envol. Pourquoi ?
Boya n'en savait rien. Il aurait fallu un prêtre de Zhuque pour qu'il puisse interroger le dieu gardien et obtenir des réponses. Mais même s'il en avait eu un sous la main, il aurait fallu des heures et des heures de rituel pour qu'il puisse parvenir à obtenir un contact avec le Dieu-Gardien au débotté comme ça.

Non… Pour parvenir à toucher le dieu, il lui fallait un contact plus immédiat et plus intime.

Il n'avait pas trente-six solution.

Il monta sur la statue, remonta sa manche et s'entailla le bras pour laisser couler son sang sur la tête de pierre. Une main posée dessus, il concentra tout son qi sur Zhuque dans l'espoir qu'il l'entendrait et consentirait à faire son devoir avant que la Capitale ne soit plus un champs de ruine.

"Mais tu vas te réveiller et te bouger le croupion espèce de sale pigeon mal emplumé !" Ce sort de vérité allait vraiment poser problème.

Mais au moins Boya avait eu une réaction de la part de Zhuque. Le dieu-gardien l'avait entendu et l'observait avec l'équivalent mental du scandale d'un noble dont on a insulté l'ascendance sur dix-huit générations.

"VRAIMENT ? TU DEMANDES MON AIDE ET TU M'INSULTES ?" La voix mentale de Zhuque était des flammes crépitantes qui s'attaquèrent immédiatement au "moi" de Boya pour le ronger comme un bout de papier jeté dans une cheminée.

Boya se sentit basculer. La psyché d'un dieu-gardien était trop puissante pour que la sienne puisse y survivre sans être atomisée par sa force. Son corps dégringola de la statue.

"- BOYA !"

"- Boya… Boya… A-Ya ?"

Le petit garçon de six ans sursauta lourdement.

"- Ouhaaaa !" La flute qu'il tenait mollement entre deux doigts lui échappa. Il dut se livrer à quelque pantomime ridicule pour la rattraper avant que le petit dizi taillé pour ses mains d'enfant ne tombe par terre.

Le rire doux et perlé de sa mère le fit sourire.

"- A-Ya, fais attention, mon trésor. Tu vas finir par te perdre dans un monde imaginaire si tu ne commences pas à faire attention à ce qui se passe autour de toi."

"- Pardon, Mama."

"- Viens donc m'aider avec le diner, tu veux ?"

L'enfant sauta de son petit coussin pour filer aider sa mère en cuisine. Ils vivaient dans une petite maison qui n'était pas riche mais pas délabrée non plus. Après la mort de son père pendant qu'il revenait d'il ne savait pas où -le palais, il revenait du palais. Il l'avait appris bien plus tard. Son père avait été assassiné parce qu'il était de sang impérial bien qu'il ait renoncé depuis longtemps à ses droits sur le trône- sa mère l'avait emmené de nuit sans prendre avec eux plus que ce qu'ils pouvaient porter, tout l'or et l'argent qu'ils avaient pu trouver dans leur maison, puis ils ne s'étaient pas arrêté jusqu'à ce petit village à quelques heures de marche de la capitale. Depuis, ils y vivaient chichement mais tranquillement, à la sortie du village, juste à côté des bois. Tous les jours, sa mère partait pour la grande ville la plus proche et y jouait de la musique dans une maison de thé -un bordel, ça rapportait plus et sa mère ne voulait pas toucher à leur trésor de guerre tant qu'elle ne serait pas forcée- et le laissait à la garde du prêtre en charge du petit temple du village. Le temple était minuscule avait une seule salle avec son autel dédié à Zhuque, une petite chambre à l'arrière pour que le prêtre y habite et une salle de classe bondée où filles et garçons de moins de douze ans venaient dès que leurs devoirs envers leurs familles leur laissaient un peu de temps pour apprendre les rudiments de la lecture, de l'écriture et du calcul. Boya aimait aller au temple. Il savait déjà tout ce que le prêtre avait à apprendre aux autres enfants alors il lui donnait des rouleaux sur la manière de servir Zhuque. C'était davantage des récits d'histoires fantastiques qu'autre chose pour le petit garçon. Il ne voyait dans l'histoire des prêtres et des héros qui avaient servi Zhuque, qui étaient morts pour lui ou qui avaient sauvé des villes en son nom que des contes merveilleux qu'il aurait aimé vivre.

Petit à petit, il était venu de plus en plus au point que sa mère avait été soulagée d'avoir un endroit où le laisser et quelqu'un de confiance à qui le confier lorsqu'elle partait travailler. La musique rapportait suffisamment pour eux deux, mais elle voulait mettre de côté pour plus tard. Elle voulait que son fils puisse payer ses examens et devenir quelqu'un. Même un petit fonctionnaire serait mieux que rien. Alors elle travaillait d'arrache-pied pour lui.

Le prêtre avait très vite constaté l'intelligence de l'enfant au point de contacter des connaissances pour obtenir quelques rouleaux. Boya avait reçu des livres différents des autres. Ceux-là étaient la base de la méditation qui devraient le conduire à développer son Node doré. Le prêtre avait prévenu JingYun d'une recrue potentielle. Le chef de secte était venu discrètement voir le bambin sans qu'il ne le sache.

Pendant des mois, l'enfant avait progressé à son rythme, toujours plus demandeur et exigeant du temps du prêtre qui n'était que trop heureux de voir un enfant avec une telle soif de connaissance et un tel talent s'épanouir devant lui.

Au bout de six mois, le prêtre l'avait fait entrer dans le temple pour lui présenter Zhuque. La statue était petite mais Boya était tombé amoureux d'elle dès qu'il l'avait vu. Zhuque avait l'air à la fois si digne et si féroce. Il avait ressenti comme une communion avec la statue. Comme si elle le représentait parfaitement. Comme si elle savait ce qu'il avait dans le cœur.

Un soir, après que sa mère ai dut rester en ville pour plusieurs jours et ai demandé au prêtre s'il pouvait garder Boya jusqu'à son retour parce que la paye était trop bonne pour la laisser passer, il s'était relevé de sa natte en pleine nuit pour venir trotter jusqu'aux pieds de la statue.

Elle n'était pas grande et l'autel juste assez bas pour qu'il puisse poser son front contre celui de la statue.

"- Vous qui êtes si grand et si fort, Seigneur Zhuque. Je vous promets de vous servir de mon mieux si vous m'aider à protéger ma maman. Mon papa est mort. Mais ma maman, elle fait tellement pour moi. Je veux être assez fort pour la protéger elle. Et tous les autres." -il avait entendu comme un rapace qui réclame au loin, il avait senti comme une chaleur soudaine dans sa poitrine. C'était comme si quelqu'un avait posé sa main sur son épaule et lui avait promis que tout irait bien. Mais ça n'avait pas été bien. Sa mère était morte. Zhuque n'avait pas tenu sa promesse.- L'enfant s'était recouché, content. Certain qu'il pourrait protéger sa maman.

Ce soir-là, bien six mois après sa promesse à Zhuque, alors qu'il aidait sa mère à préparer le diner, on avait ouvert la porte de leur petite maison de force.

"- BOYA !"

Sa mère s'était jeté entre lui et le renard démon écumant. -il avait été la cible, pas elle. Elle n'avait jamais été la cible.- Elle était morte le ventre et la gorge ouverts avec un dernier gargouillis pour le supplier de fuir.

Boya était resté immobile, incapable de bouger devant le corps de sa mère éventré par la renarde. La démone avait même prit le temps de lui arracher le cœur et de le manger avant de se tourner vers lui. Elle avait souri. Son museau contrefait était couvert du sang de sa mère.

La fureur était tombé sur Boya comme elle ne le quitterait plus jamais vraiment. La colère était son amie. La rage était son bouclier. C'était la première fois qu'il s'était sentit protégé par cette chaleur qui avait grandi dans son ventre sans qu'il ne comprenne que son Node doré venait de s'allumer. Sans qu'il ne comprenne que les flammes qui montaient de la fourrure du renard là où il la frappait de toute la force de ses petits poings d'enfant étaient celles de Zhuque.

Il avait hurlé et hurlé encore au milieu des flammes de leur maison sans être touché mais sans parvenir à tuer la renarde folle de rage de ne pas arriver non plus à tuer cette petite crotte humaine qui venait de lui emporter la moitié de la fourrure et une partie du visage.

Puis il y avait eu un disque de lumière dorée qui les avait séparés.
Boya s'était effondré sur le sol. La renarde avait hurlé de douleur mais le disque
-un bouclier. C'était un bouclier du yin yang et il n'y avait qu'un seul prêtre du nord à des jours de marche autour du petit village- l'empêcha de voir ce qui se passait vraiment. Il ne vit qu'une masse blanche repousser la renarde, tomber sur elle et lorsque la masse blanche s'était redressée, la renarde ne bougeait plus.
puis l'homme en blanc
-He Shouyue. C'était bel et bien He Shouyue qui était venu à son aide- l'avait ramassé, avait posé une main sur son front et il s'était effondré.

He Shouyue l'avait juché sur son bras, serré contre son torse puis avait donné des ordres aux gardes impériaux qui étaient venu avec lui. Les queues de la renarde avait été coupées pour l'empêcher de revenir au cas où. Avec ces sales bêtes, on était jamais trop prudent. Tout ce qui pouvait être sauvé de la maison l'avait été et le corps de la renarde fouillé. -Comment Boya pouvait-il se souvenir de ça ? il était inconscient ? Mais il ne voyait plus par ses yeux. Il voyait par au-dessus. Comme…Comme s'il volait… Zhuque avait assisté à tout depuis que son petit avatar était tombé dans l'inconscience.- Les gardes avaient trouvé de l'argent et une lettre dans les effets de la renarde avant que son corps ne soit jeté dans les flammes. -Boya en ressentit une joie aussi intense que mauvaise. Elle était morte. Morte. MORTE ! Et s'il n'était pas celui qui lui avait porté le coup de grâce, il avait quand même bien contribué à sa fin avec l'aide de Zhuque. Même si He Shouyue ne s'était pas montré, la renarde n'avait eu aucune chance de s'en sortir. Zhuque avait tenu sa promesse en partie. Il n'avait pu sauver sa maman, mais il lui avait donné la force de la venger.- Puis He Shouyue l'avait ramené à l'Observatoire via un portail. Fangyue l'y attendait, visiblement inquiète.

"- MeiYa ?" Sa maman. Jusque-là, Boya ne se souvenait même plus du nom de sa mère.

"- Elle est morte mais l'enfant est vivant."

Boya se sentit extrait de force du souvenir.
Il flottait dans un néant brulant mais qui ne le blessait pas.

Il était en larmes. Il ne se souvenait plus du visage de sa mère depuis des années. Et pourtant… Pourtant c'était ses souvenirs. Le visage de sa mère était bien là.

"- Mama…."

La présence brulante autour de lui se fit plus lourde autour de lui.

Zhuque.

"- Tu te souviens maintenant ?"

Il se souvenait oui. Il se souvenait qu'il s'était offert au dieu-gardien alors qu'il n'était qu'un tout petit et qu'il n'avait aucun notion de ce qu'il faisait vraiment. Mais ça n'avait aucune importance pour le dieu. Boya lui appartenait. Il avait accepté sa promesse. Promesse que Boya avait totalement oublié. Comme il avait oublié ce qui s'était passé sous la terreur du traumatisme. Sinon, il se serait souvenu que He Shouyue était celui qui l'avait sauvé. Que c'était lui qui l'avait amené à JingYun pour le protéger de la guerre intestine au sein du palais et lui donner les armes pour survivre par lui-même, protégé par son anonymat même si son rôle de Chasseur était dangereux. Il l'était paradoxalement moins qu'un enfant orphelin issus du mauvais coté des draps au sein de la famille impériale.

Boya avait tout oublié. Il était tombé dans un néant d'où il ne s'était que lentement extrait avec les années, concentré sur la chasse et sa colère, concentré sur la chaleur au fond de lui qui le poussait à tuer ceux qui lui avaient fait du mal, sans réaliser que c'était la présence de Zhuque en lui.

"- Je me souviens." Et maintenant quoi ?

La brulure douce de Zhuque fut soudain poussée de côté et remplacé par une fraicheur délicate et tendre.

Le croassement outré de surprise de Zhuque fit sourire Boya. Mais qui…

Une image engloutit ses perceptions. Il voyait… C'était son corps qui était effondré par terre ? Il voyait par les yeux de la statue ? Et qui était cet homme en robe de nordiste qui l'avait pris dans ses bras et qui pleurait sur lui.

"- … Je suis mort ?"

"- Oui. Et Non." Assura Zhuque en poussant de son mieux la présence glacée comme un propriétaire de chat tente de pousser ses félins du cul pour s'allonger dans son lit.

Qui était cet homme qui s'incrustait ? Zhuque savait qu'il devait se partager son élu avec un petit renard céleste qui n'avait pas conscience de ce qu'il était. Mais cet homme ?

"- QingMing ?" C'était le même regard jaune si doux. Mais QingMing était un enfant. QingMing était partit parce qu'il lui avait crié dessus parce qu'il n'était qu'un môme et un renard que personne n'avait pensé à discipliner.

"- Tu as vraiment tendance à rejeter les gens autour de toi, hein ?"

"- Il…"

"- Je sais. Il a mérité aussi d'être remis à sa place." Bien sûr que Zhuque savait tout.

Donc c'était le gamin adulte. Hmmm. Il n'allait pas cracher dessus, c'était de la qualité. Et il y avait une telle douceur dans ses yeux. Zhuque se sentait apaisé sous ce regard. Sans doute pour ça que le destin avait décidé de l'offrir à son élu. Il faudrait juste le secouer un peu et lui rappeler que les autres aussi avaient leur mot à dire et qu'il devait les respecter. Rien de méchant, Zhuque en était sûr. Le gosse était oublieux. Pas cruel par nature.

Le hurlement du Serpent fit se figer Boya. Il vit Xue TianGou être percuté en pleine poitrine par le museau émoussé du démon primordial et être expédié dans l'eau. Où était Kuang HuaShi ? Il n'y avait plus de boucliers ? Et QingMing était penché sur son corps. Si le Serpent continuait sur sa lancée, il allait tomber sur le renardeau… Non, le renard. Boya ne pouvait pas le perdre. Il refusait qu'il lui arrive quelque chose. Il avait perdu son père, sa mère, toutes les personnes qui comptait pour lui. Il ne pouvait se permettre de le perdre aussi.

Il était à lui. Leur situation était plus compliqué qu'une recette de gâteau à la crème, mais il était à lui parce que Boya avait décidé qu'il l'était. Boya aussi pouvait prendre des décisions sur un coup de tête. Ils verraient plus tard pour les détails.

"- Non, à nous." Contra Zhuque. Mais Boya était avec lui à présent. Il pouvait y aller maintenant qu'il avait cessé de faire son ronchon parce que son Elu ne s'était pas présenté à lui. Ce n'était pas vraiment sa faute s'il avait oublié. Il ne pouvait lui en vouloir. "On y va ?"

La présence brulante de l'Oiseau du Sud l'emporta avec lui alors que enfin, ENFIN, la barrière se levait pour fermer le bouclier qui protégeait la ville et piégeait le Serpent à l'intérieur.