Chapitre 13
Allongé dans son lit, Shun regardait l'ombre de la fenêtre, dessinée sur le mur par la lumière du soleil. Il était réveillé depuis un petit moment, déjà, mais n'avait pas trouvé le courage de se lever. Son bras était encore très douloureux et, quand qu'il y avait jeté un œil, il avait remarqué que le bandage s'était en partie détaché pendant la nuit, révélant la grosse tache bleu sombre qui l'ornait encore. Il avait remis le bandage avec un soupir. Il était encore un peu fatigué de la nuit éprouvante qu'il avait passée, aussi. Entre les combats et les nombreux échanges avec Phénix – et même Teru, à la clinique de la Fondation – son corps et son esprit avaient eu beaucoup à encaisser, et il se sentait courbaturé et migraineux.
Après quelques minutes, et quelques auto-encouragements, il finit par se redresser sur son lit et s'étirer, avant de se lever pour se diriger vers la salle de bain. Dans cette aile, réservée aux chevaliers ayant participé au Tournoi, chaque chambre avait sa propre salle de bain typiquement japonaise : avec la petite douche et la baignoire. Ça le changeait des douches communes de son enfance et des sources thermales qui lui avaient servi de bain pendant ses années sur l'Île de la Reine Morte. Il se contenta de prendre une rapide douche froide, pour bien se réveiller, avant de retourner à la chambre, une serviette aux hanches, et une autre pour frictionner ses cheveux. Il ouvrit le placard et regarda un peu son contenu : les vêtements fournis par la Fondation étaient plutôt simples, dans des tons assez neutres et de taille moyenne… un rien trop large pour lui, d'ailleurs. Il eut une moue déçue et prit un polo bleu nuit, ainsi qu'un jean clair.
Une fois séché et habillé, il se regarda dans le miroir, ajustant sa ceinture, puis tenta de remettre ses cheveux en ordre du bout des doigts. Il constata avec une grimace qu'il avait un peu de cernes, et l'air vraiment fatigué, puis soupira. Peut-être qu'après un bon petit-déjeuner, il aura meilleure mine… mais où était-il censé manger ? Avec l'heure tardive, Ikki n'avait pas vraiment pris le temps de lui faire faire le tour du propriétaire, la veille… d'ailleurs, il était tellement fatigué qu'il ne se souvenait même pas comment il était arrivé jusqu'à sa chambre. Il soupira et sortit dans le couloir… pour tomber directement sur son frère, qui venait vers lui.
"Ah, salut, Shun. Je venais justement te chercher.
– Salut, Ikki."
L'Oiseau de Paradis s'approcha, avec un air soulagé qui surprit un peu Shun. Avait-il eu peur de ne pas le trouver dans sa chambre, ce matin ? Fort probable, avec ce qu'il lui avait dit la veille.
"Je me suis dit que tu ne saurais pas où se trouve la salle à manger.
– Tout juste."
Il eut un sourire amusé, et emmena donc son petit frère à travers les couloirs. Tout sembla immense à Shun, bien plus que les rares souvenirs qu'il avait de son enfance. Cette aile était assez pauvre en décoration : pas de tableaux aux murs, et pas non plus de vases, ou ce genre de choses superflues qu'on trouve habituellement dans les maisons des gens très riches comme les Kido. Les murs étaient nus, et les seules richesses étaient les lourds rideaux qui pendaient de part et d'autre des grandes fenêtres. Au moins, il faisait clair.
Ikki et lui se retrouvèrent bien vite à la salle à manger. Ils y trouvèrent Hyoga, mangeant un bol de riz en silence. Quand ils entrèrent, le Russe leva les yeux sur eux, brièvement, avant de regarder à nouveau son bol.
"Salut, Hyoga. le salua Ikki. On va bien, merci de demander."
Le Cygne releva la tête, loin d'être amusé, lançant un regard noir aux deux frères… quoique Shun avait le sentiment que ça lui était adressé plutôt qu'à son aîné. Celui-ci l'invita à s'asseoir et à attendre que les domestiques leur apportent à manger.
"Les domestiques… ?
– Oui. Apparemment, ils doivent s'occuper de nous aussi. Ça me plait pas trop, mais, bon… Mademoiselle y tenait."
Shun eut une grimace. Lui non plus, ne se sentait pas à l'aise avec l'idée – même s'il admettait sans mal qu'il n'aurait pas eu le courage de se faire à manger, ce matin. Mal à l'aise, le cadet regarda autour de lui : la pièce était plutôt grande, avec de larges fenêtres donnant sur le jardin, à l'arrière. Les murs clairs étaient nus… si ce n'était un cadre qui attira son attention. C'était une photo, assez vieille, au vu de la couleur, d'un gros groupe d'enfants posant devant le manoir avec un vieil homme. Était-ce bien ce qu'il croyait ?
L'entrée de deux femmes l'interrompit dans sa contemplation. Elles tenaient chacune un plateau dans leurs mains, et la plus jeune marqua une seconde d'arrêt en le voyant. La plus âgée déposa un des plateaux devant lui, puis l'autre s'avança finalement pour déposer le sien devant Ikki avant de sortir assez précipitamment de la pièce. Faisait-il si peur que ça ?
"Tu as fait ton petit effet, à ton passage au Tournoi. commenta Ikki. Ne t'en fais pas, elle va finir par se rendre compte que tu n'es pas méchant."
Shun tira une moue, puis baissa les yeux sur son plateau. Un bol de riz blanc, de la soupe miso, du poisson et des umeboshi composaient le petit-déjeuner, accompagné d'un thé, telle la tradition japonaise. Il prit ses baguettes et, après avoir dit la formule d'usage, prit son bol pour commencer à manger. Le riz était parfaitement cuit, et avait un petit arrière-goût qui lui soutira un sourire ravit. Le poisson fondait en bouche, et la soupe miso était délicieuse. En revanche, il repoussa sa petite assiette d'umeboshi. D'aussi loin qu'il se souvienne, il n'avait jamais apprécié les prunes séchées et salées – bien trop salées à son goût. Tout occupé à apprécier son repas, il ne remarqua même pas que Hyoga avait commencé à parler.
"J'ai du mal à comprendre ce que Shun fait ici.
– Saori l'a invité à rester avec nous. répondit Ikki. Elle est même ravie qu'il soit là, si tu veux tout savoir.
– Tss… C'est pas ce que je voulais dire. Et je suis sûr que tu sais à quoi je pense."
Le Phénix releva les yeux en sentant le regard de Hyoga peser sur lui. Il reposa son bol, puis baissa les yeux.
"Je… Je suis vraiment désolé. Je ne voulais vraiment pas vous faire de mal. Au Mont Fuji… je vous ai fait beaucoup de mal à tous les deux, et je vous demande pardon.
– Ne t'excuse pas, Shun. Pour moi, c'est oublié.
– J'ai encore du mal à l'avaler, personnellement. contra Hyoga. C'est un peu facile, je trouve.
– C'est bon, tu l'as blessé aussi, je crois que vous êtes quittes. soupira Ikki avec lassitude. Tu lui as même rendu son Illusion.
– Mon illusion… ?"
Shun les regarda un instant avec confusion avant de comprendre. Voilà donc ce que Phénix avait fait à Hyoga… et si le Cygne avait trouvé un moyen de renvoyer son attaque, il comprenait mieux comment il avait soudainement retrouvé le contrôle de son corps, au Mont Fuji.
"Je ne sais pas ce que tu as pu voir ou entendre, Hyoga, mais je suis sincèrement désolé que tu aies dû le vivre.
– Moi, aussi, je suis désolé. Désolé de t'apprendre que quelques mots ne suffiront pas."
Hyoga délaissa son bol de riz vide et saisit sa tasse de thé, regardant ailleurs. Shun reprit son propre bol pour le finir sans rien dire de plus, et un silence tendu s'installa. Même Ikki ne dit le moindre mot, mangeant ses umeboshi en surveillant les deux garçons du regard, comme s'il craignait que le Cygne ne sorte soudainement de ses gonds.
Après de longues minutes – fort gênantes, du point de vue de Shun – la porte s'ouvrit sur Saori, parée d'une belle robe, toujours blanche, sous laquelle se devinait un jupon rose. Elle fit quelques pas dans la pièce, un sourire triste sur le visage. Les garçons cessèrent aussitôt de manger, inquiets.
"Bonjour, messieurs. les salua-t-elle poliment. J'espère que vous avez passé une bonne… hum… enfin, que votre sommeil a été réparateur."
Le même silence tendu lui répondit. Quelques regards gênés s'échangèrent, alors que les chevaliers attendaient de savoir ce qu'elle avait à dire. Elle n'était tout de même pas là juste pour s'enquérir de leur santé ?
"Je… Je viens vous apporter des nouvelles de Shiryu. commença-t-elle. Il est sorti de la salle d'opération pendant que vous dormiez. Ses yeux… ils n'ont pas pu les sauver. Je suis vraiment désolée."
Elle baissa la tête, serrant fortement un pan de sa robe dans ses mains. Elle avait l'air si triste. Shun baissa les yeux à son tour. Si seulement il n'avait pas fait aveuglément confiance en Argol. S'il avait été moins stupide et s'était méfié de lui, ils en seraient peut-être pas là… il serra le poing sur ses baguettes sans même s'en rendre compte.
"Vous pourrez lui rendre visite dès son réveil. Je suis sûre que ça lui fera plaisir de vous savoir à ses côtés."
Elle se retourna et s'éloigna dans le couloir. C'est alors que Hyoga se releva brusquement, faisant sursauter Shun.
"Saori, je pense que Shun devrait retourner à la clinique."
Si la jeune fille et le Phénix le regardèrent avec confusion, Ikki, lui, sentit la colère grimper lentement en lui, son poing se serrant.
"Tu insinues quoi, Hyoga ?
– Que ton frère a définitivement un problème et qu'il devrait se faire examiner par un médecin.
– Si ça a un rapport avec la théorie fumeuse de Shiryu, je ne veux pas en entendre parler, s'emporta Ikki !
– Je ne crois pas en cette histoire de possession, tu le sais parfaitement. J'y ai bien réfléchi, et je pense que, s'il ne nous raconte pas des histoires, il devrait vraiment voir un médecin compétent."
Shun s'affaissa dans sa chaise, choqué par ses paroles. C'était quoi, cette histoire de théorie et de médecin… ? Y avait-il quelque chose que Ikki ne lui avait pas dit ? Il se tourna vers Saori, qui n'avait pas non plus l'air de comprendre de quoi ils parlaient. Elle le questionna rapidement du regard, puis s'avança à nouveau dans la pièce.
"Hyoga, sois plus clair, s'il te plait.
– Shiryu pense que la santé mentale de Shun n'a pas supporté son entraînement. répondit Hyoga dans le plus grand des calmes. Et je suis d'accord avec lui."
La bouche entrouverte sur une expression de choc, Shun vit à peine Ikki, pourtant juste à côté de lui, se lever et armer son poing, tout cosmos dehors, avant de l'élancer vers Hyoga, lui envoyant un courant d'air si fort que sa chaise recula et alla percuter le mur violemment.
"Ikki, arrête !"
Le cri de Saori, plus que le fracas du Cygnes percutant le mur, le ramena à la réalité. Il se leva et saisit le bras de son frère pour le calmer. Ikki baissa le poing et, sans un mot de plus, attrapa son poignet pour l'entraîner hors de la pièce avec lui.
...
"Tu veux bien m'expliquer ce qu'il vient de se passer ?"
Ikki s'arrêta et se tourna vers Shun. Il avait marché jusque dans les jardins, derrière le manoir, trop en colère pour rester une seconde de plus dans la même pièce que Hyoga. Pourquoi fallait-il qu'il parle de ça devant Shun ? Et surtout devant Saori ?
"Ce n'est rien, oublie ça.
– Non, Ikki. S'il te plait, explique-moi. Tu as envoyé Hyoga dans le mur et… ce qu'il a dit… Explique-moi."
L'Oiseau de Paradis soupira. Le regard de son frère était suppliant, ses yeux bleus braqués dans les siens.
"Je crois qu'il en a dit bien assez. grogna-t-il. Shiryu et Hyoga pensent que l'Île de la Reine Morte t'a rendu fou et que c'est pour ça que tu entends des voix, et que tu changes de personnalité… en gros."
Ikki le regarda un petit instant, attendant une explosion de larmes – ou de colère. Il le vit lever les yeux, puis se mordiller la lèvre… et rien ne vint. Pas un sanglot, pas même un poing serré, rien. Il était très calme, et semblait réfléchir à la possibilité que le Dragon et le Cygne puissent avoir raison.
"Woaw… Tu le prends étonnamment bien."
Shun le regarda, semblant revenir à la réalité, avant de simplement hausser les épaules, puis enfoncer ses mains dans les poches de son jean pour baisser les yeux sur l'herbe.
"Eh bien… pour être tout à fait honnête… Je me le suis dit aussi… Quelqu'un à qui je tiens beaucoup m'a fait comprendre que… que ce que je vivais, ce n'était pas normal… Enfin, elle, elle ne connaissait pas ça. Je veux dire… comme je t'ai dit, j'ai toujours eu ces voix qui me parlaient, alors, pour moi, c'était normal. Personne ne m'avait dit, avant elle, que ce n'était pas censé arriver.
– Et, pour toi, ça justifie qu'on te prenne pour un fou ?
– Peut-être… Je ne sais pas… C'est quoi, la folie, au fond ?"
Il eut ensuite une petite moue, comme si ce qu'il venait de dire n'avait pas beaucoup de sens. Il soupira, puis regarda à nouveau Ikki.
"Ce que je veux dire… c'est que si, comme il le prétend, je suis… malade ou un truc comme ça…
– Shun, soyons sérieux deux minutes…
– Je le suis. contra-t-il rapidement, le regardant droit dans les yeux. Et, même si Hyoga m'en veut beaucoup pour ce qu'il s'est passé, il avait l'air très sérieux aussi. Je ne pense pas qu'il ait dit ça pour le simple plaisir de me faire du mal."
Ikki leva les yeux au ciel et fit les cent pas. Il ne manquait plus que ça. Lui ne pouvait pas croire que son frère ait perdu la raison… il avait l'air tout à fait sain d'esprit, là, pas vrai ? Et puis, s'il entendait vraiment des voix depuis toujours, l'Île de la Reine Morte ne pouvait pas être responsable de sa prétendue folie… Pas qu'il remette en question les horreurs que Shun avait vécues, il ne se le permettrait pas – même si le principal concerné n'en avait pas encore parlé – mais ça ne pouvait pas vraiment rendre les gens "fous", comme Tatsumi le disait… ou alors se disait-il ça pour se rassurer. Il soupira, agacé. Il détestait ne pas comprendre ce qui lui arrivait.
"Je peux te poser une question ?"
Il se tourna vers son frère, qui le regardait, les bras croisés, l'air contrarié… mais juste un peu.
"Oui ?
– Pourquoi ça te met tant en colère ? Je ne comprends pas… Ça ne me rend pas… triste, que Hyoga et Shiryu puissent penser ça. Je veux dire, depuis le temps… je me suis un peu fait à l'idée que ce que je vivais n'était pas normal et que j'avais un problème. Alors pourquoi ça te met en colère ? Pourquoi tu as frappé Hyoga ?
– Je ne l'ai pas directement frappé.
– Ikki…"
Ikki soupira et détourna les yeux, croisant les bras à son tour, fuyant ce regard qui arrivait toujours à le faire parler. Shun était peut-être sa seule faiblesse : Shun et ses grands yeux suppliants qui lui soutiraient n'importe quoi, et ce depuis toujours. Il entendit les pas de son jeune frère dans l'herbe, qui se planta devant lui.
"Alors… ?
– … Parce que je me sens responsable, avoua finalement Ikki, le regard bas.
– Pardon ?
– Si l'Île de la Reine Morte t'a fait autant de mal… Je m'en veux que tu te sois retrouvé là-bas parce que j'ai pas pu convaincre cet abruti de Tatsumi de m'envoyer à ta place. continua Ikki, le poing serré. J'ai pas été capable de te protéger de ça. J'ai tout foiré et ça me fout la rage que ça t'ait causé autant de tort."
L'Oiseau de Paradis le regarda reculer d'un pas, l'air surpris par sa déclaration. Il n'avait pas l'air de savoir comment réagir, sur le moment.
"Mais… Ikki, tu n'avais que huit ans…
– Neuf.
– Tu n'étais qu'un enfant… Tu n'aurais rien pu faire, face à la Fondation, c'était perdu d'avance.
– J'avais juré à maman de prendre soin de toi, sur son lit de mort."
Shun baissa les yeux, triturant ses mains, et le silence s'abattit sur le jardin. Lui, il n'avait pas connu leur mère, car elle était morte deux jours après sa naissance, à cause de complications, mais Ikki en avait un souvenir très net. Son petit frère lui ressemblait beaucoup, bien plus que lui. Ils avaient tous deux hérité de ses yeux bleus, mais Shun avait les mêmes traits délicats qu'elle, et ses cheveux caramel.
"Toutes les promesses ne sont pas faciles à tenir, Ikki… Crois-moi, ce n'est pas toujours aussi simple…"
Ikki leva les yeux sur son frère… et resta un instant sans voix en voyant des larmes sur ses joues. Était-ce l'évocation de leur mère, qui le mettait dans cet état ? Ça n'était jamais arrivé, pourtant, même dans leur enfance : il ne l'avait jamais pleurée, puisqu'il ne la connaissait pas. Il voulut s'approcher, lui prendre la main, essayer de comprendre, mais Shun se détourna et, après une rapide formule d'excuse, s'en fut vers le manoir.
Voilà le chapitre que vous attendiez peut-être depuis deux jours ! Le mardi est le seul jour où je suis à peu près sur d'être libre de poster les deux prochains chapitres, comme ça, vous êtes prévenus. Tout sera revenu à la normale au mois de Novembre, normalement.
Sinon, que dire du chapitre d'aujourd'hui ? Il fallait bien qu'il y ait une discussion entre Shun et Hyoga… si on peut vraiment appeler ça une discussion. Pensez-vous que la colère d'Ikki est justifiée, au vu des circonstances ? Et comment pensez-vous que Saori va réagir à ces déclarations ?
Ce chapitre et le suivant sont un peu plus court que ce à quoi je vous ai habitué, dernièrement, mais, je pense que c'est nécessaire. Promis, ça se rallongera plus tard.
On se revoit donc le mardi 19 pour le chapitre 14 !
À la prochaine !
