Chapitre 5 :

Le Dr Zelenka s'activait sans succès sur l'ouverture de la porte depuis un bon moment, et Kavanaugh aurait juré que jamais il n'arriverait à l'ouvrir de la façon dont il s'y prenait, quand elle s'ouvrit finalement. Le Tchèque exprima son contentement avec une expression que personne ne comprit, et tous se précipitèrent vers l'ouverture. Calvin lui-même sauta sur ses pieds, mais avant qu'il n'ait eu le temps de se joindre aux autres, le monstre apparut au milieu d'eux.

La plupart des scientifiques présents n'avaient jamais vu un wraith de leur vie, mais les rapports sur eux étaient suffisamment explicites pour que tous le reconnaissent instantanément. Et ce fut la panique. Tous se ruèrent vers la sortie en hurlant, renversant sur leur passage le Dr Zelenka qui fut repoussé loin de la porte par la marée humaine. De la petite centaine de scientifiques rassemblés là, il ne resta bientôt que le Thèque et le Dr Kavanaugh, chacun à bout de la pièce. Le wraith quant à lui n'avait pas fait un geste pour les retenir.

Calvin se sentait étrangement calme, comme si rien de ce qui arrivait, même et surtout l'apparition soudaine du monstre, ne pouvait vraiment l'atteindre. Il regarda Zelenka, qui était comme pétrifié. Il lui sembla que le petit homme récitait une sorte de prière entre ses dents serrées, alors que le monstre s'approchait de lui sans se presser. Il aimait bien le Tchèque. De tous les gens avec qui il devait composer chaque jour depuis son retour, ce dernier était le seul à le traiter encore comme un égal, comme un collègue, peut-être simplement comme un humain. Il ne voulait pas le voir mourir comme ça, alors il se décida à intervenir.

- Qu'est-ce que vous voulez ?

Sa voix résonna étrangement dans la grande pièce soudain vide. Le wraith, qui avait presque rejoint Zelenka à présent, s'arrêta net en l'entendant.

- Je veux manger, et vous deux êtes le dîner.

Ignorant la menace, Calvin continua à questionner le monstre, d'abord pour l'arrêter, mais aussi par curiosité : tout ça était si soudain, il ne pouvait pas croire que la cité avait été envahie aussi vite, sans même qu'il n'y ait eu de bataille.

- Comment êtes-vous arrivé ici ? Est-ce que les wraiths ont pris Atlantis ?

Le wraith se tourna vers lui cette fois.

- Je suis seul, et je vais me nourrir avant de repartir.

- De repartir ? Qu'avez-vous fait de nos dirigeants ? Sont-ils en vie ?

- Aucun de mes repas ne m'a jamais posé autant de questions. Puisque tu le demandes, ils sont en vie, et ils le resterons si toi ou ton compagnon vous me donnez ce que je veux. Je veux l'un d'entre vous, et je vous laisse choisir lequel.

Calvin ne regarda même pas le Dr Zelenka. La cité allait vivre, le reste n'avait vraiment aucune importance. Il songea brièvement que d'une certaine façon, il aurait eu le droit de sacrifier quelqu'un d'autre, puisqu'il avait déjà été sacrifié lui-même. Mais pour quoi faire ?

Kavanaugh suivait le wraith à travers les couloirs déserts de la cité. Celui-ci ne semblait pas se préoccuper de savoir si son casse-croûte le suivait ou pas, mais Calvin se doutait bien qu'il ne fallait pas se fier aux apparences. Un casse-croûte ! Si on avait dit au grand docteur Kavanaugh qu'il finirait par se considérer lui-même comme un vulgaire déjeuner, il ne l'aurait sans doute jamais cru. Il frissonna en repensant aux rumeurs qu'il avait entendues sur le mode d'alimentation des wraiths, sur la façon dont il allait mourir, donc. Il avait lu des rapports là-dessus, bien sûr, mais cela lui paraissait si lointain. Une autre vie, celle d'avant Atlantis.

Calvin Kavanaugh n'avait jamais cru en rien d'aussi loin qu'il se souvienne. Pas de religion, pas d'idoles, pas même de vraie histoire d'amour. Il était intelligent, mais pas génial, et ça ne lui aurait servi à rien sans les innombrables heures qu'il avait passé à étudier. Il n'avait eu le temps pour rien d'autre. Le regrettait-il parfois ? Peut-être que l'idée d'avoir une vie en dehors de la science l'avait parfois effleuré, mais c'était avant Atlantis. Atlantis… Ce nom le faisait rêver. S'il avait cru en quelque chose, c'était bien en l'indiscutable merveille qu'était la cité. Il en voulait au Dr Weir de n'avoir pas compris sa vraie valeur. Atlantis était la plus grande des découvertes humaines, ou plutôt terriennes, jamais faites, et s'il fallait sacrifier des vies humaines pour la sauvegarder, c'était leur devoir à tous. Mais Weir ne comprenait pas. Elle gouvernait la cité et tous ses habitants, mais elle refusait de sacrifier qui que ce soit pour elle. Sauf lui… Il devait bien reconnaître qu'elle avait eu du cran d'ordonner à Ronon Dex de le torturer pour sauver la cité, même si au fond de lui il se demandait si le but premier concernait Atlantis ou le concernait, lui, plus directement. Peut-être que le Dr Weir saurait préserver la cité en fin de compte. Il l'espérait, lui qui acceptait de connaître une fin horrible pour la sauvegarder.

Après toutes ces années, le Dr Kavanaugh était finalement tombé amoureux.

Le regard du wraith le tira de ses pensées. Il ne l'avait pas entendu s'arrêter ni se retourner, mais celui-ci lui faisait face à présent. Leurs regards se croisèrent et Kavanaugh frissonna encore une fois, mais il ne baissa pas les yeux.

- Ouvrez-la.

Le wraith indiquait une porte de la main. Ils avaient tellement tourné dans les couloirs que Kavanaugh n'avait pas la moindre idée de l'endroit où ils se trouvaient. Il s'approcha et la porte s'ouvrit pour lui, qui avait subi un changement génétique quelques mois auparavant. Les résultats n'étaient pas spectaculaires, mais au moins il pouvait faire obéir les commandes primaires de la Cité. Il entra dans une petite salle aux murs blancs, et le wraith entra derrière lui.

- Une dernière déclaration ?

Le wraith se tenait au-dessus de lui - mon Dieu qu'il était grand, étaient-ils tous si grands ?- et il pouvait sentir son haleine… étrange (1). Il prit une grande inspiration et sentit sa poitrine qui menaçait d'exposer avant longtemps. Il n'avait même plus peur. La peur est liée à l'incertitude, et il n'était pas incertain, il savait exactement ce qui allait se passer. Mais il était nerveux. Il déglutit péniblement et fixa le wraith dans ses yeux jaunes de félin. Il avait déjà imaginé ce moment. Bien sûr qu'il voulait faire une dernière déclaration, mais à qui ? Que dire quand celui qui recueille votre dernier souffle n'est même pas humain ? Alors il choisit de se taire et secoua lentement la tête.

- Vous ne voulez rien dire à vos amis, avant de vous sacrifier pour eux ? Je le leur répéterai.

Kavanaugh fixait un point derrière la créature quand il entendit sa propre voix, comme si elle venait de très loin :

- Ce ne sont pas mes amis, je n'ai jamais eu d'amis. Dites au Dr Weir que je l'ai fait pour la cité, elle comprendra.

Puis il ferma les yeux, tandis que le wraith tendait sa main vers lui.

(1) Les wraiths ne mangent pas par la bouche, ils n'ont donc jamais mauvaise haleine ! On se demande d'ailleurs pourquoi ils ont des dents pareilles…