Chapitre1
De l'autre côté du miroir…et de ce qu'Alice y trouva…
Après avoir extirpé une cigarette de son paquet, le fondateur de l'organisation se l'alluma avant de lever les yeux vers le lent mouvement des nuages tout en se laissant bercer par le mouvement oscillatoire de la balancelle sur laquelle il était installé.
Sa rêverie se poursuivit pendant de longues minutes jusqu'à ce que la vision d'un visage familier, trop familier, ne la brise d'un seul coup.
Le visage de celle qui n'avait cessé d'accaparer ses pensées, avant comme après sa mort, un visage magnifique que le temps n'avaient pratiquement pas altéré…
Est-ce que sa victime était venue s'amuser à le tourmenter pour lui faire expier à son tour la trahison dont il s'était rendu coupable envers elle ?
Sur le seuil de ce manoir, identique à celui où ils avaient vécu plusieurs années, l'apparition lui donnait l'impression d'avoir remonté le temps dix ans en arrière… Oui, il semblait bien être en train de revivre les derniers jours de son idylle avec la mère de ses enfants… C'était la même lueur mélancolique qui illuminait les yeux azurés qui le scrutaient à travers les verres de leurs lunettes… La même lueur que celle qui les avait illuminé à cette époque…Le signe avant-coureur de la tragédie qui allait briser leur vie…
Etait-il en train de rêver ou bien est ce que son titre de scientifique fou n'était plus le reflet de l'ignorance de ses pairs mais de la triste réalité ?
Il lui fallût quelques instants supplémentaires pour se rendre compte qu'aucune des deux explications n'était la bonne…
« Tu sais que pendant quelques secondes, je t'ai confondu avec ta grande sœur ? »
Un soupir franchit les lèvres de l'anglaise, étirées en un sourire mélancolique, tandis qu'elle écartait délicatement l'une des mèches de sa longue chevelure écarlate.
« Même après ton mariage, tu n'était toujours pas capable de nous différencier…Rien n'as changé depuis… Non, en fait rien n'a changé depuis notre première rencontre… »
S'asseyant aux côtés de son interlocuteur, sa mystérieuse invitée tendit doucement le bras vers la bouteille posé sur la table installé devant la balancelle avant de se verser un verre.
« Encore du Sherry… Toi aussi, tu n'es pas parvenu à te délivrer de ton passé, hein ? Toi aussi, elle continue de te hanter nuit et jour ? »
L'inconnue fit doucement tournoyer le liquide écarlate contenu dans son verre sans pour autant le porter à ses lèvres.
« Pourquoi est ce que tu es venue, Alice ? Nous passons tout les deux notre vie enfermés dans nos souvenirs, alors je suppose que ce n'est pas pour les évoquer avec moi que tu es ici, et je ne me rappelle pas avoir convoqué Chartreuse… »
« Eh bien, aussi étonnant que cela puisse te paraître, c'est pourtant la raison de ma visite, monsieur Carroll… »
« Cela faisait des années que tu n'avait plus appelé comme ça… »
Plongeant la main dans la poche de sa veste aussi écarlate que sa robe, l'anglais en extirpa une montre gousset dont elle se mit à soulever doucement le couvercle.
« Oui, mais le temps change, même si nous faisons tout notre possible pour le nier, il n'en continue pas moins de tourner… Alors, j'imagine que c'est normal que je doive changer moi aussi… je ne peux pas rester emprisonnée toute ma vie dans le passé… »
« Je t'envie… Moi, je suis incapable de m'en délivrer…Mais après tout, le chapelier toqué est resté emprisonné toute sa vie à l'heure du thé parce qu'il avait commis la bêtise de défier le temps, alors c'est normal que le scientifique fou subisse le même sort… Helen passait bien son temps à nous le dire… »
« Quiconque se révolte contre le cours du temps finit inévitablement par en être puni… Mais tu n'as pas à m'envier, tout comme je n'ai pas à te plaindre… Si tu souffres tellement à force de te torturer avec ton passé, c'est uniquement de ta faute… Tu as toujours refusé d'affronter l'avenir, d'une façon ou d'une autre… »
Elle leva les yeux vers le jardin et l'architecture victorienne du manoir.
« Ce jardin, cette maison, l'organisation, ton élixir de jouvence… Autant de moyens pour toi de fuir l'avenir en restant réfugié dans le passé…Un passé qui a été englouti dans les abîmes du temps uniquement par ta faute…et celle de James… »
Le chimiste se ralluma une cigarette avant d'expirer un nuage de fumée dans un soupir.
« Tu as beau me sermonner, c'est la même chose pour toi, non ? Toi non plus, tu n'as jamais pardonné à James, toi aussi tu n'as pas pu résister à la tentation de venir t'enfermer dans ce décor de théâtre qui te rappelle tant ce que tu ne te décides pas à oublier… C'est pour ça que tu es là, non ? Pour jouer la comédie avec moi et faire comme si ces dix années ne s'étaient pas écoulées…Et c'est aussi pour ça que tu m'as appelé avec ce surnom qu'une petite fille m'as donné, il y a bientôt trente ans… Une petite fille qui voudrait m'entendre de nouveau lui raconter son histoire, je me trompe ? »
Se tournant vers son interlocuteur, l'anglaise acquiesça timidement avec un regard qui n'avait rien à envier à celui avec lequel elle l'avait regardé lors de leur première rencontre.
« Et comme il fût une époque où je ne pouvais rien refuser à cette petite fille, je peux bien t'accorder ce caprice, va…Alors, il était une fois… »
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« …une petite fille nommée Alice… Une petite fille très curieuse qui passait son temps à s'étonner du monde étrange qui l'entourait. Ce n'était pas un hasard si elle portait le même nom qu'une autre petite fille. Elle ressemblait tellement à l'héroïne des romans de l'écrivain préféré de sa maman qu'aucun autre nom n'aurait pu lui convenir. Mais ce n'était pas dans le pays des merveilles que cette Alice là avait chuté… Non, c'était plutôt de l'autre côté du miroir… Dans un monde inversé où tout fonctionnait à l'envers… Sa maman était une enfant dans un corps d'adulte tandis qu'Alice était une adulte dans un corps d'enfant… »
La naïveté qui se reflétait sur le visage candide de celle qui berçait doucement une poupée dans ses bras contrastait de manière saisissante avec le regard désabusé de la fillette qui observait impassible ce spectacle surréaliste.
« La maman d'Alice avait fui le monde terrifiant des adultes en se réfugiant dans le monde rassurant de l'enfance, tandis qu'Alice avait été arraché du monde de l'enfance, qu'elle avait eu à peine le temps de connaître, pour être enfermé dans le monde des adultes, qu'elle allait être forcé de connaître avant même d'y avoir été préparé… »
Une lueur attendrie illumina le regard de la mère de la fillette tandis qu'elle caressait délicatement les cheveux de soie rouge du jouet.
« Pourquoi est ce que tu as l'air si triste, Alice ? C'est cette fille bizarre qui te fait peur ? Il ne faut pas, voyons…Ta maman est là pour te protéger… »
La petite fille taciturne ne réagit même pas lorsque sa mère prononça son propre nom, elle avait fini par comprendre que ce n'était pas à elle qu'elle s'adressait en le faisant…
« Tu sais, Alice, si tu ne me sourit pas, tu va rendre triste ta maman…Et si ta maman devient triste à cause de toi, elle va se mettre en colère…Et tu sais ce qui arrive aux vilaines petites filles qui mettent leur maman en colère… »
La lueur de cruauté qui se reflétait sur le visage candide de celle qui était en train d'arracher doucement la tête du jouet qu'elle serrait dans ses bras arracha un frisson d'horreur à la fillette.
« Il fût un temps où la petite Alice souhaitait plus que tout au monde que sa maman s'éveille de son rêve et cesse de parler en dormant à la poupée qu'elle prenait pour sa fille…Mais au bout d'un moment, ce que la petite fille souhaitait de tout son cœur, c'était que sa mère ne s'éveille jamais… Parce qu'elle préférait que sa poupée subisse à sa place le sort que sa maman lui réservait… »
Une ombre de tristesse engloutit la joie dans les yeux de la mère d'Alice tandis qu'elle contemplait le jouet mutilé qu'elle tenait dans sa main… Tristesse qui se dissipa instantanément quand son mari lui retira doucement la poupée des mains d'un ai compréhensif avant de lui en redonner une autre, identique. Mais le regard attendri qu'il posa sur sa fille après avoir caressé doucement le visage radieux de son épouse fit frissonner la gamine.
« Oui, la petite Alice vivait dans un monde où tout fonctionnait à l'envers… Son papa traitait sa maman comme si c'était sa fille et sa fille comme si c'était son épouse. Ses parents avait toujours dit à Alice que les policiers étaient là pour la protéger de ceux qui lui voulaient du mal, mais quand la petite Alice tenta de s'enfuir de la maison où elle souffrait tellement, c'est eux qui la ramenèrent à l'intérieur. Et quand la petite Alice essaya de confier aux amis de ses parents ce qu'elle subissait, c'était elle qu'on regardait avec un air de dégoût comme si elle était la chose la plus répugnante qui soit…C'est elle qui disait la vérité et c'était pourtant elle qu'on traitait comme une menteuse. C'était elle qui avait besoin d'être consolé et pourtant c'était son papa qu'on consolait à sa place pour ce qu'elle lui faisait subir…
Oui, vraiment, rien ne fonctionnait dans le bon sens dans le monde où vivait Alice… Pour elle, cela ne faisait aucun doute, elle était passée de l'autre côté du miroir, cette fameuse nuit… Cette nuit où le cauchemar commença quand elle ouvrit les yeux et non quand elle les ferma, cette nuit où sa maman était rentrée dans sa chambre et où elle vit ce qu'Alice faisait avec son papa… Mais ce n'était ni son maman, ni son papa qui était avec elle dans sa chambre, cette nuit là, non… Cela, Alice avait fini par le comprendre. Il s'agissait de leurs reflets dans le monde inversé, voilà pourquoi ils se comportaient de façon aussi étrange… »
Posant doucement sa main sur le miroir qui surplombait la commode qu'elle venait d'escalader, la petite fille essaya de l'enfoncer à l'intérieur de la paroi de verre. Mais malgré tout ses efforts, elle ne pouvait pas traverser le miroir de nouveau, et quoi de plus normal ? Son reflet qui avait pris sa place de l'autre côté tendait lui aussi la main pour lui faire obstacle… Comme elle pouvait détester cette petite fille égoïste à la place de laquelle elle souffrait…Mais malgré tout…malgré tout, elle ne pouvait pas s'empêcher de la comprendre…
Après tout, elle avait souffert autant qu'elle, donc c'était normal qu'elle ait préféré s'enfuir de l'autre côté du miroir, et c'était aussi normal qu'elle ait enlevé son double pendant son sommeil pour qu'il prenne sa place…Si elle ne l'avait pas fait, ses vrais parents seraient revenu la chercher en plein milieu de la nuit pour la ramener dans ce monde terrifiant qu'elle avait quitté. Oui, Alice pouvait voir ses propres souffrances se refléter dans les yeux de sa pire ennemie.
Chacune d'elles comprenait ce que ressentait l'autre, mais ce n'était pas pour autant qu'elles avaient cessé de se haïr. S'emparant doucement mais fermement d'un chandelier en argent posé à côté d'elle sur le meuble, la fillette le souleva doucement, en s'apprêtant à fracasser la paroi de verre qui la séparait de son bonheur… Apparemment, sa jumelle avait eue la même idée puisqu'elle aussi était en train de soulever un chandelier.
Laquelle d'entre elle disparaîtrait en se réduisant en miette quand l'autre fracasserait le miroir ? Alice fût soulagé de voir que ce fût son double qui se brisa et non pas elle quand elle abattit son arme sur le miroir… Relâchant le chandelier, qui s'écrasa sur le sol dans un tintement métallique, elle sauta du meuble pour se précipiter vers un autre miroir… Mais la joie qui se reflétait sur son visage se dissipa lorsqu'elle vit que son double était encore là, en train de se moquer d'elle en imitant son air terrifié, tandis qu'elle s'interposait encore entre elle et la liberté…
« Malgré tout ses efforts, Alice ne parvint pas à détruire sa jumelle maléfique, aussi finit-elle par y renoncer…Si bien qu'au bout d'un moment, elle évitait comme la peste les miroirs qu'elle semblait prendre tant de plaisir à fracasser avant…Elle ne voulait plus revoir le visage moqueur de la responsable de ses souffrances… Son comportement étrange ne manquait pas d'étonner les amis de ses parents, mais ils finirent par trouver cela normal… Après tout, si Alice leur disait de telles mensonges sur son papa, c'était tout simplement parce qu'elle était devenu aussi folle que sa maman… La pauvre petite ne mentait pas en fait, c'est juste qu'elle aussi ne pouvait plus faire la différence entre la réalité et ses cauchemars… A partir de ce moment, les gens arrêtèrent de gronder Alice et de la regarder en coin.
Non, au lieu de cela, ils devinrent très gentil et se mirent même à lui sourire d'un air triste…Mais cela, c'était encore plus insupportable pour la petite fille…Elle savait que c'était ceux qui l'entouraient qui n'étaient pas normaux, alors comment pouvaient-ils oser se comporter comme si c'était l'inverse ? Lorsque Alice comprit qu'elle ne pouvait pas détruire son propre reflet, elle décida de détruire ceux de ses parents, en commençant par celui de sa maman… »
Arrachant brutalement la poupée des mains de cette femme qu'elle haïssait de tout son cœur, parce qu'elle lui rappelait tellement la mère qu'elle avait perdu au moment où elle avait le plus besoin d'elle, la petite fille la jeta de l'autre côté de la rambarde du balcon… Pas un traits du visage de la fillette ne tressaillit quand elle vit la démente se précipiter d'un air terrifié pour sauver sa fille…Pas une seule émotion ne se refléta dans les yeux de la gamine quand elle bascula dans le vide au cours de sa tentative désespéré de rattraper le jouet avant qu'il ne s'écrase sur le sol…
« La petite Alice avait réussi, le reflet de sa maman se brisa en mille morceaux…A présent, il ne lui restait plus qu'à faire de même avec celui de son papa… Cela lui fût beaucoup plus difficile…Elle du attendre longtemps…Très longtemps…Trop longtemps… Ou peut-être que cela lui parût être longtemps…Mais elle finit quand même par y réussir… »
La fillette demeura impassible quand son père se pencha vers elle avec un air attristé pour la serrer doucement dans ses bras, elle demeura impassible quand il appliqua ses lèvres sur les siennes pour l'embrasser, elle demeura impassible quand il lui caressa doucement les cheveux en sanglotant…
Mais elle ne demeura pas impassible lorsque son tortionnaire se mit à lui dire qu'il ferait de son mieux pour la rendre heureuse, après l'accident tragique qui avait emporté sa mère…
Ramenant doucement ses deux mains dans son dos, elle glissa l'une d'elles dans la manche de sa longue robe blanche, avant d'en extirper ce qu'elle avait volé… Une longue tige de métal merveilleusement pointu et tranchante au bout d'un manche en bois…Aussi pointu et tranchante que les épines des roses que sa mère, sa vraie mère, aimait tellement…
Refermant doucement mais fermement ses doigts autour du manche en bois, elle enfonça sans la moindre hésitation la tige de métal dans le cou de celui qui était penché vers elle pour la consoler… Lorsqu'elle retira brusquement son arme de la plaie qu'elle avait infligé dans la chair de sa victime, une gerbe de sang se mit à en jaillir pour asperger sa robe d'un blanc immaculé…Sa robe qui était à présent aussi écarlate que ses long cheveux, tandis que le visage de son tortionnaire devenait aussi blanc que le vêtement l'avait été, quelques instants auparavant…Ce visage où l'incrédulité se mêlait au désespoir…
Après l'avoir longuement contemplé d'un air énigmatique, la petite fille se mit à lui adresser un sourire… Un sourire innocent qu'elle n'avait plus adressé à qui que ce soit depuis le début de son calvaire…Le sourire d'une petite fille qui venait enfin de s'éveiller de son cauchemar…
« Mais même si les monstres qui avaient pris la place de ses parents venaient de disparaître, sa jumelle était toujours là, de l'autre côté du miroir, à l'empêcher de regagner sa maison pour retrouver ses vrais parents. Alors Alice finit par se décider à sortir de cette maison vide…Cette maison désespérément vide dont elle avait brisé tout les miroirs une dernière fois avant d'en partir…Alice ne savait plus où aller, Alice n'avait plus aucun endroit où aller, le seul endroit où elle voulait aller était de l'autre côté du miroir, mais elle n'avait toujours pas trouvé le moyen de le retraverser…
Et de toutes façon, elle avait fini par comprendre que cela ne servirait à rien. Après tout, même si elle y parvenait, ses vrais parents ne la reconnaîtraient pas. Non, pour eux, ce serait elle la jumelle maléfique qui s'était échappée de l'autre côté du miroir, pas la gentille petite fille qui se réfugierait dans leurs bras quand elle viendrait se venger d'elle.
Alice savait qu'elle ne pourrait jamais retrouver ses parents, mais ils lui manquaient toujours… Alors Alice se décida à aller rendre visite au reflet de sa maman, dans le cimetière où on avait enterré ses morceaux. Lorsqu'elle finit par y arriver et qu'elle se retrouva devant la tombe où était inscrit le nom de sa maman, Alice se mit à regretter ce qu'elle avait fait.
Après tout, sa fausse maman n'était pas si méchante que ça, contrairement à celui qui ressemblait tant à son papa. Peut-être qu'elle aurait pu prendre la place de sa poupée et peut-être que si elle lui avait souri en faisant cela, le reflet de sa maman l'aurait aimé comme si c'était sa vraie fille… Oui, peut-être qu'elle pouvait toujours le faire, il lui suffirait de recoller les morceaux du reflet de sa maman pour ça… Mais malgré tout ses efforts, elle ne parvint pas à ouvrir la boite en pierre où ils étaient rangé…Alors à ce moment, Alice se mit à pleurer en essayant de briser le couvercle de la boite avec le long objet pointu qui lui avait permis de briser le reflet de son papa…Mais le couvercle était trop solide…C'est à ce moment là…que la petite Alice fit la rencontre du lapin blanc… »
Agenouillé devant la pierre tombale, la petite fille à bout de force continuait de frapper la plaque de marbre qui s'interposait entre elle et sa mère sans parvenir à seulement l'entailler.
Sursautant quand elle sentit une main se poser sur son épaule, elle se tourna doucement vers le petit garçon qui lui tendait un mouchoir pour essuyer ses larmes.
Agrippant fermement le manche de son arme tandis qu'elle scrutait le nouveau venu d'un regard méfiant, la fillette finit par se relever en essuyant ses larmes du revers de sa manche après avoir repoussé d'un geste irrité la main qui lui était tendu.
« Qu'est ce que tu me veut, toi ? »
Rangeant doucement son mouchoir dans la poche de sa veste, l'inconnu fixa la fillette d'un air énigmatique.
« Je veux juste pourquoi est ce que tu fait ça… »
« Pourquoi est ce que je fait quoi ? »
« Pourquoi est ce que tu tape sur cette tombe avec ce drôle de truc ? »
La gamine renifla.
« Tu es bête ou quoi? Pour l'ouvrir… »
« Et pourquoi est ce que tu veut l'ouvrir ? »
« Pour recoller les morceaux du reflet de maman…Comme ça, elle ressuscitera et j'aurais une nouvelle maman… »
Le garçon secoua doucement la tête sans avoir l'air de s'étonner des paroles énigmatiques de la petite fille renfrognée.
« Tu ne peux pas y arriver… »
« Et pourquoi ? »
« Parce que je suis la seule personne capable de ressusciter les morts, et que je ne suis pas encore prêt pour le faire… »
Croisant les bras d'un air vexé, Alice toisa le nouveau venu d'un air vexé.
« Et pourquoi est ce que tu y arriverait et pas moi ? »
Le petit garçon se mit à avoir un sourire narquois.
« Parce qu'un jour, je serais le plus grand magicien du monde, un magicien au moins aussi doué que Max Candle. C'est ce que je lui ait promis sur sa tombe après son enterrement, et je ne suis pas un menteur, je tiendrais ma promesse… »
Alice renifla avec une expression méprisante.
« Essaye de devenir plus doué que lui, alors… S'il était vraiment le plus grand magicien du monde, il se serait ressuscité lui-même et ce n'est pas sur sa tombe que tu lui aurais fait ta promesse… »
Ce fût au tour du mystérieux garçon d'avoir un air vexé.
« C'est toi qui est bête… Le magicien ne peut pas se ressusciter lui-même, ce serait comme essayer d'imiter son reflet dans le miroir, c'est impossible… »
Le regard de l'enfant se radoucit quand il remarqua la tristesse que ses paroles avaient fait naître dans celui de la petite fille.
« Allez ne pleure pas, va… Quand je serais assez grand, je le ressusciterais et, si tu veux, je ressusciterais aussi ta maman…Alors attend juste un petit peu… »
Levant la main vers les cheveux de la fillette pour les caresser, le petit garçon fit apparaître une rose entre ses doigts dans un nuage de fumée, avant de la glisser dans la chevelure de la petite Alice émerveillée par le tour.
« Ce tour là, personne ne me l'as appris, j'ai trouvé tout seul comment le faire…Alors tu vois qu'un jour, je serais capable de ressusciter ta maman… »
« Tu fera vraiment ça ? »
Le petit magicien se mit à sourire à sa première spectatrice.
« Je ne suis pas un menteur, je tiens toujours mes promesses… »
Les deux enfants demeurèrent l'un en face de l'autre à se regarder en souriant, jusqu'à ce que l'arrivée du père de l'un d'eux brise le silence.
« Il faut partir, sinon nous raterons notre avion. Tu peux dire au revoir à ta nouvelle amie si tu veut, mais dépêche-toi de le faire… »
Poussant un soupir, le garçon acquiesça à son père avant de se tourner vers la fillette.
« Je ne sais même pas comment tu t'appelle… »
« Alice…Alice Lidell… et toi, comment tu t'appelle ?»
« Toichi…Toichi Kuroba… »
S'éloignant à regret de sa nouvelle amie, le petit garçon se tourna vers elle une dernière fois, pour lui dire au revoir d'un signe de la main.
Etait-ce un hasard ? En tout cas la pluie se mit à tomber au moment où la petite fille se retrouva de nouveau seule devant la tombe.
« Malheureusement, le lapin blanc ne pouvait pas arriver en retard. Et la petite Alice était trop fatiguée pour le poursuivre jusque dans son terrier, ce terrier qui conduisait jusqu'au pays des merveilles. Alors la petite Alice se retrouva de nouveau toute seule. Ce n'était pas par le terrier d'un lapin qu'elle allait pouvoir sortir de l'autre côté du miroir. Ce pays qu'elle ne voulait plus voir parce qu'il lui rappelait tant celui qu'elle avait quitté et dans lequel elle ne pourrait plus jamais revenir…Alors, la petite Alice se jura de ne plus jamais poser un seul regard sur ce pays maudit… »
Retirant doucement ses lunettes pour essuyer les gouttes de pluie qui s'était abattue dessus, la fillette les fit tourner entre ses doigts quelques minutes, avant de les lâcher…Après avoir écrasé d'un pied rageur les verres qui lui permettaient de contempler ce monde qu'elle ne voulait plus voir, la fillette mélancolique s'éloigna doucement du cimetière, pour se mettre à errer dans les rues de Londres avec le même regard qu'une somnambule. Elle trébucha un nombre incalculable de fois tandis qu'elle parcourait ce chemin floue dont elle ne savait pas où il la mènerait, si bien qu'au bout d'un moment, elle demeura étendue sur le sol sans prendre la peine de se relever à nouveau. De toutes façon, à quoi bon marcher puisqu'elle n'avait aucun endroit où aller ?
« C'est à ce moment là que la petite Alice fit la rencontre du chapelier toqué, qui déjà, à l'époque, essayait de défier le temps, mais qui n'avait pas encore été puni pour ça. Le chapelier toqué courrait sous la pluie pour ne pas arriver en retard à l'heure du thé…Aussi quel ne fût pas sa surprise de la voir étendue sur le sol, cette petite fille qui était censé l'attendre à la maison. Au début, il eût peur à l'idée que sa petite Alice à lui se soit impatienté et soit allé le chercher sous la pluie, au point de tomber malade…Mais c'était à une autre petite Alice qu'il avait porté secours…
Mais cela il ne s'en rendit compte que lorsqu'il arriva devant chez lui, avec cette petite fille épuisée dans les bras, et qu'il aperçût, à la fenêtre de sa maison, sa propre Alice en train de l'attendre… Le moins qu'on puisse dire, c'est qu'il ne savait pas comment réagir, ni ce qu'il devait faire de cette curieuse petite fille qu'il avait confondu avec une autre. Mais c'est à ce moment là, qu'une idée lui traversa la tête…
Secouant doucement la petite fille pour la réveiller, il lui demanda si elle avait encore des parents, et la petite Alice, qui n'était pas une menteuse, lui dit la vérité en toute franchise. Sa vraie maman avait bien dit à Alice de ne jamais faire confiance aux inconnus et de toujours demander l'aide d'un policier si elle était perdue…Mais de l'autre côté du miroir, il n'y avait que des inconnus, et la dernière fois que des policiers l'avait attrapé, il l'avait ramené chez les reflets de ses parents… Qui sait s'ils n'allaient pas recommencer après avoir recollé les morceaux de celui de sa maman…et de celui de son papa ? Oui, la petite Alice n'avait vraiment pas d'autre choix que de faire confiance à l'inconnu… »
Lorsque la porte du salon s'ouvrît, la petite Helen se tourna d'un air vexé vers le retardataire.
« A quoi cela sert que tu me demande, non seulement la date de mon anniversaire mais aussi l'heure exacte de ma naissance, pour pouvoir le fêter avec exactitude ? Si c'est pour arriver en retard… »
Le scientifique se gratta la tête en adressant un pitoyable sourire d'excuse à sa petite protégée.
« Pardon, pardon… Tu sais bien que lorsque je suis plongé dans mes recherches, je ne vois plus le temps passer… J'espère au moins que tu m'en voudras moins quand tu auras vu le cadeau d'anniversaire que je t'ai trouvé… »
Croisant les bras, la fillette fixa le savant d'un regard sceptique.
« Quel cadeau ? Tu as les mains vides pour ce que je peux en voir… »
Jetant un coup d'œil paniqué autour de lui, le professeur Miyano finit par pousser un soupir de soulagement avant de tendre doucement la main pour attraper celle de l'orpheline et la forcer doucement à franchir l'encadrement de la porte, pour être visible à l'unique occupante de la pièce.
Ecarquillant les yeux devant cette étrange gamine taciturne vêtu d'une robe écarlate sur laquelle on pouvait encore distinguer quelque trace de son ancienne couleur blanche, la petite Helen se mit à lever un regard mi-intrigué,mi-affligé vers le savant.
« C'est ça, mon cadeau ? »
« Eh bien, tu te plaignait tout le temps que je te laissait presque toujours toute seule pour m'occuper de mes recherches…Alors je me disais qu'avec une petite sœur, tu te sentirais moins seule… »
La fillette se passa la main sur la figure pour dissimuler son expression atterrée.
« Ne me dis pas…que tu as tué ses parents pour me l'offrir ? »
Le savant éberlué tendit les mains devant lui pour se protéger de la vindicte de la fillette.
« Voyons, Helen, tu me connais… »
« Justement, et c'est pour ça que je sais que tu en serait bien capable… »
Se rapprochant doucement de la fillette silencieuse, Helen entreprit de l'examiner d'un air énigmatique.
« Dis moi, il n'as pas tué tes parents, au moins ? Tu peux me le dire, va, cet imbécile ne te fera pas de mal si tu me dis la vérité…Sinon il aura affaire à moi… »
La gamine secoua doucement la tête.
« Bon, c'est déjà ça…Mais j'imagine que tes parents t'attendent encore, si jamais tu me dit où ils habitent… »
« Je n'ai plus de parents… »
Helen cligna légèrement des yeux devant la facilité avec laquelle la nouvelle venue avait fait la remarque.
« Je vois…Et quel âge tu as ? »
La petite Alice leva doucement les mains avant de rabattre doucement l'annulaire et l'auriculaire de sa main droite.
« Huit ans ? Atsushi, si tu voulais m'offrir une petite sœur, c'est plutôt raté…Au pire, elle pourrait être ma grande sœur, au mieux, ma sœur jumelle…D'ailleurs, elle me ressemble tellement qu'on pourrait croire que c'est vraiment le cas… »
Toussotant légèrement pour dissimuler son embarras, le chimiste détourna les yeux.
« Oh, ça ne te convient pas d'avoir une sœur jumelle ? »
« Si, si…C'est juste que…Pourquoi est ce qu'elle me regardent comme ça ? J'essaye d'être gentille avec elle et on dirait qu'elle se méfie de moi… »
« Ah, tu parle du fait qu'elle plissent les yeux…Ca n'a rien à voir avec de la méfiance, je l'ai examiné juste avant de rentrer, elle est aussi myope que moi. Si tu veux bien d'elle comme petite sœur, je lui offrirais une paire de lunette demain… »
« Aussi myope que toi ? Je vois, eh bien dans ce cas… »
La fillette fit doucement signe au scientifique de se pencher vers elle, et avant même de lui laisser le temps de lui en demander la raison, elle lui arracha brusquement ses lunettes pour les poser sur le nez de son cadeau d'anniversaire.
Alice manqua de défaillir devant le visage de celle qui lui faisait face, le visage de celle qui lui avait tout pris, le visage de ce reflet qu'elle avait tant de fois essayé de briser.
Ramenant doucement les mains derrière son dos, elle commença à extirper un pic à glace de sa manche, avec la ferme intention de s'en servir. Un sourire radieux plissa les lèvres de la petite Alice à la pensée qu'elle allait bientôt pouvoir détruire la responsable de son cauchemar. Une fois qu'elle l'aurait fait, plus rien ne l'empêcherait de regagner l'autre coté du miroir…plus rien…Et à ce moment là, elle pourrait reprendre sa place auprès de ses vrais parents…Le fait de voir le même sourire radieux sur le visage de celle qu'elle s'apprêtait à assassiner ne l'étonna pas plus que ça…Après tout, c'était de son reflet qu'il s'agissait…
« Tu devrais m'apporter une paire de lunette à moi aussi, de cette façon, nous aurions vraiment l'air de deux jumelles… D'ailleurs comment s'appelle ma nouvelle sœur ? Moi c'est Helen… »
La fillette demeura interloquée. Que son double n'ait pas besoin de lunette, c'était à la rigueur logique, elle était exactement l'inverse d'elle-même donc elle devait ne pas avoir de problème de vue, mais comment se faisait-il qu'elle ne portait pas le même nom qu'elle ? Est ce qu'elle était en train de lui mentir ?
« Tu ne t'appelle pas Alice, comme moi ? Si tu es ma vraie jumelle, tu devrais porter le même nom que moi… »
La question naïve de la petite Alice fit pouffer de rire la petite Helen.
« Mais je ne suis pas ta vraie jumelle, sinon nous aurions la même maman…et le même âge. Or ce n'est pas le cas, sauf si c'est ton anniversaire aussi aujourd'hui… Et puis comment est ce qu'on pourrais faire la différence entre nous si nous avions le même nom, hein ? »
Les paroles de sa jumelle décontenancèrent la petite Alice, mais moins que le fait qu'elle se mette brusquement à l'étreindre comme si elle était vraiment sa sœur.
« Mais avec le temps, et si tu veux bien, nous pourrons devenir de vraies jumelles… »
Interloquée par la gentillesse avec laquelle lui avait parlé celle qui lui caressait doucement les cheveux, Alice desserra doucement son étreinte autour du manche de son arme, au point qu'elle lui échappa des mains pour tomber sur le tapis de la pièce avec un bruit mat.
« Tu vois, Atsushi, je crois qu'effectivement tu as trouvé le cadeau rêvé pour te faire pardonner ton retard… »
« Non, je ne vois pas…En fait, je ne vois plus rien… »
Soupirant devant le ton mi-attendri, mi-sarcastique du chimiste, la fillette retira doucement les lunettes du nez de sa nouvelle sœur pour les mettre dans la main de leur propriétaire.
Une fois qu'il fût en mesure de contempler sa protégée de nouveau, le savant constata que ce fût pour la voir s'éloigner de la pièce en tirant doucement sa jumelle par la main.
« Tu insistais tellement pour que nous passions un après-midi ensemble, et lorsque je trouve enfin le temps de t'en accorder un, tu ne le fait pas durer plus de quelques minutes… Décidément, quelle petite fille capricieuse tu es, Helen… »
« Navré, mais je suis trop impatiente de m'amuser avec mon cadeau d'anniversaire… »
Une fois que les deux fillettes eurent disparues au détour d'un couloir, le chimiste se mit à s'asseoir à la table du salon. Après s'être servi une tasse de thé, il entreprît d'examiner le pic à glace qu'il avait vu s'échapper des mains de sa nouvelle co-locataire. Un pic à glace qui portait encore des traces de sang séché. Songeant aux circonstances de l'assassinat atroce relaté dernièrement dans le Times, il repensa au prénom de la sœur qu'il avait offerte à sa future assistante, un nom identique à celui de la fille de la victime, cette fille qui était toujours, aux dernières nouvelles, portée disparue…
Reposant l'arme aux côtés de sa tasse de thé, il la sirota avant de porter une cigarette à ses lèvres étirées en un sourire attendrie.
Oui, il pourrait sans doute faire de sa nouvelle protégée son assistante dans un avenir plus ou moins éloigné. Elle semblait avoir déjà tellement de potentiel… Même si c'était pour un domaine différent de celui qu'il réservait à Helen…
« C'est à ce moment là que la petite Alice comprit enfin la terrible vérité. C'était seulement maintenant qu'elle était passée de l'autre côté du miroir…Ceux qui l'avaient tant fait souffrir n'étaient pas les reflets de ses parents dans le monde inversé, il s'agissait de ses vrais parents, qu'elle avait définitivement perdus. Mais à présent, elle s'en moquait… Si le monde dans lequel elle venait d'entrer était vraiment l'exact opposé de celui qu'elle quittait, alors la nouvelle famille qu'elle y avait trouvé ne pourrait que la rendre heureuse, à l'inverse de celle qu'elle avait perdue… Et si cette petite fille qu'elle venait de rencontrer lui ressemblait tellement, c'est tout simplement parce que c'était elle son reflet dans le miroir…Et dans ce cas, alors elle n'aurait aucun problème à devenir sa vraie sœur jumelle, non vraiment aucun…
Alice se sentait parfaitement chez elle dans le monde qui s'étendait de l'autre côté du miroir, et elle n'eût aucun mal à en comprendre la logique…Non, elle n'eût aucun mal à comprendre que les policiers étaient ceux dont elle devait se méfier, à l'inverse des criminels…Elle n'eût aucun mal à comprendre que toutes les règles que lui avaient apprises ses parents étaient fausses, et qu'elle pouvait en prendre le contre-pied sans aucun remords. Non, elle n'eût aucun mal à le comprendre jusqu'à sa rencontre avec un certain policier, mais nous n'en sommes pas encore arrivé à cette partie de l'histoire… »
« C'est incroyable, tu as exactement la même taille que moi… On croirait que mes robes ont été faites pour toi… »
La petite Alice demeurait muette devant celle qui s'extasiait, tandis qu'elle avait fini d'aider sa sœur à enfiler la robe écarlate qu'elle avait tiré de son placard.
Constatant aux cernes qui s'étendaient sous les yeux myopes de son reflet qu'il avait besoin de repos plus que de nouveaux vêtements, la petite Helen le conduisit doucement par la main vers son lit, avant de l'y étendre et de la border avec délicatesse.
Après avoir déplacé une des chaises de la pièce de manière à s'asseoir au chevet de celle qui allait maintenant la partager avec elle, Helen se mit à contempler d'un air attendrie cette petite fille qui ne voulait pas fermer les yeux malgré sa fatigue.
« Si tu es si fatigué, pourquoi est ce que tu ne fermes pas les yeux ? Tu n'as pas à avoir peur, il ne t'arrivera rien ici, tu sais… »
« Ce n'est pas que j'ai peur de fermer les yeux…C'est juste que j'ai peur de les rouvrir après…pour me retrouver de nouveau de l'autre côté du miroir…Là où je ne veux plus jamais retourner… Non, je ne veux plus jamais retourner en arrière, au moment où j'étais encore là bas…Je veux que le temps s'arrête, qu'il ne s'écoule ni dans un sens, ni dans l'autre, et qu'il me laisse ici… »
« Ne t'inquiète pas, va… Le temps n'a aucun droit dans cette maison, nous feront tout ce qui est en notre pouvoir pour qu'il n'ait plus aucun droit sur qui que ce soit, de toutes façon…Et un jour, nous y arriverons et ce jour là, le temps ne pourra plus jamais nous arracher ce qui nous est précieux…Ce jour là, c'est le monde où nous vivons en ce moment qui nous semblera être un pays imaginaire…Rassure-toi, ce père qui dévore ses propres enfants, je ne le laisserais jamais dévorer la petite sœur qu'il m'a donné… »
Décontenancée, autant par les paroles de sa grande sœur que par la douceur de sa main quand elle lui caressa les cheveux, la petite Alice finit par fermer les yeux…pour avoir l'heureuse surprise de constater en se réveillant qu'elle n'était pas repassé de l'autre côté du miroir, et que son reflet était en train de dormir à côté d'elle…Ce reflet qui la comprenait parfaitement et qu'elle comprenait parfaitement aussi mais qu'elle ne haïssait plus, bien au contraire…
« Le temps continua pourtant de s'écouler depuis ce jour là. Mais c'était des jour de bonheur et non plus de malheur que mesurait la montre dont Alice ne se séparait jamais…Alice continua longtemps de fuir les miroirs, au point de demander à sa jumelle de lui servir de reflet quand elle aurait à se coiffer. Cela amusa beaucoup la petite Helen qui demanda à son tour à la petite Alice de lui servir de reflet…
Et elles s'amusèrent beaucoup à rendre le chapelier toqué encore plus fou qu'il ne l'était déjà, en lui demandant d'essayer de les distinguer l'une de l'autre, ce qu'il n'arriva jamais vraiment à faire… Le temps passa, et la petite Alice n'eût plus peur des miroirs, si bien que lorsqu'elle croisa de nouveau le lapin blanc, qui passait son temps à passer d'un côté du miroir à l'autre, elle n'hésita pas à le poursuivre jusqu'à la frontière séparant les deux côtés du miroir…Et c'est là qu'elle rencontra ce policier…
Alice était l'une des deux reines qui régnaient de l'autre coté du miroir, mais elle ne savait pas encore à l'époque si elle était la reine rouge ou la reine blanche… Mais elle finit pourtant par se décider à devenir une reine aussi rouge que la reine de coeur, en épousant le roi de coeur…Pourquoi est ce que la petite Alice avait fait ça ? Pourquoi avait-elle choisi d'être la reine de ce petit roi timide et effacé ?
Etait-ce parce qu'elle savait qu'il ne représenterait jamais aucun danger pour elle ? Etait-ce parce que ce policier beaucoup plus intelligent qu'il n'en avait l'air, au point de devenir un jour le plus haut gradé de la police de Tokyo, avait été suffisamment brillant pour voir la petite Alice pour ce qu'elle était ? Une petite fille qui ne demandait rien de plus que d'être heureuse…Avait-elle été touchée par la gentillesse dont il fit preuve avec cette petite fille, même après avoir contemplé la noirceur de son reflet? Ou bien avait-elle été touché par le courage de celui qui n'hésita pas à franchir un court instant la frontière séparant les deux côtés du miroir, pour aller y épouser sa reine de coeur ?
Le chapelier toqué n'obtint jamais la réponse à cette question mais il finit par accorder son caprice à Alice et la laisser épouser le petit roi sans lui faire de mal… Ce fût un mariage des plus étrange, digne de ce qu'on pouvait attendre de l'univers si particulier de monsieur Carroll… Le mariage d'un policier avec une criminelle… Et le lapin blanc, qui s'était invité de lui-même au mariage de la petite Alice, contribua à le rendre plus étrange qu'il ne l'était déjà… »
Lorsqu'une nuée de colombes apparût de nulle part pour aller tourbillonner autour du couple qui sortait de l'église avant de s'envoler dans le ciel azuré, la petite fille qui était au bras de son époux ne pu s'empêcher d'écarquiller de nouveau les yeux d'un air émerveillé. Lorsque les colombes eurent finalement disparu dans le bleu immaculé, les mariés se tournèrent vers l'un des invités en partageant le même air énigmatique. A première vue, rien ne distinguait celui qui avait attiré l'attention du couple des autres personnes qui assistaient à leur noce. Lui aussi portait un somptueux habit blanc, tenue adapté à un mariage… Mais le petit sourire énigmatique qui plissa ses lèvres surmontées de moustaches aussi fines qu'élégantes ne manqua pas d'intriguer encore plus le policier et la criminelle qui avaient traqué un certain voleur, chacun de leur côté, sans pour autant l'attraper…
« Le couple devait se briser…Il aurait du se briser… Après tout, chacun des mariés vivait d'un des deux côtés du miroir, et en conséquences, ne pouvait jamais passer trop de temps aux côtés de l'autre… Mais le roi de cœur finit cependant s'adapter au monde étrange où vivait sa reine, sans pour autant s'y laisser absorber… Il devint l'un des personnages de l'autre côté du miroir, le cavalier maladroit qu'Alice devait sans cesse soutenir pour ne pas qu'il tombe de son cheval blanc, et se brise en mille morceaux en chutant dans ce monde où il n'était qu'un reflet…Mais malgré tout ses efforts, il ne parvint jamais à convaincre Alice de repasser de l'autre côté pour y vivre avec lui…
Mais un jour… Un triste jour, le double d'Alice, qui était une petite fille curieuse, trop curieuse, se décida à essayer de traverser le miroir malgré les avertissements de sa petite sœur. Le chapelier toqué fût incapable de le supporter, aussi s'empressa-t-il de rattraper sa petite Alice… Mais dans sa colère, il avait oublié que, de l'autre côté du miroir, son Alice n'était qu'un reflet fragile, qui pouvait se briser en mille morceaux s'il n'était pas manié avec délicatesse…et c'est ce qui finit par se passer…
A ce moment là, le chapelier toqué, dévoré par la haine et la tristesse décida de tuer le lapin blanc de son autre Alice, de peur qu'il ne l'entraîne de l'autre côté du miroir, elle aussi… Mais tout ce qu'il parvint à faire avec ça, fût de briser les illusions de la petite Alice… Elle avait compris que son papa de l'autre côté du miroir ne valait finalement pas mieux que celui qui l'avait tant fait souffrir.
Puisque sa jumelle avait disparu, il n'y avait plus rien pour empêcher le cavalier maladroit d'emmener son Alice au pays des merveilles, et même s'ils s'y voyait de moins en moins souvent, car la petite Alice avait préféré se séparer de son roi, de peur qu'il subisse le même sort que sa sœur, ils ne cessèrent pas moins de s'aimer…Le chapelier toqué, qui ne tenait pas à refaire la même erreur avec sa deuxième Alice décida de la laisser vivre en paix, loin de lui… Il pensait qu'ils ne se reverraient jamais plus mais pourtant…Pourtant, un jour, la petite Alice se décida à repasser de nouveau de l'autre côté du miroir, et elle emmena avec elle le cheval blanc de son cavalier maladroit… »
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« Et ensuite ? Qu'est ce qui s'est passé ensuite ? Qu'est ce qui va se passer maintenant ? »
Le scientifique tira une nouvelle bouffée de sa cigarette tout en repoussant légèrement le sol du pied, pour accentuer le mouvement de la balancelle où Alice avait ramené ses genoux, se mettant dans la position d'une petite fille écoutant une histoire.
« Je ne sais pas… La fin de l'histoire n'a pas encore été écrite, alors comment est ce que je pourrais la connaître ? »
« Pourquoi est ce que tu n'essayes pas de l'imaginer ? »
« Je pourrais peut-être y arriver…si l'héroïne de mon histoire se décide à répondre à ma question… »
« Quelle question ? »
Se tournant vers son interlocutrice, le chimiste lui adressa un sourire mi-attristé, mi-sarcastique.
« La question que ton fils n'as certainement pas manqué de te poser, j'imagine… Pourquoi as-tu fait ça ? »
Un sourire énigmatique plissa les lèvres de l'anglaise.
« Pourquoi est ce que je suit repassé de l'autre côté du miroir ? Essaye de le deviner, monsieur Carroll, après tout, la réponse est déjà dans ton histoire… »
« Pour pouvoir briser le reflet de ton papa, et lui faire payer ainsi la perte de ta grande sœur et de ton lapin blanc ? Bien sûr, si c'est la bonne réponse, j'imagine que tu attendras d'abord que je t'aie aidé à détruire le charmant agent du FBI qui, lors d'un voyage sur son pays natal, a gentiment aidé les policiers à retrouver cette petite fille qui avait réussi à leur échapper… »
L'amusement laissa la place à la haine dans le regard de la mère d'un certain détective.
« Ce charmant agent du FBI qui a jeté la petite Alice dans les griffes de son tortionnaire…et qui as fait de même avec son reflet de l'autre côté du miroir…Oui, Atsushi, si c'est la bonne réponse que tu as donné à ta propre question, je vais attendre que nous ayons tout les deux réglé nos comptes avec notre ami commun, avant de briser le reflet de mon cher papa… »
« Si c'est la bonne réponse, hein ? Comme je ne suis pas détective, contrairement à ton fils, je suppose que je n'ai pas d'autre moyen de le savoir que de rendre la monnaie de sa pièce à mon meilleur ennemi…C'est ironique quand on y pense, c'est lui qui m'as arraché mon Alice, mais c'est aussi grâce à lui que je peux garder auprès de moi mon autre Alice… »
L'anglaise adressa un dernier sourire désabusé au chimiste.
« Oui, c'est ironique…Mais peut-être que ce n'est pas la bonne réponse que tu as donné à ta question…Peut-être… »
Recrachant un nouveau nuage de fumée dans un soupir, le scientifique leva doucement les yeux vers celle qui commençait à s'éloigner.
« Est-ce que je peut au moins espérer qu'un jour prochain, la petite Alice inviteras le chapelier toqué à prendre le thé chez elle ? »
« A une seule condition… »
« Laquelle ? »
« Essaye de ne pas parler de Sherlock Holmes avec Saguru, c'est déjà assez difficile de supporter un fanatique de Conan Doyle chez moi…Et comme vous êtes aussi atteints l'un que l'autre… »
Le chimiste se mit à avoir un sourire gêné.
« Je te promets d'essayer…mais je ne te promets pas d'y arriver… Après tout, ton fils est la seule personne que je connaisse à partager ma passion… »
