Les personnages du manga Détective Conan et du manga Magic Kaito appartiennent à Gosho Aoyama. Malhakai appartient à Carol O'Connel.

Chapitre 2

Je ne suis pas Wendy

Le premier regard qui croisa le sien, lorsqu'elle rentra dans la demeure qu'elle partageait depuis quelques semaines avec son mari et son fils, fût celui que lui renvoya son reflet à travers le miroir qui surmontait l'une des commodes du couloir menant à sa chambre. Elle avait cessé depuis longtemps de fuir les miroirs, elle avait cessé depuis longtemps de haïr celle qui se dissimulait derrière ces maudites parois de verre. En tout cas, il y a un an de cela, elle avait bien cessé de le faire… Mais avec ce qui s'était passé entre temps… Après avoir de nouveau entendu sa propre histoire, de la bouche d'un des reflets qui se dissimulaient dans ce maudit monde inversé…

Maintenant, elle ne savait plus si elle devait briser la porte de ce monde de cauchemar qui scintillait devant elle, ou fuir à nouveau, de peur d'être absorbé de l'autre côté de ce seuil qui s'étendait à quelques dizaines de centimètres d'elle…

Elle ne haïssait plus son reflet certes. Bien au contraire, elle avait fini par l'aimer plus que tout au monde, et continuait d'ailleurs de le faire, mais c'était justement pour cela qu'il lui faisait plus peur à présent qu'il ne l'avait jamais fait auparavant… Et c'était aussi pour cela qu'il la maintenait plus que jamais sous son emprise…

« Pourquoi est ce que tu as tellement peur de me perdre, Alice ? Je suis ton reflet et tu es le mien, alors si l'une de nous deux disparaissait, tout ce que l'autre aurait à faire pour la retrouver serait d'aller devant un miroir, non ? »

La promesse d'une petite fille à une adulte emprisonnée dans un corps de petite fille…et le cauchemar d'une petite fille emprisonnée maintenant dans un corps d'adulte… Le cauchemar…ou le rêve ?

La petite fille ne savait pas si elle pourrait faire la distinction entre ces deux univers… Elle n'arrivait toujours pas à le faire tandis qu'elle posait doucement la main sur la paroi de verre qui la séparait de sa jumelle. Elle était froide, aussi froide que le cadavre de sa sœur qu'elle avait serré dans ses bras au beau milieu de cette maison en flamme… Et ce contact glacial lui rappela instantanément que le visage familier qui lui faisait face était celui d'un fantôme…Un fantôme qui n'avait cessé de la hanter depuis plusieurs mois… Depuis la première fois qu'il avait franchi la mince paroi de verre, pour aller enlacer celle qui regrettait la présence de celle qu'il avait été dans une autre vie…

A quand remontait la première fois d'ailleurs ? Elle n'avait pas besoin de consulter sa montre gousset pour le savoir, elle le savait parfaitement…

« C'était il y a sept mois, six jours, quatre heures et…des poussières… »

Où cela avait-il eu lieu ?

« Dans une prison… Une prison où j'étais seule…Seule avec mes regrets, mes cauchemars…et le fantôme de l'une des deux seules personnes qui pouvait les dissiper… »

De quel miroir le fantôme s'était-il échappé ?

« Mon miroir à main… Le miroir devant lequel j'étais en train de me recoiffer… Une petite porte qui s'ouvrait sur le monde où mon reflet était retourné… Une petite porte qu'il a franchi de nouveau… »

Et cette porte là, devant laquelle elle se trouvait, allait-elle s'ouvrir à nouveau ? Et si elle le faisait, que ressentirait-elle ? De la peur…ou de la joie ? Ou la terreur de ressentir de la joie pour cela ?

Elle attendit plusieurs minutes la réponse à ces questions, mais fort heureusement, la réponse silencieuse que lui donna la surface réfléchissante fût celle qu'elle voulait entendre… La porte demeura close, et le reflet demeura sagement derrière… Mais par contre… Le monde qui entourait cette porte commença doucement mais inexorablement à devenir aussi irréel et impalpable que celui qui s'étendait de l'autre côté du miroir… Comme cela aurait été plus simple s'il l'avait fait d'une manière plus logique ou en tout cas plus conforme à la logique des contes de fées dont elle raffolait tant…

Oui, cela aurait été plus simple si, par exemple, il s'était mis à se dissoudre dans un océan de couleurs délavées, comme une aquarelle sur laquelle on aurait doucement versé de l'eau, ou encore s'il avait été brusquement englouti au sein d'une brume mystérieuse, qui en aurait petit à petit effacé les contours pour lui donner un aspect onirique… Mais non, cela ne se passa pas comme cela… L'anglaise frissonna au fur et à mesure que la sensation absurde s'insinua insidieusement en elle au point de devenir une certitude… Ce n'est pas la mince plaque de verre qui se fissura doucement, pour se transformer instantanément en une poussière tellement fine qu'elle en était invisible, libérant ainsi le monde qu'elle emprisonnait… Non, c'était les murs de sa maison qui s'effritaient, c'était sa propre maison qui était devenue un miroir…

Oh certes, il n'y avait aucun signe visible de cette horrible transformation… Il n'y eût pas de fumée rosâtre pour tourbillonner sur la scène, comme c'était le cas dans les spectacles de Toichi Kuroba, le concerto de Louisa ne se mit pas à retentir non plus, comme il le faisait dans les spectacles de Malhakai au moment où il ramenait son épouse défunte d'entre les morts, cette épouse invisible mais qui n'en était pas moins présente… Non, il n'y eut aucun effet dramatique autour duquel aurait pu se cristalliser son angoisse, mais elle n'en était pas moins là, d'autant plus intense que ce qui en était la cause n'était pas réel et demeurait invisible pour l'instant… Oui, le spectre de sa sœur était invisible, mais elle ne sentait pas moins sa présence derrière elle, de même qu'elle sentait à présent le doux parfum de roses qui avait toujours imprégné sa jumelle… dans sa vie…comme dans sa mort…

Alice ferma doucement les yeux, si elle croisait de nouveau le regard de son reflet, les choses empireraient, elle le savait… Mais elle savait aussi que cela ne rendrait pas cette présence moins obsédante pour autant…Cette présence aussi inquiétante que rassurante. Elle le savait mais pourtant elle ferma les yeux, jusqu'à ce que la peur la pousse à les rouvrir… Pour se rendre compte que la maison où elle s'était réfugié auprès de son mari et de son fils avait fait place à la prison où ils l'avaient enfermé, il y a un peu plus d'un an de cela… Non, la prison où elle s'était enfermée elle-même, de même que c'était d'elle-même qu'elle s'enfermait à présent dans la folie… Et le miroir… Oui, il y avait toujours un miroir, mais ce n'était plus le miroir de la commode, seulement son miroir à main… Ce miroir qui ne lui renvoyait plus son reflet mais celui d'une autre… Oui, à présent, c'était elle qui était le reflet et non l'inverse, à présent c'était elle qui se sentait irréelle tandis que son reflet s'imprégnait d'une terrifiante sensation de réalité…

Ce reflet qui ne s'appelait pas Alice…mais Helen… Ce reflet qui lui souriait tendrement tandis qu'il absorbait petit à petit toute son existence pour donner corps à la sienne, avec autant de voracité qu'un vampire absorbait le sang de sa victime… Mais ce qui était effrayant pour la prisonnière, ce n'était pas ce vampire qui vivait de l'autre côté du miroir, c'était plutôt la béatitude qu'il suscitait chez sa victime… Oui elle était heureuse de mourir doucement pour ce monstre qui se ferait une joie de l'emmener loin de ce monde de cauchemar qui était devenu sa réalité, ce monstre qui l'emmenerait se réfugier dans un monde de rêve, un monde qu'il aurait façonné à partir des derniers lambeaux de son esprit qu'il était en train de lui arracher… Un monstre identique à celui qui lui avait arraché sa mère jadis, un monstre qui portait le doux nom de folie…

Retirant doucement ses lunettes pour les poser sur le rebord de la table de sa cellule, aux côtés de son miroir, la prisonnière se leva de sa chaise en se frottant doucement les yeux, mais il était trop tard et elle le savait… C'était avant qu'elle aurait du retirer les verres maudits qui lui permettait de contempler autre chose qu'un mélange de couleur et de formes aux contours brouillés… Avant que les parois de verre du miroir ne se soient ouvertes pour libérer celle qui allait se faire un malin plaisir d'exaucer ses prières…

La nouvelle passagère de la nef des fous se mit à perdre doucement son équilibre tandis qu'elle sentait le sol de sa nouvelle prison se mettre à tanguer, cette prison qui flottait dans un océan perpétuellement agité, celui de ses rêves, cette prison à la barre de laquelle se tenait sa sœur…

S'agenouillant doucement sur le sol glacial de la prison où son corps se trouvait, l'anglaise s'efforça d'arracher son esprit de celle dans laquelle il était en train de basculer…

« Je ne suis pas folle…Je ne suis pas comme maman…Les fous ne savent pas qu'ils sont fous, alors si j'ai peur de devenir folle, c'est bien que je ne le suis pas… Oui, je ne suis pas folle… Mais si je pense que je ne suit pas folle… Si j'en suit tellement persuadé…Ca veut dire…que je le suis, non ? »

Alice frissonna tandis qu'elle sentit la présence de sa jumelle… Elle ne la voyait pas, mais elle savait qu'elle était agenouillée auprès d'elle… Elle sentait le doux parfum de rose qu'elle affectionnait tellement… Non, sa propre bouteille de parfum avait du s'entrouvrir, voilà tout… Oui, elle avait du oublier de la refermer, il ne fallait pas cherche plus loin… Après tout elle l'avait tellement ouverte ces derniers temps pour renifler cette douce odeur qui lui rappelait sa sœur…

Mais elle sentait aussi les doigts impalpables de son reflet lui caresser doucement les cheveux… Non, ce devait être le vent qui s'était engouffré à travers les barreaux de la fenêtre de sa cellule… Mais elle entendait aussi un murmure, celui de sa sœur lui disant qu'elle serait toujours auprès d'elle pour la rassurer, toujours… Non, ce devait être le vent, une fois encore… Mais elle sentait bien qu'elle n'était plus seule dans cette cellule… Non, ce n'était pas sa sœur, seulement son désir de ne plus se sentir seule dans cette prison… Son désir de voir celui qui l'y avait envoyé lui rendre visite au moins une fois…

Oui, si elle pouvait le revoir au moins une fois, une toute dernière fois, alors elle n'aurait plus besoin de sa soeur. Mais cela faisait six mois, trois jours, deux heures et…des poussières qu'elle ne le voyait plus… D'ailleurs, pour ce qu'elle en savait, il avait quitté l'Angleterre pour aller vivre auprès de son père, c'était bien la preuve qu'elle ne le reverrait sans doute plus jamais… Bon, mais il lui restait son époux qui continuait de lui écrire régulièrement, non ? Oui, il lui envoyait des lettres, il lui en enverrait toujours mais cela ne suffirait jamais… Non, cela ne suffirait jamais à dissiper les cauchemars comme la solitude…

Alors qu'est ce qu'il lui restait pour cela? Qui est ce qu'il lui restait pour cela ? Atsushi ? Oui, il ne l'avait certainement pas oublié, et si elle le lui demandait, il la ferait sortir de cette prison… Mais à quel prix ? Elle le savait, si elle acceptait de repasser de l'autre côté du miroir à nouveau… Et cela elle ne le ferait jamais, non jamais… Bon, mais elle pouvait toujours lui demander de lui rendre visite, non ? Cela, après tout, ne l'engageait à rien… Cela faisait…Oh, pour une fois, elle se moquait bien de savoir combien de temps s'était écoulé depuis la dernière fois qu'ils s'étaient vu, pas assez de temps à son goût, voilà tout…

Il devait pourtant y avoir au moins une personne capable de la sauver de la folie et de la solitude, il fallait qu'il y en ait une… Mais qui ? James ? Après tout, il venait bien la voir de temps en temps pour l'interroger … A défaut de garder un silence obstiné à ses questions, elle pourrait au moins lui parler, sans pour autant lui donner les réponses qu'il désirait tant… Non, non et non…Elle préférait sombrer dans ce gouffre qui l'avait toujours terrifié que de se servir de celui qu'elle haïssait le plus au monde comme planche de salut…

Oui, pourquoi lutter contre la folie après tout ? La folie valait toujours mieux que la solitude, non ?

La folie… Devenir folle au fond d'une cellule… Elle pouffa de rire à cette pensée… Son deuxième magicien favori avait du quand même passer dix ans dans une cellule en Corée pour en arriver là, elle avait passé à peine plus de six mois dans la sienne… Etait-elle aussi faible que cela sans sa grande sœur, son mari et son fils ? Mais après tout… Cela ferait bientôt dix ans qu'Helen était morte, non ? Dix ans qu'elle avait passé dans la terreur de voir l'organisation lui arracher son mari en l'assassinant, dix ans dans la terreur de voir le FBI lui arracher son fils en lui révélant la triste vérité sur sa mère indigne, dix ans dans une prison après tout… Dix ans dans une prison où l'avait enfermé ce maudit petit magicien de foire qui lui avait sauvé la vie, alors qu'elle agonisait devant la maison en flamme qui servait de tombeau à sa sœur…

Sa sœur… Sa sœur qui était là à la consoler, sa sœur qui avait tenu sa promesse contrairement au petit charlatan qui avait été incapable de ressusciter sa mère comme de se ressusciter lui-même… Pourquoi la rejeter ? Pourquoi rejeter la folie quand elle portait le doux nom d'Helen ? Pourquoi faisait-elle cela ?

Se tournant doucement vers la présence qui avait envahi la cellule, Alice se blottit doucement contre elle, frissonnant de peur autant que de joie lorsqu'elle se rendit compte qu'elle sentait bien les bras glacial de sa sœur se refermer autour de sa taille, pour la serrer contre un corps exsangue…

« Oui, je suis folle…mais au moins, je ne suit plus seule… »

Il valait mieux être folle mais heureuse que saine d'esprit et désespérée… Qui lui aurait dit le contraire ?

« Alors voilà pourquoi tu avait fait cela, maman… Voilà pourquoi tu avait fait cela, Malhakai… Voilà pourquoi vous vous êtes laissé doucement sombrer dans la folie, tout les deux… Pauvre petit magicien de foire, tu aimait tellement ta Louisa que tu t'es senti obligé de la ressusciter, et au lieu de vendre ton âme pour cela, tu as vendu ta raison… Cette raison que tu as consciemment détruit après que dix années d'emprisonnement l'avaient déjà suffisamment ébranlé pour cela… Comment se fait-il que j'aie mis tellement de temps à comprendre pourquoi tu avais embrassé ce monstre que je passais mon temps à fuir ? La folie… Ce sont ceux qui sont fous qui la fuient… Non, ceux qui ne sont pas seuls…Et moi, je suit seule maintenant…Toute seule… »

Et elle resta seule dans son rêve… Combien de temps y resta-t-elle ? Elle ne savait plus… Elle ne voulait pas savoir… Le temps n'avait plus aucune importance dans le monde où elle s'était emprisonnée avec le fantôme de sa sœur… Le couvercle de sa montre gousset resta fermé tout le temps qu'elle y passa…Contrairement à celui de celle qu'elle avait offerte à son fils quand il lui rendit enfin visite… Cette montre en argent… En argent comme les trente deniers de judas aurait dit Sharon avec un sourire narquois… La montre de ce fils qui s'était enfin décidé à lui rendre visite, et pour lui offrir un cadeau du fils de Toichi pour couronner le tout…

Mais peut-être que cette visite était un don de sa folie, elle aussi ? Est-ce qu'elle commençait à être hanté, non plus seulement par les fantômes de personnes mortes et enterrés, mais aussi par les fantômes de personnes encore en vie ? De toutes façon, qu'est ce que cela pouvait bien faire ? Cela l'avait rendu heureuse, voilà tout… Et ce diamant que lui avait offert le Kid, qu'il soit réel ou un produit de sa folie, il lui avait permis de ressusciter un second fantôme… Celui du père du voleur... Maintenant, elle n'était plus seule, elle avait deux fantômes pour lui tenir compagnie. Que demander de plus ?

Deux fantômes… Non, il n'y en avait plus qu'un seul, maintenant… Celui de son seul ami… Même si elle ne le voyait plus sans ses lunettes qui prenaient la poussière depuis la dernière, non la seule visite de son fils, elle savait que c'était lui…

« Pourquoi est ce que tu es venue ce soir, Toichi ? Pour t'excuser de ne pas avoir tenue ta promesse ? Pour t'excuser de ne pas m'avoir démontré que la magie existe ? »

« …ou bien pour entendre mes propres excuses ? Une fois de plus… »

Pour toute réponse, le fantôme s'empara doucement des lunettes qui reposait sur la table chevet de la prisonnière, pour les poser sur son nez après les avoir convenablement essuyé à l'aide de sa cape blanche… C'était bien la première fois qu'elle voyait un de ses fantômes au lieu de simplement sentir sa présence mais pourquoi pas ? C'était une bonne chose, cela prouvait qu'elle s'enfonçait un peu plus dans sa folie, et que la dernière petite étincelle de lucidité qui l'empêchait de sombrer définitivement dans ses rêves allait bientôt s'éteindre…

Ce petit farceur de Toichi… Même après sa mort, il ne changerait jamais… Venir la hanter en ayant endossé le costume de Kid the Phantom thief… Franchement…

Mais… Non, ce n'était pas lui… Ce fantôme n'était pas celui qu'elle avait cru mais pourtant… Pourtant il lui ressemblait tellement…et il ressemblait tellement à ce petit garçon qui avait vainement attendu que son père sorte de sa tombe… Non, il ne pouvait quand même pas s'agir de…

Se redressant doucement sur son lit, la prisonnière contempla d'un air éberlué le voleur souriant qui était à son chevet, ce voleur dont le costume blanc était éclairé par la pâle lumière de la lune… La lune qui brillait de l'autre côté d'une fenêtre dont tous les barreaux avait disparus…

« C'est un rêve ? »

Le ton avec laquelle elle avait prononcé cette question, le même ton qu'elle aurait eu, il y a plus de trente ans, si Toichi avait ouvert la tombe de sa mère pour la ressusciter, arracha un énième sourire au voleur. Un sourire mi-attendrie, mi-amusée…

« Oui… C'est un rêve… Après tout, c'est mon rôle de permettre aux gens de croire que leurs rêves se sont réalisés… Même si ce n'est que le temps d'un spectacle…C'est le rôle du magicien… »

Etait-ce son imagination ou est ce qu'il y avait eu de la mélancolie dans le sourire énigmatique du gentleman cambrioleur qui avait pris la place de son père?

De toute façon, la mélancolie s'était déjà évanouie si elle avait été présente…

« Mais pour une fois, j'ai envie que cela dure un peu plus longtemps qu'un spectacle… Non, en fait j'ai envie que le spectacle dure un peu plus longtemps… Un peu plus longtemps que celui qui s'est arrêté trop tôt, beaucoup trop tôt à mon goût… »

Tout en murmurant doucement ces paroles sibyllines, le voleur souleva doucement dans ses bras la prisonnière qui était trop décontenancée et incrédule pour faire le moindre effort pour l'en empêcher…

Se rapprochant de la fenêtre de la cellule, le nouveau venu se hissa avec adresse sur son rebord avant de se pencher sur son précieux fardeau.

« Et je tient toujours mes promesses de toutes façons… Que je les fasse à un détective idiot ou à une de mes admiratrices… »

L'anglaise eût un sourire désabusé face aux paroles de son ravisseur.

« Tel père, tel fils, décidément… Les mêmes petits charlatans qui font des promesses, qu'ils ne peuvent pas tenir, à des idiotes qui sont assez bêtes pour y croire… Des idiotes comme moi… »

Alice tressaillit au moment où le cambrioleur s'élança dans le vide sans une seconde d'hésitation… Etait-elle en train de subir le même sort que sa mère ? Est-ce qu'elle s'était emprisonné dans sa folie au point de se précipiter vers sa propre mort sans s'en rendre compte, elle aussi ? Et de la même façon ? Helen aurait trouvé cela ironique…

La terreur laissa la place à l'émerveillement sur le visage de celle qui était dans les bras du voleur, quand les ailes de son deltaplane se déployèrent, pour les soulever tout les deux dans les airs… Ce fantôme là était bien réel… Et s'il la libérait de cette prison, ce n'était pas de la façon dont elle avait craint qu'il le fasse…

Baissant les yeux vers le sol, elle contempla d'un air amusée le visage éberlué des gardiens de la prison. Les malheureux fonctionnaires se demandaient s'ils étaient en train de rêver ou si leur prisonnière s'était réellement transformée en un ange qui s'envolait loin de sa cellule… Oui, ils devaient s'être endormie pendant leur service, autrement comment expliquer le fait que, vu d'en bas, la prisonnière semblaient avoir déployé une gigantesque paire d'aile d'un blanc immaculé, tandis qu'elle s'élançait vers le ciel entourée d'une nuée de colombes qui était apparu de nulle part ?

Tournant son regard vers les remparts au delà desquels le voleur l'emmenait, sa victime écarquilla de nouveau les yeux en apercevant celui qui était installé en haut de l'une des tourelles qui les surmontaient… Cet adolescent en costume de Sherlock Holmes dont le vent soulevait les mèches de cheveux auburn, cet adolescent qui contemplait d'un air désabusé l'évasion qu'il ne regrettait absolument pas de ne pas avoir fait échouer…

Frissonnant à la vision de son fils, ce fils qui l'avait emprisonné ici il y a plus d'un an et qui était tout à fait capable de le faire de nouveau, l'anglaise se blottit contre l'adversaire du détective. Autant pour qu'il la protège que pour le protéger de son geôlier… La lumière de la lune avait fait scintiller le revolver qu'il tenait dans sa main, ce revolver qu'elle lui avait offert un jour, avant de convaincre son époux d'apprendre à leur fils à s'en servir… Est-ce que le caprice qu'elle avait accordé à son petit Sherlock Holmes allait se retourner contre elle et son Arsène Lupin ? Cet Arsène Lupin qui adressait un sourire de défi à son ennemi tandis qu'il était dans sa ligne de mire…

Mais le détective garda le bras baissé tandis qu'un certain voleur lui dérobait, une fois de plus, un joyau dont il avait la garde…Pourquoi faisait-il cela ?

Etait-il trop décontenancé pour réagir ? Etait-il trop fier pour aller jusqu'à assassiner l'adversaire dont il n'avait pas réussi à faire échouer les plans ? Ou bien…voulait-il que le voleur réussisse son crime, cette fois ?

Alice n'eût pas le temps de répondre à ces questions, ils étaient déjà hors de portée du détective…

Il n'y avait plus rien pour s'interposer entre elle et la liberté, et puis… il y avait peut-être une chance pour que…son fils lui ait pardonné…

« Tel père, tel fils, oui… Alors toi aussi, Saguru… Toi aussi, tu as fini par laisser s'échapper une criminelle que tu avait démasqué...Comme l'avait fait ton père avant toi… »

« C'est un rêve…Un rêve éveillé… »

Le sourire du voleur s'élargit légèrement tandis qu'il songea que c'était la seconde fois qu'il tenait une criminelle entre ses bras, une criminelle qu'il était en train de sauver… Que lui dirait grand-mère Senma si elle voyait cela ? Que cela commençait à devenir une habitude sans doute… Bah, cela ne le dérangeait pas… Peut-être qu'il devrait rendre visite à cette vieille femme désabusée au fond de sa cellule, elle aussi… Cela lui ferait sans doute plaisir… Oui, sûrement… Peut-être qu'elle aussi récupérerait son sourire s'il lui racontait le tour qu'il venait de jouer au détective dont elle l'avait sauvé en se jetant dans le vide… Oui, décidément, c'était un vrai plaisir d'enlacer une de ses collègues, fut-elle une meurtrière…

« Eh oui… Mais après tout, c'est le rôle de Peter Pan de permettre à la petite Wendy de s'envoler, et c'est son rôle de lui faire comprendre que les rêves peuvent se réaliser si on y croit très fort… »

La petite Wendy en question eût une expression renfrognée, digne d'une petite fille à qui il avait murmuré les mêmes paroles, il y a quelques semaines…

« Ce n'est pas le bon conte de fée… Je ne suis pas Wendy, je suit la petite Alice et là, je suit en train de tomber dans le terrier du lapin blanc… »

Décontenancé, autant par les paroles de la criminelle que par la manière dont elle se blottissait dans ses bras, de la même façon que l'aurait fait une petite fille dans les bras de son père, le voleur se mit à sourire.

« C'est la seconde fois que je rencontre une petite fille qui aimerait mieux être Alice restant dans le pays de merveilles que Wendy demeurant dans le pays imaginaire… Dites moi, est ce que Saguru aurait une sœur jumelle dont il ignorerait l'existence ? Si c'est le cas, ça ne me déplairait pas de lui voler un deuxième joyau sous son nez… »

Une lueur de tristesse illumina les yeux de l'anglaise.

« Non, Saguru n'a pas de sœur jumelle, contrairement à moi… Peut-être que tu as rencontré sa cousine. Après tout il en a une, en un sens… Mais ça m'étonnerait que tu l'ai retrouvé… C'est impossible que deux de mes rêves se réalisent… Un seul, c'est déjà étonnant… »

Le voleur dissimula ses émotions derrière l'expression indéchiffrable qu'il avait héritée de son père avant de sourire de nouveau.

« Et pourquoi cela ? Je suis celui qui peut rendre possible l'impossible… Après tout, j'ai réussi à ressusciter mon père, non ? Tout comme il avait ressuscité son idole en créant le Kid… »

Poussant un soupir tout en souriant d'un air désabusé aux paroles du voleur, l'anglaise se demanda une fois de plus si ce rêve était réel, ou si c'était une autre hallucination provoquée par sa folie…

Visiblement oui, puisque l'air glacial de cette nuit étoilée avait laissé la place à la sensation encore plus glacial du sol sur lequel elle était effondrée… Sans ses lunettes, elle n'avait aucun moyen de s'assurer qu'il s'agissait du sol de sa prison ou bien de celui de cette maison où son rêve s'était poursuivi… Mais elle préférait pencher pour la seconde solution…

Après tout, elle en avait assez de passer sa vie emprisonnée dans sa folie, autant en finir dès maintenant… Le fantôme de sa sœur ne la remplacerait jamais vraiment, et le fantôme de Toichi ne remplacerait jamais le petit charlatan qui lui avait fait croire en l'existence de la magie, le temps d'un spectacle… Un spectacle dont les reflets de ses parents dans le monde inversé s'étaient amusés à tirer le rideau il y a plus de dix ans de cela… Oui, Sharon et Atsushi avait définitivement assassiné son lapin blanc, de peur qu'il ne l'entraîne au fond de son terrier, vers la porte du pays des merveilles…

Elle avait définitivement passé l'âge de croire aux fantômes que l'imagination d'une petite fille créait pour se protéger de la solitude… Qu'il s'agisse des fantômes de personnes mortes ou vivantes…

Avait-elle vraiment passé l'âge de croire en ses rêves ? Peut-être que non puisqu'à présent elle sentait la présence de deux autres fantômes penchés sur elle… Les fantômes de deux personnes bien vivantes, cette fois… Ceux de son fils et de celui du petit charlatan…

Peut-être qu'elle allait attendre un peu avant de s'éveiller ? Oui, encore un peu… Un tout petit peu…

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Note de l'auteur : La grand-mère Senma est la criminelle à qui Kaito sauve la vie dans le volume 30 de détective Conan.