Chapitre 5

Les liens du sang

Le vieux savant toussota d'un air gêné, pour dissimuler à celle qui lui faisait face, le trouble qu'elle provoquait chez lui.

Agasa avait beau avoir dépassé le cap de la cinquantaine, à l'instant présent, il avait l'impression d'être un adolescent lors de son premier rendez-vous galant… D'ailleurs, c'était de toutes façon son premier rendez-vous galant…Toute sa vie il avait été quelqu'un de timide, et toutes ces années à essuyer le mépris et les moqueries de ses collègues malgré ses efforts n'avaient pas arrangé les choses…

Et la scène était tellement surréaliste, retrouver son premier amour après plus de quarante ans, et se rendre compte qu'il ne vous avait pas oublié. Il avait toujours du mal à croire qu'il n'était pas en train de rêver…

Cela faisait plusieurs minutes qu'ils étaient assis l'un en face de l'autre, dans ce salon de thé, et pourtant aucun d'eux n'avait adressées la parole à l'autre… Le professeur avait pourtant passé la veille à réfléchir aux sujets de conversation qu'il pourrait aborder avec elle, mais il les avait malheureusement tous oublié tandis qu'il contemplait le visage de celle qu'il avait invité… Un visage qui, malgré les rides minuscules qui avaient commencé à y apparaître, était toujours à ses yeux celui de cette petite fille craintive qui dissimulait ses cheveux blonds sous un chapeau qu'elle enfonçait jusqu'à ses sourcils… Les choses n'avaient pas tellement changé, elle portait toujours un chapeau…mais cette fois il ne dissimulait plus les fils soyeux dont il avait comparé la couleur à celle des feuilles de ginkgo…

Et malgré la maturité de son expression, c'était toujours la même candeur qui se reflétait au fond de ses yeux bleus… La même candeur et la même timidité tandis qu'elle les détournait en rougissant légèrement…

« Tu n'as pas changé…Fusae… »

Fusae… Dire qu'il avait attendu quarante ans avant de connaître seulement son prénom…

« Toi non plus…Hiroshi… »

Le savant sentit le rythme de son cœur s'accroître devant le sourire nostalgique avec lequel elle avait prononcé ces mots…

« Au moins maintenant…tu ne cache plus tes cheveux…tu sais, je n'ai jamais osé te le demander mais… J'aurais tellement voulu que tu enlèves ton chapeau pour que je puisse les voir plus souvent… »

Agasa baissa timidement les yeux, presque honteux d'avoir fait cette remarque.

« Tu sais… Si tu me l'avait demandé…j'aurais peut-être accepté… ; »

« Vraiment ? »

Le vieux savant avait prononcé ces mots avec le même ton que celui d'un petit garçon incrédule et joyeux, à qui son père aurait promis de l'emmener dans un parc d'attraction

« Oui…Depuis ce jour…Ce jour où le vent m'avait arraché mon chapeau…Il y avait au moins une personne devant qui je n'avais plus peur de me montrer telle que j'étais vraiment…Une personne qui ne me regarderait pas de la même façon que je regardait les animaux avant que je ne la rencontre… Mais pourtant…pourtant j'ai toujours peur que cette personne voit ma vraie nature et me déteste après cela…C'est…ridicule, hein ?»

Agasa sentit son cœur se resserrer devant la tristesse qui avait supplanté l'innocence dans le regard de son amie d'enfance.

« Pourquoi est ce que tu dit ça ? »

« Ce jour là…Celui où nous nous sommes retrouvés après quarante longues années, je ne voulais pas que tu me reconnaisse parce que j'avais peur…Peur que tu te moque de cette petite fille naïve qui avait continué d'attendre son premier ami, à l'ombre de ces arbres où ils s'amusaient ensemble…Cet endroit où tu m'avais appris…qu'il y avait au moins une personne qui m'aimait pour ce que j'étais et pas malgré ce que j'étais… »

Agasa demeura silencieux quelques instants en avant que ses lèvres étirés en un sourire attendri ne s'entrouvrent de nouveau.

« Je ne me serais pas moqué de toi…Je ne me suis pas moqué de toi…En fait, c'est moi qui avait peur…Peur de voir que tu m'en voudrais de ne pas être venu plus tôt… Peur que tu sois persuadé que si je ne l'avais pas fait, c'était parce que j'avais oublié cette petite fille et ce que je lui avais offert ce jour là… »

« Une feuille de ginkgo… C'était si peu et pourtant cela représentait tellement de chose pour moi, tu sais… J'ai gardé cette petite feuille d'arbre pendant toutes ces années jusqu'à ce qu'elle s'effrite… Et le jour où elle avait finit par tomber en poussière, j'ai eu peur…que les sentiments…que tu avais peut-être pour moi…en aient fait autant… »

Ce fût au tour de Fusae de baisser les yeux face à l'aveu qu'elle venait de faire indirectement, mais elle finit par les lever de nouveau quand elle sentit une main prendre timidement celle qu'elle avait posé sur la table…Une main qui tremblait autant que la sienne…

« C'est pour ça…que tu as choisi cette feuille comme logo pour ta marque d'accessoire de mode… »

« Oui… Au début, j'avais peur de n'avoir aucun succès, peur de faire face aux moqueries de ceux qui briseraient mon rêve en me montrant que je n'avais aucune chance de le réaliser… Mais lorsque j'ai eu l'idée de mettre ces petites feuilles de Ginkgo sur mes créations…C'était ridicule mais j'ai cru qu'elle pousserait les gens à éprouver la même chose pour moi que ce qu'avait ressenti ce petit garçon qui m'avait appris à les apprécier… Le petit garçon qui m'a donné sans le savoir le courage de réaliser mon rêve… »

Celle qui était une jeune femme aux yeux d'Agasa arborait maintenant un air radieux, comme si le simple fait de lui avoir avoué cela l'avait libéré d'un fardeau.

« Je suit heureux d'avoir pu t'aider…à réaliser ton rêve… »

La peur qu'il ressentait lui aussi, à l'idée de voir sa naïveté tournée en ridicule commençait à s'estomper.

« Et toi, Hiroshi, est ce que tu a pu réaliser ton rêve ? Je me souvient qu'à l'époque tu rêvais de devenir un inventeur, est ce que tu as gardé le même rêve ? »

« Oui… Et c'est la réponse à tes deux questions… Moi aussi j'ai pu réaliser mon rêve grâce à un petit garçon…Enfin ce petit garçon se moquait de moi, lui…Mais c'est quand même grâce à lui que…après toutes ces années, j'ai enfin pu réaliser mon rêve… Ca a pris du temps, beaucoup de temps, mais j'y suis arrivé… Et c'est aussi grâce à une petite fille qui m'avais appris qu'on pouvait surmonter sa peur des autres…Grâce à toi…»

Le silence s'installa de nouveau autour de la table mais il n'était plus accompagné par la gêne et l'incertitude.

« Tu sais…Moi aussi ça m'a pris du temps…En fait, plus de trente ans…Trente ans avant qu'un vieux savant, qui te ressemble un peu, ne remarque mes créations et ne me propose de financer leur lancement… »

« Oh…Et ce savant…Tu l'as épousé ? »

Malgré tous ses efforts, Agasa n'avait pas pu faire disparaître sa peur de voir que quelqu'un d'autre avait profité de son retard pour prendre soin de cette petite fille.

« Oh non… C'était l'actionnaire principal de l'entreprise où je travaillais… Il est veuf et n'a jamais songé à se remarier pour ce que j'en sais…Non, contrairement à toi, je n'ai pas eu le courage de laisser mon enfance derrière moi pour fonder une famille… »

Agasa aurait poussé un soupir de soulagement si l'expression de son interlocutrice n'avait pas été si mélancolique.

« Mais alors…Cet homme dont tu me disait qu'il était ton mari lors de notre dernière rencontre… »

Il n'avait pas pu s'empêcher d'avoir l'idée fantasque qu'elle lui avait menti ce jour là…

« Billy ? C'est un ami de mon père et mon meilleur ami après toi, rien de plus… Je t'avais menti ce jour là pour ne pas que tu te fasses de fausses idées…Tu avais l'air tellement heureux avec tes enfants…a moins que ce ne soit tes petits enfants… Je ne voulais pas m'immiscer dans ton bonheur…Tu avais déjà deux magnifiques petites filles avec toi…Une troisième t'aurait encombré… »

« Je ne me suis jamais marié…En fait, j'attendais toujours le moment…Le moment où j'aurais peut-être la chance de te revoir à nouveau… »

Fusae écarquilla légèrement ses yeux.

« Mais alors ces enfants… »

« Oh, l'un d'entre eux est le fils d'un vieil ami… L'une des deux petites filles….vit chez moi depuis la mort de ses parents…C'est un peu la fille que j'aurais voulu avoir, mais je ne pense pas qu'elle me regarde comme un père…Les trois autres sont leur amis, nous passons beaucoup de temps ensemble… »

Les deux amis d'enfance partagèrent un instant la même expression douce-amère.

« Je vois…Alors, toi aussi…Toi aussi, tu t'es mis à adopter des enfants parce que tu n'osait pas trouver quelqu'un avec qui en avoir…Toi aussi, tu attendais toujours… »

« Tu as adopté des enfants ? »

La métisse détourna les yeux avec une expression gênée.

« Oui et non… En fait, c'était mon travail d'aider les enfants…différents des autres…Ca l'est toujours… Parce que je savais ce qu'ils pouvaient ressentir, je m'efforçais de trouver des applications pratiques à leurs talents… De leur donner un endroit où ils seraient acceptés pour ce qu'ils étaient… »

« Tu t'occupais d'enfants autistes ? Ou handicapés peut-être ? »

« Non, quoique ta première hypothèse n'est pas très éloigné de la vérité… En fait, je m'occupe d'enfants surdoués… Comme je te l'ai dit, je trouve des applications pratiques aux talents qu'ils possèdent sans le savoir… Je leur montre qu'ils n'ont pas à sentir honteux ou effrayés par ce qui pousse les autres à les mettre à l'écart… L'entreprise qui m'emploie recrute la majeure partie de ceux qui travaillent pour eux de cette façon, et lorsque ces enfants ont perdu leur famille à cause de leur particularité, alors elle leur en donne une nouvelle… En fait, cette entreprise, c'est un peu une famille pour ces enfants qui ont perdu la leur… »

« Ton employeur a l'ait d'être quelqu'un de très généreux… »

« Oui…C'est une personne…étonnante…Vraiment étonnante… »

Agasa fût intrigué par le contraste entre le contenu des paroles de son amie d'enfance et la tristesse qu'elle s'était efforcée de dissimuler en les prononçant.

« Tu fait un métier magnifique…alors pourquoi est ce que ça a l'air de te faire souffrir ? »

Fusae tressaillit face aux paroles comme au ton compréhensif de son ami.

« C'est juste que parfois je me demande…si je m'y suis pris de la bonne façon pour leur apporter le bonheur…Plutôt que de leur faire découvrir les talents qu'ils possédaient sans le savoir et de les aider à les épanouir peut-être…Peut-être que j'aurais simplement du essayer de les faire devenir des enfants normaux… Mes enfants…Je les considère comme mes enfants… Ils ont l'air d'être devenu plus fort grâce à moi, d'avoir appris à faire face à ce monde qui les rejetait et qui ne les effraye plus, mais… Mais en fait, ils sont resté des enfants craintifs qui ont peur des autre set s'efforcent de maintenir la plus grande distance possible avec eux…Même s'ils n'en ont pas l'air, ils continuent de souffrir… Il faut croire que je ne suis pas aussi doué que toi… Et que la famille que nous leur offrons n'en est pas véritablement une… Vouloir construire une famille qui ne soit pas basé sur les liens du sang, c'est sans doute un joli rêve et rien de plus… »

Serrant la main qu'il retenait entre la sienne, le savant se mit à sourire à celle qui n'avait plus la force de détourner son regard du sien.

« Tu te trompe, Fusae… Haibara et Conan…Les deux enfants dont je m'occupe… Nous n'avons jamais été liés par le sang et pourtant…nous formons une vraie famille…Et cette petite fille qui est loin d'être aussi forte qu'elle ne s'en donne l'air, je la vois sourire véritablement de nouveau…Et je sais que c'est en partie grâce à moi alors que pendant longtemps, j'ai cru que ma maladresse ne faisait qu'empirer les choses et que loin de l'aider, je la faisait souffrir encore plus… »

Après plusieurs minutes de silence, la créatrice de mode se mit à rendre son sourire au professeur…Mais il y avait toujours des regrets pour se mêler à la joie qui s'y exprimait…

« Hiroshi…Peut-être que si je t'avais rencontré plus tôt… »

« Nous pouvons encore rattraper le temps perdu, tu sait… »

« Vraiment ? »

La mélancolie s'était de nouveau estompée dans le regard de cette petite fille timide qui semblait toujours avoir du mal à croire que ses rêves pouvaient se réaliser. Le savant demeura silencieux face à la question naïve de cette petite fille… Son sourire était une réponse amplement suffisante…

Agasa se retint d'éclater de rire à la pensée que si Conan et Ai étaient deux adultes emprisonnés dans des corps d'enfants, ils étaient, à leur façon, deux enfants emprisonnés dans des corps d'adultes… Mais il parvint à garder son rire enfantin au fond de lui, il ne voulait pas qu'une petite fille soit persuadée, même l'espace d'un instant, qu'il se moquait d'elle…

Le moment d'intimité entre les deux amoureux se prolongea durant une éternité…A moins qu'il ne dura que le temps d'un rêve…Les deux impressions contradictoires cohabitaient dans l'esprit du professeur quand son amie d'enfance finit par y mettre fin en retirant doucement sa main de la sienne avant de se lever.

« Je suis heureuse d'avoir eu cette discussion avec toi…et j'espère…que nous nous reverrons… »

« Et moi j'espère…que nous n'attendrons pas dix autres années pour cela… »

S'il en jugeait au sourire qu'elle lui rendit, il semblait effectivement que son attente ne se chiffrerait plus en années…Agasa poussa un soupir en regardant une voiture s'éloigner à travers la vitrine du salon de thé… La voiture noire qui avait éloigné son amie d'enfance loin des arbres où ils s'étaient retrouvés…mais qui avait fini par lui ramener…

La voiture noire à l'intérieure de laquelle Fusae faisait tournoyer entre ses doigts le chapeau d'un noir de jais qu'elle venait d'ôter.

« Est-ce que je n'avais pas raison lorsque je vous avait dit que votre prochaine rencontre n'aurait pas lieu dans dix ans ? »

Fusae se mit à sourire à son chauffeur.

« Oui… Il n'y a bien eu que deux personnes pour comprendre cette petite fille et ne pas se moquer d'elle après avoir vu ce qu'elle était réellement…Tu ne t'es jamais moquée de moi quand tu m'accompagnait à ces rendez-vous qui se soldaient toujours par un lapin…Si tu l'avait fait d'ailleurs…je ne serais sans doute pas venu à celui où mon premier amour a fini par exaucer le rêve d'une petite fille… »

Une expression légèrement attristée plissa les traits de l'américain.

« Pourtant j'ai l'impression que vous auriez préféré que ce ne soit pas le cas et que cela reste un rêve, non ? »

L'ami d'Agasa se mit à soupirer.

« Décidément, tu me comprends aussi bien qu'Hiroshi… Hiroshi… Je n'ai pas tellement changé grâce à lui, je reste cette petite fille qui a toujours peur de voir de la terreur et de l'incompréhension se refléter dans le visage de ceux qui peuvent la voir telle qu'elle est vraiment… Si un coup de vent malicieux s'amusait à faire s'envoler mon chapeau de nouveau…est ce qu'il réagirait de la même façon qu'il l'a fait la première fois ? J'aimerais croire que oui mais… »

Soupirant de nouveau, la métisse s'empara du dossier qui était posé à côté d'elle avant de le feuilleter.

« Pour une fois, ce n'est pas d'un enfant que nous nous occupons… Quand au talent qu'il possède et qui a éveillé l'intérêt de notre employeur…Je n'ai pas besoin de réfléchir longtemps pour savoir ce que c'est… Nous auront sûrement besoin de Takagi, et je ne pense pas que cela le réjouira de devoir nous aider, mais malheureusement, nous n'avons guère le choix… »

Billy conserva une expression indéchiffrable tout en conduisant.

« Vos collègues de travail…comme vos enfants…Vous vous obstinez à les appeler par leur prénoms… »

Un sourire désabusé plissa les lèvres de la créatrice de mode.

« Tu trouve ça ridicule…Bourbon ? »

L'américain rendit son sourire mélancolique à sa passagère à travers le rétroviseur du véhicule.

« Non… Au contraire… J'ai toujours préféré voir miss Campbell à la place de Scotch…Et c'est si rare de voir un membre de l'organisation m'appeler par mon prénom… »

« Oui, c'est rare… Quelquefois, j'en vient à envier Gin et Vodka, eux, contrairement à nous, n'ont rien à dissimuler sous leur chapeau noir… »

« Certes…Mais vous ne regrettez pourtant pas d'être différent d'eux, je me trompe ? »

Fusae demeura silencieuse en baissant les yeux vers son chapeau. Ce chapeau aussi noir que les cheveux d'une petite fille qui était dans le coma par sa faute…Aussi noir que les cheveux de son petit frère qu'elle avait fini par recueillir lui aussi…Aussi noir que les actes qu'elle avait commis durant les quarante années qui l'avait séparé de son ami d'enfance…

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Réajustant calmement une des mèches rebelles de ses longs cheveux aussi noirs que des ailes de corbeaux, aussi noirs que les uniformes des membres de sa famille, la jeune femme s'efforça de demeurer impassible devant la photographie qu'elle tenait entre ses doigts.

« Rena Mizunashi… Une brillante jeune femme qui a réussi à être diplômé dans la plus prestigieuse école de journalisme du pays à l'âge de vingt ans seulement… Une orpheline qui a réussi à trouver le bonheur qu'on lui refusait grâce à ses efforts… C'est étrange de voir à quel point je lui ressemble… »

« Nous avons remarqué cette ressemblance nous aussi… Pour peu que tu changes ta coiffure et que nous procédions à quelques opérations chirurgicales mineures, elle sera parfaite... »

Kir s'efforça de ne pas détromper Christine Vinyard malgré le fait que ce n'était pas à cette ressemblance là qu'elle songeait.

« Qu'est ce que vous attendez de moi ? »

Elle le savait déjà mais elle continuait pourtant d'espérer qu'elle se trompait.

« C'est tout simple…Il faudra que tu l'observe attentivement sans te faire remarquer… Que tu t'imprègnes de ses habitudes, de sa façon de parler, de penser… Bref que tu estompes toutes les différences qui continuent d'exister entre vous, de manière à ce que votre ressemblance ne soit plus seulement physique… »

« Ce ne sera pas facile… »

« Tu es aussi bonne actrice que moi, cesses de te sous-estimer… »

Là encore, même si elles utilisaient les mêmes mots, ce n'étaient pas le même sens qu'elles leur donnaient… Elle doutait que Christine ait compris quelles étaient les raisons qui inclinaient sa collègue à penser qu'elle serait incapable de ressembler totalement à celle qu'ils lui demandaient d'éliminer pour prendre sa place…

« Je sais mais…Enfin bref, et une fois que la ressemblance entre nous sera parfaite… »

Un sourire narquois plissa les lèvres de l'américaine tandis qu'elle y engouffra une cigarette.

« Alors l'une de vous deux sera de trop, et ce sera à toi de corriger cet état de fait… Nous n'avons besoin que d'une seule Rena Mizunashi… »

Kir soupira.

« Je sais… Et je sais aussi que je n'ai pas moyen de décliner cette tâche malgré mes appréhensions… »

« Ni le FBI ni la police japonaise ne pourrait soupçonner Rena de faire partie d'une organisation criminelle, elle a mené une vie irréprochable et exemplaire jusque là… Et pour toi, ce serait l'occasion de commencer une nouvelle vie, dans tout les sens du terme… »

Scotch adressa à la japonaise un sourire qui se voulait encourageant et compréhensif mais n'en était pas moins mélancolique.

« Il reste un dernier détail que je dois clarifier… Rena a un petit frère n'est ce pas ? La seule famille qui lui reste… Est-ce que lui aussi…est de trop ? »

Christine Vinyard s'efforça de dissimuler derrière un sourire énigmatique le trouble que les paroles de sa collègue avaient fait naître chez elle.

« Bien au contraire… C'est un accessoire essentiel dans le rôle que l'on te confie… Non seulement, il te forcera à le jouer en permanence, jusqu'à oublier que ce n'est qu'un rôle, mais surtout il te disculpera bien mieux que tes talents d'actrice de tout les soupçons que nos ennemis pourraient nourrir à ton égard… Considère-le d'ors et déjà comme ton petit frère, tu seras sa grande sœur dans quelques semaines de toutes façons… »

Kir partagea le sourire mélancolique de Scotch.

« Oui, ce sera mon véritable petit frère de toutes façons…Après tout, nous seront lié par les liens du sang… Oui, nous seront lié par le même sang… »

La criminelle laissa son regard s'attarder sur le petit garçon chétif que Rena serrait dans ses bras sur la photographie, tandis que la tendresse commença à s'entremêler à la tristesse sur son visage.

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Fusae leva de nouveaux les yeux vers son collègue et ami après avoir enfoncé son chapeau sur sa tête… Ce chapeau qui ne pouvait plus dissimuler ses cheveux…Ils étaient trop longs pour cela maintenant…

« Billy… Est-ce que tu crois qu'une famille peut se construire sans être basée sur les liens du sang ? J'ai parfois tellement de mal à le croire même si tant de personnes m'ont convaincus que c'était possible… »

Oui…Tant de personnes… Un vieux savant qui avait recueilli une petite fille… Deux actrices… L'une qui avait vu son sang être versé par celle qui le partageait avec elle… Une autre qui avait réussi à devenir la sœur de quelqu'un avec qui elle ne partageait pas une seule goutte de sang, en tout cas pas de la manière dont elle l'aurait voulu… Et enfin, un petit garçon qui, comme celui qu'elle avait rencontré de nouveau, n'avait pas reculé d'un air horrifié après avoir vu la véritable apparence de celle qu'il aimait…

« Comment est ce que je pourrais ne pas le croire quand vous me le démontrez chaque jour de votre vie ? Quand je vois que vous considérez vraiment vos collègues comme une famille…. »

Cette fois, la tendresse l'emporta sur la tristesse sur le visage de l'amie d'Agasa quand elle leva de nouveau les yeux vers le seul ami qui lui restait à présent… Hiroshi ne pourrait plus être son ami maintenant… Parce que ce petit garçon dont elle était amoureuse n'avait pas changé ? Ou bien au contraire parce qu'elle ne voulait pas le voir changer, si jamais son chapeau tombait de sa tête une seconde fois ?

Fusae demeura dans la même incertitude que le jour où un vieil inventeur lui avait dit qu'il appréciait toujours autant les feuilles de ginkgo…