Chapitre 5
Pourquoi as-tu fait ça ?
Kaito ne savait pas ce qui devait l'étonner le plus chaque fois qu'il rendait visite à Hakuba… L'impression surréaliste qu'il ressentait, chaque fois qu'il était face à ce manoir à l'architecture victorienne au beau milieu de Tokyo, et qui y semblait aussi peu à sa place au beau milieu des bâtiments environnants que le manoir d'une certaine sorcière… Ou bien la somme astronomique qui avait du être investi, aussi bien dans l'achat de la battisse, qui semblait remonter à l'ère Meiji, que dans la mise en place du gigantesque jardin qui l'entourait…
« Dis moi, Saguru… Est ce que ton père n'aurait rien à envier au mien au niveau des infractions à la loi qu'il est censé défendre ? Je veux bien que le plus haut fonctionnaire de la police de Tokyo touche un salaire élevé mais là… Allez, dis m'en plus sur l'aspect plus sombre du personnage, comme ça nous serons quitte… »
Le sourire moqueur du lycéen s'élargit devant l'expression affligée du détective qui s'efforçait de garder son sérieux face à sa provocation.
« C'est ma mère qui a acheté cette maison après son mariage… Et pour ce que j'en sais, elle a eu beaucoup de mal à le convaincre d'y habiter avec lui… Je n'avais jamais compris ses réticences…jusqu'à mon dernier voyage en Angleterre… Il pouvait peut-être fermer les yeux sur les agissements d'une criminelle, mais ce n'est pas pour autant qu'il allait se mettre à bénéficier de l'argent d'un syndicat du crime en toute bonne conscience…»
Un silence pesant suivit les paroles du métis avant d'être brisé par son adversaire dont l'expression sarcastique semblait s'être quelque peu estompé sans disparaître pour autant…
« Tu sais, Saguru…Au départ, je pensait que tu tenais plus de ta mère que de ton père mais il semblerait que tu sois bien le fils de tes deux parents… Dommage, j'aurais bien voulu voir ta tête si tu en étais venu à apprendre que ton frère ennemi…était en réalité ton demi-frère… »
A la réflexion, il pouvait avoir une vague idée de l'expression qui aurait plissé les traits du détective, à partir de la manière dont il le regardait après avoir entendu sa dernière pique…
« Je n'apprécie pas trop le sous-entendu… »
Ravi du trouble de son vieil ennemi, le Kid poussa la cruauté jusqu'à poser une main amicale sur son épaule.
« Oh allez, ne me dit que tu ne t'es pas posé la question, toi aussi… Ta douce maman semblait quand même très bien connaitre un certain voleur comme un certain magicien… Et il y a peu de femmes sur terre qui seraient capables de résister au charme du Kid… »
Contrairement à ce que les apparences laissaient croire, Kaito n'avait pas évoqué cette hypothèse fantasque dans le seul but de rendre fou un certain détective… S'il connaissait mieux que personne Toichi Kuroba, il était forcé de reconnaître qu'il connaissait le Kid à peine mieux que ses deux principaux adversaires… Et la ressemblance frappante entre lui et l'un d'entre eux l'avait parfois poussé à se demander si une certaine actrice n'avait pas poursuivi, de manière bien moins professionnelle et beaucoup plus qu'amicale, l'interview qu'elle avait demandé à son père….A moins que le Kid n'ait dérobé à un autre détective ce qu'il avait de plus précieux, avant de le rendre à son propriétaire légitime, en lui offrant par la même occasion l'honneur d'élever son second héritier… Après tout, les rares notes que le Kid avait laissé dans sa cachette secrète faisaient bien référence à un détective âgé de sept ans qu'il appelait son « grand frère »…
Est-ce que le vieux forban qui lui avait donné le jour avait déjà prévu qu'il prendrait sa relève s'il venait à disparaître ? Et est ce qu'il valait mieux que sa veuve continue d'ignorer la double vie que menait son mari ?
Kaito soupira… Il en venait parfois à se demander si sa mère n'était pas au courant du petit secret qu'il partageait avec son père… En tout cas, elle n'avait jamais fait mine de s'intéresser spécialement au Kid depuis son retour, contrairement à son fils…
Décidément, Kaito commençait de plus en plus à comprendre la frustration que ressentaient ses deux ennemis… Il y avait certains mystères dont il aurait bien voulu connaître la réponse… Quoique… L'idée d'envoyer prématurément un, peut-être deux détectives en maison de repos en leur apprenant qu'ils avaient un lien de parenté avec lui… Elle avait beau ne pas être dénuée d'attrait… Celle que son père avait pu trahir sa mère une, voir peut-être plusieurs fois, était beaucoup moins réjouissante…
Parfois il en venait même à nourrir un embryon de rancoeur vis-à-vis du Kid, ce cambrioleur qui l'avait, en un sens, séparé de son père et continuait de le faire depuis son retour…
« Ton hypothèse a beau être totalement ridicule…elle contient un soupçon de vérité puisque ma mère m'as confié que, sans le Kid, je n'aurais jamais vu le jour… »
L'intérêt poussa Kaito à hausser un sourcil, arrachant ainsi un sourire narquois au détective qui, pour une fois, en savait plus sur le Kid que son insupportable camarade de classe.
« Qu'est ce que tu veut dire par là ? »
Hakuba garda le silence quelques instants, ménageant le suspens et savourant l'irritation du seul spectateur qui formait son public, avant d'abattre brusquement ses cartes.
« Disons que je me suit effectivement posé la même question que toi…Et je n'ai pas manqué de la poser à ma mère, qui m'a donné la réponse que je viens de te donner à mon tour… »
Kaito serra le poing. Il n'appréciait guère de voir les rôles s'inverser avec son vieil ennemi.
« Allez… Tel que je te connaais, tu n'as pas pu t'en contenter… »
Le sourire narquois du métis s'élargit, avant de s'estomper dès le moment où il donna au voleur la réponse à sa question.
« Quand je lui ait demandé si je n'avait pas traqué le fantôme de mon père sans le savoir… Elle m'a souri…avant de me répliquer qu'elle n'avait été intime qu'avec deux hommes dans sa vie, son père et le mien…Son mari… »
Kaito n'arrivait pas à savoir s'il ressentait du soulagement ou de la déception, mais il n'eût guère le temps de s'en préoccuper… La lueur mélancolique qui avait illuminé le regard de son adversaire l'intriguait trop… Est ce qu'il regrettait que son frère ennemi ne soit pas également son frère tout court ? Cela aurait été étonnant de sa part…
« Pourquoi est ce que cela a autant l'air de t'attrister ? »
Hakuba soupira.
« J'ai été assez bête pour poser cette question à ma mère…Et elle a malheureusement eu la gentillesse de me répondre… »
Tournant les talons, le détective se dirigea vers l'entrée de sa demeure, visiblement peu désireux de pousser la conversation sur ce sujet plus loin qu'il ne l'avait déjà fait… Et le voleur sentait instinctivement que ce n'était pas le plaisir de rendre la monnaie de sa pièce à son ennemi, en répliquant à ses questions par des réponses laconiques, qui poussait le métis à agir ainsi…
Poussant un soupir, Kaito franchit la porte de chêne à son tour… Pendant un bref instant, il avait eu l'impression de comprendre les paroles sibyllines du détectives…Un instant qui était vite passé, ne laissant derrière lui que la sensation étrange qu'il valait peut-être mieux qu'il ne connaisse pas la réponse à sa question…
Et de toutes façon, la vision d'une certaine anglaise tremblotante, recroquevillée sur le sol de marbre de la demeure poussa un détective comme un certain voleur à mettre de côté leurs doutes sur les mystères entourant leur passé respectif…
Récupérant les lunettes que leur propriétaire avait abandonnées au pied d'un miroir, Kaito s'apprêta à les replacer sur les yeux myopes où se reflétait une angoisse qu'il n'aurait jamais cru y voir… Mais les paroles qui s'échappèrent des lèvres tremblotantes de celle que son fils avait pris dans ses bras le poussa à interrompre brusquement son geste.
« Ce n'était pas très gentil, Toichi… Non vraiment pas très gentil de me faire croire que je pouvais m'évader de ma prison grâce à toi… Mais après tout, c'est bien toi qui me disais que les magiciens n'étaient que de fieffés menteurs qui passaient leur temps à tromper leur public… »
Les deux lycéens demeurèrent figés par le contenu des paroles de l'anglaise, avant que celui qui avait été le moins affectés par les souvenirs qu'elles avaient fait ressurgir ne se penche vers elle.
« Ce n'est pas un magicien qui vous a sorti de prison mais un voleur… Un voleur qui n'a jamais menti à qui que ce soit… »
Après tout, le Kid n'avait jamais travesti la vérité derrière un mensonge, il s'était toujours contenté de la dissimuler derrière des apparences énigmatiques, que ce soit dans ses messages ou derrière son monocle…
Le sourire mélancolique de la mère d'Hakuba montra amplement à Kaito que ses paroles étaient loin d'avoir eues l'effet escompté.
« Cette petite plaisanterie est un peu trop cruelle, alors arrête ça tout de suite, Toichi… Même si j'ai fait de ton fils un orphelin, de ta plus fidèle spectatrice une veuve, et du Kid un véritable fantôme, tu n'as pas le droit…Tu n'avais pas le droit… »
La révélation soudaine laissa ceux qui l'avaient recueilli pantois… Un détective lui fit face en se demandant laquelle des deux manières de l'interpréter était la plus effrayante à ses yeux… Que la plus grande peur de sa mère se soit réalisée par sa faute ? Ou qu'elle se soit montrée lucide, trop lucide quand elle s'était accusée de ce meurtre devant eux ?
Un voleur, pour sa part, afficha en l'entendant une expression semblable à celle d'un certain détective quand une petite chimiste lui avait révélé pour la première fois son véritable nom…
« Non Toichi… Ta maudite boite de Pandore, garde-la fermé... Tu es déjà mort, en partie à cause d'une autre boite de Pandore, alors ne me tortures plus avec celle-là… Je n'ai besoin que d'un seul fantôme dans cette prison, et ce n'est pas toi… »
Les murmures énigmatiques de la criminelle se perdirent dans un silence glacial, qui finit par être brisé par un détective qui était peu désireux de commettre deux fois la même erreur, en se retenant trop longtemps de poser une certaine question…
« Pourquoi as-tu fait ça ? »
La myope se plongea dans un air absent avant d'en ressortir doucement avec une expression désabusé.
« Je n'ai pas besoin du fantôme d'un être vivant non plus, même celui du fils que j'ai perdu…Enfin, je suppose que si je réponds à ta question, tu cessera de me hanter en me rappelant ce que je ne pourrais plus jamais avoir… »
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Dissimulé dans l'ombre des coulisses de la scène sur laquelle un mannequin achevait de se consumer, victime, aux yeux du public, d'un tour qui était en train d'échapper au contrôle du magicien qui était en train de mourir devant eux, Toichi Kuroba savourait la terreur de ses spectateurs… Elle rendrait d'autant plus intense l'émerveillement qui illuminerait leurs regards quand il réapparaîtrait devant eux, avec son sourire énigmatique, démontrant une fois de plus à son épouse qu'il avait le pouvoir de ressusciter le voleur qui avait dérobé son cœur au moment qu'il le désirait…
Mais un doux parfum de roses qui se mit à l'envelopper ajouta un peu d'amertume à la joie du magicien de combler les attentes de son public… Il y aurait au moins une de ses spectatrice dont il ne pouvait pas concrétiser le rêve, en ressuscitant la personne qu'elle désirait revoir… En fait, il aurait été capable de le faire…mais à quel prix… Il avait eu l'occasion de voir de très près la folie qui avait rongé son meilleur adversaire sur scène, ce magicien qui s'était volontairement laissé piégé dans sa propre illusion, et sa propre éthique lui interdisait de donner au gens le bonheur qu'il désirait en l'arrachant à quelqu'un d'autre… Ne serait-ce que le mari et le fils de celle qui lui réclamait à présent cette folie qu'elle avait toujours fui…
Poussant un soupir en écrasant sa cigarette sous son talon, le père de Kaito se tourna avec un sourire désabusé vers la petite fille timide qui était derrière lui…
« La petite Alice continue de courir après le grand lapin blanc ? »
« Oui…Mais dans ma version de l'histoire, elle se rapproche de sa grande sœur au lieu de s'en éloigner en faisant cela… »
Une lueur mélancolique brilla un court instant dans les yeux du magicien, tant le regard implorant de cette petite fille lui donnait l'impression d'être un pic à glace pointé droit vers son cœur… Cette petite fille qui avait sangloté dans ses bras en le suppliant de l'aider à recoller les morceaux de son reflet, devant la maison en flamme où il l'avait trouvé agonisante…
« Navré Alice, mais tu devrais savoir que ce n'est pas mon genre d'ouvrir les boites de Pandore… Pas n'importe laquelle en tout cas… Il y a peut-être ton espérance à l'intérieur de celle dont tu voudrais que je te donne la clé…mais il y a aussi les pires maux qui puissent affliger ton époux et ton fils… Tu es mieux placé que quiconque pour le savoir… »
La petite fille emprisonnée dans ce corps d'adulte baissa des yeux attristés, même la rose que son ami glissa dans ses cheveux après l'avoir fait apparaître dans un nuage de fumée ne parvint pas à lui rendre son sourire… Au point que Toichi se sentit obligé de la serrer doucement dans ses bras, comme il l'aurait fait avec une petite sœur…
« Si tu continues… Tu vas être en retard, et ton épouse va réellement croire que tu ne ressusciteras pas, cette fois… »
Le magicien resserra son étreinte, en caressant doucement les cheveux écarlates de celle qui lui semblait sur le point de s'effondrer en larmes dans ses bras…
« Elle sait parfaitement que le rideau est loin d'être tiré sur mon spectacle…Et de toutes façons, le lapin blanc est bien censé être toujours en retard, non ? »
Demeurant silencieuse face aux paroles du magicien, la petite Alice referma doucement son bras autour de sa taille pour le serrer contre elle à son tour… Le temps sembla s'arrêter, mais lorsqu'il se décida à reprendre enfin son cours et que la petite fille relâcha son étreinte, celui qu'elle avait emprisonné avec s'effondra doucement à ses pieds…
Fixant son regard sur la gouttelette de sang qui était sur le point de s'écouler, au bout de la longue tige de fer dont elle tenait le manche entre ses mains, la criminelle s'absorba dans cette unique gouttelette scintillante… Elle demeura submergée à l'intérieur de sa couleur préférée quelques instants, avant que son expression rêveuse ne se dissipe dès l'instant où la petite goutte de rouge se détacha, pour aller souiller le vêtement blanc du cadavre qui était étendu devant elle…
Baissant les yeux vers le visage du mort, la sœur d'Helen poussa un soupir… Le Kid s'obstinerait à garder sa face de poker jusqu'au bout… Les paupières qu'il avait baissées à l'instant fatal, tel un rideau sur son spectacle, dissimuleraient à tout jamais à son meurtrier l'expression qui s'était reflété dans les yeux de sa victime… Qu'il ait ressenti de l'incrédulité, du désespoir, de la haine, ou un autre sentiment, il l'avait définitivement emporté dans sa tombe avec tous ses secrets… Renforçant ainsi les tourments de sa meurtrière, qui se demanderait jusqu'à la fin de sa vie si sa victime lui avait pardonné ou non son crime…
Mais elle n'avait guère le temps de s'attarder sur la question… Le temps… Oui, elle ne devait pas essayer de se révolter contre le cours du temps… Si elle le faisait, cette personne rancunière n'hésiterait pas à la punir en exhaussant son souhait, et en l'emprisonnant toute sa vie à l'heure du thé…
Plongeant la main dans la poche de sa veste rouge, elle en extirpa une montre en or qu'elle entreprit soigneusement de remonter avant de la placer entre les mains du mort… Un sourire enfantin plissa les lèvres de la petite fille, contrastant avec la tristesse de son regard… Grâce à ce dernier cadeau, le lapin blanc ne serait plus jamais en retard…Plus jamais…
Au moment où le souffle de l'explosion qui ravagea les coulisses de la scène fit s'envoler les accessoires qui y étaient encore disposés, soulevant un nuage de fumée rose et de cartes à jouer, celle qui en avait été la cause était déjà en dehors de la salle de spectacle…
La pensée que la mort du petit magicien serait attribuée à un effet pyrotechnique qui avait mal tourné, un tour qui s'était retourné contre lui et dont il avait emporté le secret dans sa tombe… Cette spectatrice qui sentirait son cœur se resserrer au moment où elle pressentirait que l'accident en question n'était en aucune façon simulée… Le petit garçon qui applaudirait naïvement à cette nouvelle trouvaille de son père, sans se douter des horreurs dissimulées dans l'envers du décor…
Ses pensées ne submergèrent l'esprit de la meurtrière que plus tard… Bien plus tard… La seule chose qui les occupa quand elle quitta les lieux de son crime fût un petit garçon… Un petit garçon qui l'attendait sur un banc, aux côtés d'un chimiste mélancolique …
Un petit garçon tellement absorbé par la lecture du roman que venait de lui offrir son « oncle » qu'il n'en leva pas les yeux lorsque celui-ci se leva en soupirant, pour se rapprocher de sa mère…
« Pour ce que je peut en voir, tu t'es décidé à tirer le rideau une bonne fois pour toute sur le spectacle de ce petit magicien de foire ?
« Tu connais la réponse alors pourquoi poses-tu la question ? J'ai tenu ma promesse, maintenant c'est à ton tour de tenir la tienne… »
Le vieux scientifique soupira devant le regard lourd de reproche de cette petite fille qu'il avait trahie, juste après qu'elle ait tenté d'en faire de même avec lui… Cette petite fille qui avait essayé de s'échapper de l'autre côté du miroir, en sautant dans le terrier d'un lapin blanc…
« Je ne l'ai pas oublié… Je ne toucherais, ni à ton petit roi de cœur, ni au petit cheval blanc de ton cavalier maladroit…Tu peux le récupérer, et retraverser le miroir de nouveau…Alice… »
« Madame Hakuba… Tu as perdu le droit de m'appeler Alice… Comme celui de me revoir après ça… »
Passant à côté du savant, en lui adressant le même regard qu'une reine au plus répugnant des mendiants qui se traînait en loque à ses pieds, celle qui avait perdu à cet instant son regard naïf de petite fille se dirigea vers son fils…
« Pourquoi as-tu fait ça ? »
La petite Alice se figea sur place, sans pour autant se retourner vers celui qui s'était adressé à elle.
« Pourquoi tiens-tu tant que ça à repasser de l'autre côté du miroir ? Qu'est ce qui peut t'y attirer maintenant que ton reflet à été brisé et le terrier de ton lapin blanc comblé ? »
« Et toi ? Pourquoi m'as-tu proposé cette ignoble petit marché ? Tu espérais que je le refuserais, et que je resterais auprès de l'assassin de ma sœur ? Ou tu voulais que je l'accepte pour ne plus être hanté par le fantôme de ta victime à travers moi ? »
Après un dernier soupir, le scientifique s'éloigna vers la limousine à côté de laquelle l'attendait un homme dont le costume et le chapeau étaient aussi noirs que la voiture de son supérieur…
« Pourquoi est ce que vous ne m'avez pas laissé régler définitivement son compte à ce petit voleur de pacotille qui nous narguait depuis trop longtemps ? »
Visiblement, la frustration de ne pas avoir éliminé lui-même sa proie l'enhardissait suffisamment pour qu'il se mette à faire des reproches à la pièce maîtresse du jeu dont il n'était qu'un pion…
« Ma petite Alice a seulement assassiné un magicien de foire… Ce fantôme dont tu voulais tant nous exorciser, je te l'abandonne volontiers, tu peut te vanter de sa mort devant tes collègues si ça t'amuse…Je t'avoue que cela m'indiffère complètement… »
L'amertume de son subordonné arracha un sourire narquois au fondateur du syndicat.
« Le kid n'a jamais été qu'un fantôme de toute façons…Et les fantômes n'ont jamais existé… Alors tu peux te vanter d'avoir tué l'un d'eux, tu ne diras que la vérité… Une chose qui n'existe plus parce que plus personne ne croit à son existence, tout le monde peut se vanter de l'avoir tué…en cessant de croire en son existence… »
S'installant sur le siège arrière de la voiture dont le tueur lui avait ouvert la porte, le scientifique leva une dernière fois les yeux vers lui avant qu'il ne la referme.
« Mais s'il s'avère que ce fantôme revient nous hanter de nouveau… Alors je te laisserait bien volontiers la tâche de lui démontrer de manière on ne peut plus radicale mon scepticisme à l'égard de son existence… Souvient-toi de cette promesse, mon petit serpent, et vient me la rappeler si je l'oublie…»
Snake se retint à grande peine de pousser un hurlement de rage devant sa frustration… Une frustration qu'il lui faudrait beaucoup de temps pour atténuer en ne cessant de se vanter auprès de ses collègues de l'assassinat du Kid… Ce qu'il ne manqua pas de faire dix ans plus tard devant sa proie,qui avait eu le bon goût de ressusciter, lui donnant ainsi l'occasion de le renvoyer lui-même dans le monde des morts sans qu'il n'en ressorte de nouveau un jour… La joie de penser que son ennemi n'était pas mort de la main d'un autre mais s'était terrée lâchement pendant dix ans en espérant qu'il l'oublie…Elle se lirait sur son visage narquois tandis qu'il pointerait son arme vers celui dont il était persuadé qu'il avait simulé sa mort tout ce temps, de la même façon qu'il le faisait dans ses spectacles ridicules…
Indifférente à l'amertume de celui qu'elle avait privé de sa proie, comme à la tristesse de celui qui lui avait arraché sa sœur comme son seul ami, Alice s'agenouilla doucement devant son fils avec un air attendrie.
« Encore en train de relire Conan Doyle ? »
Le petit métis referma d'un geste sec le livre qu'il venait de finir.
« Non, oncle Atsushi m'as fait découvrir Maurice Leblanc… »
« Et tu apprécie cet auteur ? »
« Non… Son double de Sherlock Holmes est une insulte à mon idole… Lui n'aurait eu aucun problème à arrêter Arsène Lupin… »
Le petit détective en herbe tressaillit quand il sentit sa mère le serrer dans ses bras.
« Saguru…Tu rêves toujours de devenir le nouveau Sherlock Holmes ? »
« Je le suis déjà… »
« Pas encore mon petit… Mais fait tout ton possible pour le devenir… Et ne laisse personne s'interposer entre toi et ton rêve… Pas même ta propre mère… Aucun criminel ne devra te résister…Promets-le moi… »
« Aucun criminel ne pourra résister bien longtemps à Saguru Hakuba, de toutes façons… »
Le sourire triomphant du petit détective, qui ne pouvait pas encore savoir à quel point sa mère avait pensé chacun des mots qu'elle venait de lui murmurer, arracha un pincement au cœur à l'anglaise.
Mais elle finit par dissimuler sa tristesse derrière un sourire attendrie avant de prendre doucement la main de son fils dans la sienne, pour y glisser une montre en argent.
« J'espère que tu en fera bon usage, Saguru… je ne veux surtout pas que tu arrive ne retard, ne serait-ce que d'un centième de seconde… Tu ne dois pas devenir comme le lapin blanc… Et tu dois toujours veiller à te soumettre au cours du temps… Si tu ne le fais pas, cette personne rancunière te punira… »
Hakuba s'amusa à ouvrir et à refermer le couvercle de la montre gousset d'un air amusé, tout en essayant de comprendre les paroles sibyllines de sa mère.
« Pas un seul centième de seconde de retard… Est-ce que cette montre est assez précise pour me le permettre au moins… »
La mère du détective soupira.
« Toute les montres retardent, même celle-là hélas… Mais au moins elle ne retarde que d'un centième de seconde par an… Si tu la gardes, et que tu gardes ça à l'esprit, tu ne devrais jamais arriver en retard… »
« Parfait… Alors je ne veillerais à ne jamais être en retard lors de mes rendez-vous…avec les criminels que je démasquerais…pour leur faire payer leur crime… »
Souriant tendrement à celui qui avait glissé la montre dans sa poche, l'anglaise lui ébouriffa doucement les cheveux.
« Mais s'il te plaît… Ne soit pas trop dur avec tes criminels… Parfois, ils ont d'excellentes raisons d'agir comme ils l'ont fait… »
« Est-ce qu'il y vraiment une raison qui puisse justifier un crime ? Franchement je n'en vois aucune…»
Une lueur mélancolique illumina le regard posé sur le petit garçon qui haussait les épaules d'un air sceptique.
« Tu n'as qu'à demander à tes criminels les raisons qui le sont poussé à tuer… peut-être qu'un jour, tu en rencontrera un qui avait une raison valable… Peut-être…Parce que c'est vrai qu'aucune raisons ne peut justifier…Aucune…ou presque… »
Hakuba s'enfonça dans un air pensif. Une raison qui pouvait justifier un meurtre ? Toutes celles donnés par les criminels, dans les romans qu'il avait lu jusque là, ne lui étaient apparu que comme des prétextes derrière lesquels ils dissimulaient leur faiblesse ou leur égoïsme… Une raison qui pouvait être vraiment valable… Un dilemme digne de ce nom qui s'imposerait au détective… C'était un défi qu'il ne lui déplairait pas de relever… Après tout, même Sherlock Holmes avait fini par laisser des criminels s'échapper parce qu'il partageait leur raisons… Et il voulait devenir le nouveau Sherlock Holmes… Et de plus, il avait promis au prêtre qui lui avait fait découvrir Conan Doyle qu'il ne laisserait jamais son sens de la justice étouffer toute compassion pour les meurtriers qu'il démasquerait…
« Ce n'est pas une mauvaise idée… Je demanderais à chacun de mes criminels pourquoi ils ont agi comme ils l'ont fait, jusqu'au jour où l'un d'eux me donnera une raison valable… »
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Des raisons valables…Oh il avait rencontré des dizaines de criminels avec des raisons valables… Il s'était rendu compte qu'il pouvait y avoir des centaines de raisons valables pour mettre fin à une vie et gâcher la sienne…Mais celle-là… Oui c'était une raison valable…Mais pouvait-il le reconnaître devant son adversaire personnel?
Les deux lycéens demeurèrent silencieux durant…un temps interminable puisque Hakuba n'osa même pas sortir sa montre de sa poche pour le mesurer…
Ce n'est qu'au moment où sa mère se fût doucement endormie sur ses genoux qu'il se décida à briser d'un murmure le silence glacial qui s'était installé
« J'ai rempli ma promesse, Kaito… J'ai posé ma question au criminel qui a assassiné ton père... Et toi, est ce que tu vas remplir celle que tu as faite à ton père ? »
Le magicien leva un regard décontenancé vers le détective.
« La promesse ? »
Il devait bien avouer qu'à l'instant présent, il avait oublié toutes les promesses qu'il avait pu faire à qui que ce soit, tant la révélation l'avait ébranlé…
« Celle de briser sa boite de Pandore sous les yeux du criminel qui te l'avait arraché… »
Les traits de Kaito s'effacèrent derrière l'expression indéchiffrable du Kid… Mais ni l'Arsène Lupin, ni son Sherlock Holmes n'avaient leur sourire narquois et triomphant habituel…
Le lycéen finit par se lever en s'éloignant silencieusement vers la porte de la demeure… Il avait besoin d'un peu de temps pour digérer la vérité… Un peu de temps qu'il devait passer seul…avec son père…
Soupirant tristement, le détective qui avait également besoin d'être seul avec sa criminelle regarda d'un air mélancolique la porte qui venait de se refermer.
« Décidément… Ce voleur ne répond jamais à mes questions… »
