Chapitre6
Les fous rendent fous les sains d'esprit…
Le Blanc… Des murs blancs… Un plafond blanc… Du blanc, du blanc et rien que du blanc… Pas la moindre trace de couleur ou d'humanité dans cette pièce… Pas le moindre meuble non plus, excepté le lit où elle était attachée…
Elle avait longtemps cru que le noir était la couleur la plus appropriée à l'organisation, et qu'ils avaient fait un choix des plus judicieux en faisant d'elle le symbole de son existence, elle se trompait… Le blanc était une couleur qui aurait été tout aussi approprié…
Une couleur qui ne reflétait rien d'autre que le vide, le néant, l'absence de toute humanité ou de toute émotion, l'absence de toute pensée et de toute conscience… Une couleur qui reflétait parfaitement leur vision du monde, comme la manière dont elle était traitée en ce moment même…
Les fantômes en blouses blanches qui hantaient les lieux ne faisaient pas preuve avec elle de plus de compassion qu'elle n'en témoignait jadis à ses rats de laboratoires… Non, en fait ils avaient moins de compassion à son égard qu'elle n'en avait eu pour les malheureux rongeurs qu'elle avait sacrifié pour les recherches qu'ils lui avaient imposés. Il lui arrivait quand même d'éprouver un semblant de pitié pour les malheureux animaux qu'elle torturait, ces animaux qui étaient plus proche d'elle que l'étaient la plupart des êtres humains qu'elle était obligé de fréquenter quotidiennement…
La lueur de terreur qui illuminait le regard des petites boules de fourrures qu'elle serrait entre ses doigts, en s'apprêtant à leur injecter une nouvelle version de sa toxine expérimentale, lui avait toujours serré le cœur… Si cela n'avait tenu qu'à elle, elle aurait cessé sur le champ ses expériences, après avoir ouvert les cages où étaient enfermés ses cobayes, mais elle n'avait malheureusement pas eu la possibilité de le faire… Après tout, la vie de sa sœur était plus chère à ses yeux que celles de ses rats, et interrompre ses recherches auraient été une signature sur son arrêt de mort… Lorsque sa sœur était morte, elle n'avait eu plus rien pour l'empêcher de mettre fin à ce travail qui la révulsait…
Et à partir de là, elle dut franchir la barrière, et passer de l'état d'expérimentateur à celui de cobaye… Contrairement à ce qu'elle avait cru, il y avait une forme d'humour qui existait au sein du syndicat du crime, mais il était un peu trop sarcastique à son goût…
Enfin, à présent, elle était en mesure de comprendre parfaitement ce qu'avait ressenti ses petits cobayes jusque là… Passer toutes ses journées enfermé dans une cage où elle pouvait à peine se mouvoir, une cage où les seules visites qu'elle recevait étaient celle des scientifique venu lui injecter une nouvelle dose de la toxine qu'ils avaient conçu, avant d'observer le plus calmement du monde les effets qu'elle produisait sur leur sujet d'expérience…
Lorsqu'un de ses collègues lui avait demandé, d'un ton dénué d'émotion, ce qu'elle ressentait à l'instant présent, elle avait encore eu suffisamment d'humour pour lui rétorquer qu'elle appréciait beaucoup sa situation actuelle… Après tout, c'était bien la première fois qu'elle était aussi bien placée pour juger des effets d'une toxine expérimentale sur le cobaye à qui elle était injectée, en bonne scientifique, elle trouvait cela des plus intéressant…
Malheureusement pour elle, au fur et à mesure que le temps passait, elle avait de plus en plus de mal à dissimuler sa peur et ses souffrances derrière le masque cynique et sarcastique qui les avait si bien caché jusque là…
Jusque là, Sherry avait toujours été là pour s'interposer entre elle et ses collègues, mais cette écran qu'elle avait dressé entre elle et le monde extérieur était petit à petit en train de se fissurer sous l'effet du poison qui circulait dans se veines… Non pas qu'elle se plaignait de la disparition de ce membre de l'organisation qu'elle haïssait autant que ses autres collègues, non, le problème c'était que Shiho Miyano était en train de se disloquer, elle aussi…
Tout ses souvenirs, toutes ses connaissances durement acquises, ses rêves, ses regrets comme ses désirs… Tous les volumes qu'elle avait soigneusement rangés et classifiés dans cette bibliothèque que constituait son esprit étaient en train de glisser de ses étagères… Elle passait son temps à les ramasser pour les remettre en place, mais elle avait à peine réussi à ramener un semblant d'ordre dans un pan de son esprit qu'une autre partie était déjà en train de s'effondrer, et plus ce supplice s'éternisait, plus elle avait de mal à replacer le bon volume à la bonne place, dans la bonne étagère…
Tout s'entremêlait, la réalité, les hallucinations, ses joies comme ses peines, ses rêves comme ses cauchemars, et il était de plus en plus difficile pour elle de les dissocier à nouveau…
La distinction entre le passé et le présent commençait à n'avoir plus aucun sens pour elle… Au milieu du délire provoqué par la drogue, elle voyait défiler devant elle les spectres de son passé, que ce soit sa sœur, sa mère ou son père… Enfin, le père qu'elle avait eu avant que le fondateur de l'organisation ne prenne sa place…
Et ses fantômes lui apparaissaient auréolé d'une effrayante sensation de réalité, tandis que les êtres vivants qui venaient lui rendre visite au fond de sa cellule lui apparaissaient de plus en plus irréel…
Toute cohérence, toute stabilité était en train de disparaître de son monde, ce monde dont on avait effacé tous les points de repère… Ce monde désespérément blanc et vide… Aussi vide que les étagères de sa bibliothèque… Elle avait fini par se laisser gagner par la lassitude, au point de renoncer à la reconstituer, au lieu de cela, elle s'était effondrée au beau milieu des volumes dispersés sur le sol, au point d'avoir été enfouie sous cette masse de livres éparpillés qui lui dissimulait à présent le monde extérieur…
Ah, une touche de noir au milieu de sa blancheur… Gin… Etait-il venu lui rendre visite ou avait-elle le nez plongé dans le volume relatant toutes les souffrances qu'elle avait subi par sa faute ?
« C'est ironique que les rôles soit inversés à présent, tu ne trouve pas, Sherry ? »
« De quoi est ce que tu parle ? »
Le tueur prit un air faussement peiné.
« Est-ce que tu aurais oublié ? Moi je n'ai pas oublié, comment aurait-je pu ? Ce jour où tu as pris la peine de me rendre visite, en plein milieu de ma cure de désintoxication… »
« Ah oui… Ca me revient… Ce jour où je t'ai vu tel que tu es… Une loque pitoyable, aussi pitoyable que les pauvres rats enfermés dans les cages du laboratoire où je faisais mon apprentissage… »
Une lueur de fureur illumina les yeux de l'assassin, élargissant le sourire sarcastique qui avait plissé les lèvres de la scientifique.
« Alors c'est comme ça que tu me voyait ? »
« Et que je continue de te voir, Gin… Est-ce que tu avais vraiment besoin que je te le dise ? C'était visible rien qu'à la façon dont je t'ai regardé ce jour là… »
Gin serra le poing, s'efforçant de maîtriser sa colère.
« En effet… Mais ce que je me demande, c'est pourquoi tu n'as rien fait d'autres que me regarder ce jour là… »
« Oh, l'idée de te cracher au visage m'a bien effleuré mais ma mère m'avait appris que c'était malpoli de cracher sur les meubles, alors je me suit retenu… »
« Tu sais très bien que ce n'est pas de ça que je veut parler… »
La scientifique soupira. En temps normal elle n'aurait pas manqué de torturer l'assassin avec des réponses aussi évasives que sarcastiques, mais dans son état, elle ne se sentait guère la force de le faire encore longtemps…
« Qu'est ce que tu es venu faire ici, Gin ? Nous savons, toi comme moi, que tu n'as pas encore reçu la permission de me tuer, alors pourquoi ? »
Un sourire narquois s'afficha sur le visage de l'assassin.
« Oh mais rassure-toi, même si j'en avais la possibilité, je ne te tuerais pas, Sherry… »
« Quel délicate attention de ta part… Et puit-je savoir pourquoi ? »
« Mais c'est tout simple… Parce que c'est ce que tu désire le plus à l'instant présent, non ? »
Au fond d'elle-même, elle savait qu'il avait parfaitement raison, mais elle ne le reconnaîtrait jamais devant lui.
« Non… J'ai mon souffre-douleur préféré auprès de moi pour servir de cible à mes sarcasmes, qu'est ce que je pourrais bien désirer de plus ? »
« Tu ne crois pas que tu es légèrement en train d'inverser les rôles ? »
Elle aurait volontiers haussé les épaules si les sangles de cuir qui enserrait ses membres ne l'empêchaient pas de bouger, ne serait-ce que d'un millimètre.
« Et dis moi comment est ce que tu pourrais me faire souffrir, maintenant ? Tu m'as déjà ôté tout ce que j'avais, et quand on n'a rien, on n'a plus rien à perdre… Non, vraiment, à présent, il n'y a plus rien dont je puisse souffrir de la perte par ta faute… »
Il y avait plus de mélancolie que de provocation dans ses paroles.
« Est ce que tu en es vraiment si sûre ? Je pourrais, par exemple, m'amuser à reprendre notre entretien au point où nous l'avons laissé… En allant beaucoup plus loin que la dernière fois… »
En temps normal, la menace du tueur l'aurait fait frissonner d'horreur, mais à l'instant présent, elle ne ressentait que de l'indifférence devant la lueur de gourmandise qui avait illuminé ses yeux. Devait-elle mettre cela sur le compte de la drogue dont elle était victime ? Ou bien cela venait-il du fait qu'elle avait réellement tout perdu depuis la mort de sa sœur ? Elle penchait pour la seconde solution… Oui, il lui avait arraché la seule chose qu'elle aurait voulu garder jusqu'à la fin de sa vie, alors il pouvait bien faire de même avec le reste, elle s'en moquait éperdument.
« Tu peux le faire si ça t'amuse… Honnêtement, je m'en fiche complètement… »
Le tueur se pencha sur sa victime jusqu'à ce que ses yeux soient à quelques centimètres des siens, et il était forcé de voir, à l'apathie de son regard, que ce n'était pas de la fanfaronnade, elle était réellement indifférente à son sort à présent…
Oui, les rôles étaient définitivement inversés entre eux, à présent c'était lui qui contemplait sa déchéance… Sa meilleure ennemie avait définitivement touché le fond et ne semblait pas disposé à faire le moindre effort pour en remonter…Alors pourquoi ? Pourquoi ne ressentait-il pas de la joie face à un spectacle aussi délectable, mais au contraire de la frustration ?
Non…Non, ce ne devait être qu'une façade, s'il attendait suffisamment longtemps, elle finirait par se fissurer…
Mais les minutes passaient, et il n'y avait toujours pas la moindre fêlure pour apparaître à la surface de ce visage qui captivait son regard…
Les minutes passaient et Sherry ne faisait pas le moindre effort pour dissimuler son ennui face au tueur… Un ennui qui finit cependant par s'estomper, pour laisser la place à une expression intriguée, puis légèrement attendrie… Pendant un court instant, elle avait oublié jusqu'au nom de celui qui lui faisait littéralement face ,mais à présent, elle se souvenait… Elle se souvenait de ce qu'il avait été pour elle, et de ce qu'il était toujours pour elle…
« Vous êtes venu pour me demander de me tuer ? »
Gin haussa les sourcils face à la question de la chimiste.
« Tu as oublié ? Ton papa m'a interdit de le faire…pour l'instant… »
« Ah… Ce n'est pas grave… Je n'ai plus envie de mourir maintenant… Je ne veux plus dormir pour ne plus jamais me réveiller… Non, je veux me réveiller et voir le visage de ma grande sœur devant moi… C'est gentil de continuer de me proposer de me tuer chaque fois qu'on se voit, mais je crois que je n'en aie vraiment plus envie maintenant, monsieur… »
Cette fois, Gin écarquilla les yeux face à celle qui le regardait avec une expression enfantine, malgré la mélancolie qui brillait légèrement dans son regard. Ce n'était définitivement plus la scientifique froide et hautaine qui le fascinait qui était devant lui mais…la petite fille qu'elle avait depuis longtemps cessé d'être… Alors voilà qu'à présent, elle lui jouait le même tour que sa mère…
« Pourquoi est ce que vous avez l'air si triste, monsieur ? Parce que vous pensez que je n'aurais plus envie de vous voir si je n'ai plus envie de mourir ? Il ne faut pas, vous pouvez rester avec moi si vous voulez… D'ailleurs ça me ferait plaisir, vous savez… je n'ai personne d'autre que vous et ma sœur, depuis que papa et maman ne sont plus là… »
La frustration poussa le tueur à serrer les poings de nouveau, tandis qu'il maudissait la drogue qui lui avait arraché sa proie autant que le scientifique fou qui avait ordonné qu'on la lui injecte… Sa meilleure ennemie avait définitivement disparu, pour laisser la place à ce pitoyable petit agneau pour qui il n'éprouvait plus que du mépris… Et c'est de ça qu'il allait devoir se contenter… De cette pitoyable gamine qui le regardait avec une expression de bonheur…
Comment est ce qu'il pourrait accepter de délaisser sa proie pour ce qui n'en était plus que l'ombre ? Comment ce maigre substitut pouvait-il compenser la perte qu'il avait subie ? Qu'est ce qu'il pouvait bien lui offrir du reste ?
Quoique… A la réflexion… S'il reprenait réellement avec elle l'entretien qu'ils avaient eu… Cette fois, ce ne serait plus de l'apathie et de l'indifférence qui s'exprimerait dans son regard, mais bien de la terreur… Cette fois, elle le supplierait, et il se ferait un malin plaisir de refuser de céder à ses supplications… Mais pourtant…Pourtant l'idée fantasque ne lui inspirait que du dégoût…
Les seules proies qui pouvaient l'intéresser étaient celles qui étaient de taille à lui faire face… Un adversaire qui lui était supérieur l'aurait impitoyablement écrasé, quel intérêt un affrontement contre lui aurait pu avoir ? Et de toutes façon un adversaire de ce genre ne pouvait pas exister en ce monde… Un adversaire qui lui était inférieur, il l'écrasait sans l'ombre d'un remord et sans prendre la peine de prolonger inutilement son agonie, là encore quel intérêt un affrontement avec lui pouvait-il représenter ?
Sherry avait été, avec Akai, le seul adversaire digne de lui qu'il avait rencontré… Et celle qu'il allait devant lui pour le moment, la fille d'Helen, était à des années lumières de pouvoir rentrer dans cette catégorie… Non, vraiment, il ne voulait pas abuser de sa faiblesse… Et de toutes façon, il sentait qu'il n'aurait pas pu, même s'il l'avait voulu…
Poussant un soupir, le tueur s'éloigna du lit. Pour ce qu'il en savait, les effets de cette drogue ne dureraient pas éternellement, ils finiraient par se stabiliser, et à partir de ce moment là… Oui, il faisait confiance à sa proie préféré pour ressortir indemne, et peut-être même fortifié de la torture qu'ils lui faisaient subir… Tout ce qu'il avait à faire pour la retrouver, c'était d'attendre un peu, encore un peu… Il avait attendu des mois, non, des années, il pouvait bien attendre encore quelques jours, voir quelques semaines…
« Vous me laissez toute seule ? Vous ne voulez pas être mon ami ? »
Gin se retourna vers celle qui le fixait d'un regard implorant…mais pas le regard implorant qu'il aurait voulu qu'elle lui adresse…
« Ne t'inquiète pas, gamine… Je reviendrais te voir…En fait, je m'arrangerais pour que tu sois toujours prêt de moi… Très prêt de moi…Et pour toujours… »
La petite Shiho, emprisonnée dans le corps de Sherry, eût un sourire attendri face à celui que lui adressait son seul ami… Il était si gentil, il ne l'abandonnerait jamais…
Une fois que son compagnon eût refermé la porte de la pièce derrière lui, la petite fille se mit à contempler le plafond de la pièce… Ce blanc était si ennuyeux… Ah mais… Il commençait à se dissiper pour laisser la place à un arc en ciel coloré, et au milieu de cet arc en ciel, il y avait sa maman, son papa et sa soeur…
Souriant à sa famille réuni de nouveau, elle voulu tendre la main pour attraper celle que lui tendait sa sœur, avant de se rendre compte qu'elle était dans l'incapacité de le faire puisqu'elle était attachée à ce lit… Pourquoi est ce qu'elle était attachée à ce lit d'ailleurs ? Qui l'y avait attaché ? Est ce que c'était Gin ? Est-ce qu'il avait peur qu'elle s'enfuit et l'avait attaché pour éviter qu'elle ne le fasse ?
C'était touchant, mais d'un autre côté, c'était ennuyeux puisqu'elle ne pouvait pas serrer la main de sa sœur dans la sienne à cause de ça…
La prochaine fois que Gin reviendrait, il faudrait qu'elle lui dise qu'il n'avait pas besoin de faire ça pour qu'elle reste avec lui… Oui, elle le lui dirait… Elle le dirait à qui, déjà ?
Elle n'arrivait pas à se souvenir… Oh et puis après tout, ça n'avait plus d'importance, sa sœur s'était penché vers elle et était en train de lui caresser les cheveux en lui souriant tendrement…
Tiens, elle avait arrêté de sourire… Voilà qu'à présent, celle qui continuait de lui caresser les cheveux avait l'air encore plus triste que le jour où elle lui avait annoncé la mort de ses parents… Pourquoi avait-elle l'air si triste en la regardant ? Qu'est ce qu'elle lui avait fait pour la rendre aussi triste ?
Elle n'arrivait pas à se souvenir mais elle savait malgré tout que c'était de sa faute si sa grande sœur avait l'air aussi triste…Sa sœur… Elle avait de nouveau disparue pour laisser la place à…Quelqu'un d'autre…Quelqu'un qui lui ressemblait… Quelqu'un qui n'aurait pas du se trouver là, même si elle n'arrivait plus à se souvenir pourquoi…Son…
« Papa…Pourquoi est ce que tu as l'air si triste ? J'ai fait une bêtise ? »
Le scientifique écarquilla légèrement les yeux devant la question timide de sa fille, avant de s'enfoncer dans un air pensif. Est-ce qu'il réfléchissait à la punition qu'il allait lui donner ? Sa mère lui avait toujours reproché de ne pas être sévère avec elle, est ce qu'il s'était décidé à l'écouter ?
« Papa… S'il te plait, arrête de me regarder comme ça… C'est comme ça que tu regardais les petites souris dans la cage, avant que je te demande si je pouvais ouvrir la porte pour les laisser sortir…. »
Oui, elle se souvenait de ce moment là… Celui où ses parents l'avaient emmené dans le laboratoire où ils travaillaient… Pourquoi est ce qu'elle était étonné de s'en souvenir ? Pourquoi est ce qu'elle avait l'impression d'avoir longtemps oublié ce moment ?
C'était arrivé…la semaine dernière…
Bon, son papa avait arrêté de la regarder comme il avait regardé les souris, mais il avait l'air encore plus triste qu'avant maintenant… Il avait l'air de plus en plus triste en ce moment… Même s'il faisait tout pour le cacher, la petite fille avait remarqué la tristesse qui se reflétait dans les yeux bleus de son père quand ils se posaient sur sa mère…Il avait l'air seul à ces moments là, si seul alors qu'il était avec elle, sa sœur et sa maman…Qu'est ce qu'elle faisait dans ces moments là pour ne plus qu'il se sente triste ?
Ah oui…Ca lui revenait… Pourquoi est ce qu'elle l'aurait oublié de toutes façons ?
« Dis, papa… Est-ce que tu pourrais me détacher ? Je te promets que je ne partirais pas, c'est juste que… »
La petite fille ferma timidement les yeux.
« …je voudrais…te serrer dans mes bras… J'ai encore le droit, même si j'ai fait une bêtise, non ? »
La seule réponse au murmure suppliant de la petite fille fût le silence… Est-ce que c'était ça sa punition ? Etre enfermé toute seule dans cette pièce, sans sa grande sœur, ni sa maman, ni son papa ? C'est pour ça qu'Akemi avait eu l'air si triste ? Parce qu'elle n'avait pas le droit d'être avec sa petite sœur ?
Une larme s'écoula à travers les paupières fermées de Shiho…Puis elle sentit une deuxième se mettre à couler le long de sa joue…Et une troisième, et une quatrième et…
Un cliquetis ? Ouvrant doucement les yeux, la petite fille regarda d'un air incrédule son père qui était en train de la détacher… Voilà qu'il était en train de se pencher vers elle, elle aurait voulu le serrer dans ses bras, mais elle se sentait fatiguée, si fatiguée, et ses bras lui paraissaient si lourd tandis qu'elle essayait de les soulever…
Apparemment son papa l'avait compris puisqu'il venait de se mettre à soulever délicatement sa petite fille pour la poser sur ses genoux, avant de la serret doucement dans ses bras.
Le scientifique poussa un soupir tout en caressant les cheveux de celle qui était en train de se blottir contre lui en sanglotant… Il avait lamentablement échoué… La réincarnation resterait un mythe, et la résurrection des morts aussi… Ce maudit fantôme l'avait cruellement trompé… Malgré tous ses efforts il n'avait pas réussi à trouver une enveloppe charnelle pour l'accueillir… Toutes ces années à attendre, pour rien… Tout ces meurtres, tout cet argent investi, tout ces sacrifices pour la concrétisation de son projet… Tout ça pour rien… Maintenant qu'il avait enfin réussi à ouvrir cette maudite boite de Pandore, c'était pour se rendre compte qu'il n'y avait rien à l'intérieur… Et dire que pour l'ouvrir, pour mettre la main sur son espérance de sauvegarder ce qu'il avait de plus précieux de ce temps qui ne cherchait qu'à lui arracher, il avait du détruire la seule chose qu'il voulait mettre à l'abri du temps… Et pour récupérer cette chose, il avait du sacrifier les deux seuls autres qui lui restait… Et tout ça pour rien… Elle le lui avait bien dit pourtant, mais il ne l'avait pas écouté…
Le professeur Moriarty se sentait seul… Bien seul maintenant que la seule chose qu'il lui restait, c'était son Sherlock Holmes… Ce Sherlock Holmes qui était hanté par le spectre de la même Irène Adler… Ce maudit agent du FBI qui allait payer ses erreurs en même temps qu'il payerait pour celles de son pire ennemi… Oh que oui, il n'aurait plus de repos avant qu'ils n'aient basculés ensembles au fond des chutes de Reichenbach… Et il serrait entre ses bras l'Irène Adler parfaite pour son Sherlock Holmes, celle qu'il prendrait un malin plaisir à assassiner sous ses yeux… A moins qu'il ne demande à son assistante de tuer son ennemi, une fois qu'elle serait rétablie ?
Baissant les yeux vers la petite fille timide, il soupira en voyant à quel point elle ressemblait à sa mère, même après avoir coupé ses cheveux pour éviter cela…
Elle lui ressemblait mais ce n'était pas elle…Ce ne serait jamais elle, ce serait…
Détournant son regard vers le mur blanc de la pièce, ce mur aussi blanc que le visage de son épouse, quand il l'avait serré dans ses bras de la même façons que sa fille..
Son imagination lui permis de réinjecter un peu de rouge au milieu de cette blancheur qui en manquait cruellement… Ce fameux rouge qu'elle appréciait tellement… Ce rouge qui s'était écoulé… Le rouge de son sang… Le rouge de ses cheveux… Ce rouge qui ne voulait plus disparaître de ce mur à présent… Ce rouge qui commençait à prendre forme…
Le scientifique resserra son étreinte autour de sa fille tandis qu'un fantôme qui lui était familier, trop familier, se mit à émerger du mur blanc pour se diriger vers lui…
Une hallucination visuelle et plus seulement olfactive et auditive ? Est-ce que cette maudite succube qui l'avait torturé toutes ces années était réelle, ou est ce que son surnom ne lui avait jamais autant convenu qu'à l'instant présent ?
Oui, il reconnaissait les symptômes… Les mêmes que chez sa deuxième petite Alice, les mêmes que chez l'illusionniste fou… Cela faisait…Oui, cela faisait bien dix ans… Peut-être qu'il devrait songer à publier une étude sur ce sujet, en se basant sur les trois victimes de ce mal étrange qu'il connaissait de près… Après tout, il semblait se manifester par les mêmes symptômes, et avait un temps d'incubation identique chez toutes ses victimes… Les mêmes causes aussi chez les trois…La même cause…
Il passait son temps à dire à cette petite fille qu'il venait de retrouver trop tard que sa mère lui mentait…que les fantômes n'existaient pas… Elle n'avait malheureusement pas menti… Ils existaient…Elle existait… Et celui qui lui faisait face était bien plus effrayant à ses yeux que le fantôme vêtu de blanc qui était revenu le hanter, il y a quelques semaines…
Auparavant, il serrait sa fille dans ses bras pour la rassurer, à présent, il le faisait pour se rassurer, lui…
La petite Shiho, qui avait perçu le légèrement tremblement de celui qui avait resserré son étreinte, leva les yeux pour contempler sa propre mère, qui était en train d'enlacer son père tendrement… Est ce qu'elle était en train de le convaincre de lui pardonner et d'arrêter de la punir ? Mais d'habitude, c'était elle la plus sévère… Et pourquoi est ce que son papa avait si peur ? Est-ce qu'il avait honte d'apparaître trop gentil aux yeux de son épouse ? Trop gentil pour avoir le cœur de punir sa fille quand elle avait fait une bêtise ?
Et pourquoi est ce qu'elle était aussi effrayée que son papa par le sourire attendri de sa maman ? Quelque chose n'allait pas, mais quoi ? Après plusieurs minutes de réflexions, elle finit par se souvenir de ce qui n'allait pas… De tout ce qui n'allait pas… Le chef de l'organisation était en train de la serrer dans ses bras comme si elle était sa fille… Elle voyait celle dont il avait ordonné la mort devant elle… Et surtout, son père semblait la voir aussi puisqu'il était en train de passer son doigt sur la joue de l'hallucination, comme si c'était la chose la plus naturelle qui soit…
Sherry était une scientifique froidement rationnelle… Son père avait tout fait pour qu'elle le soit… Et elle n'avait pas eu d'autre choix que d'exaucer son désir… Mais là… là elle avait beaucoup de mal à redonner un semblant de logique dans le monde où elle était enfermé… Et l'absence de logique était ce qui la terrifiait par-dessus tout… Le monde devait être logique… Il fallait qu'il soit logique… Si elle obéissait à l'organisation, ils laisseraient sa sœur avoir une vie heureuse… Ils laisseraient sa sœur en vie… Si elle avait refusé de réclamer l'aide du FBI c'était parce qu'ils ne pouvaient pas l'aider… Si elle ne regardait plus le chef de l'organisation comme son père, c'était parce qu'il avait cessé de l'être, s'il l'avait jamais été un jour… Mais le monde avait refusé d'être logique…Il refusait d'être logique à l'instant présent… Et en toute logique, elle ne pouvait réagir à cette situation que d'une seule façon, en étant dévoré par la terreur… Une terreur à laquelle il fallait qu'elle mette fin, par n'importe quel moyen…
« Je ne veux plus rester dans un endroit pareil… Si je reste dans un endroit pareil…Je vais devenir…Les fous rendent fous les sains d'esprit… »
Est-ce qu'il avait entendu le murmure qu'elle n'avait pas pu empêché de laisser s'échapper de ses lèvres tremblotantes ?
Apparemment oui puisqu'il baissait de nouveau les yeux vers elle sans cesser de lui caresser les cheveux… Non, ce n'était pas lui…Ce n'était plus lui… Celui qui l'a serrait dans ses bras avait des lunettes, il avait l'air triste aussi mais ce n'était pas… Ce n'était pas qui ? Et qui était ce petit garçon qui lui caressait les cheveux en la serrant contre lui ?
Elle ne savait pas… De toutes façon, elle ne voulait pas savoir… Qui que ce soit, la terreur était bien là… Elle serait toujours là… Son angoisse avait trouvé quelqu'un d'autre autour de qui se focaliser, voilà tout… Oui, ce petit garçon lui faisait peur parce qu'il lui rappelait… Elle ne se souvenait plus quel personne il lui rappelait mais il lui faisait peur, ça elle le savait…
Conan soupira devant cette petite fille qui le regardait d'un ait terrifié sans cesser de répéter la même phrase comme un disque rayé…
« Les fous rendent fous les sains d'esprit… »
Qu'est ce qu'il pouvait bien lui dire pour mettre fin à ce cauchemar qu'elle faisait éveillé ? La réponse à sa question lui vint tout naturellement à l'esprit…
« C'est vrai… Mais les personnes saines d'esprit peuvent aussi délivrer les fous de leur folie… »
Est-ce que ça avait marché ? En tout cas, elle avait arrêté de répéter sans cesse cette même phrase sibylline, telle une prière destinée à éloigner les fantômes qui la hantaient…
Mais elle continuait de trembler, aussi le détective se sentit-il obligé de resserrer son étreinte… Mais la peur de la petite fille qui était sur ses genoux ne se dissipait toujours pas… Il promena doucement sa main sur la peau frissonnante de la délicate poupée qu'il craignait tant de voir se briser… Et petit à petit, la caresse sembla dissiper ses frissons… et la lueur de terreur qui illuminait les yeux d'Haibara finit par s'évanouir pour laisser la place à l'expression énigmatique qui leur était coutumière… Une expression plus énigmatique que jamais et qui finit par disparaître derrière ses paupières tandis qu'elle ferma les yeux pour se blottir contre lui…
Est-ce qu'elle avait déjà oublié qu'elle venait de faire une nouvelle crise ? Ou bien est ce qu'elle était trop fière pour le remercier d'y avoir mis fin ? A moins tout simplement…que les mots ne soient pas suffisant pour exprimer sa gratitude… De toutes façon, le détective s'en moquait… Il savait aussi que de simples mots n'était pas suffisant pour faire comprendre à Ai qu'il la protégerait des fantômes de son passé, qu'il soient réels ou ne soient que de simple hallucinations… Mais il pouvait le lui faire comprendre autrement… Simplement en étant là, à la serrer dans ses bras tandis qu'elle s'y endormait doucement… A moins qu'elle ne fasse semblant de s'être assoupi pour avoir un prétexte de rester sur ses genoux ? Pour une fois, la réponse d'un mystère ne l'intéressait pas… Qu'elle soit endormie ou non, elle avait de nouveau une expression sereine… Elle avait de nouveau un sourire qui n'était pas sarcastique… Et cela lui suffisait amplement…
