Les personnages du manga Magic Kaito appartiennent à Gosho Aoyama. Malhakai, l'illusionniste fou, appartient à Carol O'Connel…
Chapitre 7
Au beau milieu d'une frontière…
Le petit Kaito ne parvenait pas à détacher ses yeux fascinés de celui qui s'interposait entre lui et son père, à la table du restaurant où il les avait invités…
Qu'est ce qui chez cet étrange personnage capturait inévitablement les regards pour les garder emprisonnés ?
Ses longs cheveux aussi blancs que le costume de scène de son père, des cheveux qui, dans l'imagination du petit garçon de sept ans, devaient être capables de briller dans le noir ?
Le bleu sombre de ses yeux mélancoliques ? Ce bleu qui évoquait à Kaito un océan déchaîné qui semblait sur le point d'engloutir dans ses profondeurs insondables ceux qui avaient l'imprudence de regarder le magicien droit dans les yeux… Non pas qu'il y avait de la colère pour s'y refléter…Juste…En fait il n'y avait rien pour s'y refléter… Même la lumière semblait les fuir, de peur d'y disparaître…
Non c'était autre chose…C'était quelqu'un d'autre…La personne qui occupait la place vide entre les deux magiciens, une place vide mais devant laquelle les serveurs déposaient les plats comme si c'était la chose la plus normale qui soit… Le fantôme dont la cigarette était apparu aux côtés de celle de son mari dans le cendrier posé devant eux, alors que personne ne l'avait vu l'allumer, et pour cause… Kaito fixa d'un air intrigué le petit bâtonnet blanc dont le filtre était imprégné d'un rouge à lèvre écarlate…Celui qui était censé recouvrir les lèvres d'une morte… Une morte dont le verre se vidait, pour peu qu'on en détourne son regard un seul instant…
Son père avait bien pris la peine de lui expliquer à qui il avait affaire, et le petit Kaito connaissait sur le bout des doigts les innombrables petits trucs que le magicien devait utiliser pour redonner vie à son épouse défunte… Une affaire de détournement d'attention et d'accessoire dissimulés dans des poches secrètes, rien de plus… Une simple éponge plongée dans le verre de la morte par la main du magicien, pendant qu'il détournait habilement l'attention de son interlocuteur, et le tour était jouée… Il n'y avait rien de bien sorcier là dedans, si on pouvait utiliser l'expression dans ce contexte…
La majorité de ceux qui assistaient aux spectacles donnés par son père et ses collègues tomberaient de haut s'ils apprenaient à quel point les tours les plus spectaculaires reposaient sur les trucages les plus enfantins… Ce n'était pas de l'exagération, le petit Kaito n'avait que sept ans, et pourtant son père n'avait aucune difficulté à lui apprendre ses secrets…
D'ailleurs, il n'avait pratiquement plus besoin de le faire à présent… C'était devenu un petit jeu entre eux, le fils du magicien découvrait l'envers du décor au bout de quelques minutes de réflexion seulement… Au pire, il lui suffisait d'examiner les accessoires, sous le regard amusé de son père qui n'avait pratiquement plus rien à lui apprendre…
Un jour, Toichi avait dit à son héritier qu'il pourrait faire un excellent détective d'ici quelques années… Celui-ci avait reniflé en répliquant que les détectives étaient les ennemis naturels du magicien, d'insupportables fouineurs qui prenaient un malin plaisir à briser la magie en fourrant leur nez dans les coulisses sans demander la permission, pour y voler les secrets qu'ils révélaient ensuite au public… Oui, les détectives étaient ses ennemis et le seraient toujours, il n'avait aucune envie de devenir l'un d'entre eux, et il n'avait jamais compris pourquoi son père avait pu devenir l'ami de l'un des pires d'entre eux … Peut-être pour faire plaisir à la belle dame rousse qu'il avait épousé ?
Mais cela n'empêchait pas le petit Kaito de s'amuser à jouer les détectives en essayant de voler les secrets d'un autre magicien que son père… Si on lui avait répliqué qu'il n'était pas très cohérent avec lui-même en faisant cela, l'apprenti magicien aurait répliqué à son tour que lui, ne révélerait jamais les secrets d'un de ses futurs collègues à son public…
Il ne violerait jamais la seule loi qui régissait le monde de la magie… La seule loi que le Kid respecterait, que ce soit Toichi ou Kaito qui se dissimule derrière son monocle…
Mais ce magicien là… C'était énervant de voir à quel point il parvenait à garder ses secrets… Il ne pouvait quand même pas être meilleur que son père quand même! Personne ne le pouvait…
Mais pourtant… Le petit magicien était la dernière personne sur terre à pouvoir se laisser prendre au piège des petits tours avec lequel le veuf parvenait à faire croire à son public que sa femme était toujours de ce monde, il les avait déjà percé à jour, même s'il n'avait jamais eu l'occasion de prendre son adversaire du moment la main dans le sac… Et pourtant… Pourtant lui aussi avait l'impression qu'une morte était assise avec eux et participait à la conversation…Lui aussi ressentait le même mélange de malaise et d'émerveillement qui gagnait le public de Malhakai lorsqu'il ressentait la présence de son assistante ressuscitée d'entre les mortes… Quel truc est ce qu'il utilisait pour ça ?
Il devait le découvrir...Aucun magicien ne remporterait la victoire sur Toichi Kuroba devant son fils, ce dernier veillerait à ce que ça n'arrive jamais…
« Vous ne pouvez pas imaginer à quel point c'est un honneur pour moi de vous rencontrer… En un sens, c'est grâce à vous que j'ai découvert ma vocation… »
Un sourire amusé s'afficha sur ce visage qui semblait soustrait au cours du temps, malgré les rides qui y étaient présentes… Oui, même si le temps avait laissé ses traces sur le visage du magicien, il ne semblait pas avoir altéré le moins du monde l'intelligence diabolique et la force implacable qu'il exprimait…
« Vraiment ? Vous m'étonnez, cher collègue, je pensais que c'était plutôt mon vieil ami Max qui était à l'origine de votre vocation…Après tout, vous êtes son digne héritier… »
Le magicien japonais rendit son sourire énigmatique à son collègue polonais…
« Disons que c'est un honneur que vous allez devoir vous partager… Chacun à votre façon, vous m'avez appris qu'il était possible de ressusciter les morts…C'est en vous voyant le faire, que j'ai brûlé du désir de vous arracher ce mystérieux pouvoir par mes propres moyens… »
« Vous me flattez, cher collègue… Mais peut-être que c'est un habile tour de passe-passe pour me dérober autre chose que ce pouvoir… Est-ce que vous n'essayeriez pas de détourner mon attention, pour mieux me dérober ma tendre épouse sous mes yeux ? Si c'est le cas, faites attention, si un autres de mes collègues s'amusait à me jouer le même tour que Max, je prendrais un plaisir tout particulier à en faire un élément de mon spectacle…. »
Etait-ce l'imagination de Kaito ou est ce qu'il avait vraiment vu quelque chose se refléter dans les yeux sombres de son adversaire ? De la haine… En tout cas, c'était un mime particulièrement talentueux, on aurait vraiment pu croire que sa femme était là, invisible à leur yeux, en le voyant l'enlacer d'un geste protecteur alors qu'elle n'était plus de ce monde depuis des dizaines d'années… D'ailleurs… Il semblait y croire lui aussi… Un magicien pouvait finir par se laisser piéger par ses propres tours ? La curiosité de Kaito pour l'ami de Max Candle monta d'un cran…
Toichi, pour sa part, leva une main conciliante sans se départir de son sourire énigmatique.
« Rassurez-vous… J'ai pour habitude de toujours restituer ce que je vole à son propriétaire légitime… Vous devriez le savoir… J'ai percé les secrets de la plupart des tours de Max Candle, et pourtant personne ne m'a vu les utiliser sur scène… »
L'expression de Malhakai se radoucit tandis qu'autre chose commença à se refléter dans son regard…De la mélancolie…
« Vous pouvez dérober à ce voleur de Max tout ses secrets, ce ne serait qu'un juste retour des choses… Mais ne me dérobez jamais mon épouse… »
« Mais elle n'appartient qu'à vous… Vos spectateurs peuvent la voir mais vous êtes bien le seul à pouvoir poser la main dessus… Si j'essayais de vous la dérober, mes doigts se refermerait sur le vide… »
C'était bien la première fois que Kaito percevait une telle tristesse dans le regard de son père, même si son sourire moqueur demeurait…
« Vous voyez très bien ce que je veut dire… Je ne veux pas qu'elle serve d'assistante à un autre magicien… »
« Rassurez-vous, elle n'apparaîtra dans aucun de mes spectacles… Je suis avant tout l'héritier de Max Candle, je ne ressuscite jamais personne d'autre que moi-même dans mes spectacles… Je préfère éviter d'empiéter sur votre domaine… »
Les sous-entendus des paroles à double sens de Toichi firent naître un silence pesant imprégné de mélancolie autour de la table… Mélancolie que partageaient les deux magiciens sous le regard curieux du petit garçon silencieux…
« Si vous voulez bien m'excuser un court instant… »
Se levant brusquement de la table, le magicien japonais se précipita vers l'entrée du restaurant, pour aller s'entretenir avec celle qui venait de la franchir… Kaito cligna des yeux. Pendant un court instant, il avait vu de la terreur s'exprimer sur le visage d'ordinaire si calme de son père… Qu'est ce qui avait pu être assez effrayant pour ébranler sa face de poker ?
Cette femme dont il ne percevait que les cheveux écarlates ? Est-ce que c'était celle qui l'avait interviewé ? Non, ses cheveux n'étaient pas bouclés, alors qui était-ce?
Le petit magicien se désintéressa de la question pour lever les yeux vers son futur collègue avec une expression de défi… Il était toujours déterminé à lui arracher son truc…
Mais son adversaire, loin de paraître ébranlé par sa détermination, semblait plutôt s'en amuser…
« Tu sais… Tu me rappelles beaucoup un autre petit garçon… »
« Un autre apprenti magicien ? »
« Non… Un autre fantôme… Celui de ce petit garçon que j'ai tué, il y a quelques années… »
Kaito écarquilla légèrement les yeux avant de poser à son interlocuteur la même question qui lui serait posé dans quelques semaines…
« Pourquoi avez-vous fait ça ? »
« Il a posé le pied sur une de mes mines… J'ai délaissé ma carrière de magicien pendant quelques années, tu sais… A une époque, je tuais les gens au lieu de les émerveiller… »
Le petit garçon soupira, alors ce n'était qu'un accident… Mais dans ce cas…Pourquoi…
« Mais pourquoi est ce que vous ne l'avez pas prévenu ? »
« Parce que si je l'avais fait, les soldats allemands que je voulais tuer m'auraient entendu aussi… Vois-tu, j'avais installé un système aussi simple que redoutablement efficace… En posant le pied sur cette mine, ce n'est pas une seule explosion que ce petit garçon à provoqué mais plusieurs… Plusieurs explosions qui ont réduit en charpie tout ceux qui assistaient à ce petit tour de magie bien particulier… »
La curiosité de Kaito pour l'étrange personnage continua de s'accroître mais elle commença à devenir morbide… Il avait l'air de raconter cela de la même façon qu'un de ses spectacles de magie les plus réussis…
« Et…qu'est ce que vous avez ressenti à ce moment là ? »
Les traits du vieux magicien se plissèrent en une expression rêveuse.
« C'était…merveilleux… Aussi merveilleux que ma nuit de noce avec Louisa… Mais tu es trop jeune pour comprendre… Les parents du petit garçon ne pouvaient pas comprendre, eux aussi… Ils n'ont pas compris quand ils m'ont vu serrer dans mes bras le petit corps mutilés de leur enfant… »
Tout en parlant, il avait entrepris de caresser les cheveux du fils de son collègue, en le regardant de la même façon qu'un grand père l'aurait fait avec son petit fils qui l'écoutait raconter ses souvenirs…
Le malaise de Kaito s'accrût mais il n'était plus accompagné d'émerveillement… Il commençait à détester ce personnage et, à défaut de pouvoir lui voler son truc, il allait lui voler son épouse à la place… Ca lui apprendrait à essayer de l'effrayer comme ça…
Au fur et à mesure que le repas continuait de se dérouler, les rôles s'inversaient entre les deux convives encore en vie installés autour de la table… C'était au tour du vieux magicien d'être dévoré par une peur insidieuse entremêlé à l'émerveillement, tandis que son épouse défunte continuait de prendre son repas…sans son aide…
Profitant du fait que le regard de sa victime était trop focalisé sur l'assiette vide de son épouse, Kaito entreprît d'écraser discrètement la cigarette imprégné de rouge à lèvres, avant de se retenir d'éclater d'un rire enfantin quand celui qui l'avait allumé s'en rendit compte… Cela devenait de plus en plus facile, c'était visible au premier coup d'œil que son ennemi avait de plus en plus de mal à supporter l'idée que son propre tour était en train d'échapper à son contrôle… On pouvait s'en rendre compte rien qu'à la façon dont sa face de poker commençait doucement mais sûrement à se fissurer… Le petit magicien était aux anges… Il était en train de battre le collègue de son père sur son propre terrain, un terrain qui ne lui était guère familier pourtant, vu que son père avait toujours évité de ressusciter d'autres personnes que lui même, et ne lui avait jamais donc appris à le faire avec quelqu'un d'autre…
Cela prouvait bien qu'il serait de taille à prendre la place de son père, le moment venu, il était déjà encore plus brillant que lui…
Tout en grignotant discrètement la nourriture qu'il avait glissé dans sa poche, après l'avoir dérobé de l'assiette de la femme du magicien, Kaito se mit à réfléchir à la prochaine farce qu'il allait jouer à son collègue…
Mais sa bonne humeur se dissipa dès qu'il croisa le regard de son père… Son père qui l'avait observé depuis quelques minutes sans qu'il s'en rende compte, et qui avait compris son petit jeu… Mais ce n'était pas de la fierté qui se reflétait dans les yeux énigmatiques de Toichi Kuroba… Non, c'était autre chose… Quelque chose que Kaito n'y avait jamais vu… Du reproche et…de la honte ? Oui, à cet instant, il semblait avoir honte de son propre fils…
Le professeur de Kaito demeura silencieux tandis qu'il s'assit de nouveau après s'être excusé de son absence trop longue… Mais il ne le demeura plus quand Kaito lui parla de nouveau, quelques minutes après la fin ce repas qu'il avait passé les yeux baissés pour ne pas croiser de nouveau le regard de son père…
« Pourquoi est ce que tu avais l'air de m'en vouloir tout à l'heure ? J'étais en train de prouver que j'étais aussi bon que toi… Que je pourrais prendre ta place quand tu prendrais ta retraite…»
« Prendre ma place ? Si tu continues dans la voie que je t'ai vu prendre, tu ne seras jamais digne de te prétendre mon héritier, Kaito… »
« Pourquoi est ce que tu dit ça ? J'ai réussi à tromper un magicien aussi bon que toi, en lui faisant croire que j'avais vraiment ressuscité son épouse… Tu n'es pas fier de moi pour ça ? »
Le regard de Toichi se durcit face aux paroles de Kaito, avant de se radoucir devant l'air peiné de son fils qui ne semblait pas comprendre ce qu'il avait fait de mal.
Poussant un soupir, le magicien s'installa sur un banc avant de faire signe à son fils de s'asseoir sur ses genoux
« Ecoute-moi bien, Kaito… Cette leçon que je vais te donner, c'est la plus importante que tu recevras jamais… Le rôle du magicien est donner vie aux rêves de ses spectateurs… Il ne doit jamais se servir de ses talents pour donner de la réalité à leurs cauchemars… Celui qui s'abaisserait à le faire ne sera jamais rien d'autre qu'un charlatan… »
« Mais c'est toi qui disait que les magiciens était tous des charlatans qui passaient leur temps à tromper leur public… »
« Il y a deux types de charlatans, Kaito… Les bons et les mauvais… Les bons persuadent les gens que l'impossible peut devenir possible, et leur donnent la force de croire en leurs rêves et d'affronter la réalité… Les mauvais enferment les gens dans leurs cauchemars et les poussent à fuir la réalité pour ne plus y faire face… Si jamais tu venait à franchir la frontière qui sépare le véritable magicien du véritable charlatan, tu m'infligerais la pire des trahisons…Alors, s'il te plait, fais cette promesse à ton père… Ne franchit jamais cette frontière… »
L'apprenti magicien acquiesça timidement à son professeur, qui se mit à sourire d'un air satisfait.
« Mais faiq bien attention, parce que cette frontière est parfois très floue… Ce n'est pas seulement parce que tu essaieras de réaliser les rêves de tes spectateurs que tu sera un magicien digne de ce titre, Kaito… Certains rêves doivent demeurer des rêves, alors fait bien attention à ceux que tu concrétises… »
« Mais comment je peux faire la différence entre les rêves que je peut réaliser et les autres ? »
« Dans certains rêves, nous puisons de la force, celle d'affronter le monde réel… Mais il existe d'autres rêves… Des rêves qui nous vident de notre force tel des vampires, au point de nous rendre trop faible pour faire face au monde qui nous entoure… Est-ce que j'ai besoin de te dire quels sont ceux que je veux te voir réaliser ? »
Kaito échangea un sourire complice avec son père. Non, il n'en avait pas besoin… Il était un bon élève qui comprenait la leçon…
« Il y a des bons et des mauvais rêves, des bons et des mauvais charlatans mais il y a aussi des bons et des mauvais voleurs… Les bons voleurs rendent ce qu'ils ont dérobé à leur propriétaire… »
« Mais alors, quel est l'intérêt de leur voler quelque chose si c'est pour leur rendre après ? »
« L'intérêt de faire cela ? Le voleur n'a aucun intérêt à faire ça mais ce n'est pas à son intérêt qu'il pense, mais à celui du propriétaire, du véritable propriétaire, de ce qu'il vole… Si la chose précieuse qui est entre ses mains appartient à quelqu'un d'autres que celui à qui il la dérobé, il la rend à celui à qui elle appartient… Si ce n'est pas le cas, il la rend aussi à son propriétaire, qui a compris grâce à lui à quel point ce qu'il pensait ne jamais perdre était fragile… A quel point ce qu'on lui a volé était précieux à ses yeux, et à quel point il doit en prendre soin face aux mauvais voleurs… »
« Alors le bon voleur est comme Robin des bois ? »
« Oui, Kaito… Ou plutôt comme Arsène Lupin… »
« Bon… Et le mauvais voleur ? »
« Le mauvais voleur ne cherche qu'à arracher au gens ce qu'ils ont de plus précieux… Il ne pense qu'à lui et pas au propriétaire de ce qu'il vole… Tu vois où je veux en venir ? »
Kaito acquiesça de nouveau, arrachant encore un sourire de fierté à son père.
« L'autre jour, tu me disais que les détectives était les ennemis du magicien… Tu te trompais, Kaito… Les seuls ennemis du magicien sont les vrais charlatans et les mauvais voleurs… Si tu fais face à un mauvais voleur, vole-le à ton tour… Si tu fais face à un charlatan, détruit sa magie en révélant l'envers du décor à ses victimes… Mais attention, ne devient pas un charlatan ou un mauvais voleur pour cela… Et si jamais tu croise la route d'un détective en train de lutter contre un de tes ennemis, ne le regarde pas comme l'un d'eux mais comme un allié… Sans les détectives, les gens ne pourraient plus faire la différence entre les magiciens et les charlatans… N'hésite pas à devenir un détective toi-même pour lutter contre quelqu'un qui fait honte à notre profession…»
« …ou contre un mauvais voleur… »
« Tu as parfaitement compris, Kaito… Peut-être que mon meilleur disciple sera capable de prendre ma place, un jour… »
Les deux magiciens demeurèrent silencieux plusieurs minutes, à se regarder d'un air complice.
« Papa ? »
« Oui ? »
« Et Malhakai… C'est un magicien ou un charlatan ? »
Toichi s'enfonça dans un air pensif, réfléchissant à la meilleure façon de faire comprendre le fond de sa pensée à son élève.
« Il est entre les deux… je t'ai dit que la frontière était parfois très flou… Pour son public, c'est un magicien qui réalise leurs rêves en leur rappelant que les morts continuent de vivre, tant que nous ne les oublions pas, et que nous n'oublions pas ce qu'ils nous ont apportés… Mais pour lui-même, c'est le pire de tous les charlatans… Un charlatan qui s'est enfermé lui-même dans la pire des prisons et la partage avec son bourreau, lui-même… Une prison dont le meilleur des voleurs aurait beaucoup de mal à s'échapper s'il y tombe par mégarde…Même moi, je ne suit pas sûre d'en sortir si je suis assez bête ou trop faible pour y tomber… »
Le petit magicien écarquilla les yeux.
« Il y a une prison dont même toi, tu ne pourrais pas sortir ? Mais laquelle ? »
Toichi adressa à son fils un sourire aussi narquois que complice.
« C'est à toi de le découvrir, Kaito… Tu ne serais ni mon fils, ni mon héritier si tu n'étais pas capable de le faire tout seul… »
Kaito poussa un soupir avant de lever de nouveaux des yeux curieux vers son professeur.
« Et la belle dame avec qui tu parlais tout à l'heure… Qui c'était ? »
Pendant un court instant, le petit magicien aperçût une lueur de mélancolie illuminer les yeux mystérieux de son père.
« Une petite fille qui voulait qu'un magicien lui apprenne à ressusciter les morts… »
« Elle voulait devenir ton élève, comme moi ? »
« Non, Kaito, elle voulait devenir celle de Malhakai… Heureusement, j'ai réussi à la convaincre de s'éloigner le plus possible de mon collègue…et de son épouse…»
« Pourquoi ? »
« Kaito, si je me suis toujours refusé à défier Malhakai sur son propre terrain, c'est parce que j'ai toujours eue peur de franchir sans le savoir la frontière, et de devenir un charlatan… Je te l'ai dit, mon collègue est assis au beau milieu de cette frontière, et si tu n'es pas assez fort, en le fréquentant, tu peux la franchir s'en t'en rendre compte… Et cette petite fille est loin d'être assez forte pour ne pas le faire… »
« C'est une de tes amies ? C'est pour ça que tu l'as aidé à ne pas franchir la frontière ? »
Toichi eut un sourire désabusé.
« Ce n'est rien d 'autre qu'une petite fille… Une petite fille qui a préféré suivre le lapin blanc, même si en le faisant, elle s'éloignait de sa grande sœur… Si jamais son lapin blanc venait à disparaître, est ce que tu pourrais prendre sa place ? »
« C'est une promesse que je dois te faire ? »
« Non, Kaito… Juste une demande… Ce sera à toi de choisir si tu veux le faire ou non… Tu ne dois pas te sentir forcé de le faire pour moi… De toutes façon, tu ne pourrais pas y arriver, si tu le faisais contraint et forcé… »
Kaito demeura silencieux tant les paroles de son père l'avait intrigué. Il était loin d'être assez doué pour arracher tous ses secrets à ce magicien… Pas encore…
« Par contre, Kaito… Tu dois me promettre de prendre soin de ta mère si je venais… à ne plus être là pour le faire… »
« Pourquoi est ce que tu me demande ça ? Tu seras toujours là pour ça, non ? »
Le magicien ébouriffa tendrement les cheveux de son disciple.
« Peut-être pas, Kaito… Même le meilleur des magiciens n'est pas sûr de gagner contre le plus terrifiants des charlatans… En fait, peu de magiciens sont capable de lutter contre les charlatans sans risques… Malhakai est l'une des rares personnes à pouvoir le faire… Après tout, il est capable de les défier sur un terrain qu'il connaît aussi bien qu'eux, parce qu'il est l'un d'entre eux…Si jamais, tu dois l'imiter, fait-le en luttant contre les charlatans, pas en devenant l'un d'eux… »
Kaito acquiesça de nouveau d'un air plus déterminé que jamais. Il ne trahirait jamais la confiance de son père comme celle de son professeur.
« Mais, papa, je suis sûre que tu es de taille à lutter contre tous les charlatans du monde… »
« Un bon magicien doit reconnaître ses limites et prendre ses précautions pour ne pas que son tour se retourne contre lui… Mais parfois… Parfois, il m'arrive de me prendre au piège de ma propre illusion et de négliger de le faire… De croire que je serais capable de me ressusciter une fois de plus si je venais à mourir réellement… Mais la magie est l'art de créer des illusions… C'est une illusion de croire qu'on peut ressusciter les morts… On ne peut le faire qu'en créant des illusions ou des fantômes… N'oublie jamais mes paroles, Kaito… Et souvient-toi aussi qu'elles sont à double sens… »
Toichi abandonna son rôle de professeur pour reprendre celui de père tandis qu'il serrait doucement son fils dans ses bras… Il était évident pour Kaito que le magicien n'avait pas besoin d'un bon voleur pour se rendre compte à quel point ce qui lui était cher était précieux pour lui…
Mais ce n'était pas le cas de Kaito puisqu'un voleur lui déroba ce qu'il avait de plus précieux… Un bon ou un mauvais voleur ? Certainement un mauvais puisqu'il ne lui avait jamais rendu le fruit de son larcin… Est ce que cela signifiait que le Kid était un mauvais voleur ? Bien sûr que non… Kaito le savait très bien puisque le Kid lui avait aussi rendu son père…
Mais l'autre voleur qui lui avait volé ce qu'il avait de plus précieux… Cette voleuse là était indiscutablement une mauvaise voleuse puisqu'elle ne lui rendrait jamais ce qu'elle lui avait dérobé… Alors, devait-il la voler à son tour ? Après tout son propre père lui avait bien dit qu'il avait le droit de voler les mauvais voleurs… Mais il lui avait dit aussi de ne jamais devenir, ni un mauvais voleur, ni un charlatan pour ça… Son père lui avait aussi dit de faire confiance aux détectives et de ne pas hésiter à en devenir un pour lutter contre les charlatans… Et un insupportable détective anglais lui avait appris qu'il ne devait jamais oublier de se poser cette question, pourquoi les criminels avaient-ils agi comme ils l'avaient fait?
Pourquoi la mère d'Hakuba lui avait-elle fait cela ? »
« Parce que ce n'est pas seulement une mauvaise voleuse…Mais aussi une victime… La victime d'un charlatan… Le charlatan qui a tué l'ennemi de tous les charlatans… »
Il s'était senti mal à l'aise face à Malhakai parce qu'il était assis au beau milieu d'une frontière terrifiante… Il se sentait mal à l'aise devant la mère d'Hakuba parce qu'elle était aussi assise sur cette frontière… Et il sentait que s'il n'y prenait pas garde, elle pourrait bien le pousser à la franchir, cette maudite frontière…
Elle avait déjà commencé à le faire depuis qu'il l'avait sorti de sa prison où un détective avait envoyé une mauvaise voleuse…
Après tout, elle lui avait déjà donné sans le savoir le truc qu'il n'avait pas pu arracher à Malhakai… Un truc très simple vraiment, il le connaissait déjà et l'avait oublié…
Le pouvoir d'un magicien ne repose pas sur ses tours de passe-passe, il repose sur la complicité de ses spectateurs… Un bon magicien est celui qui persuade son public de croire en la magie… Kaito avait vu les spectacles de Malhakai après leur première rencontre… Plus que sur l'habileté indiscutable du magicien, leur force reposait sur son charisme et sa capacité hors du commun à influencer l'imagination de son public, en le persuadant que son épouse était réellement parmi eux… C'était si simple pour lui puisqu'il s'était forcé à devenir fou pour la ressusciter… Celui qu'il cherchait à persuader de l'existence de ce fantôme, c'était avant tout lui-même… Et le meilleur des magiciens ne peut rien contre le plus doué des charlatans, Kaito l'avait douloureusement appris… Malhakai était sur une frontière, comme toujours… Sa folie, il en était à la fois la victime et celui qui la provoquait consciemment…
L'élève de Toichi avait fini par comprendre ça en observant une petite fille qui s'était persuadé que sa grande sœur et son ami était encore en vie, et agissait comme s'ils l'étaient réellement… Dire qu'il s'était pris au jeu de cette petite fille, en lui jouant plusieurs fois la même plaisanterie qu'à Malhakai… Les tours d'un petit plaisantin avaient rendu sa victime heureuse, plus heureuse qu'elle ne l'avait jamais été depuis dix ans… Kaito avait été persuadé que ses petites farces innocentes faisaient de lui le digne héritier de son père, alors qu'en fait… Et voilà que le désir de franchir de nouveau la frontière, mais en toute connaissance de cause et en allant beaucoup plus loin, s'insinuait en lui…
Oui, il pouvait faire payer à cette voleuse son forfait au centuple, il avait les meilleurs des complices pour ça, elle-même et sa sœur… Ce serait une vengeance digne d'un magicien… Mais aussi un comportement digne d'un charlatan… Un charlatan qui tuerait son père pour la seconde fois…
Kaito avait parfois eu l'impression que le Kid commençait à échapper à son contrôle pour menacer sa véritable vie… A présent, il faisait face à un autre double de lui même… Mais il n'était pas vêtu de blanc cette fois, mais de noir…Comme Malhakai…
Le bruit d'un pas maladroit sur le gravier du jardin public où il s'était installé tira le magicien de ses réflexions… Se retournant vers le petit prêtre qui l'avait salué en soulevant son chapeau à large bord, Kaito soupira en se penchant pour ramasser le couvre-chef qui avait glissé des doigts maladroit du petit homme rondouillard… avant de tressaillir quand une colombe s'en échappa brusquement…
« Tu n'était pas le seul à qui ton père avait appris quelques un de ses tours, tu sais… »
« Je croyais que vous ne l'aviez rencontré qu'une seule fois…Au mariage des parents d'Hakuba… »
« Je ne t'ai pas menti… Mais tu es bien placé pour savoir que c'était le plus doué des professeurs, il ne lui as fallu qu'une heure pour m'apprendre ce petit tour… »
Kaito délaissa son air mélancolique pour une expression nostalgique.
« Oui… C'était le meilleur des professeurs… C'est son stupide disciple qui n'est pas assez doué pour retenir ses leçons… Enfin bon, qu'est ce que vous me voulez?»
Le prêtre s'installa aux côtés du lycéen, avant de faire tournoyer son parapluie entre ses doigts d'un air timide.
« Cela faisait quelques jours que je voulais te le demander… S'il te plaît, cesse de tourmenter Alice avec sa soeur… Oh, je sais bien que tu le fais en toute innocence, sans arrière pensée, mais… je ne suis pas de taille à exorciser ce démon, et si tu deviens son complice, personne sur cette terre ne le pourra… »
« Un démon, hein ? Les démons n'existent pas, Père Brown… Pas plus que les fantômes… Ce ne sont que des illusions que les gens créent parce qu'ils ont envie d'y croire… C'est mon travail d'être complice de ce genre de démons… Enfin, je vous avoue que parfois… j'ai peur de ne pas être à la hauteur et de perdre le contrôle de mes fantômes… »
Après tout, le fantôme d'un certain voleur commençait parfois à devenir trop réel, au point de menacer de faire disparaître le magicien qui l'avait ressuscité… Quand on prenait la peine d'y réfléchir, le Kid était comme Malhakai, au beau milieu de la frontière entre les magiciens et les charlatans, les bons et les mauvais voleurs… Ce qui signifiait donc…que Kaito était aussi au milieu de cette frontière... Peut-être même qu'il l'avait déjà franchi, et la pensée était loin de lui plaire…
« C'est ridicule, non ? Avoir peur de choses qui n'existent que dans notre imagination… »
« Les démons existent, Kaito… En tout cas, les succubes existent, j'ai croisé au moins deux personnes dans ma vie qui étaient tourmentés par l'une d'elle… Tu connais l'une d'entre elles d'ailleurs… »
Le silence s'installa entre le prêtre et le magicien avant que l'un d'eux ne trouve le courage de le briser.
« Dites-moi… depuis combien de temps est ce que la mère de Saguru…est tourmentée par ce démon ? »
« Depuis la mort de sa sœur, je l'avait déjà vu s'entretenir avec son propre reflet quand elle se coiffait, mais… A l'époque, c'était visible qu'elle avait conscience que ce n'était qu'une façon pour elle de ne pas oublier Helen… La seule personne qui répondait à ses questions dans ses conversations, c'était elle et non sa sœur défunte… Un miroir ne renvoie que notre image, son reflet n'est en aucune façon une personne à part entière… C'est ce que je croyais mais… Un jour, quand je lui aie rendu visite dans sa prison... Ce jour là, j'ai vu que son reflet était sorti de son miroir… »
Kaito prit le temps de réfléchir au propos de son interlocuteur.
« Mais cette prison, elle en est sorti, non ? Alors pourquoi continue-t-elle de voir son reflet ? »
Un sourire attristé étira les lèvres du prêtre.
« Elle est sorti de sa prison en Angleterre, oui... Mais elle n'est pas sortie d'une autre prison… »
« Une autre prison… »
« La rancune est une prison que tu accepte de partager avec ton bourreau… Et quelque fois, le bourreau peut être aussi une victime… »
Alors c'était ça… C'était ça la prison dont son père parlait, la prison dont il n'était pas sûr qu'il puisse s'évader s'il y tombait… Kaito serra le poing, il allait définitivement prouver à son professeur qu'il l'avait surpassé et qu'il n'avait plus rien à apprendre de lui… Mais avant de franchir définitivement la frontière au lieu de rester près d'elle, il y avait une dernière chose qu'il devait faire, tant qu'il était du côté qu'il s'apprêtait à quitter définitivement…
Fermant les yeux, Kaito se laissa calmement submerger par les souvenirs de son père, jusqu'à ce qu'ils se solidifient en une présence concrète qu'il pouvait sentir derrière lui… Une présence qu'il était le seul à percevoir et qui était la seule à pouvoir entendre la question qui lui traversa l'esprit…
« Dis-moi papa… Est-ce que tu lui as pardonné ? »
Même s'il ne voyait pas son fantôme, il ne s'était pas encore enfoncé assez loin dans le côté obscur de la magie pour ça, Kaito pouvait parfaitement imaginer le sourire énigmatique qui avait plissé ses lèvres…
« Et toi, Kaito ? Est-ce que tu lui as pardonné ? »
Ouvrant les yeux, le voleur se retourna vers la colombe qui était perché sur l'un des arbres du parc.
« Regarde bien ton fils, papa… Ton fils qui va réaliser ton rêve et devenir un magicien digne de te succéder… Un magicien qui va définitivement vaincre le sale charlatan qui as réussis à te battre… »
Regardant d'un air serein la colombe qui s'envolait dans le ciel d'un bleu azur, Kaito se leva du banc avant de s'en éloigner après avoir salué le prêtre…
Le Kid avait définitivement franchi la frontière avec lui… Et il se tiendrait plus éloigné que jamais du côté où il avait failli basculer…Celui des charlatans…
