Chapitre 8

L'une est le reflet de l'autre…

Après avoir enflammé sa propre cigarette, la jeune femme écarta l'une des longues mèches de ses cheveux écarlates en adressant un sourire énigmatique à celui qui lui faisait face.

« Eh bien dis moi, Gin… A ce que je vois, tu t'obstines à te laisser pousser les cheveux… Je me demande si je ne vais pas demander à Atsushi de remplacer ton nom de code par Scarlet, un de ses jours… Oh, ne fais pas cette tête là, je plaisante… »

S'allumant une cigarette à son tour, l'assassin fixa d'un regard blasé celle qui n'avait plus rien de la petite fille qui lui avais permis de rejoindre le syndicat. Elle avait beau se plaindre que toutes ses années passées au sein de l'organisation l'avait trop fait changer pour qu'elle puisse reconnaître son meilleure ami, il aurait été mieux placé qu'elle pour lui adresser ce genre de reproche… Où était passée la gamine dans les yeux de laquelle une légère lueur continuait de se refléter, au milieu de l'océan de haine et de méfiance qui avait définitivement englouti son innocence ?

A présent, la seule chose qui se reflétait dans les deux orbes azurés qui semblaient sonder son âme était une cruauté et une malice qui n'avait rien à envier à celle de son actrice préféré, avant qu'elle ne commence sa lente transformation en vieillarde blasé… Pourquoi fallait-il toujours que le cours du temps finisse par éloigner de lui toutes les femmes qui le fascinait, pour les remplacer par d'autres, pour lesquelles il ressentait plus de répulsion que d'attirance ?

« Enfin, je vais arrêter de tourmenter mon assistant préféré… Après tout, c'est déjà bien aimable à toi d'être venue célébrer la fin de mes études… »

Elle s'enfonça dans une expression rêveuse en contemplant l'université depuis la terrasse du café où ils étaient installés.

« L'université de médecine d'Edimbourg… C'est là que Conan Doyle a assisté aux cours du professeur Bell…Le chirurgien de génie qui s'amusait à torturer les cadavres, devant ses étudiants, en plein milieu de ses salles d'amphithéâtres, pour mieux leur faire assimiler son enseignement… Ce médecin dont il s'inspirera pour créer son personnage le plus célèbre… Savoir que moi et Atsushi avons fait nos études dans la même université que le véritable Sherlock Holmes et l'authentique docteur Watson… Le destin est farceur, tu ne trouves pas ? »

Un sourire moqueur étira ses lèvres aussi rouges que le sang auquel l'assassin aurait voulu coller les siennes… Même si le cours du temps avait fini par les rejeter sur deux rives opposés, il continuait de se sentir attiré par elle, de la même façon que le papillon de nuit se précipitait vers la lumière de la flamme qui aurait pu le brûler… Oh oui, les flammes de cet enfer qui se reflétait dans les cheveux et la robe écarlate de sa reine, il désirait plus que tout s'y brûler…

« Mais après tout, nous avons d'autres prédécesseurs tout aussi illustres dans cet université… Comme par exemple, ce brave docteur Robert Knox… Ce si charmant professeur qui faisait étouffer les passants par ses deux assistants, Burke et Hare, de manière à alimenter les salles de dissections de son université en cadavres frais… Lui aussi a eue droit à une seconde vie à travers la littérature, puisque Stevenson s'en est inspiré pour son personnage du déterreur de cadavres… Enfin, tu me diras, il n'a légué à la postérité qu'un manuel d'anatomie tout à fait quelconque et un livre sur la pèche en rivière… Mais son dévouement à ses étudiants reste digne d'admiration, de même que sa largeur de vue… Après tout, que pesaient les vies de quelques malchanceux, face au milliers qui seraient sauvés par les médecin qui ont pu mener leur formation grâce à leur sacrifice ? »

Se tournant vers sa tasse de thé, elle y ajouta une cuillerée de sucre, avant de se mettre à la touiller à l'aide d'une cuillère en argent qu'elle porta ensuite à ses lèvres… Percevait-elle la lueur de gourmandise qu'elle faisait naître dans les yeux de son ami, tandis qu'elle recueillant sur sa langue les quelques gouttes de liquide sucré qui l'imprégnait ? Il n'en doutait pas… Non, la petite fille avait vraiment disparu même si, en un sens, elle n'avait guère changé… Elle prenait toujours autant de plaisir à le tourmenter, mais ses moqueries avaient perdu leur caractère innocent depuis longtemps…

« J'ai aussi une affection toute particulière pour un autre de mes collègues, qui m'a précédé sur les bancs de cette université… Le docteur Thomas Neill Cream… Ce médecin si compatissant qui faisait gratuitement bénéficier de ses soins à ses infortunées, que la misère ou une mauvaise éducation avait poussé à la prostitution… Un vrai philanthrope, qui avait parfaitement compris qu'une pilule de strychnine est le plus efficace des remèdes aux maux dont leur déplorable condition les avait affligés… D'ailleurs, c'est amusant, son nom de famille a la même consonance que le mot français pour désigner un meurtre… »

Après avoir savouré quelques gorgées de son thé, elle reposa délicatement sa tasse sur sa soucoupe avant de porter de nouveau sa cigarette à ses lèvres étirées en un sourire malicieux.

« Ces deux grands hommes m'ont beaucoup appris à leur façons… Autant que ce pauvre médecin que tu as assassiné peu de temps après notre première rencontre… Atsushi m'as appris que ce que nous avions pris pour une séance de torture n'était rien d'autre qu'une opération de chirurgie pratiquée dans les conditions les plus précaires qui soient… Nos pauvres victimes m'avaient sauvé la vie, puisque je n'aurais probablement pas survécu autrement… Bien que les chances pour ça étaient minimes… Les actes qui peuvent nous paraître barbare et inhumain au premier abord, peuvent être guidés par la générosité et l'altruisme, pour peu qu'on les regarde sous la bonne perspective… Mais bien peu de gens sont capable d'une largeur de vue suffisante pour pouvoir en juger en toute objectivité… »

Une lueur attristée illumina un bref instant le regard amusé de la scientifique fraîchement diplômée.

« Pourquoi est ce que tu ne me parle pas ? Et surtout, pourquoi est ce que tu me regardes ainsi ? Ne me dis pas que tu te sens coupable de ce que tu as fait pour moi? Nous n'avions aucun moyen de savoir à l'époque… Et de toutes façon, sans cela nous n'aurions jamais quitté ce village et j'aurais fini par y mourir… Je te l'ai dit, le tout est d'envisager les choses de la manière adéquate… Certains doivent mourir pour que d'autres puissent vivre, et même les crimes les plus atroces peuvent être jugé positifs, pour peu qu'on en étudie l'infinité de conséquences qui en découlent… Un véritable scientifique doit envisager les choses dans leur globalité avant de les juger… Ne me dit pas que tu es resté un gamin incapable de comprendre cela ? »

Le tueur écrasa sa cigarette d'un air irrité avant de répondre.

« Je me moque bien de cette bande de rats que j'ai exterminé dans ce désert… Si c'était à refaire, je le referais sans l'ombre d'une hésitation et d'un remords, et tu ne me verrait pas sangloter dans tes bras, comme ce demeuré geignard que tu as connu et qui as censé depuis longtemps d'exister… De même que la gamine qui avait été assez naïve pour faire de lui son chevalier servant… »

Le sourire de la jeune femme se fit plus mélancolique.

« Oui… Nous ne pouvons plus revenir en arrière, pour redevenir ces deux enfants que le cours du temps a fini par engloutir… On ne peut pas plus lutter contre le temps que contre l'organisation… Alors, il ne sert à rien d'avoir des regrets, tu ne penses pas ? Ce sont des sentiments stériles qui nous empêchent d'aller de l'avant et de progresser… »

« De nous deux, c'est bien toi qui a le plus changé, Helen… »

« Et ça te déplaît tant que ça ? »

S'emparant de la cigarette qui reposait dans le cendrier s'interposant entre eux, il la porta à ses lèvres avant de tressaillir légèrement quand il s'aperçût de sa distraction… Il avait écrasé la sienne quelques instants plus tôt, ce qui signifiait que… Promenant sa langue sur le filtre de la cigarette qu'il serrait entre ses dents, il frissonna, autant face au goût légèrement sucré qui l'imprégnait encore qu'au regard que lui adressait la propriétaire de la tige de poison… Un regard qui évoquait un peu trop à son goût celui d'un chat reluquant un oisillon… Est-ce que les changements survenus chez cette gamine lui déplaisaient tant que ça ? Parfois, il lui arrivait d'en douter… Oui, elle avait changé, mais c'était aussi son cas… Ou pas tant que ça, ne se comportait-il pas comme un stupide gamin immature que l'amour avait réduit au fétichisme ?

Il écrasa la cigarette d'un geste rageur. En vérité c'était l'absence de changement qui était irritante et non l'inverse…

« Oui, où est passé cette gamine qui regardait le monde d'un air aussi horrifié qu'émerveillé ? Est-ce que ce n'est pas toi qui me disais que tu ne laissais jamais le temps t'arracher ce que tu avais de plus précieux ? »

Pourquoi s'obstinait-il à vouloir la voir de nouveau comme cette petite fille qu'elle n'était plus ? Parce qu'à cette époque, il avait encore un minimum d'emprise sur elle, au lieu de lui être soumis comme il l'était maintenant ? Oui, même si à l'époque, il était dévoué au moindre caprice de celle qui lui faisait face, les circonstances étaient différentes… Ce n'était ni la hiérarchie du syndicat, ni les sentiments nouveaux qu'il s'était découvert qui était à l'origine de cette soumission, mais la simple affection pour celle qu'il voyait comme une petite soeur… Celle qui lui avait fait découvrir à quel point la faiblesse était ce qu'il pouvait y avoir de plus répugnant… Et si sa faiblesse était allé en s'amenuisant, jusqu'à s'atrophier complètement avec les années, celle qu'il éprouvait pour elle était allé en s'accroissant, ce qui l'insupportait au plus haut point…

« Mais elle est toujours devant toi… Aujourd'hui plus que jamais, je suis bien décidé à ne plus laisser ce père immonde qui dévore ses enfants m'arracher quoi que ce soit de plus… A défaut de pouvoir les faire reculer, je forcerais les aiguilles de cette maudite horloge à s'arrêter et à demeurer figées pour l'éternité… »

La lueur de folie qui avait illuminé les yeux azurés de son interlocutrice accrût son dégoût.

« Tu deviens de plus en plus comme ce vieux fou… Savoir qu'il a fini par faire de toi son jouet, c'est pathétique… »

« Tu pense qu'Atsushi a fait de moi son esclave en me donnant l'illusion que je partage son rêve ? Ne te fie pas aux apparences, si l'un de nous deux a absorbé le rêve de l'autre dans le sien, ce n'est pas lui…Oh non… Maintenant cette éternité dont il est éperdument amoureux, c'est sous mon visage qu'elle se présente et non plus celui de cette pitoyable bigote romantique… D'ailleurs, je ne comprendrais jamais la raison pour laquelle les deux hommes les plus importants de ma vie ont pu être autant fascinés par cette femme…»

« A ce que je vois, tu porte de moins en moins Sharon dans ton cœur… »

Helen renifla tout en portant délicatement sa tasse à ses lèvres pour la vider de son contenu.

« Sharon n'est rien d'autre que le souvenir défraîchi d'une époque révolu… Une preuve vivante que le cours du temps continue de s'écouler et que rien ne peut empêcher son érosion… Une réfutation à elle toute seule de mes théories… Et quand une scientifique fait face à un phénomène qui refuse de cadrer avec ses théories, elle ne désire rien de plus que de réfuter son existence… Mais mon collaborateur s'obstine à vouloir l'inclure dans nos théories…»

Après avoir poussé un soupir désabusé, la chimiste se leva de la table du café pour se diriger vers l'université dont elle était fraîchement diplômé.

« Pourquoi est ce que tu m'as convoqué ici ? »

Se retournant doucement vers son subordonné, la criminelle se mit à le scruter avec un sourire qui le fit frissonner autant que son regard. Ce même regard avec lequel elle regardait les rats qu'elle caressait affectueusement avant de leur injecter ses toxines expérimentales… Le même regard, exactement le même regard, avec lequel elle fixait un de ses assistants quand elle estimait qu'il ralentissait ses recherches par son incompétence… Oui, le regard avec lequel elle avait fixé ce pitoyable laborantin qu'elle lui avait ordonné d'exécuter d'un geste las… La même petite lueur d'innocence qui s'y reflétait… L'innocence de la cruauté…

Mais l'assassin parvint assez vite à se reprendre et à se dégager de la fascination qu'exerçaient les deux orbes azurés qui le contemplaient.

« Cesse de me fixer comme un de tes rats de laboratoire…Si tu ne veux pas que je prenne un malin plaisir à t'apprendre quel est la différence entre eux et moi… »

Le sourire cruel de l'assassin fût loin de faire reculer celle qu'il examinait de la même façon qu'une de ses cibles, avant qu'il ne presse la détente de son arme.

« Cela ne me déplairait pas parce que, vois-tu, j'ai en effet du mal à voir où se situe la différence entre vous… Du reste, je n'ai pas l'impression que ça te déplairait tant que ça de me servir de cobaye, n'est ce pas ? »

Tout en parlant la scientifique s'était rapproché du tueur avant de promener sa main sur son visage de la même façon, exactement de la même façon, qu'elle la promenait sur la fourrure de ses rats de laboratoires devant lui…

« Peut-être pas tant que ça en effet…Même si j'avoue que je préférait largement partager un moment beaucoup plus intime avec toi… »

« Un moment plus intime ? Qu'est ce que tu veut dire par là ? Tu devrais savoir que les seuls êtres vivants sur cette terre à qui je témoigne de l'affection sont mes petits rats de laboratoires, qui me sont si précieux pour mes recherches… »

Le ton faussement candide de la chimiste élargit le sourire carnassier du meurtrier.

« Un moment aussi intime que celui que je passe avec les rats que tu me demande si gentiment d'exécuter… Lors des derniers instants de leur pitoyable vie, les instants qui précèdent celui où je presse la détente de mon arme, nul n'est plus proche d'eux que moi… Personne ne peut avoir de relation plus intime qu'avec son assassin, petite fille… Parce que c'est celui qui tient ta vie, littéralement entre ses mains… »

« Je ne pensais pas que tu puisse te montrer si lyrique… Est-ce que tu penses réellement ce que tu viens de dire ? Ou est ce que tu me mets au défi de te prouver le contraire ? »

Plongeant son regard dans celui de l'homme qui lui enserrait le poignet, la scientifique sonda son âme, à la recherche de la réponse à sa question, avant de soupirer devant son incapacité à la trouver.

« Navré de ne pas me montrer aussi prévisible que tes rats de laboratoire… »

Arrachant son bras à celui de l'assassin, la chimiste se retourna avant de faire quelque pas pour s'en éloigner. Elle détestait par-dessus tout voir un cobaye adopter un comportement qui ne cadrait pas avec celui qu'il aurait du avoir d'après ses prévisions… Et l'assassin, de son côté, savait pertinemment qu'il ignorait lui-même la réponse à la question de la scientifique, et il détestait par dessus tout être dans l'incertitude…

« Pour répondre à la question que tu m'as posé tout à l'heure, Gin… Si je t'ai convoqué ici, c'est pour t'inviter à mon mariage… »

Le tueur écarquilla légèrement les yeux avant de renifler.

« Est-ce que j'ai vraiment l'air d'un gamin qui croit encore aux contes dans lesquels la princesse finit par épouser son larbin ? »

« Oh mais j'ai l'impression qu'il y a un léger malentendu… Je te demande bien de conduire la mariée jusqu'à l'autel…mais ce n'est pas pour l'épouser… »

Gin serra inconsciemment le poing.

« Ce n'est pas plutôt au père de la marié d'assurer ce rôle ? »

« Certes… Mais dans la mesure où je n'ai jamais déployé le moindre effort pour retrouver le mien, je me vois mal lui demander d'assurer ce rôle… Alors il faut bien que je fasse une petite entorse à la tradition… »

« Je vois… Et puis-je savoir quel est le pitoyable petit rat que tu compte enfermer dans une de tes cages ? »

« Mais celui qui m'a associé dans ses recherches bien sûr… J'ai beau avoir de l'affection pour mes rats de laboratoire, je me vois mal tomber amoureuse de l'un d'entre eux… »

La main qui porta une cigarette aux lèvres du tueur trembla légèrement.

« Alors ce vieux sénile s'est décidé à faire de toi son rat de laboratoire personnel ? Et tu es trop faible pour avoir le courage de refuser ? C'est pathétique… »

Se rapprochant de l'assassin la chimiste s'empara du paquet de cigarette qu'il tenait dans une de ses mains pour en extirper une.

« N'inverse pas les rôles, s'il te plaît… C'est moi qui lui aie proposé de nous associer encore plus étroitement pour nos recherches, et c'est lui qui a été trop faible pour décliner ma proposition… »

Tandis qu'il s'allumait sa cigarette avant de tendre son briquet à celle qui le lui avait offert, le tueur se demanda quelle était l'origine de la nausée qui lui soulevait soudainement l'estomac…

Le regret d'avoir été délaissé par sa meilleure ennemie, au profit d'un vieux sénile ? La répulsion devant un sentiment qui lui rongeait le cœur et qu'il avait toujours jugé pathétique ? L'irritation de voir que sa collègue était à présent un cran au dessus de lui dans la hiérarchie du syndicat, et qu'il ne pourrait jamais la rattraper de nouveau, dans la mesure où elle était à présent au sommet de celui-ci ?

Il détestait se retrouver dans une position d'infériorité par rapport à ses adversaires…Et il détestait encore plus cette incertitude qui s'obstinait à ne pas disparaître…

« Il a pratiquement dépassé l'âge d'être ton père… »

« Et alors ? Je ne te savais pas si puritain, et à long terme, c'est un inconvénient qui disparaîtra de lui-même… Une fois que nos recherches auront abouties… »

Le silence s'installa entre les deux membres de l'organisation tandis qu'ils savouraient tranquillement le poison que le plus âgée avait fait découvrir au plus jeune…

« Alors ? Est ce que le professeur Knox aura le plaisir de voir Burke et Hare assister à son mariage ? »

Gin renifla.

« Ne me dit pas que tu compte aussi y inviter cet imbécile de Vodka ? »

« Bien sur que oui… Je ne suis pas sans cœur au point de te séparer de ton partenaire au cours d'une mission que je te confie… Vous êtes devenu inséparables, au point que je suis incapable de vous imaginer l'un sans l'autre… »

L'assassin renifla une seconde fois en écrasant sa cigarette d'un air irrité.

« Oh mais rassure-toi, je sais bien que vous n'êtes rien de plus que des partenaires… Et la place du tien sera dans l'assistance, pas à mes côtés devant l'autel… »

Le dégoût du tueur s'accrût… Le dégoût devant sa propre naïveté tandis qu'il n'avait pas pu s'empêcher de penser que ça ne lui aurait pas déplu d'être aux côtés de la future mariée devant l'autel…mais en assurant un autre rôle que celui de témoin… Les rats qu'il avait assassinés ne demeuraient jamais bien longtemps dans sa mémoire, alors pourquoi ce stupide gamin qu'il avait été s'obstinait à ne pas en disparaître définitivement, comme tout les autres ?

Le contact du bras qui se referma autour de sa taille pour l'enlacer tira l'assassin de ses mornes réflexions. Gin eût beau tressaillir, il ne fit rien pour se dégager de l'étreinte de sa collègue… Le parfum de rose qu'il pouvait sentir était plus que suffisant pour lui permettre de deviner son identité, et il était bien placé pour savoir que les roses avaient des épines et que celle dont il pouvait sentir le parfum avait son autre main derrière son dos…. Une main dont il ignorait si elle était vide ou refermée autour de l'épine qui s'enfonçait dans le cœur de ceux qui étreignait cette fleur écarlate de trop près… Décidément, la capacité de la sœur de sa meilleure ennemie à se déplacer aussi silencieusement qu'un chat ne cesserait jamais de l'irriter tout autant que son comportement candide… Il avait été incapable d'anticiper sa venue jusqu'au dernier moment…

« J'aurais du me rappeler que si tu ne peux pas m'imaginer sans mon co-équipier, c'est encore plus difficile d'imaginer l'une des Weird sisters sans l'autre… »

Les deux sœurs qui étaient de part et d'autres du meurtrier se mirent à renifler de concert.

« Gin… Tu sais bien que je déteste par-dessus tout le second surnom que m'a donné ton actrice préférée… »

« Et de toutes façons, nous ne sommes pas au complet…Il manque Christine pour ça… »

Le sourire moqueur du tueur s'élargit, tandis que sa collègue se dégageait de lui pour se rapprocher de sa jumelle.

« Certes mais tu n'as jamais fait le moindre effort pour qu'on t'appelle autrement qu'Hell angel… Assumes-en les conséquences, Helen… »

Un soupir s'échappa des lèvres entrouvertes de la chimiste tandis qu'elle était enlacée à son tour par sa collègue.

« Il se trouve malheureusement qu'une petite fille capricieuse s'est entiché de ce surnom stupide… »

« Ca ne te plait pas qu'on nous considère comme des sœurs ? »

Helen leva doucement la main vers les cheveux de celle qui l'étreignait avant de les caresser, faisant doucement disparaître par ce geste la lueur de mélancolie qui avait commencé à briller dans les yeux de la meurtrière qui était derrière elle.

« Si tu délaissais un peu Lewis Carrol pour Shakespeare, tu comprendrait pourquoi ce surnom me gène, petite sœur… »

Gin soupira devant le spectacle que lui offraient les deux sœurs… Helen était probablement la seule personne au monde qui ne passerait jamais les derniers instants de sa vie dans les bras de celle qui s'obstinait à se comporter comme une gamine qu'elle n'avait jamais été…

Même après l'avoir vu à l'œuvre plusieurs dizaines de fois, il ne comprendrait jamais sa façon de procéder, qui était aux antipodes de la sienne…

Si son assassin était la personne avec qui l'on avait la plus intime des relations lors des derniers instants de sa vie, alors cette gamine s'efforçait d'être le plus parfait des assassins…

Il l'avait vu enlacer toutes ses victimes avec le même sourire candide qu'une petite fille naïve serrant son père dans ses bras, il voyait toujours la même lueur d'innocence pétiller dans ses yeux quand elle contemplait l'unique goutte de sang qui souillait son arme de prédilection…L'innocence dans le meurtre… Une innocence proche mais ô combien différente de celle de sa sœur…

Même si son obsession avec l'heure exacte l'empêchait de prolonger ses démonstrations d'affections pour ses cibles plus de quelques instants, lorsqu'elle pouvait se payer le luxe d'étreindre un cadavre jusqu'à ce que toute trace de chaleur l'ait quitté, elle ne s'en privait absolument pas…

Non, vraiment, il ne comprendrait jamais cette folle et il se réjouirait toujours qu'on lui ait assigné Vodka plutôt qu'elle comme partenaire…

Gin, pour sa part, ne prenait pas la peine de s'attarder inutilement sur ses victimes, en tout cas il n'avait trouvé aucune cible qui lui aurait donné envie de joindre l'utile à l'agréable en prolongeant indéfiniment son agonie… Aucune cible avec laquelle il pourrait avoir, à sa propre façon, un rapport aussi intime que ceux qu'avait la sœur de sa meilleure ennemie avec les siennes…

C'était le cas à l'époque du mariage du fondateur de l'organisation… Plus maintenant… Entre temps, il s'était trouvé non pas une mais trois cibles dignes qu'il s'attarde sur leur cas…

Sa meilleur ennemie…Sa fille…Et l'agent du FBI qui s'était entiché de sa cible…

Cependant il n'avait pas pu aller jusqu'au bout avec la seconde et n'avait pas encore eu l'occasion d'inverser les rôles avec la troisième…

Tout en contemplant la grisaille du ciel s'entremêler avec celle de Tokyo, à travers les vitres du quartier général du syndicat, l'assassin extirpa une cigarette de son paquet avant de la porter à ses lèvres. Mais au lieu de l'allumer tout de suite, il prit le temps de contempler le briquet en argent, cadeau d'une chimiste à un de ses assistants dans un lointain passé…

S'attardant sur les reflets que la multitude de lampes du couloir renvoyaient sur la surface grisâtre que le temps avait commencé à noircir, le tueur s'amusa à la comparer avec celle qui s'étendait au dehors… Ce manque de couleurs était déprimant… Il aurait bien aimé peindre le monde qui l'entourait avec une couleur beaucoup plus chaude… Le rouge…Un rouge qu'il était de plus en plus impatient de savourer… Un rouge identique à celui de la robe comme de la chevelure d'une de ses collègues tandis qu'elle venait d'apparaîtren à quelques mètres de lui…

Alice… A une époque, il aurait pu la confondre avec sa sœur mais trop de temps s'était écoulé depuis… Ce n'était plus cette gamine qui s'enfonçait dans le meurtre avec la même innocence qu'une petite fille se laisser absorber par ses jeux puérils… Depuis la mort d'Helen, c'était redevenu la gamine apeurée qu'il voyait toujours dans l'ombre de sa sœur jumelle, mais cette fois elle n'avait plus sa grande sœur pour la soutenir contre ce monde cruel…

La grande sœur que cette gamine pathétique essayait de retrouver dans le reflet que lui renvoyait la vitre d'une des fenêtres du couloir, tandis qu'elle détournait son regard terrifié du sien…

Soupirant devant ce spectacle pitoyable, l'assassin porta son briquet à ses lèvres avant de s'interrompre… La gamine s'était ressaisie au point de se retourner vers son collègue et de s'avancer vers lui… Mais cette lueur d'innocence qui s'était mis à briller de nouveau, au point d'éclipser totalement les profondeurs bleutés de l'océan de mélancolie dans lequel elle se reflétait… L'innocence…dans la cruauté ?

Gin demeura figé devant ce changement inattendu dans l'attitude et le maintien de sa collègue… Sa collègue qui osait retirer calmement la cigarette de sa bouche pour l'enfoncer doucement dans la sienne, sa collègue qui croisait les bras en battant tranquillement de la semelle, comme si c'était la chose la plus naturelle du monde qu'il allume son petit bâtonnet de cyanure pour elle.

En temps normal, il aurait pris un malin plaisir à démontrer à cette idiote qu'il n'était pas son larbin mais, à cet instant, quelque chose l'intriguait dans son attitude, si bien qu'il finit par obtempérer à la requête silencieuse, tout en plissant les yeux d'un air méfiant tandis qu'il scrutait celle qui la lui avait adressé.

Lorsqu'elle avait encore l'apparence d'une petite fille, la petite Alice avait essayé de fumer pour imiter celle qui avait subtilisé un des paquets de cigarette de leur tuteur… La quinte de toux qu'elle y avait récolté l'avait définitivement découragé de recommencer… Après la mort de sa sœur, elle s'était forcé à partager la mauvaise habitude de la défunte, autant parce que cette odeur lui était aussi intimement associé que le parfum de rose dont elle était imprégnée, que parce que de cette façon, son reflet dans le miroir ressemblait un peu plus à celui de la disparue…

Oui, la petite Alice s'était mise à fumer pour contempler, dans le nuage de fumée qui s'échappait de ses lèvres, l'image de cette partie d'elle-même qu'on lui avait arraché… Mais elle prenait cependant la précaution de le faire en utilisant un délicat porte-cigarette en ivoire… Elle voulait mettre encore un peu de distance entre elle et ses souvenirs, à l'époque… Elle ne voulait pas que son reflet prenne sa place dans le monde réel, son fils avait encore besoin de sa mère… Mais lorsqu'il avait envoyé en prison celle qui lui avait donné le jour, il l'avait séparé sans le savoir de son porte cigarette en ivoire, qui était resté dans la maison qu'il avait quitté pour habiter dans celle de son père…

Et à l'instant présent… Helen aspirait goulûment la fumée empoisonné, trop heureuse d'avoir de nouveau des poumons dans lesquels la déverser…

Contrairement à ce qu'elle avait toujours cru, il était possible de remonter le cours du temps… Oui, elle avait réussi à s'extirper de cette rivière qui l'avait entraîné loin de ses filles, elle avait réussi ce miracle en s'accrochant désespérément aux souvenirs que sa petite sœur avait précieusement conservé…

La petite Alice avait réussi à recoller patiemment les morceaux de son reflet… Elle avait surpassé Toichi Kuroba, grâce aux conseils que son collègue lui avait donné lorsque le lapin blanc n'avait plus été là pour s'interposer entre elle et lui… Contrairement à son petit charlatan, elle avait été capable de ressusciter une morte… Et elle ne l'avait pas fait en créant une simple illusion, elle n'avait pas donné naissance à un voleur fantôme pour qu'il réalise son rêve, non…

Le fantôme qu'elle avait façonné était bien réel, lui… Si bien que pendant quelques instants, il lui arrivait parfois de retraverser le miroir et de prendre la place de reflet pour redonner à sa grande sœur celle d'être vivant… Des instants qui était devenu des minutes, puis des heures…et aurait probablement fini par durer des années si Helen avait été assez égoïste pour assassiner mentalement sa sœur…

On pouvait certes se révolter contre le cours du temps mais il fallait toujours en payer le prix… Ne plus exister à l'état de fantôme ou de souvenir… Elle ne pouvait le faire qu'au prix de la vie d'un être cher qui, par amour pour elle, s'était enfoncé dans le gouffre qu'elle avait évité toute sa vie… Et Helen ne voulait plus voir sa sœur souffrir, elle avait suffisamment contemplé à travers le miroir les tourments qu'elle avait infligé à celle dont elle n'était que le reflet…

Une fois qu'elle aurait rattrapé le temps perdu et définitivement sauvé sa fille, elle retournerait paisiblement à l'état de simple reflet… C'était ce qu'elle avait prévu mais pourtant…Pourtant… Est-ce qu'Alice accepterait de lui rendre sa place de reflet ? Est ce qu'elle pourrait le faire maintenant que le fils de Kuroba avait appris la triste vérité, et qu'elle avait perdu pour la seconde fois son lapin blanc ? Alice ne pourrait retourner dans le monde réel que s'il y avait au moins une personne pour l'y attendre… Helen soupira en espérant de tout son cœur que son arrogant neveu n'enfermerait pas sa propre mère une seconde fois dans une prison… S'il l'abandonnait de nouveau…

La chimiste écarta la sombre pensée en même temps qu'elle secoua la main pour écarter d'elle le nuage de fumée qui s'était échappée de ses lèvres…

Est-ce qu'elle pourrait aider la seule fille qui lui restait, malgré la mort qui les avait séparé, ou bien n'était-ce qu'une illusion ? N'était-elle pas d'ailleurs elle-même une illusion sans aucune consistance, qui se dissiperait aussi facilement que cette fumée chargée de nicotine ?

Helen écarta ses doutes en se focalisant sur sa cible du moment… Celle qui l'avait arraché du monde des vivants… Mais lui avait aussi permis de franchir la porte du royaume des morts à travers un miroir, il y a quelques instants…

« Tu ne t'es toujours pas débarrassé de cette mauvaise habitude, Gin… »

« Et puit-je savoir en quoi ça te concerne, Alice ? »

Un sourire narquois plissa les lèvres de l'anglaise tandis qu'elle écrasait calmement sa cigarette.

« Décidément, dans la vie comme dans la mort, on nous confondra toujours toute les deux… »

Décontenancé par la lueur de gourmandise qui avait illuminé les yeux de sa collègue, une lueur de gourmandise qui ne lui était que trop familière, Gin demeura interloqué tandis qu'elle l'enlaçait calmement, avant de plonger son regard de prédateur dans le sien…

« Tu as réalisé ton rêve, Gin…Tu as eu avec moi la relation la plus intime qui puisse exister… Et vois-tu, je brûle d'envie de te rendre la politesse…à la manière de ma cher petite sœur… »

L'assassin écarquilla les yeux au fur et à mesure qu'il réalisa l'absurdité de la situation.

« He…len ? »

« Eh bien, c'est une joie de constater que j'ai eu l'honneur de perdurer dans ta mémoire, contrairement à la majorité des rats que tu as exécuté pour moi et celui qui porte mon deuil… »

Il devait y avoir un moyen de ramener un semblant de logique dans cette absurdité… Les fantômes n'existaient pas, si ce n'est dans la mémoire et les cauchemars de ceux qui étaient trop faible pour assumer leurs crimes… Il n'était pas une pitoyable larve de cette espèce alors comment se faisait-il que.. ?

Mais Alice était une pitoyable gamine incapable de faire un pas sans le soutien de sa grande sœur… Alors c'était donc ça… Cette démente s'était définitivement enfoncée dans sa folie et à présent, elle essayait de l'entraîner dans son petit jeu ridicule… Un petit jeu qu'il pouvait faire cesser sur le champ, il savait très bien quel interrupteur il devait actionner pour rétablir un semblant de lumière dans l'obscurité qui avait envahi l'esprit de cette idiote… Oui, il pouvait y mettre fin… Mais il se sentait d'humeur à se prendre au jeu…

C'était on ne peut plus simple de s'imaginer que celle dont il sentait le souffle sur ses lèvres était bien son ancienne proie préféré…

« Mon actrice préféré a plusieurs fois essayé de me faire embrasser un cadavre ambulant… Mais, contrairement à elle, tu pourrais me convaincre de le faire… »

Le sourire cynique de la proie qui le serrait dans ses bras s'élargit.

« Mais j'ose espérer que tu n'as pas oublié qu'une rose à des épines… Et que si tu l'étreins de trop près…Tu sentiras ton sang s'écouler quand elles te transperceront… »

La morsure glaciale d'une tige d'acier sur le cou du tueur illustra les paroles de la scientifique à la perfection.

« Et à l'instant présent, je ne désire rien de plus que de voir ma couleur préféré s'écouler d'un autre corps que le mien… »

Baissant légèrement les yeux de ceux de son ancien subordonné, Helen demeura impassible tandis qu'elle contemplait le revolver dont il avait doucement enfoncé le canon dans les replis de sa robe écarlate.

« Pour ma part, ça ne me déplairait pas de voir la mienne s'écouler de nouveau du tien… »

Pour toute réponse, la chimiste offrit à l'assassin l'occasion de savourer sa couleur préférée d'une autre façon…

Frissonnant lorsqu'il sentit les lèvres de sa meilleure ennemie collées aux siennes, le tueur s'efforça de se maîtriser suffisamment pour que son doigt tremblant ne presse pas la détente de son arme…tout de suite…

Décidément, comme tout les alcools dignes de ce nom, le Sherry devenaient plus savoureux avec l'âge… Et c'était toujours un plaisir de déguster un grand cru à petite gorgée…

La main que la scientifique promenait doucement sur la poitrine de son cobaye tout en poursuivant son expérience accroissait le trouble qui l'avait déjà gagné…Et lorsqu'elle se posa sur le métal de son arme, il eût beaucoup de mal à ne pas en presser la détente… Par réflexe ? Parce qu'il savait mieux que quiconque à quel point sa collègue pouvait être dangereuse s'il la laissait gagner trop d'emprise sur lui ? Ou parce qu'il avait peur d'aller trop loin ?

Savourant le mélange de peur et d'excitation qui le gagnait, il laissa son ennemie écarter d'elle le canon de son arme…

Et la sensation glaciale de l'épine de la rose dont il caressait les pétales s'enfoncer doucement dans son cou intensifia son plaisir…qui atteignit son paroxysme lorsque qu'il sentit son propre sang commencer à s'écouler sur sa peau… Pour un peu, il aurait laissé la mort lui absorber la moindre goutte de rouge qui s'écoulait dans ses veines… Oui, son éternel amante avait revêtu l'un des trois seuls visages qu'il voulait lui faire avoir… Il l'aurait certainement fait… Si une pensée n'était venue s'immiscer dans son esprit…

La pensée que la cuvée de Sherry qu'il dégustait était aussi savoureuse que celle qu'il avait goûté dans les rues de New York… Alors il n'osait pas imaginer la saveur qu'elle devait avoir, si la fille de ce spectre revenu le hanter, avait été dans une situation semblable à celle où se trouvait à l'instant sa défunte mère…

Oui, il y avait encore un nectar qu'il devait déguster avant de mourir… Sa meilleure ennemie avait détaché ses lèvres des siennes avant de les étirer dans un sourire exprimant la plus raffinée des cruautés… Helen n'avait pas été son âme sœur pour rien… Elle aussi prenait un plaisir tout particulier à savourer le doux miel de la vengeance comme l'agonie de ses victimes… Ce penchant finirait par le perdre… Mais il allait d'abord le retourner contre son ennemie du moment…

« Tout de même Helen… Quel dommage que ta pauvre petite sœur ait du devenir aussi folle que sa démente de mère pour que nous puissions nous revoir… »

La scientifique écarquilla ses yeux illuminés par une lueur de terreur… La terreur d'une petite fille en train de s'éveiller de son pire cauchemar… Il avait vu juste et l'interrupteur qu'il avait pressé était bien le bon…

Le tintement métallique que provoqua, en tombant sur le sol, le pic à glace qui avait glissé des doigts de la mère d'Hakuba le lui confirma…

Bon, qu'allait-il faire de cette pauvre folle hébétée ? A l'instant présent, elle ne représentait aucun danger mais à long terme… Le spectre qui s'était enfoncé de nouveau dans un sommeil, dont il n'aurait jamais du s'éveiller, allait le faire de nouveau… Et, connaissant le vieux sénile, il n'aurait aucun mal à le faire tomber sous sa coupe… C'était peut-être ce qu'elle avait prévu depuis le début du reste… Il avait encore besoin de l'organisation pour retrouver sa proie et il ne tenait donc guère à voir son fondateur ordonner sa mort pour satisfaire un caprice de sa défunte épouse… Mieux valait briser définitivement son reflet, qui était beaucoup plus vulnérable qu'elle…

Etreignant à son tour la pauvre démente hébété, Gin pressa de nouveau son arme contre elle, il lui accorderait le plaisir de mourir de la même façon que ses propres victimes… Mais deux choses l'empêchèrent de presser la détente… La pensée que l'exécution de la seconde favorite du vieux sénile pouvait bien entraîner son arrêt de mort… Et le fils de celle-ci, qu'il pouvait apercevoir en détournant légèrement les yeux.

« Dans toutes les entreprises du monde, criminelle ou non, le harcèlement sexuel sur le lieux de travail est assez mal vu… Alors aie l'obligeance de relâcher ma mère avant que je ne prenne les mesures qui s'imposent, collègue… »

Malgré le sourire narquois qui s'affichait sur son visage, la lueur de fureur qui illuminait le regard du métis démontrait amplement que son flegme britannique avait été largement ébranlé par la situation dans laquelle il surprenait l'assassin…

Ce qui ne l'empêchait pas d'avoir suffisamment de sang froid pour pointer son revolver dans sa direction pour souligner ses paroles…

« Tu serait capable de tirer, gamin ? Je suis sûre que vu ton âge, tu n'as pas une maîtrise bien grande de ce genre de jouets…»

« Je troue une livre sterling à dix mètres, Gin… Et je ne demande rien de mieux que de te faire une démonstration… »

L'arrogance qui irradiait du détective donnait au tueur l'irritante sensation que sa vantardise reposait sur une base à peu près solide… Et il avait été assez intelligent pour viser la tête de son ennemi, au cas où celui-ci aurait dissimulé un gilet pare-balle sous son imperméable noir…

Mais c'était visible au premier coup d'œil qu'il n'avait jamais tué quelqu'un de sang froid… Aurait-il le cran de commencer ?

Cela pouvait être intéressant de le pousser à essayer… Peut-être que cette bouteille de Baïkal pouvait faire un substitut acceptable à un certain agent du FBI… Et avec ses cheveux écarlates, il n'était pas sans lui rappeler un autre vin qu'il voulait savourer…

Peut-être qu'il pouvait ajouter une quatrième cible à sa liste spéciale… Cependant… S'il essayait, sa démente de mère pouvait sortir de son état catatonique pour sauver son rejeton… Et si elle avait une seconde épine dissimulée dans ses manches… En combat rapproché, il n'avait aucune chance contre la démente, mieux valait ne pas prendre de risques…

Accessoirement, le plaisir de revoir sa seconde meilleure ennemie, après Sherry, revenir une fois de plus d'entre les morts… Il valait bien qu'il prenne quelques risques… et une bonne proie était une proie difficile… Elles étaient si rares qu'il pouvait bien garder celle-ci de côté…

Après avoir calmement rangé son revolver dans la poche de son manteau, le tueur baissa les bras, permettant à celle qu'il y emprisonnait de se réfugier dans ceux de son fils.

Ce n'est qu'une fois que le tueur eut quitté le couloir, en marchant à reculons et sans retirer sa main de sa poche, que le détective se décida à baisser le sien, pour caresser doucement les cheveux de sa mère tremblotante.

Lorsqu'elle se fut suffisamment remise de ce qui venait d'arriver, le métis la guida doucement vers la sortie du couloir, en la soutenant de la même façon qu'il l'aurait fait avec un infirme ayant égaré sa béquille.

« Où est ce que tu m'emmène, Saguru ? »

« Je te ramène à la maison, maman… »

« …à la maison… »

Les trois petits mots qui s'échappèrent des lèvres de l'anglaise les plissèrent en un sourire rêveur.

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Note de l'auteur : Les personnages évoqués par Helen Miyano dans ce chapitre sont rigoureusement authentique… Si vous voulez en apprendre plus sur le docteur Bell et son collègue, le docteur Cream, je ne saurais trop vous conseiller la lecture du chef d'œuvre de René Réouven, Elémentaire, mon cher Holmes

Les Weird sisters : Les trois sorcières dont la funèbre prédiction sera à l'origine de la déchéance de Macbeth… Pour peu que vous ayez lu ce chef d'œuvre de Shakespeare, vous devriez être capable de comprendre pourquoi Helen ne se sent guère flattée d'être désignée par ce surnom…