Chapitre 1 – Premier contact : la rixe

Ronon hésitait. Ne sachant pas réellement s'il devait intervenir ou pas. S'il devait… s'interposer, ou laisser faire les choses. En proie à une certaine excitation. Comme à chaque fois que le calme précédait la tempête et puis, qu'il lui fallait se préparer à affronter des ennemis dont il ignorait tout. Assez proche pour observer, mais suffisamment en retrait pour que personne n'ait à s'inquiéter de sa présence. Du moins, c'est ce qu'il croyait.

Très loin de s'imaginer ce qui l'attendait à l'angle de cette rue. Le souffle rauque. Sous tension, cherchant juste à mesurer l'intensité des forces en opposition. De l'électricité dans l'air. Un sentiment étrange qui l'étreignait jusqu'à le précipiter au creux d'une atmosphère crépitante. La crosse de son arme toujours prise entre les doigts. Sur ses gardes. Mais avec la volonté indéfectible de ne prendre aucune décision qu'il pourrait aussitôt regretter. Une fois n'étant pas coutume. Quitte à faire une entorse à ses propres règles. Parce-que foncer dans le tas, cogner, tirer sur tout ce qui bougeait, d'accord. Ça le connaissait. La vérité, c'est qu'il suffirait d'un geste anodin ou d'un mouvement suspect à la périphérie de son regard pour qu'il abandonne ses grandes résolutions. D'un rien. Pour que ça dérape, d'un détail insignifiant qu'il percevrait comme une menace. Une incitation à répliquer. D'un caractère impulsif, et d'une nature à facilement s'emporter. Sauf que sur terre les lois étaient un peu différentes de celles en vigueur dans la Galaxie de Pégase. Alors voilà, ce soir il préférait prendre le temps de la réflexion plutôt que d'agir sur un coup de tête. D'autant plus qu'il ne possédait aucun moyen de communication lui permettant de contacter ses amis en cas de problème. Complètement isolé. En totale déroute, refusant de s'écrouler à nouveau.

Pour quelque raison que ce soit. Rebuté par l'idée de tourbillonner à nouveau dans le vide, en proie aux affres de la solitude, au risque de se briser et de sombrer dans l'agonie de ses traumatismes. Songeant qu'il serait peut-être plus sage pour lui de passer son chemin et d'essayer de retrouver ce bar qu'il venait à peine de quitter. Incapable de s'orienter. Son esprit prenant subitement des allures de labyrinthe inextricable. Un dédale impénétrable, au travers duquel il lui semblait toucher les frontières de l'univers. Une puissante charge magnétique courant sous sa peau. Semblable à un flux et à un reflux incessant qui bouillonnait à l'intérieur de ses veines. Le vert de ses yeux quémandant une approbation échappant à toute forme de logique. Il n'y comprenait plus rien. Et il s'affolait. Les difformités de sa silhouette dansant au milieu des ombres de la nuit. Tel un battement de cœur subtil. Une sorte de tressaillement habile qui lui rappelait que même si rien dans cette histoire ne le concernait directement, il était déjà trop tard pour reculer. Chaque parcelle d'obscurantisme qui recouvrait l'humanité lui donnant la redoutable impression de scintiller sous un clair de lune brumeux. Une totale éclipse qui le rendait lui, presque vaporeux.

Une légère brise dissipant les nuages clairsemés qui saupoudraient le ciel, et chassant par la même occasion de derrière ses paupières frémissantes les bribes de réminiscences qu'il sentait parfois encore l'animer. Rien de réel dans les visages s'illuminant au travers des émanations de la ville. Une illusion passagère, un effet d'optique troublant qu'il lui fallait absolument faire disparaître s'il voulait pouvoir concentrer toute son attention sur la scène étrange qui se déroulait devant lui. Un homme, autour duquel une horde de créatures aux canines proéminentes semblaient vouloir interdire la moindre petite forme d'échappatoire. Pris au piège. Un quelconque espoir relevant du fantasme, pourtant il se battait bien. Ce Tau'ri. Avec courage, encaissant les coups sans s'avouer vaincu. Fier, quand soudain quelqu'un ou quelque chose se mettait à l'appeler par son prénom.

Ronon… viens… Ronon, Ronon, Ronon …approche. Ronon…aide moi...

Un murmure. Un vague soupir, qui le privait de son libre arbitre. Manipulé par un autre. Une entité dominante qui faisait de lui une marionnette désarticulée. Rien qu'un pantin dont on tirait les ficelles et qui suivait désormais un courant sans retour. Une requête discrète, sourde et muette, semblable à un râle qu'on aurait expié et qui n'en finirait plus de se répercuter en milliers de vibrations contre ses tympans. Provoquant un bourdonnement gênant au fond de ses oreilles. Avant qu'un cri strident ne vienne déchirer les parois invisibles de son esprit. Sous emprise « COURS ! » Un hurlement qui se muait en une ultime supplique quand une autre conscience que la sienne se faufilait dans les entrailles de son corps. Il la décelait. Et c'est à cet instant précis qu'il entendait pour la seconde fois le son de sa voix « ALLEZ SAUVE-TOI ! » Celle d'Elijiah. Une voix grave et chaude, séduisante, une voix au grain hypnotique qui lui procurait à la fois une sensation de bien-être diffuse et de terreur indescriptible. Au-delà des mots. Comme s'il lui appartenait déjà. Au point de se demander qui suis-je ? Ses accents chantant et roulant sous la langue telle une mélodie envoûtante. D'ici et d'ailleurs, ils marchaient pour se rencontrer. Mais une voix qui ne manquait pas de soulever un élan de colère incontrôlable chez lui lorsque celle-ci intimait l'ordre pernicieux à l'adolescente recroquevillée de l'autre côté d'un amoncellement de vieilles caisses ébréchées de courir si elle voulait sauver sa vie. Un acte délibéré qu'il avait du mal à s'expliquer. L'obligeant lui à se montrer et à sortir de sa réserve pour s'interposer entre la gamine et l'espèce de monstre assoiffé de sang qui la poursuivait. L'attrapant par les cheveux, et la projetant au sol. Durement. Pas pour la blesser, mais pour tuer.

Le reste, il ne saurait pas le décrire avec précision. Même si on lui demandait de rendre des comptes. De justifier ses actions, et chacune de ses réactions. Tout ce à quoi il se raccrochait s'échappant d'entre ses mains comme de l'eau. Une force surnaturelle surplombant sa volonté, quitte à réduire ses efforts à néant.

- Hey ! Et si tu t'attaquais plutôt à quelqu'un qui sait se défendre ? qu'il lançait sur un ton peu amène.

Et les traits déformés, il tirait sans autre sommation. Son magnum à particules délivrant une puissante aura d'énergie thermique et cinétique sur la créature qui dans une contorsion cauchemardesque s'était jetée sur cette pauvre gamine. L'immobilisant et sauvant sa future victime d'une mort effroyable. Une entrée en matière qui marquait le début des hostilités. Puisque malheureusement, il n'en fallut pas davantage pour que l'intégralité de la meute lui saute littéralement au cou. Sous le regard amusé de l'inconnu à la peau couleur ambre. Elijiah. Un sourire des plus provocateurs, d'un genre évocateur, accroché aux lèvres et les bras qui s'écartaient en croix comme si ce dernier invoquait une quelconque puissance supérieure. Les paumes des mains ouvertes en direction du ciel, sûr de lui. Pas un battement de cils. Rien. Tandis que le coude du Satedien éclatait le nez de la créature qui venait de l'empoigner par derrière pour le faire reculer dans un gémissement sonore. Le même faciès immonde que celui d'un Wraith. Des yeux injectés de sang. Le visage fripé, semblable à la gueule d'un animal sauvage. Un maigre gain de temps qui lui permettait néanmoins de se retourner pour saisir le bras de celui qui tentait de le frapper afin de brutalement le tordre, et d'ensuite lui encastrer son genou en plein dans l'abdomen. Le pliant en deux. Si besoin, il les mettrait tous au défit. Shootant l'imbécile qui lui courait droit dessus. Le troisième. L'un de ses doigts se posant à la bordure de son œil gauche pour leur signifier qu'il les voyait et qu'il les gardait à vue.

Les autres se dispersant alors tout autour de lui pour l'encercler. Des grognements bestiaux s'échappant du fond de leurs gorges. De toute évidence, il en faudrait beaucoup plus pour les dissuader de continuer à l'attaquer. Ses prunelles expertes balayant le périmètre à la recherche de n'importe quoi, d'un truc, susceptible de se transformer en arme. Quand il l'apercevait, la barre en fer qui gisait sur le bitume. Un peu plus loin. Tout près des caisses, et des détritus qui accentuaient le climat glauque émanant du décor. Les crocs acérés qui menaçaient de le sucer jusqu'à la moelle le poussant à risquer le tout pour le tout en tirant dans le tas avant de coincer son blaster dans la ceinture de son pantalon et de se précipiter tête première au ras du sol. Puis de se frayer un passage entre leurs jambes malgré le chaos général. Jusqu'à atteindre son objectif et l'attraper. Son dos amortissant l'impact des coups qu'il recevait, la promesse de belles ecchymoses en devenir. Des blessures de guerre. Semblables aux cicatrices barrant son épiderme. Dans sa chair. Là où les Wraiths lui avaient implanté un mouchard qui servait à constamment transmettre sa position. Du gibier, condamné à courir pendant sept ans.

Bref. Plus personne ne le toucherait, jamais. Sous peine de recevoir une sévère correction. Preuve à l'appui. S'il en fallait encore une, et il se relevait. Un filet de sang s'écoulant à la commissure de ses lèvres. Ses mains esquissant de larges mouvements circulaires avec la barre de fer. Une parade ayant pour but de les tenir en respect et de se mettre en position d'attaque. Sa barre faisant rebond pour frapper le visage de l'une des créatures avant de revenir frapper le corps d'une autre en diagonale. Ses mouvements de rotation reprenant en rythme, en même temps qu'il tournait sur lui-même. La barre de fer balayant les jambes de tous ceux qui tentaient de percer sa ligne de défense. Souple et agile, infaillible. Pour finir par la planter dans la gorge de ce qui s'apparentait à un vampire. Un personnage légendaire dans la culture des habitants de cette planète. La barre de fer à laquelle il s'agrippait avec rage explosant des mâchoires et brisant des côtes. Le dénommé Elijiah choisissant ce moment propice pour enfin se décider à intervenir et s'élancer dans la mêlée. Insufflant à ce combat une tout autre dimension quand la lame de son épée tranchait tour à tour les têtes de ces choses qui tombaient au fur et à mesure en poussière.

Ce que vit Ronon, ses yeux en doutaient encore. La calme s'abattant sur eux comme la misère sur le monde. D'un coup, la horde d'enragés avait disparu. Ne laissant aucune trace de leur passage. Rien que de la poussière, que le vent éparpillait aux quatre coins de la rue. Et le silence. Sa respiration douloureuse venant se suspendre aux lèvres de cet homme aussi mystérieux et dangereux que tout un escadron de vaisseaux ruches. Des bruits de course et des pleurs rappelant à son bon souvenir l'adolescente « Laisse la partir.» Cette voix… qui ordonnait.

- Je peux savoir ce qui se passe ici ! l'interrogea alors le Satedien, comme figé sur place.

- Tu as vraiment besoin que je t'explique ? lui rétorqua Elijiah.

- Vaudrait mieux pour vous oui, laissa froidement tomber Ronon.

- Je vois. On est anxieux, on aime être rassuré, on a besoin de se sentir écouté et compris. T'as pas l'air de ce genre de mec pourtant au premier abord. Ça me plaît bien, surenchérit le vampire sur un ton railleur.

- Et j'ai l'air de quoi ? chercha-t-il alors à savoir, quelque peu mis à mal par l'aplomb de l'autre.

- D'un mec qui joue au dur à cuire pour cacher aux autres à quel point il est doux, sensible et en manque d'amour. Je me trompe ? articula tranquillement cet homme qui le regardait sans sourciller.

- Bon ça suffit maintenant ! Elles viennent ces explications ou pas !? cracha finalement Ronon qui se sentait perdre patience et qui manifestait à présent un certain degré d'agacement. Jetant la barre de fer qu'il tenait encore entre ses mains pour reprendre son blaster et le pointer dans la direction de ce dernier.

- Hey, du calmesouffla Elijiah, en levant lentement les mains pour les mettre bien en évidence. Pas la peine de t'énerver, la patience c'est pas ta principale qualité à ce que je vois. On pourrait peut-être discuter de manière civilisée et amicale, t'en dis quoi ? poursuivit-il, en avançant légèrement vers le Satedien.

- Je suis amical, murmura Ronon entre ses dents, et en le tenant toujours en joug.

- OK. Qu'est-ce que tu veux savoir au juste ?

- C'est qui cette fille ?

- Une parfaite inconnue au secours de laquelle je suis venu.

- Pourquoi ?

- Et toi, pourquoi t'es venu au mien ? question rhétorique que le vampire ne manqua pas de retourner à son avantage.

- C'étaient qui ces hommes ? Pourquoi est-ce qu'ils sont tombés en poussièrecontinua le satedien en ignorant les manœuvres de son interlocuteur qui espérait sans doute le déstabiliser.

Au loin, des sirènes retentissaient. Il les entendait. Ça approchait. Avec le bruit des moteurs qui ronflaient et puis, celui des pneus qui crissaient. Les lumières des gyrophares bleu et rouge tournoyant dans les ténèbres. Des éclairs se formant à la surface des flaques creusant le bitume et sur les vitrines des commerces environnants. Tandis qu'ils se faisaient face. Les habitants du quartier se penchant à leurs fenêtres, les murs ayant des oreilles.

- Il faut qu'on bouge, asséna Elijiah en faisant encore un pas vers lui.

- J'irais nulle pas, et vous non plus ! Le prévint le satedien, le canon de son magnum se pressant contre le front de cet inconnu qui lui parlait comme s'ils se connaissaient depuis toujours.

- Très bien, alors on va attendre ensemble de se faire ramasser par les flics. Et tu justifieras ta présence dans ce coin de la Galaxie comment sans tes potes pour "accréditer " ta couverture ? Ronon Dex.

- Comment… je comprends pas, se mit à marmonner Ronon. La voix éteinte.

- Je sais. Maintenant, on va foutre le camp. Et je t'expliquerais tout une fois loin d'ici, dit simplement le vampire en attrapant le canon de son arme pour la lui faire baisser et extirper de la poche intérieure de son cuir les clefs de sa caisse.

Une Aston Martin, dont les voyants clignotaient lorsqu'elle se déverrouillait. Et d'un signe de tête, celui-ci invitait le Satedien à le suivre. Ronon grimaçant et finissant en tout désespoir de cause par ranger son blaster pour courir vers la voiture et s'engouffrer dans l'habitacle. Côté passager. Les événements s'enchaînant les uns aux autres à une telle vitesse qu'il n'avait plus le temps de réfléchir. La tête à l'envers. Les pulsations de son cœur lui broyant la poitrine « Attache ta ceinture.» Un sourire désarmant lui coupant tout sens de la répartie, et il s'exécutait. Possédé.

- Est-ce que tu connais ce poème de Robert Frost ? « Certains disent que le monde périra par le feu, d'autres par la glace. De ce que j'ai goûté du désir, j'ai toujours été du côté de ceux qui préféraient le feu. Mais s'il devait périr par deux fois, je pense connaître suffisamment la haine pour dire que la destruction par la glace est tout aussi merveilleuse et devrait suffire.» Et toi Ronon, tu es le feu ou la glace ? Parce-que personnellement, je ne crois pas que l'un de ces éléments puisse exister et survivre sans l'autre. Comme le jour et la nuit, le soleil et la lune, le bien et le mal. Alors ? Qui es tu ? Est-ce que tu es prêt à écouter tes désirs les plus sombres ? Est-ce que tu es prêt à te créer une vie dans laquelle ils pourront s'exprimer ? Entièrement, sans tabous, sans craintes, ou es-tu la lumière. Pure, la seule capable d'absorber toute l'immensité d'un trou noir et de donner une raison d'être à quatre siècles d'errance.

Et ils roulaient. Ils roulaient, roulaient, roulaient. Vite. Fuyant les lumières artificielles d'un paradis terrestre dont les habitants ignoraient ce que c'était que de chercher un peu de sécurité à travers une autre personne…