Chapitre 3 Part III Pour quelques heures

Décidément, cette boite avait quelque chose de vraiment fascinant. Un truc de captivant. Quelque chose qui aurait presque pu donner à Ronon l'impression de vouloir absorber toute son attention à chaque fois que son regard en fixait l'écran. Les images qu'il voyait s'animer juste là, sous ses yeux, se mettant à se tordre, à se dédoubler, et à s'échapper de la télévision comme des tentacules prêtes à le dévorer. Peut-être bien qu'il perdait la tête après tout. Qu'il sombrait dans la folie. Enfermé à l'intérieur de son corps, et il aurait voulu hurler. Seulement il suffoquait. Il étouffait. Une force invisible lui dictant sa manière de penser et la façon dont il devait se comporter. Alors il se taisait. En proie à une agitation mentale impossible à calmer. La réalité se déformant, semblable à une camisole de force impossible à retirer. Quelque chose qui le vampirisait, et qui le surexcitait. Pour créer dans son esprit, une machine à voyager qui lui permettait de voir le monde en un simple battements de cils. Sans avoir besoin de sortir, de bouger, de parler ou de réfléchir par ses propres moyens. Alors que les ruines de Sateda reposaient sur des kilomètres de décombres et de gravas. Mais pas l'ombre d'une réaction, d'un mouvement ou d'un sursaut, pas un seul frémissement capable de l'arracher aux contours de ce foyer recomposé qui l'abritait. Loin des Wraiths, des réplicateurs, à environ trois milliards d'années lumière de la Galaxie de Pégase, loin de tout ce qui pouvait constituer une menace directe pour sa survie. Mais aussi de tous ceux qui comptaient pour lui, de… assis sur le canapé. Devant une émission qui mettait en scène des gens victimes de glissades, de chutes en tout genre, et aussi à l'origine de maladresses improbables. Des enfants et des animaux qui jouaient ensemble, et auxquels il arrivait de petits malheurs plutôt amusants. Toujours sans la moindre gravité. Pas comme ce qu'il subissait, lui...

Un coussin pris entre les bras, la moue à moitié rieuse à moitié chagrine. Les traits qui se crispaient. Le vampire saisissant l'occasion au vol pour lui porter le coup de grâce « On appelle ça un bêtisier.» qu'il lui lançait depuis la cuisine. Avec son plan de travail en désordre. Des épluchures de légumes, une passoire dans l'évier, des pelures d'oignons un peu de partout. Le bruit de l'eau qui coulait et un filet d'huile dans la cocote qui grésillait, qui pétillait, à la température idéale pour y faire revenir les dés de poulet. Quelques minutes. Avant de les réserver, et de faire dorer à son tour l'oignon émincé. Une bonne odeur s'infiltrant dans ses narines quand les poivrons, le riz et le bouillon de légumes se joignaient au reste de la préparation. Prêt à passer à la phase suivante.

- Un bêtisier ? releva alors le Satedien, sans quitter du regard l'écran de cette boite étrange que les Tau'ri appelaient télévision. Ses éclats de rire remplissant toute la pièce de fausses illusions. Rien qu'un mensonge habile.

- Oui. Les gens se filment dans des situations plus ou moins drôles, et envoient ensuite leurs vidéos à des chaînes de télévision qui les diffusent en échange d'une certaine somme d'argent. Lui expliqua Elijiah, un torchon sur l'épaule et appuyé contre le chambranle de la porte de la cuisine. Les bras croisés sur son torse.

- Tu veux dire que c'est fait exprès ? voulu savoir Ronon, toujours sans le regarder.

- Pas toujours, mais la plupart du temps oui. Poursuivit le vampire tout sourire.

- Je suis déçu… souffla-t-il.

- Dans ce cas, tu ne verras sans doute aucun inconvénient à ce que je coupe l'image et le son n'est-ce pas ? Lui souffla l'irakien sur le même ton, tout bas, en venant s'asseoir à ses côtés et en attrapant la télécommande pour éteindre la télévision. Enlève ton tee-shirt, reprit celui-ci en prenant le baume posé sur la table basse.

- Je crois pas non…

- J'ai pas l'intention de te violer, mais juste de te masser. Pour tes coups… ça va te soulager. Puis je veux qu'on m'aime Ronon. Pas qu'on ait peur de moi, ou qu'on me craigne. Si quelque chose doit se passer entre nous, c'est parce-qu'on l'aura voulu tous les deux, glissa-t-il à bon escient, pas parce-que je t'aurais forcé à quoi que ce soit. Okay, tu l'enlèves ou pas ce tee-shirt ? lui demanda le vampire en prenant un air embarrassé, un maître dans l'art de la manipulation, mimant de s'excuser avant de repartir s'occuper de ses casseroles. De plus en plus ambiguë dans ses attitudes. Soufflant le chaud et le froid. Le conditionnant progressivement, sans rien précipiter.

- Attends ! l'arrêta alors le Satedien en posant une main sur son bras pour le retenir. Reste…

Reste. Comme si ce choix lui appartenait réellement, comme si. Ses lèvres remuant, et il répétait : Reste avec moi. Le simple mortel qu'il était ne possédant aucune barrière psychique capable de préserver et de protéger son esprit contre les quelques incursions d'une volonté transcendant le temps et l'espace depuis des siècles maintenant. Sans défense. Que ça soit sous la forme de bavardages, d'illusions, ou de quoi que ce soit d'autre. Les débuts du monde s'agitant au fond de ses yeux comme des tourbillons à la surface d'une eau trop lisse. Un guerrier sans peur et sans reproche, réduit à la même échelle qu'un agneau qui venait de naître. Une aberration. Puis de nouveau… reste … tel un dernier rappel. Ce que s'empressait de faire le vampire en se rasseyant contre lui, assez comblé de le voir enfin se déshabiller. Tout en lui disant « J'ai pas peur de toi.» Une précision sans grande valeur, et que le Satedien adressait à son attention en sachant que de toute façon, on le lui interdisait. Son regard cherchant l'assentiment de celui d'Elijiah. L'aura de ce dernier dégageant un champ d'énergie qui l'enveloppait entièrement. Soumis à un pouvoir d'hypnose qui le rendait à ses yeux tellement séduisant, si intensément envoûtant.

Et il se perdait. Sans réellement comprendre ce qui l'attirait, sans vraiment savoir pourquoi ni comment, en ayant pour seule certitude l'envie d'être avec lui. De le respirer. De goûter sa peau, de le toucher, un jeu pervers qui le mettait dans un état de sidération absolu et critique. Comme si plus rien d'autre n'existait. Malgré les forces contraires qui l'agitaient, une torture, et il se sentait déchiré, tiraillé, entre des désirs insensés et le réflexe archaïque de le repousser, pas à la bonne place. Pas au bon endroit. Des appréhensions subsistant, et dormant quelque part dans les sombres recoins de son subconscient. Ses doigts roulant en boule le tee-shirt qu'il portait. Les phalanges qui trituraient le tissu du vêtement pendant que les mains de l'irakien se recouvraient de baume. Des mains d'homme et d'une délicatesse sans pareille qui entouraient son cou. Lui soutirant un râle de plaisir sous les premiers attouchements qu'elles lui prodiguaient. Un simple effleurage pour commencer, une caresse superficielle à la base d'un mouvement circulaire de la paume des ces mains différentes des siennes… une entrée en matière permettant à ses muscles de chauffer et de se détendre. Des mains ne lui laissant à partir de cet instant précis plus la moindre alternative, plus la moindre chance d'en réchapper, au point qu'il envisageait la possibilité d'apprendre à renoncer à cette autre vie qui l'attendait derrière les murs de cet appartement. Une vie que John portait à bout de bras, berçant son cœur, ses paupières clignant et se rouvrant sur les lèvres du vampire. Un pauvre baiser, qu'est-ce que ça changerait ? Les mains expertes descendant sur ses épaules, puis sur son torse. Front contre front, leurs bouches se frôlant « Tourne toi.» Qu'il ordonnait. Elijiah. Qu'il exigeait.

Pour mieux l'attiser, dans une effluve de métal et de poussière...

Et il s'exécutait. En se tournant dos à lui, une onde de frissons le saisissant quand ses mains revenaient se poser sur ses épaules et que ses pouces formaient des cercles sur sa nuque. Ses doigts pétrissant sa peau. Pour glisser le long de ses bras et se poser sur ses hanches, le temps de quelques minutes. Interminables.

- Ça te fait mal ? voulut-il savoir, en remontant sur ses côtes couvertes d'ecchymoses.

- Un peu… mais c'est bon, t'arrêtes pas. Se surprit à geindre le Satedien.

- Où Ronon ? demanda le vampire en continuant son exploration, ses mains pressant le bas de son dos.

Une grimace suivit d'un gémissement l'aidant à localiser la douleur « Ici, d'accord.» Les mains à nouveau enduites de baume, Elijiah les déplaçaient pour les apposer sur ses lombaires de part et d'autre de sa colonne. Plaçant ses doigts face à face. Puis il entamait des va-et-vient de bas en haut pour décontracter ses muscles, tout en appuyant sans les bouger le bout des doigts de chaque côté, au plus proche de sa colonne vertébrale. Le laissant tout mou. Relâché. Bien. Sa tension artérielle diminuant significativement. Rassuré. Pour ne pas dire littéralement apaisé. Les stimuli sensoriels déclenchés par ce massage libérant dans tout son corps des endorphines qui possédaient une action antidouleur naturelle et qui lui provoquaient une sensation d'euphorie quasi délirante.

- Je crois que la machine a fini de tourner, faut que j'aille voir. Laissa tomber l'irakien.

- Quoi ? La machine… bafouilla Ronon, totalement perché.

- Tu peux te rhabiller si tu veux. Je vais aller ajouter les petits pois et les dés de poulet à ma préparation, puis mettre tes vêtements dans le sèche linge. On pourra manger après, je reviens.

- Et c'est tout…

- C'est tout oui, pour l'instant. Lui indiqua Elijiah avant de déposer un baiser sur son épaule et de se lever.

Un baiser qui l'embrasait entièrement, un baiser qui le sonnait. Un baiser semblable à un coup de poing qu'il aurait reçu en pleine mâchoire, et qui l'aurait mis KO. Incapable de se relever. Les yeux fermés. Il grelottait. Avec la sensation désastreuse de ses dents qui éraflaient la pulpe de sa lèvre inférieure. Des spasmes soulevant des cratères à la surface de son épiderme, pire qu'un séisme. Le tee-shirt qu'il tenait entre ses doigts menaçant de se déchirer. Tandis que le ronflement du sèche-linge lui indiquait l'urgence de se couvrir, de se rhabiller. Une main de fer dans un gant de velours s'emparant déjà de son vêtement « Laisse moi t'aider à le remettre.» Et une minute plus tard, ils allaient s'installer à table. Pas après pas, toujours dans un équilibre précaire.

- Alors, est-ce que ma cuisine te plaît ?

- C'est meilleur que sur Atlantis oui ! lui confirma Ronon. Mais… j'imaginais pas que les… enfin, que les vampires pouvaient manger. Je croyais que t'avais besoin de sang pour survivre. Hier soir…

- On peut manger, seulement la nourriture qu'on ingère ne nous nourrit pas.

- Pourquoi tu manges avec moi dans ce cas ?

- Parce-qu'on m'a appris la politesse, et que tu es mon invité.

- Ton invité oui...

- Quoi, tu en doutes ?

- Peut-être… bref, on s'en fout. Je voudrais savoir, tout à l'heure ou ce matin... avant de… je sais plus... tu as dit que si l'occasion se présentait, tu pourrais me montrer. Mais me montrer quoi exactement ? Parce-que je vois pas trop comment tu pourrais me prouver ce que tu avances. Même si… même s'il savait que cet homme le sondait, qu'il le fouillait, sa fourchette raclant le fond de son assiette.

- Le prends pas mal, mais c'est une habitude chez toi de ne jamais terminer tes phrases ? Écoute, finis de manger tranquillement. Et ensuite, je te propose d'aller nous poser dans ma chambre.

- Pourquoi ta chambre ?

- Parce-que ça risque de te secouer un peu, et que je préfère que tu sois confortablement installé sur le lit.

- D'accord… je te l'ai dit, j'ai pas peur de toi. Je crains rien ni personne.

- Je n'en doute pas un seul instant, lui affirma Elijiah.

- Bien ! Hier soir, qu'est-ce qui s'est passé pour que je gerbe de partout…

- Tu as respiré des substances hallucinogènes et surtout, un petit conseil, après tu en feras ce que tu veux, mais c'est pas recommandé de boire le verre d'un parfait inconnu. Tu sais pas ce qu'il peut y avoir dedans. Je dis ça, je dis rien, le mit-il en garde pour la prochaine fois. S'il y en avait une.

- Je crois me rappeler de ça. Oui… très vaguement… ce type est venu se coller contre moi, pour je ne sais quelle raison avoua-t-il. La vision du vampire vautré sur ce pauvre mec, ce calice, l'ayant fortement perturbé. Envie d'être mordu lui aussi. De savoir ce que ça faisait, ou pas. Toujours les mêmes hésitations, les mêmes contradictions. Bon ! J'ai fini. On y va ? demanda-t-il pour la forme alors qu'il sortait de table et rangeait sa chaise.

- On y va ! Après toi, lui fit signe le vampire en l'invitant à rejoindre sa chambre et par conséquent, son lit.

Une fois de retour dans la chambre, ils grimpaient chacun leur tour sur le lit pour s'y asseoir l'un en face de l'autre. Les jambes en tailleur. Elijiah prenant ses mains entre les siennes « Ferme les yeux et respire. Nos esprits ne vont plus former qu'une seule et même entité. Tu n'auras pas mal, en fait, tu vas juste ressentir une très légère gêne. Comme des fourmillements au bout des doigts, dans l'idée. Quelque chose qui te frôle sans te toucher. Il va falloir me faire confiance. Jusqu'au bout.» Lentement, les contours de la chambre se fondaient avec le reste de l'appartement. Comme s'ils franchissaient les murs. L'espace se réduisant à peau de chagrin pour s'ouvrir sur une immensité de portes jalonnant un couloir sans début ni fin. Et il entendait, qu'on frappait des coups contre l'une d'entre elles. La porte s'ouvrant sans qu'il n'y oppose aucune résistance. Des silhouettes diffuses le cernant. Alors qu'on le projetait dans un endroit qu'il ne connaissait pas. Pour se retrouver planté au milieu d'une rue. Le chant des Minarets survolant Bagdad, la ville lumière. Le vampire courant et trébuchant sur les pavés. Du temps de son humanité. Tout son corps le traversant, pour réapparaître au chevet d'une femme. Des bougies brûlant son âme, presque morte. En couche. Des hurlements se mettant à lui vriller les tympans. Méléna. L'explosion, et la fenêtre qui volait en éclats avant qu'un brasier infernal ne vienne l'avaler. Des larmes coulant sur ses joues sans qu'il ne parvienne à les retenir, au moment où la porte se refermait sur le passé pour laisser le présent se rematérialiser. Une courte expérience, qui bouleversait l'ordre des choses. Le doute ne lui étant plus permis.

- Tu as toujours envie de savoir ce que ça fait d'être mordu ? le questionna l'irakien sans détour. Je les sens Ronon. Ta curiosité à mon égard, ta méfiance aussi, puis l'attachement que tu voues à tes amis. Tu ne peux rien me cacher. Ce que tu viens de voir n'est qu'un infime aperçu de l'étendue de mes pouvoirs. Ils sont immenses. En apposant ma marque sur ta peau, en me nourrissant de ton sang, je ferai de toi mon unique Calice. Comprends que si je te mords, alors tu m'appartiendras. Et que seule la mort pourra t'apporter une délivrance.

Sans attendre de réponse de sa part, le vampire se jetait sur lui. Le poids de leurs corps faisant basculer Ronon en arrière. Pour se retrouver entièrement bloqué sous celui-ci, son bassin pris entre les cuisses. Un vague sursaut de lucidité le poussant à violemment se débattre. En vain. Des doigts tout froids encerclant ses poignets pour ramener ses bras au-dessus de sa tête. Une force issue de quatre cent ans exerçant toute son emprise sur lui. Subitement vulnérable, à la merci d'un homme en mesure d'implacablement le dominer. Et il aimait se sentir au bord du gouffre. Il aimait n'être plus rien et tout à la fois entre ses bras. Il aimait la douleur et le plaisir que lui procuraient ses crocs en transperçant sa veine jugulaire. Ses yeux se rouvrant sur le plafond. Le regard trouble. Son sang quittant ses veines pour s'écouler dans la gorge d'Elijiah. Il aurait pu mourir. De toute façon, le mal était fait. Désormais, il préférait encore se faire tuer plutôt que d'être séparer de cette moitié de lui qu'on venait de lui voler. Son souffle ralentissant, jusqu'à perdre connaissance. Le vampire le serrant contre lui, possessivement.


Un jet de lumière. Une lampe torche qu'on dirigeait sur son visage et qui l'aveuglait. La voix de John : « Chewie, il faut vous réveiller. Allez Chewie ! » Une main qui le secouait. Des armes de partout et que des soldats braquaient en direction du lit en criant. Puis John : « Est-ce que ça va Chewie ? On va vous ramener au SGC, c'est terminé. On est là.»