Chapitre 5 Stress post traumatique

Il s'impatientait. Ronon. Il s'agitait, tout en lui se mettant à remuer. Aspiré par le néant. Il le sentait, ce poison qui se répandait dans son sang sans que rien ni personne ne puisse enrailler sa progression. Depuis que. Et il s'animait, il se réanimait, comme à chaque fois qu'il essayait de donner un nouveau sens à la raison. Se balançant, tanguant, de l'avant vers l'arrière jusqu'à se disloquer. Semblable aux pièces d'un puzzle impossible à assembler. Dans un désordre brisé. Des morceaux de lui-même qui se dispersaient au-delà de la porte des étoiles pour venir se rematérialiser au milieu du chaos. Des forces invisibles l'aspirant, l'attirant, pourtant il se défendait. Du mieux qu'il pouvait. Il résistait, il luttait, contre la folie qui l'habitait et puis contre quiconque voudrait l'approcher. Un brin agressif envers ceux qui tentaient de l'aider. Sans aucun discernement. Cherchant juste à retrouver la pureté de son âme lorsque l'horreur l'encerclait. En proie à une agitation grandissante. Les sédatifs qu'on lui administrait n'ayant hélas pas les effets escomptés. Plongé dans une sorte d'état second. La confusion mentale dont il souffrait dépassant les compétences de l'équipe qui l'avait pris en charge dès son retour au Stargate Command.

De fait, le médecin en chef de la base avait donc jugé nécessaire de demander à ce qu'on fasse venir le plus rapidement possible le docteur Beckett sur terre. Mais en attendant, la situation ne cessait de se dégrader. De se détériorer. De s'aggraver au risque de complètement dégénérer si personne ne faisait rien, et pour cause. Ils ne savaient pas eux. Ils ne soupçonnaient pas quel mal le rongeait de l'intérieur, par voie intrinsèque. Les ombres du passé continuant à le traverser, à le transpercer, à le persécuter et ce, où qu'il aille. Quoi qu'il fasse. Nulle part où se cacher. Pas un seul endroit dans lequel se réfugier. Il les voyait. Elles l'observaient, elles chuchotaient, il les entendait. Les oreilles qui bourdonnaient. Sourd aux justifications des uns et des autres. Un peu déphasé.

Pour ne pas dire complètement déboussolé. Toujours assis sur la table d'examen. L'échine qui se courbait, fébrile, torse nu et le corps recouvert d'ecchymoses, les nerfs à fleur de peau, exténué, les paupières qui se fendaient et les doigts qui s'agrippaient à l'armature en métal qui soutenait son poids à chaque fois qu'il croyait tomber. En plein stress post traumatique pour ce qu'il en comprenait. Même s'il en doutait fortement, solide. Mais peut-être bien au bout du compte… peut-être bien. Qu'est-ce qu'il y connaissait lui après tout ? Des moyens limités. Pas aussi intelligent que certains scientifiques de son entourage et qu'il ne s'abaisserait pas à nommer. Pas aujourd'hui en tout cas, pas maintenant. Un long frisson, un très long frisson le parcourant tout entier. Impossible à réfréner. Lorsque son cerveau générait à la surface de ses rétines des visions cauchemardesques. Des images furtives qui surgissaient et disparaissaient sans prévenir. Ses yeux se levant en direction du plafond avec l'impression presque physique de voir le ciel s'ouvrir en deux pour l'avaler. Il déraillait et ça l'effrayait, les voix dans sa tête refusant de se taire. Victime de cet esprit étranger au sien qui stagnait à la lisière de sa propre conscience. Les dernières paroles du vampire lui revenant subitement en mémoire : si je te mords, tu m'appartiendras. Une promesse. Qui provoquait chez lui une émotion paralysante. Une mise en garde. Quelque chose d'assez sordide et auquel il n'avait pas prêté une attention suffisante. Sa main se plaquant avec angoisse contre son cou, elle était là… la morsure en question. Il en portait la trace. Les battements de son cœur s'emballant furieusement, besoin de le voir. Elijiah. Un éclat lumineux le foudroyant sur place au moment où il essayait de se remettre debout, le faisant sursauter. Une pression sur son épaule le forçant à rester assis. Avant de réaliser qu'un type en blouse blanche agitait sous son nez une lampe stylo afin de tester la réactivité de ses pupilles « Ronon ? Regardez-moi s'il vous plaît.»

Qu'il regarde quoi… mal au ventre, au crâne, mal de partout. Tout ce qu'il demandait, c'est qu'on lui foute la paix. Une seringue s'enfonçant dans son bras à la recherche d'une veine où le piquer. La moindre de ses humeurs se muant en une source intarissable de contrariété. Tout ce cérémonial finissant par le soûler, et il aurait voulu crier. Détestant ce silence hurlant de vérité. Puis brusquement, voilà qu'il repoussait tout ce petit monde.

- Ça va aller mon garçon, je suis là. Vous n'avez plus à vous inquiéter. Que tout le monde sorte, lança le docteur Carson Beckett en franchissant le seuil de la porte de l'infirmerie. Bien. Comment vous vous sentez ?

- Ça va. Mais… qu'est-ce que vous faites ici ? voulut-il savoir, un peu surpris et à la fois soulagé de voir ce dernier.

- On m'a demandé de venir sur terre pour m'occuper de vous. Alors maintenant, dites-moi comment vous vous sentez Ronon. Vraiment. C'est important pour que je puisse vous aider, on est d'accord ?

- Oui… on est d'accord. Ben… je vois des choses, et j'entends des voix. C'est comme si on manipulait mes pensées. Et j'ai mal de partout, mais c'est rien ça… puislentement, il laissait retomber la main qu'il gardait contre son cou.

- On dirait une morsureconstata Beckett en tapotant le bout des doigts dessus après avoir passé des gants. Est-ce que c'est douloureux ? Je vais vous faire un prélèvement, ça ne prendra que quelques secondes.

Quelques secondes interminables, durant lesquelles le temps se figeait pour ensuite s'étirer à l'infini. Une seconde de plus en enfer. Quand la voix du vampire se distinguait des autres, s'extirpant du chahut. Il gagnait du terrain. Appuyant sa domination, ses accents chantant et roulant sous sa langue comme une roue dont la force d'attraction se révélait écrasante. Il l'appelait. Il le convoquait, lui intimant l'ordre de se présenter à lui aussitôt que possible. Ses mains se mettant à trembler. Il n'avait pas peur non, il n'avait peur de rien. Qu'il disait. Qu'il prétendait. Qu'il essayait de se convaincre. Sur quoi, le visage de John venait le sauver des affres de la perdition alors qu'il creusait sa tombe. Personne pour veiller sur son cœur, qu'il se persuadait. Manifestement à tort.

- Enfin de la visite, laissa tomber Ronon avec le sourire aux lèvres.

- Désolé Chewie, mais j'ai eu un mal de chien à me libérer. La bonne nouvelle, c'est que je suis tout à vous pour le restant de la journée. Alors, vous allez comment ? S'enquit John.

- En dehors du fait que j'ai l'impression que la terre va s'ouvrir sous mes pieds à chaque fois que j'essaye de me lever vous voulez dire ? Ça vaune réponse évasive que le docteur Beckett vint accompagner d'un toussotement.

- Dans ce cas, il peut quitter l'infirmerie doc' ?

- Oui, mais à condition que vous vous reposiez Ronon. Je peux vous faire confiance pour veiller à ce qu'il mange et à ce qu'il dorme lieutenant-colonel ? C'est important, insista Carson.

- Vous avez entendu Ronon ? Dodo ! lui dit John en riant, et en venant poser ses mains sur le haut de ses cuisses. Réduisant la distance qui les séparait, sans se rendre compte de l'impact de ce simple geste sur le Satedien.

Le Satedien dont les mains se posaient instinctivement sur celles du lieutenant-colonel. L'air absent. Les pans de la réalité se déchirant sous ses yeux sans qu'il ne puisse rien y faire. Alors qu'un flash le ramenait quelques heures auparavant. À ce moment précis au cours duquel John l'avait enfin retrouvé. La lumière d'une lampe torche venant l'aveugler, puis aussi, la panique qui régnait tout autour de lui. Du mal à émerger. Des difficultés à comprendre ce qu'il se passait, ce qui lui arrivait. Comme dans un rêve. Il flottait. Elijiah agenouillé au sol, soumis à la menace de plusieurs armes prêtes à se décharger sur lui. John lui demandant où se trouvait ses chaussures et l'aidant à enfiler son manteau. Prévenant dans chacun de ses gestes. Prudent et attentif dans chacune des paroles qu'il prononçait à son égard même s'il avait refusé de l'écouter quand il lui que disait ce n'était pas ce qu'il croyait, sous-entendu que le vampire ne l'avait pas touché. Pas vraiment. C'est vrai. Non ? Il s'embrouillait. Pas encore pleinement conscience de la durée totale de son absence. De sa disparition. Ni d'ailleurs, de l'emprise qu'on exerçait sur lui. Puis ensuite, ils avaient quitté l'appartement pour rejoindre une première voiture au volant de laquelle un militaire en civil les attendait. Sheppard le faisant monter à l'arrière avec lui. Ne le quittant plus d'une semelle. Ses doigts prenant les siens pour doucement les presser dans sa main. Sa simple présence suffisant à l'apaiser.

Toujours, il se souviendrait. Du regard du vampire à travers la vitre du second véhicule. Un regard désolé, navré, un regard qui se fractionnait et qui se remplissait de contradictions, un regard dur et déterminé à obtenir ce qu'il désirait. Entre le bien et le mal. Menaçant, et suppliant. Teyla ayant pour charge de superviser son transfert.

- Ronon ? la voix inquiète de John le ramenant au moment présent. L'instant T. Les mains de ce dernier sur lui, l'une toujours posée sur sa cuisse et l'autre sur sa joue. Ses bras qui l'enveloppaient, et entre lesquels il aurait voulu rester. Dans un sentiment diffus qu'il ne s'expliquait pas. Juste bien, et à sa véritable place.

- Ça va, faut pas vous en faire. J'ai juste eu un étourdissement. Rien de gravesouffla-t-il en essayant de noyer le poisson sous le regard désapprobateur de Beckett qui ne cautionnait pas le mensonge. Même par omission.

- Vous êtes sûr ?

- Oui John.

- D'accord, dans ce cas je vous embarque ! Mais avant, ce serait mieux de vous rhabillersuggéra John les traits fermés. Les poings qui se serraient et la mâchoire qui se crispait devant les traces de coups sur la peau du Satedien. On a fait quoi de vos affaires ? se hâta-t-il de demander en les cherchant des yeux afin de ne rien laisser paraître.

- Là-bas, lui répondit Ronon en désignant du doigt une étagère.

- Bougez pas Chewie, je m'occupe de tout. Une seconde plus tard, le militaire revint avec sa chemise. Vous allez y arriver, ou vous voulez que je vous donne un coup de main pour l'enfiler ?

- J'ai l'air d'être en sucre ? râla celui-ci en grimaçant et en se contorsionnant pour se rhabiller. La moue douloureuse. Pas confortable et pas assez concentré pour boutonner sa chemise.

- Je vais le faire, lui dit Sheppard. Et ne me frappez pas ! ajouta-t-il en entreprenant de glisser les boutons dans leurs encoches. Vous là, interpela-t-il alors une infirmière qui entrait. Vous voulez bien l'accompagner jusqu'à la sortie ?

Aussitôt, l'infirmière acquiesçait. Prenant le bras de Ronon pour l'aider à se lever et le soutenir, le temps qu'il retrouve son équilibre. La tête qui tournait encore un peu, et toujours cette sensation de tomber. Une fois à l'extérieur de l'infirmerie, la jeune femme le faisait asseoir sur une chaise adossé au mur du couloir.

- Bien ! Maintenant qu'on est seul Carson, vous allez me dire ce qui se passe exactement avec Ronon. C'était quoi ce malaise tout à l'heure ? Il dit qu'il va bien, mais j'en ai pas vraiment l'impression.

- Il ne va pas bien non, lui confirma le docteur Beckett dans un soupire en quittant des yeux l'écran de l'ordinateur pour le regarder. Et j'ignore ce qui a pu déclencher les troubles dont il souffre.

- Quel genre de troubles ?

- Il semble qu'il soit en plein épisode psychotique. Avec des hallucinations visuelles et auditives. Il dit aussi que quelqu'un ou quelque chose manipule ses pensées. Et effectivement, l'imagerie a enregistré une activité neuronale anormale dans différentes régions de son cerveau. Puis ce n'est pas tout, il a une sorte de morsure au cou. Et je n'ai pas la moindre idée de ce qui a pu laisser de telles marques. Enfin… en dehors d'un vampire. Le seul problème, c'est que ce genre de créatures n'existe pas sur terre, ce ne sont que des légendes. Alors...

- Alors quoi !? s'énerva John à cause du stress qu'il sentait remonter d'un cran et de l'inquiétude qui le reprenait aux tripes.

- Alors on est dans une impasse, parce-que pour soigner les symptômes il faut d'abord connaître la cause. Raison pour laquelle je vous ai demandé tout à l'heure si je pouvais vous faire confiance pour veiller sur lui. Vous êtes le seul à qui il acceptera de parler et peut-être que vous l'ignorez lieutenant-colonel, mais vous êtes sans doute aussi l'une des seules raisons pour laquelle Ronon a accepté de rester sur Atlantis.

Pour une fois, Sheppard ne trouvait rien à répondre. Rien à redire. Les mots du médecin le poussant à la réflexion et après un dernier regard, il allait rejoindre le Satedien qui l'attendait dans le couloir. Quelque peu surpris par la demande de ce dernier « Je voudrais le voir John, j'en ai besoin pour comprendre ce qui m'arrive.» Bien sûr, il ne fut pas utile de prononcer le nom du vampire pour que le lieutenant-colonel fasse le rapprochement et à contre cœur, il acceptait. Songeant que ça pourrait aider son ami à y voir un peu plus clair. Les deux hommes s'engouffrant dans le monte-charge pour se rendre au niveau 16. Jusqu'aux cellules. Des pièces étroites, disposant d'un confort minimum. Une table, des chaises, un lit superposé et des sanitaires. Une porte blindée avec une vitre pour observer les prisonniers de l'extérieur. Des gardes pour parer à toute éventualité.

- Pas plus de cinq minutes Ronon, c'est compris ? Je reste ici. Au moindre problème, vous sortez. Lui intima John sur un ton sans appel. Sur quoi, il ordonnait à l'un des soldats en faction de lui ouvrir la porte.

Et il entrait. Restant planté sur le seuil de la porte qui se refermait derrière lui, sans oser approcher. Sa fréquence cardiaque augmentant dangereusement. Les doigts qui trituraient les manches de sa chemise. La tête basse. Des sueurs froides recommençant à dégringoler entre ses omoplates. Tout frissonnant. Les yeux qui brillaient d'une mauvaise fièvre, démuni devant l'intensité de ce qu'il éprouvait face au vampire. S'il l'avait voulu, il aurait pu faire de lui tout ce qu'il voulait, comme dans cette chambre. Avant que John vienne le chercher.

John… vers lequel il se retournait, et qui en réponse lui adressait un signe d'encouragement.

- Vous avez l'air vraiment très proches tous les deux, lui dit le vampire. Les yeux braqués sur John.

- Qu'est-ce qui te fait dire ça ? l'interrogea le Satedien en lui refaisant face.

- J'en sais rien, lui rétorqua celui-ci en quittant le militaire des yeux pour reporter son attention sur lui. Laisse-moi réfléchir un petit instant chéri ? Voyons voir. Peut-être cette manière assez troublante que vous avez de vous regarder. Ou peut-être aussi la tension sexuelle qui se dégage de son corps dès que tu t'approches de lui. Il y a de l'alchimie entre vous. Et tu sais ce qui est le plus évident, c'est que ni toi ni lui n'en avez conscience ajouta Elijiah en allant tirer une chaise pour l'inviter à s'asseoir. Viens, tu tiens à peine debout. Ce qu'il fit docilement.

- Ne m'appelle pas comme çasouffla-t'il en s'asseyant, la poitrine oppressée.

- C'est plutôt drôle, tu ne trouves pas ? La seule chose qui te choque dans ce que je viens de te dire, c'est que je t'appelle chéri continua à le provoquer Elijiah en venant se placer derrière lui pour poser ses mains sur ses épaules et se pencher sur lui. Tu veux que je te dise un secret ? Tu es amoureux de lui. Seulement, je t'avais prévenu. En acceptant de me laisser te mordre, tu acceptais aussi de m'appartenir lui rappela le vampire en articulant chaque mot qu'il prononçait. Ses lèvres remuant contre son oreille et l'une de ses mains glissant sur son torse. Ronon, pourquoi tu ne m'as rien dit avant qu'il ne soit trop tard ? Je suis désolé. j'ignorais que tu avais déjà quelqu'un. Pardonne-moi, ce n'est pas ce que je voulais. Mais je me sentais tellement seul

- Tu mens...