Monstre
On n'entrait ni ne sortait de la demeure des Maugrey. Sauf ce jour-là, où il neigeait.
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Note
Ce texte a été écrit dans le cadre de l'Halloween Fest proposé par le Discord Festumsempra, dans le but d'offrir un Happy End à un personnage choisi. Avec ce personnage, un prompt nous a été proposé (je l'ai mis pour info à la fin du texte).
(Le lien est dans le chapitre 1, n'hésitez pas à venir nous rejoindre !)
Merci à Miaro pour sa relecture et ses conseils précieux.
Merci aux organisatrices, aux lectrices et votantes et tout particulièrement à Baccarat V et à MarlyMcKinnon, pour le prix du jury :3
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SOUS LA NEIGE
Il n'avait jamais aimé dormir.
La nuit, il régnait dans la chambre une opacité étouffante. La lune projetait contre le mur l'ombre des fers qui barraient la fenêtre. Il plissa les yeux au travers de la rouille pour distinguer le jardin qui s'étendait au loin, s'attarda sur la forme précaire d'un nuage, la fragilité apparente d'une clôture, les arbres qui déployaient leurs branches comme pour griffer les astres.
Il pouvait dormir le jour, parfois. Il se lovait dans un canapé et attendait que le sommeil l'emporte ; la nuit était trop propice aux cauchemars.
Alastor.
Une voix masculine, lointaine. Venait-elle de la cuisine ? D'un rêve, peut-être. Il avait dû s'assoupir.
Au loin, le ciel s'éclaircissait. Il s'attendait à contempler le jardin sous la lumière de l'aube ; ce qu'il vit le stupéfia. Il ne restait rien du paysage qu'il connaissait par cœur. D'une blancheur irréelle, la neige recouvrait la totalité du terrain. Il ne put s'empêcher de regarder les flocons s'envoler, comme suspendus dans l'éther, inatteignables de sa main tendue derrière les barreaux.
Bientôt.
Il quitta son poste d'observation avec une grimace. Le sol avait réveillé dans ses membres une douleur aiguë. Son genou l'élançait, plié sans doute dans une position inconfortable. La sensation était familière, et il n'y prêta pas attention.
A peine avait-il franchi la porte de sa chambre que du bruit se fit entendre en direction de la cuisine. La lumière se fit plus intense alors qu'il s'avançait dans le couloir étroit. Une odeur de bacon, de graisse qui crépite dans la poêle, envahit ses sens.
Sur le plan de travail, une silhouette s'activait.
« Ah. Enfin, il est là. »
Le visage de son père s'assombrit en contre-jour des bougies. Il éteignit le feu d'un coup de baguette, et garnit une première assiette avant de la déposer sur la table.
« Assieds-toi. »
Devant les toasts, viande, œufs, empilés sans ordre devant ses yeux, il déglutit.
« Je ne...
— Mange, gamin. »
Derrière lui, une voix féminine :
« Tu boîtes. »
Il sursauta.
Lisandra Maugrey était connue pour sa discrétion légendaire. Elle avait beau être grande et imposante, ses compétences étaient telles que personne ne l'entendait jamais arriver. Son sourire, qui se voulait rassurant, n'eut pas le moindre effet. Tu boîtes. Il frissonna. Etait-ce une constatation innocente ou flairait-elle le mensonge ?
Rassemblant son courage, il soutint son regard.
« J'ai trébuché, souffla-t-il.
— Ah oui, où ça ?
— Dans... dans les escaliers. »
Sa mère le contempla en silence. Sa baguette était tendue comme une arme entre ses doigts, dont il manquait l'annulaire. Non pas qu'on n'aurait pu le lui réparer (le doigt gisait dans un bocal de formol, tel un trophée sur le buffet du salon) mais parce que chaque acte a des conséquences. Lisandra s'avança vers son mari ; sa silhouette couvrait la lueur des bougies et sa voix parut les éteindre.
« Il faudra renforcer les protections.
— Personne n'a pu le pousser, tu sais bien.
— Je sais.
— Mère, ce n'est pas...
— Ne proteste pas, Alastor. Mange. »
Lisandra se tourna vers son mari.
« Ogden nous a donné deux jours.
— On les connaît, ses estimations. Quoi qu'il arrive, ce sera une longue mission.
— Longue ou pas, cet enfoiré ne peut pas nous échapper. »
Dissimulée sous la complicité d'un sourire, il s'agissait d'une promesse.
« Tu connais les règles, murmura-t-elle à son fils, la porte en suspend entre ses doigts.
— Oui, mère. Je les connais.
— Je t'écoute.
— Si quelqu'un vient, je me tais. Si quelqu'un frappe, je n'ouvre pas. Si quelqu'un entre...
— Tu te caches. »
Elle se pencha, soudain sévère.
« Tu ne sors jamais. Sous aucun prétexte. »
Puis l'avertissement, implacable :
« Vigilance constante. »
En silence, la porte s'était refermée.
Il attendit.
Le repas était froid et il attendit encore, les yeux rivés sur l'horloge. Il attendit jusqu'à ce que se lève le soleil, que la peur relâche son étau. Il ouvrit la fenêtre et en effleura les barreaux.
Il étaient gelés.
De la magie qu'il avait senti monter en lui après des mois d'enfermement, il n'avait rien dit. L'étincelle avait grandi, alimentée par une conviction intime, celle-là même qui le poussait à désobéir. Son cœur palpitait dans sa poitrine. Il serra plus fort les barreaux de la fenêtre jusqu'à entamer un duel au corps à corps avec le fer. C'était impossible, avait-il songé parfois. Il n'avait pas complètement tort.
La demeure des Maugrey s'élevait dans la campagne du Yorkshire telle une forteresse imprenable. « Qu'ils essaient seulement », disait Lisandra avec hargne. « Ils ne franchiront pas le portail vivants. » Elle avait raison, bien sûr. On ne s'approchait pas de la maison au bout de l'impasse, à l'aura inquiétante et réputée hantée, au moins par les pièges et les malédictions.
Mais les failles plus dangereuses viennent toujours de l'intérieur.
Vigilance constante.
La magie fourmillait, bourdonnait dans ses tempes. Il attendit l'explosion ; il n'y eut pas le moindre bruit. Si les barreaux avaient disparu, il ne se faisait pas d'illusion : dans une heure ou deux, ils reviendraient.
Il pénétra dans le jardin par la fenêtre, le cœur battant. Le mal était là, quelque part. Il ne connaissait que trop bien ce qui se planquait derrière la clôture, prêt à le traquer sans relâche, crocs et griffes dehors. « Ne sors pas, mon fils. Trop dangereux. » Aujourd'hui, il ne l'entendait plus. Déposée sur l'herbe, les pierres et les murs dressés comme des montagnes, la neige, d'une blancheur et d'une pureté infinie, aplanissait tout à l'horizon. Seul un oiseau noir, perché sur une branche, le narguait encore.
Il sourit.
Pieds nus dans le neige, il plongea ses mains dans la poudreuse. Entre ses doigts, un sable fin et glacé. Il en jeta une poignée vers le ciel et regarda, plaisir enfantin, les flocons s'envoler.
Le froid n'avait aucun effet sur lui.
Il était libre.
Le reflet du soleil sur la neige, plus aveuglante que l'obscurité, lui fit plisser les yeux. Etrange, remarqua-t-il toutefois, qu'elle soit éclatante et si pure, alors que les ombres auraient dû, elles aussi, s'y refléter.
« Alastor... »
Il se figea. Etaient-ils déjà de retour ?
Tendue dans la lumière projetée par la neige, une main ridée.
« C'est terminé, Alastor. »
Puis la voix, qu'il reconnaissait enfin :
« Nous avons ouvert la malle. Vous êtes en sécurité. »
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(fin)
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Prompt donné : Maugrey wakes to find that it had snowed overnight and gets excited about playing in it.
Merci d'avoir lu ! :)
