.

LA FINE FLEUR DE L'ENFER

(50 Nuances de cris)

.

Préambule

J'ai un peu de retard dans mes RàRs désolée, mais ça va venir, promis ! En attendant, je vous republie donc ici ma participation au Crackfest du Discord Festumsempra, dont le principe était de répondre à un prompt absurde et un prompt sérieux en 3500 mots max (ce fut un échec pour la longueur o.o), et de choisir le crackship (large) de notre choix. Tous les prompts sont à la fin si vous voulez y jeter un coup d'œil (ça explique pas mal de mes choix narratifs hahaha), et si cet OS répond plutôt bien au titre du recueil, on va dire qu'on change légèrement de registre. (Préparez-vous)

La liste complète des œuvres participantes est disponible sur la collection CrackFest sur AO3 (désolée, ffnet est juste relou avec les liens) – je vous envoie tout en MP si vous avez envie d'y jeter un coup d'œil (plein de textes très chouettes). Idem pour lien du Discord, que je vous invite à rejoindre si les défis d'écriture et les discussions autour d'HP vous intéressent !

Merci à Tiresias-Foresuffering et à Carmilla_Dilaurentis pour l'organisation du Fest ! Ainsi qu'à Pamphile pour la relecture du texte.

Bonne lecture !

.

.

« Le cri du sentiment est toujours absurde ; mais il est sublime, parce qu'il est absurde. »

(Charles Baudelaire)

.

.

Acte I scène 1

Le lecteur doit se figurer une pièce sinistre, un décor terrifiant. Au plafond, un lustre vétuste à la lumière défaillante. Un instrument de torture moldu appelé « séparateur de genoux » (dont le nom est suffisamment parlant pour nous éviter d'avoir à en détailler les fonctions ici) a été posé sur le sol par un Rodolphus Lestrange fasciné.

Dans un coin sombre du salon, un jeune filet du diable agite ses tiges dans l'espoir d'atteindre les toiles d'araignées du plafond. Au-dessus de lui, Dracula, peint de profil par Lord Voldemort lui-même dans sa période égyptienne, sirote dans son tableau un thé aux fruits rouges. Seuls quelques trous dans les murs laissent passer à la fois le vent et la lumière, et l'un d'eux est en réalité moins un trou qu'une mygale de belle taille nommée Tulipe. Il est vrai que l'on trouve peu de mygales en Angleterre ; nous jugeons néanmoins plus important de planter une ambiance que de respecter la « cohérence géographique » chère au milieu intellectuel réaliste.

Non loin de Tulipe, des traces de main glaçantes s'étalent sur le mur, des traces qui pourraient faire penser à du sang séché bien que, par devoir intellectuel, nous indiquerons ici que Walden Macnair y a essuyé ses doigts pleins de sauce tomate au dernier dîner.

Autour d'une table immense en peuplier noir, la fine fleur des Mangemorts s'installe. Des individus féroces, cruels, mauvais jusqu'au bout de leurs ongles salis.

Alors que Lord Voldemort fait son entrée, ils échangent un regard. Leurs cœurs battent à l'unisson sous le tambour de la peur, car ils ont une nouvelle à lui annoncer.

Une nouvelle terrible.

Dévastatrice.

.

Interlude musical

Un cri retentit.

Un cri aigu, perçant, semblable au couteau que l'on fait crisser contre un tableau noir.

Un cri qui ferait frissonner toute la musique contemporaine, qui rendrait sourde la grande Célestina Moldubec elle-même et croyez-nous, peu de cris obtiennent un tel effet.

.

Acte I, scène 2

« Evan Rosier est mort. »

Avery murmure ces mots la gorge serrée, écoutant jusqu'au bout le cri interminable de son Maître, sans lui faire la terrible offense de se boucher les oreilles. Une apocalypse, songent-ils tous. Le Maître évacue par une unique larme la poussière logée dans son œil (nous n'avons pas précisé ce point, quasiment sous-entendu dans la première description, mais le Manoir offre une salle poussiéreuse en plus d'être sale, mal-décorée et infestée d'araignées).

« Rosier. Comment est-ce possible ? »

La voix du Maître paraît un peu rauque, mais comment ne l'aurait-elle pas été après un tel cri ?

« Fol Œil, souffle Rodolphus.

— Encore lui ? »

Maugrey lui a pris trop d'hommes. Lord Voldemort peut accepter la mort ou l'emprisonnement de Gontran Cotherfield, John-Louis Delavega ou encore Gilda Latruite, qui ne sont que des personnages secondaires que peu d'importance, mais Evan Rosier est d'une autre trempe. Il a tué, brûlé, torturé tout en gardant une chevelure impeccable, un don que son Maître, qui peine à faire pousser deux poils sur son caillou, admire en secret.

Que lui reste-t-il à faire, à part torturer un peu Peter Pettigrow pour se détendre ?

.

Nouvel interlude musical

Le ton du cri est cette fois plus plaintif. Il détient toutes les nuances du pathétique, accompagné de paroles variées qui vont du « Nooon » à « Pourquoi mooooi », sans parler de la petite danse qui l'accompagne : les bras se lèvent et s'agitent, le danseur s'aplatit sur le sol, frappe le parquet au rythme de son cri, comme une percussion.

.

Acte I, scène 3

Toutes les bonnes choses ont une fin. Peter finit par se taire, le plaisir musical s'estompe pour laisser place à l'ambiance maussade ; la mort tragique de Rosier se rappelle à eux.

Le regard du Maître se durcit.

« Vengeance. Je réclame vengeance ! »

Lord Voldemort a choisi un ton terrible, le ton des Mages Noirs, celui que nous nous sommes permis de mettre en italique pour bien montrer au lecteur la terreur qu'il engendre.

« Mais comment ? interroge Lucius.

— Il faut tuer Maugrey pour de bon. »

Un frisson les parcourt. Ce n'est pas faute d'avoir essayé : « Tuer Maugrey » est inscrit en tête de la liste du DOCU (Dix Objectifs pour Conquérir l'Univers) épinglée sur le frigidaire du Manoir. Si certains Mangemorts affirmeront que ces objectifs sont en réalité au nombre de douze, nous avons cependant jugé que « Racheter de la sauce tomate » et « Refaire le plein de bouchons d'oreilles » avaient été ajoutés trop tardivement pour être pris en compte.

« Rosier était le meilleur, souffle Avery. Il a échoué. Comment espérez-vous que...

— Vous êtes sûr, Maître, qu'on ne peut pas juste se contenter de torturer Peter ? s'inquiète Lucius.

— Nooooon ! Pas encore, je vous en supplie ! »

Le Maître prend un air songeur. Il est vrai que Pettigrow émet un cri rare, formidable, plus que jamais nécessaire en cette période de deuil.

« Bon, si personne n'a d'autre proposition… Allons-y. »

Peter agite les bras d'un geste émouvant, désespéré. La lueur fébrile du lustre l'éclaire en partie et s'il ne crie pas, sa voix a le ton pathétique de la plainte si chère à leurs oreilles.

« Non ! Je sais où sera Maugrey demain ! Si vous m'épargnez, je vous dirai tout. »

.

oOoOo

.

Rideau provisoire

(Il nous est important de terminer ce premier acte sur un suspense, afin de donner au lecteur l'envie inaltérable de lire la suite. Notez également la présence de l'italique, qui cette fois ne correspond pas à la cruauté terrible de Lord Voldemort, mais à une conviction exprimée par Peter, fait assez rare pour nous inciter à le souligner.)

.

[Le Décor de la Maison disparaît.]

.

oOoOo

.

Acte II, scène 1

Le décor lugubre de la maison abandonnée laisse place à un champ à l'abandon brûlé par le soleil. A la place du blé, des rangées de tentes de couleurs variées, des scènes musicales artisanales et impromptues, occupées par des individus à barbe et peu lavés, qui s'égosillent au son de la guitare et du rythme lancinant de la batterie. Tout autour, quelques feux de camp laissent échapper une fumée claire et odorante. Les moldus vont et viennent, dansent et s'enlacent, crient, rient et pleure parfois, dans une ambiance bien différente de tout ce que nos Mangemorts ont un jour connu.

Il s'agit pour eux d'une mission en trois parties distinctes :

— S'infiltrer incognito dans un festival moldu.

— Trouver Maugrey.

— Tuer Maugrey.

Sous la menace de la torture, Peter a confié que l'Auror, aussi appelé Fol Œil, était très friand de musique dite hippie, et qu'il passait chaque été au festival de Glastonbury qui prônait la paix, l'amour et le flower power. Ce choix narratif peut paraître étrange pour une figure telle que Maugrey, mais sachez qu'il est important dans une histoire d'introduire des contradictions propres à chaque personnage. C'est ainsi que vous les rendez plus complexes et donc, plus humains.

Prenons Lucius Malefoy, par exemple, qui ne supporte pas la plus petite tache sur sa robe. Cela l'empêche-t-il de prendre un bain au sang d'ânesse à chaque Pleine Lune ? Absolument pas. (1)

Par ailleurs, la campagne n'est pas l'élément de Lucius ; les hautes herbes lui piquent les pieds, les cailloux et la saleté s'incrustent entre ses orteils. Qu'aurait pensé Abraxas, le vieil imbécile qui a inscrit son nom sur la liste des Mangemorts (« Peut-être que ça t'évitera de devenir une tapette ») des pâquerettes dont il a garni (sous la contrainte) sa belle chevelure ?

Devant le miroir du Manoir pourtant, il ne s'est pas trouvé si laid. Juste fatigué. Apeuré. La mort de Rosier l'a ébranlé, lui aussi. Si un homme aussi fort et courageux peut mourir, comment Lucius pourrait-il y échapper ?

Aucun moldu autour de lui ne semble avoir de telle préoccupation. Lucius a toujours cru que le bonheur se trouvait dans l'argent, le prestige et une chevelure propre – pourquoi Rogue serait-il malheureux, sinon ? –, mais en regardant autour de lui, il comprend qu'il est peut-être passé à côté de quelque chose d'important.

Mais quoi ?

.

Interlude musical

L'interlude musical est pris en charge ici par un groupe peu connu appelé les Flower Power, qui joue en arrière fond des pensées tragiques de Lucius, et préfigure de façon subtile la fin de ce récit. Il s'agit d'un groupe en short à fleurs, dont les chansons à texte fustigent la démagogie, aussi bien du côté du Bien que du côté du Mal. La pertinence et l'impact de leur message sont toutefois ralentis par la présence de mots compliqués et d'une manière générale, de mélodies trop entraînantes pour que l'on tente d'y saisir un message caché.

.

Acte II, Scène 2

Peut-être que ce sera moi.

L'espoir s'insinue dans l'esprit de chaque Mangemort à l'entrée du festival. Severus Rogue ne rêve que de cette idée : plaire. Le Maître produirait grâce à lui un nouveau cri, un cri de joie – y a-t-il plus belle récompense ?

Peut-être qu'il ne sera plus préposé à nourrir Tulipe. Peut-être qu'on ne lui confiera pas les missions les plus nulles. Alors que Rodolphus et Bellatrix se disputent bruyamment un peu plus loin, que sur scène les musiciens dévoilent leurs premières notes de musique, une pensée le saisit.

Peut-être qu'il sera aimé.

La démagogiiiiie

Le fléau de l'ombre comme de la lumière,

Dans les châteaux secrets ou dans les Ministères.

Dictocrates anémiques, mégalos démophiles,

Ils séduisent sans fin les masses indociles.

Enjôler, caresser, toujours un peu mentir,

Insinuer les idées qui t'iront à ravir !

Privilèges gardés dans l'aristocratie,

Ils ne voient jamais rien que leur piteuse vie !

Démagogiiiie

Sans qu'il ne comprenne vraiment quoi, la mélodie touche quelque chose en lui. C'est la puissance, la conviction des musiciens qui le remplit et à la fois l'épuise. Lorsque s'éteint enfin la musique, il lui faut quelques secondes pour reprendre ses esprits. Il ne voit pas le chanteur s'avancer en direction de la fontaine près de laquelle il est assis. Ce dernier arbore des lunettes de soleil rondes, un tee-shirt PEACE et une barbe noire mal taillée. Il porte à ses lèvres un verre en carton avant de se tourner vers Severus, à la fois amusé et curieux.

« Tu sais que tu n'entendras pas de métal ici ?

— Comment ça ?

— Oh, pour rien. Joli tatouage. »

Severus couvre son poignet d'une main paniquée. Il avait complètement oublié le crâne morbide tatoué sur son bras.

« Les miens sont un peu différents. Tu veux voir ? »

Le chanteur remonte sa manche pour dévoiler ses tatouages : des fleurs pleines de couleurs remontent de ses poignets jusqu'à ses épaules. Parmi elles, une fleur de lys au trait doux et délicat, qui lui rappelle une vieille amie.

« Tu peux toucher, si tu veux. »

Severus sent soudain le serpent remonter le long de son bras, enserrer son cou comme le ferait la corde d'un pendu. Il effleure le lys de ses doigts, le serpent reflue.

Indifférent à son trouble, le chanteur lui sourit.

« La Fleur gagne toujours face à la Mort. »

.

Interlude musical

Écoutons un instant, pour se remettre de nos émotions, le silence de coton qui saisit les champs alors que tombe doucement la nuit. La musique s'éteint, les étoiles s'allument. Dans l'air, ne retentit que le crépitement des feux de camp, les gémissements des étreintes fugaces, la drogue qui commence à faire son effet.

.

Acte II, scène 3

Alors que nos Mangemorts disparaissent avec l'obscurité, les pas d'une ombre se font entendre (une ombre est bien évidemment silencieuse, mais nous avons également choisi ici de passer outre l'évidence scientifique pour créer une figure de style que nous espérons poétique). Il s'agit de Walden Macnair, qui s'avance dans le champ avec lourdeur, un couteau à la main. La marguerite abîmée qu'il arbore dans ses cheveux sales n'adoucit pas les traits de son visage. La lumière de la lune se reflète sur le tranchant de son arme ; elle crée un effet saisissant, à la fois beau et terrible.

Walden ne ressent que haine et mépris pour l'assemblée qui l'entoure. Ses faibles capacités cognitives ne lui ont pas permis de comprendre les subtilités de la chanson « Démagogiiie » qu'il juge (à tort) médiocre musicalement. Il plonge son couteau dans un moldu qui passait par là, mais les cris que pousse ce dernier se mêlent à la musique et aux ébats bruyants qui ont lieu dans le buisson à côté de lui.

Il s'arrête, humant dans l'air l'effluve reconnaissable d'une saucisse.

La saucisse grillée est une odeur importante pour Walden, qui prend ses racines dans son enfance, alors que sa mère, trop dépressive pour simplement cuire son repas (il s'agit ici d'un italique d'insistance), enflammait la saucisse d'un coup de baguette et manquait systématiquement d'incendier la totalité de la cuisine.

(Une plongée dans l'enfance tragique d'un personnage – même des pires – est toujours un bon moyen de susciter la compassion. Cette anecdote explique également son étrange absence de sourcils, brûlés dès son plus jeune âge.)

Walden fait quelques pas vers l'odeur. Le chanteur des Flower Power entretient son barbecue en chantonnant. Walden sent sa faim lui peser sur le ventre, et son ventre chanterait presque en même temps que lui.

La démagogiiie

S'incruste chez les mous comme les cœurs de pierre

Les fonctionnair's sans âme, les gardiens des Enfers,

Les lotocrates bourgeois, les malfaiteurs tapis,

Une bande sans loi, baratineurs aigris,

Démagogiiiie

« Ah, tu as un couteau ! Parfait ! » s'écrie le chanteur alors que Walden s'approche de lui.

Le Mangemort essuie précipitamment la lame sur son tee-shirt.

« C'est de la sauce tomate », marmonne-t-il, bien placé pour savoir qu'il est facile de confondre.

La barbe du chanteur dévoile un sourire. Il dépose la saucisse dans une assiette en carton, lui propose un couvert que Walden refuse d'un signe de la tête.

« Bon appétit. »

Le chanteur l'observe manger avec une telle curiosité que Macnair, qui n'est pas facilement mal à l'aise, finit par s'en plaindre.

« Qu'est-ce que tu regardes, toi ?

— C'est bon ? »

Il a faim alors oui, c'est bon. La fumée lui a ouvert l'appétit. Il n'aime rien mieux que la viande, la vraie, celle qu'il tue lui-même avec son couteau favori, celui qu'il a appelé Jean-Maurice en hommage à son père disparu dans un tragique accident d'escalier (avec un personnage aussi déficient en compassion que Walden Macnair, nous ne perdons rien à rajouter un soupçon de pathos).

« Ouais. Rien de mieux qu'une bonne petite viande.

— C'est de la saucisse végétarienne.

Pardon ? »

Le chanteur hausse les épaules.

« Oignon, champignons et pois chiches, ça fait très bien l'affaire. C'est bien beau, l'absence de violence contre les humains, mais je ne vois pas pourquoi il ne faudrait pas l'étendre à tous les animaux. »

Walden ne s'en remet pas. Il recrache dans le champ des bouts de sa saucisse – Non, il ne peut décemment plus l'appeler saucisse –, et contemple l'idée d'enfoncer Jean-Maurice dans le bas-ventre de son interlocuteur.

Quelque chose le retient. Pourquoi le chanteur n'a-t-il pas peur ? Walden contemple la saucisse factice, tente de faire taire le désir irrépressible qui monte de son organe préféré (l'estomac), celui qu'il ne peut refuser d'écouter.

Une musique sombre (nous privilégions le violoncelle) devrait sans doute retentir ici pour appuyer sur le dilemme cornélien qui saisit le personnage. Ne retentissent que des « Démagogiiie » criés à tue-tête par des camarades un peu ivres.

« A quoi sert la violence alors qu'on peut l'éviter ? » interroge le chanteur.

Walden se sent trébucher. La question résonne alors que Jean-Maurice triture la saucisse qui n'en a jamais été une. Les apparences sont trompeuses. Tout ce qu'il pensait connaître est remis en question et devant lui, le chanteur attend sa réponse.

« Je… je ne me suis jamais posé la question. »

C'est peut-être parce qu'il ne se pose pas beaucoup de questions, mais celle-ci remue quelque chose en lui.

Walden ne proteste pas quand le chanteur lui ressert une saucisse.

« Il n'est jamais trop tard pour commencer. Dis, la fleur dans tes cheveux est abîmée… Tu en veux une autre ? »

Une nouvelle fleur.

Le doux son d'une guitare retentit deux tentes plus loin. Un morceau entraînant, sautillant, joyeux, qui accompagne le moment où Walden pose Jean-Maurice sur le sol pour saisir cette fleur au pouvoir encore intact. Il la place sur sa tête alors que les traits de son nouvel ami s'éclairent d'un air de triomphe.

« AU FEU ! AU FEU ! »

Macnair se retourne : derrière eux, les flammes dévorent les champs.

.

oOoOo

.

Rideau provisoire

(Encore une fois, le rideau tombe sur un suspense insoutenable. Notons toutefois que, parce que tout est variation dans la littérature, le moment qui précède n'est pas tragique mais au contraire doux, propre à serrer le cœur sensible de notre lectorat. La fin de cet acte laisse également ouvertes de nombreuses questions. Dont une, la plus importante de toutes : à quoi est donc occupé Alastor Maugrey, toujours introuvable par nos héros assoiffés de vengeance ?)

.

[Le Décor des champs disparaît.]

.

oOoOo

.

Acte III, scène 1

Le propre d'une histoire étant de créer des émotions, nous revoilà donc dans un décor de peur en compagnie de Lord Voldemort lui-même. Il est seul dans le Manoir. Tulipe n'est pas visible pour insister sur sa solitude. Dracula dort de profil dans son cercueil. Le filet du diable est immobile, recroquevillé sur lui-même. A la lumière du lustre chancelant, tout paraît calme.

Soudain, un cri se fait entendre.

« Non, non, non ! »

De dépit, le Seigneur des Ténèbres renverse une chaise. Il doit être plus tragique ! s'agace-t-il. Pense à Evan, à toute la douleur que cette mort a causée.

Un nouveau cri, plus aigu, terrible, perce la nuit.

« Maître ! Vous allez bien ? »

Bellatrix. Il n'est pas très doué pour se souvenir des prénoms mais la reconnaît à son épaisse chevelure, si ce n'est que celle-ci est à présent jonchée de fleurs en tous genre, orchidées, violettes et marguerites.

« Tout va bien, je… je m'entraînais, marmonne-t-il. Comment s'est passée la mission ?

— Maître ! On a besoin d'aide ! Ils sont tous devenus fous, là-bas ! »

Le Seigneur des Ténèbres fronce les sourcils ou du moins, la partie du visage où devraient se trouver ses sourcils : la robe de Bellatrix est en partie brûlée et son visage noirci.

« Fous ?

— Nous devions trouver Maugrey dans un festival moldu mais… aucun d'eux ne veut partir. J'ai tout brûlé mais ces vermines y sont peut-être encore. Ils sont en train de rallier les nôtres ! »

A nouveau, la peau qui lui sert de sourcil se retrouve dans une position délicate.

« Les rallier ?

— Les fleurs, l'amour, la non-violence ! J'ai surpris Avery en train de câliner un moldu parce que je cite, "c'est tout l'amour que je n'ai jamais reçu de ma mère". »

Bellatrix tente en vain de reprendre son souffle.

« Vous vous rappelez de Jugson ?

— Un petit brun, c'est ça ?

— Blond, un peu plus de deux mètres… »

Le Maître n'a pas le souvenir d'avoir un jour entendu le nom Jugson dans sa vie. Il a bien envisagé un jour d'accrocher un trombinoscope dans la salle principale du Manoir mais pour sa défense, il a beaucoup de fidèles et des choses plus importantes à faire.

« … Eh bien, Jugson m'a assuré vouloir tout plaquer pour fabriquer des colliers de marguerites !

— Ecoute, Bellatrix, j'aurais aimé m'en émouvoir mais je ne sais pas du tout qui c'est.

— C'est un Mangemort ! Un Mangemort, pas un fleuriste ! »

Puisqu'elle paraît au bord de la rupture, qu'il est seul dans un Manoir sordide, que même Tulipe n'est pas là, il envoie valser une seconde chaise.

« Très bien. Conduis-moi là-bas. Je vais ramener tous ces incapables, quels que soient leurs noms, du côté de la haine et du désespoir. Ensuite, je trouverai Maugrey. »

Il marque une pause pour ménager l'effet dramatique.

« Et je le tuerai. »

.

Interlude musical

Ici, des cris de toutes sortes : graves, aigus, mi-grave ou mi-aigu. Un soprano fait écho à un alto, puis (c'est très important), un cri plus long, en mi-bémol pour figurer tout le tragique de la souffrance subie. Il y a de la fumée partout, des explosions de couleurs, tout un système d'effets spéciaux pour donner à la scène une dimension visuelle en plus d'auditive. Les cris durent environ deux minutes et trente secondes, et sont accompagnés par une guitare sèche, remarquable par sa sobriété.

.

Acte III, scène 2

Retour à un décor champêtre. Au milieu des flammes qui éclairent la scène comme au grand jour, une forme noire apparaît. Lord Voldemort ouvre grand les bras.

« Brûlez ! Brûlez tous ! Brûlez devant le Seigneur des Ténèbres ! »

Mais quelque chose ne va pas. Les cris, peut-être. Ou autre chose. Le feu semble tout dévorer mais ne dégage pas la moindre chaleur.

Comme si…

« Pardon, Maître… »

Bellatrix serre Rodolphus dans ses bras, pose sur lui un regard amoureux et sur Voldemort, un autre un peu coupable.

« C'est pour votre bien, vous savez. Toute cette haine quand on pourrait s'aimer. Toute cette poussière quand on pourrait nettoyer.

— Les rimes sont intéressantes. Tu devrais écrire des chansons », commente une voix derrière elle.

Précisons qu'à ce moment là, pour l'effet dramatique autant que le contraste symbolique avec Lord Voldemort (l'être du mal, de l'obscurité et du chaos), une flamme ardente éclaire le visage de l'inconnu, qui n'est nul autre que le chanteur des Flower Power.

« Tu ne me reconnais pas ? Ce n'est pourtant pas la première fois que tu me vois…

— Alastor… Maugrey ? »

Un éclat de rire retentit.

« Alastor, à un festival comme celui-ci ? Il se serait sans doute allié à toi pour tout brûler. Tu es sûr que tu ne vois pas, Tom ? »

Tout se brouille dans sa tête.

Tom.

Il n'y a qu'une personne pour l'appeler Tom.

« Par Salazar… Albus Dumbledore ? »

Devant lui, un vieillard lui sourit.

« Laisse-moi te chanter une chanson. »

.

Interlude musical

Ici, l'interlude a pour fonction de laisser le lecteur apprécier le retournement de situation à la fois logique et incroyable qui lui est proposé. Il débute par un cri de Lord Voldemort, non pas un cri travaillé mais inédit : un cri qui figure à la fois la surprise, le désarroi, mais aussi une inquiétude de plus en plus grande. Autour de lui, des Mangemorts qui n'ont plus rien de haineux ni de cruel, mais qui tournent vers lui des visages doux et agréables.

.

Acte III, scène 3

La Démagogiiiie

Ces cléroclates auliques, ochlorates aguerris

Vendent tout's les ordures sous des mots jolis

Argent, haine, dégoût, lâch'té, peur et pouvoir

Flatter encore les masses, toujours les émouvoir

Brûler, brûler, brûler, ne laisser que les cendres...

Fuyez fuyez fuyez, ne vous laissez pas prendre

Par la...

Par laaaaa...

Démagogiiiiie (x6)

« La démagogie ? »

Dumbledore a cessé de chanter. Voldemort le saisit par le col de son tee-shirt PEACE.

« La démagogie, c'est toi, espèce de vieux cinglé ! C'est ton égalité imbécile entre les peuples qui n'existe que dans tes rêves ! Vous me faites rire, tous autant que vous êtes, avec vos fleurs et votre amour ! L'amour est une idiotie. Une fleur fane ; seul le pouvoir, la puissance est éternelle ! »

Lorsqu'il balaye du regard les siens, il n'en reconnaît plus un. Dumbledore pose une main apaisante sur son épaule.

« Quoi de plus beau qu'une fleur, Tom ? Elle est d'autant plus belle qu'elle est éphémère. C'est l'histoire de l'humanité : nous aussi, on fanera. Mais en attendant, on répand dans le monde un peu de beauté, et ça nous suffit.

— Foutaises. »

Mais Dumbledore ne lâche pas l'affaire. Il s'approche lentement, sa guitare à la main, et Voldemort prie pour qu'il ne recommence pas à chanter.

« N'étais-tu pas triste, quand Rosier est mort ?

— Non. »

Mais sa voix s'est brisée.

Un frisson balaye l'assemblée. Rosier. Non, le Seigneur des Ténèbres n'aime pas. C'est idiot. Il n'a jamais aimé. Il n'a pourtant jamais poussé de si beau cri qu'en apprenant sa mort. Il se souvient (ici entre en scène ce qu'on l'on appelle dans le jargon un flash-back, et en même temps s'élève une mélodie plus douce, jouée par Dumbledore lui-même qui, sans que personne ne sache vraiment comment, a troqué sa guitare pour une flûte traversière) du moment où il lui a appris l'art de la séduction d'une vieille femme crédule, les meilleurs sorts pour torturer les moldus, du moment béni où il a tué le père d'Evan pour le soustraire à son influence.

Rosier était le fils qu'il aurait pu avoir, le fils qu'il n'a jamais eu. La fleur qui a fané comme le font toutes les fleurs.

« Rejoins-nous, Tom. Le festival n'est pas terminé. »

Au dessus de sa tête, des milliards d'étoiles. Voldemort les contemple pour se soustraire à la pression de Dumbledore, aux disciples qui le regardent, attendent sa décision. Sa vie est une quête de pouvoir. Sa vie est une quête d'éternité. Il pourrait brûler tous les autres car après tout, ils faneront eux aussi, il ne restera plus que lui, seul dans son Manoir, à la toute fin.

A ce moment, juste avant la fin du texte, le lecteur doit avoir conscience que l'histoire peut prendre une tournure tragique. Le Seigneur des Ténèbres, dans son âme noire comme les cendres, de dépit et de colère, pourrait brûler le festival dans son entier. Tous les personnages auxquels vous vous êtes attachés grâce à des procédés narratifs complexes (le flashback de l'enfance en est un exemple parlant) ne sont suspendus à la vie que par un fil.

Un fil qui peu à peu, se dénoue.

Lord Voldemort contemple la fleur que lui tend Dumbledore. Il analyse son pouvoir. Il pense à cette haine qu'il ne ressent plus. De la tristesse et c'est tout. Une envie de continuer à crier, car c'est la seule chose qui lui fait du bien.

Alors il crie. Un cri en mi-bémol qui petit à petit, devient sol alors que s'avance la nuit.

.

[Le rideau se ferme]

.

oOoOo

.

Dans un champ, Dumbledore tient une guitare. Il en gratte les cordes pour sortir quelques accords, un sourire aux lèvres.

« Prêt, Tom ?

La Démagogie est une catastrophe musicale, je tiens à le dire.

— C'est clairement mon meilleur tube ! Allez, à trois tu pousses ton fameux cri, et on envoie ton équipe de choristes ! »

Placés côtes à côtes en rangs d'oignons, les Mangemorts prennent une grande inspiration. Le groupe des Flower Power commence à chanter.

Démagogiiiiiiie

.

[FIN]

.

Notes

(1) Voir l'article Dix Conseils Beauté par Sang Pur Magazine : « Parce que les recettes les plus simples sont parfois les meilleures, laissez-vous tenter par le bain au sang d'ânesse, pour des pores resserrées et une peau magnifiée ! »

Prompt crack : Les Mangemorts se convertissent au Flower Power
Prompt sérieux : Le fléau de la démagogie
Crackship : Voldemort/Rosier, une émouvante relation filiale

.

Merci d'avoir lu ! :3