Chapitre 5

Au loup !

Une troisième salve d'applaudissements salua le prestidigitateur et son assistante, une grande brune toute en jambes habillée à la manière de Betty Boop.

Le magicien salua une dernière fois son public, passa derrière le rideau de pénombre qui mène aux loges des artistes puis disparut dans le soir de Paris, où brillait par-dessus les toits de zinc le croissant d'une lune non encore menaçante. Une fois que son taxi l'eut conduit devant son hôtel, le Fortuné donna congé à la belle plante qui se réchauffait dans son manteau-boa, puis fut bientôt dans le couloir qui menait à son appartement.

La suave mélodie d'un saxophone ainsi qu'un flou de voix différentes lui indiquèrent que Severus avait allumé la télévision. Y'a qu'une télé c'est Téléchat… Sans chichi et sans ouah-ouah-ouah…

Le bel homme en habit de soirée fit son entrée dans la suite ; sous la lumière électrique, ses cheveux châtain clair luisaient d'un éclat blond qui faisait ressortir le vert de ses yeux.

- Bonsoir Severus.

- Bonsoir. Ton spectacle s'est bien passé ?

- Oui. Merci.

Le ventre tout ému par cette marque d'intérêt inattendue, Remus Lupin s'installa à quelques mètres de son Maître de Potion Personnel. Traçant des figures avec la télécommande comme s'il s'agissait d'une baguette, le professeur Rogue était assis sur le canapé de la suite, vêtu de son tablier rouge, s'employant à faire défiler les chaînes.

Le matou noir et blanc disparut, un clochard aux longs cheveux blonds s'acharnant sur sa guitare folk en bêlant d'une voix éraillée qu'il avait besoin d'un « easy friend » laissa place à une bribe de feuilleton américain. Un blond aristocrate gominé à la chemise entrouverte y parlait les yeux dans les yeux à une brune aux longs ongles rouges dont le maquillage surdosé n'était éclipsé que par le volume tsunamien de son brushing… « Cela suffit Bella, j'en ai assez de tes mensonges… je sais que c'est toi qui as tué Gustave. – Mais comment oses-tu m'accuser, Luc, après la merveilleuse nuit que nous avons passée ensemble ? » Ridicule, pensa Severus Rogue, qui zappa immédiatement. Il tomba sur un cartoon de Tex Avery dans lequel une chanteuse de music hall en robe rouge était convoitée par un grand loup moustachu en smoking. Les yeux de Wolf lui sortaient des orbites, des fusées de feu d'artifice explosaient tant cette sweety baby lui faisait de l'effet. Severus ricana intérieurement : qui ne voyait pas les allusions sexuelles ? Mais il n'eut plus envie de rire lorsqu'il tourna son regard vers Remus Lupin à la fine moustache, habillé pareillement au loup puisqu'il ne s'était pas changé depuis sa représentation, et le fixant intensément lui et son mignon petit tablier rouge, les pupilles toutes dilatées.

- Pourquoi me regardes-tu comme ça ?

- Je ne te regardais pas, je regardais la télévision, se défendit Lupin.

Sa baguette sauta de sa poche où elle avait créé un volume suspect. Il se pencha pour la ramasser.

- Tu te fiches de moi, Lupin ? Tu ne peux pas la voir d'où tu es. À quelle farce stupide étais-tu encore en train de songer ?

- Rien, je…

Remus Lupin l'observait avec des yeux amoureux ; il fallait s'appeler Severus Rogue pour ne pas le voir. Néanmoins le doute avait tout de même commencé à germer dans son esprit il y a quelques jours, lorsqu'au détour du reflet d'un miroir, il avait cru voir Lupin considérer son verso puis hocher la tête en souriant. « Mais… il regarde mes fesses ? »

En réalité, Lupin ne faisait que penser à lui : à toute heure de la journée, la simple idée du visage de son aimé faisait fleurir un adorable sourire sur ses lèvres, tandis que des visions de corps à corps brûlants et terriblement sensuels surgissaient dans son esprit de loup affamé. Chaque nuit était hantée par la voix et la présence si désirable de son Maître de Potions Personnel... Lupin avait toujours été renommé pour son calme, et c'était une juste réputation, mais savoir Severus endormi à quelques mètres de lui, imaginer qu'il pouvait se glisser dans son lit puis se coller contre sa peau chaude et caresser ses cheveux d'ébène… Severus l'accueillant dans ses bras, Severus le serrant contre lui…

- Au fait, ta potion est en train de mijoter, je viens de la faire, fit remarquer Rogue.

- Merci, je vais aller m'en servir.

L'ancien Maraudeur entra dans la chambre de Rogue puis s'approcha du chaudron bouillonnant. La vapeur et les bulles qui se formaient à la surface du liquide brûlant lui firent penser aux sources d'eau chaude japonaises. Mais son cœur sembla s'arrêter lorsqu'il y vit un Severus miniature immergé jusqu'à la taille, serviette éponge sur l'épaule, en train de prendre son bain adossé à la paroi de la marmite.

- Tu viens ?, fit le petit Potion Master tout nu et très relax.

Lupin secoua la tête (« C'est une hallucination, je deviens fou ») puis rouvrit les yeux : le Severus baigneur avait disparu. Il saisit la louche, remplit son gobelet.

« Lupin, mon vieux, cette fois c'est fini, tu as définitivement perdu la raison. »

- Alors comme ça tu t'es trouvé une fiancée, Lupin ?, fit alors la voix sarcastique du Serpentard en provenance du salon.

- Comment cela ?

- Cette femme qui t'accompagnait…

- Dans le taxi ? C'est mon assistante.

« Mais… comment est-il au courant ? », se demanda Lupin. « Aurait-il regardé à la fenêtre ? »

- Comme tu me rappelles Feu ton cher ami, persiffla Rogue, lui aussi adorait se pavaner avec ses groupies…

- C'est terrible, il y a quelques minutes, tu étais presque agréable, répliqua Lupin en revenant dans le salon avec sa potion.

- Elle est bonne ? J'ai rajouté un peu d'huile de foie de morue pour qu'elle ait meilleur goût. De plus, c'est paraît-il excellent pour le teint, répondit sèchement son collègue.

- Voyons Severus, tu n'aurais pas dû puiser dans ta réserve personnelle pour moi.

Amère moquerie : le magicien était blessé par la tournure que prenait la conversation. Durant les premiers jours de leur mission, leurs rapports avaient été tous de politesse feutrée. Les gentillesses de Severus Rogue n'avaient été qu'ironiques. Pour la première fois il semblait s'être sincèrement enquis de lui, mais cela n'avait duré que quelques secondes.

Le directeur de Serpentard se leva. Ses sourcils se rapprochèrent en un pli douloureux.

- Mais quel imbécile j'ai été d'accepter ce travail avec toi… Tu n'as pas changé, toujours aussi… arrogant…

- Et toi, tu ne t'es jamais remis en question…, répondit tristement Lupin.

- Quel a été mon tort ? Ne pas pouvoir me cacher assez vite pour éviter vos sales coups ? Qu'est-ce que tu préparais tout à l'heure ? Me teindre les cheveux en gris pendant la nuit ? Non, trop fin pour toi…

Le loup-garou se sentit de plus en plus mal à l'aise : il n'avait compris que lors de sa confrontation avec Sirius dans la Cabane Hurlante à quel point Severus pouvait avoir souffert. Il avait envie de se jeter à ses pieds, de lui dire qu'il assumait tout, mais par pitié, qu'il lui pardonne.

- Pardonne-moi Severus, réussit-il seulement à dire, je ne voulais pas t'offenser avec cette histoire d'épouvantard.

- Bien sûr… Le doux Remus, le sage Remus… On t'a sans doute « forcé » à signer la carte des Maraudeurs.

- Qu…

- Oui Lupin, ce bout de parchemin que Potter avait en sa possession un soir il y'a cela plus d'un an… J'ai appris par Dumbledore suite à l'affaire Croupton que c'était la « Carte des Maraudeurs ». …« Mr Moony est d'avis que Severus Rogue devrait cesser de fourrer son gros nez dans les affaires des autres ».

- Ce n'est pas moi qui avais choisi le texte…

- Et la bombe à eau en première année ?

- C'était James…

- Ah oui ?

Lupin baissa la tête.

- Tu sais ce que c'est à cet âge là, on est un peu bête… Et je n'ai jamais trouvé ton nez si monstrueux.

Le Serpentard blanchit et lui jeta un regard mortel. Lupin tenta de garder sa contenance en voyant le tablier afficher une nouvelle légende, légèrement ondoyante : « I'm so sexy ».

- Ce n'est pas ce que je voulais dire…

- Cette fois j'en ai assez !

Il se dirigea vers sa chambre.

- Que fais tu ?, demanda Lupin.

Severus Rogue se retourna.

- Je m'en vais. Tu te débrouilleras seul.

- Tu… tu plaisantes ?

Le Serpentard disparut dans sa chambre en faisant claquer la porte. Le loup-garou s'effondra sur le sofa. Il ne pourrait pas vivre encore un an sans lui… Il l'aimait tant… Il se précipita sur la porte, mais elle était verrouillée.

- Severus, s'il te plaît, ne pars pas. Je suis désolé.

- Et moi donc, perdre tout l'argent de tes prochaines… « représentations ».

- Tu crois franchement que je cours après l'argent ?

- J'aimerais pouvoir faire mes bagages dans le silence, si ça ne te dérange pas.

- Tu sais…, déclara soudain Remus d'une voix étrange, Sirius et James se moquaient de toi, mais moi, je ne t'ai jamais trouvé laid.

Un silence.

- Je te trouve même… très beau.

Chers lecteurs, j'ai l'honneur de vous annoncer que Remus Lupin eut alors l'impression que ses intestins étaient réduits à l'état de confiture.

- Ma parole Lupin, fit la doucereuse voix du professeur Rogue, c'est une déclaration d'amour que tu me fais ?

Drôle de bruit de machine à sous : une musique de saloon accompagna soudain l'irruption de deux cowboys dans le téléviseur. « Salut les amis ! », fit la blonde au décolleté encore plus amical. La photo d'un homme aux longs cheveux noirs et aux yeux gris s'afficha. « Qu'est-ce que nous avons aujourd'hui ? » « Le dénommé Sirius Black, le dangereux évadé de prison toujours en cavale. Ne tentez surtout pas de vous approcher de lui, cet homme est armé et capable de tout ! Appelez directement le numéro qui s'affiche. »

La porte s'ouvrit. Lupin recula, l'air accablé.

« Wouh, moi je le trouve plutôt mignon ce Sirius Black, pas toi ? » « Mais Judith, cet homme est un dangereux criminel ! »

- Et bientôt, grinça Rogue, tu vas prétendre que tu ne voulais pas me tuer mais me faire la bise, dans la Cabane Hurlante ?

La tête du Gryffondor se baissa. Par Salazar, pensa le Sombre, mais il est rouge comme une tomate !

Le téléphone sonna Severus prit l'appel.

- Allo ? …C'est ton « assistante ». S'il est libre demain soir ? Mais je pense qu'il est sûrement libre demain soir. Non, il n'est pas dans son bain. Pourquoi je ne vous l'ai pas dit plus tôt ? Vous n'aviez qu'à me le demander. Inutile de pousser de petits cris hystériques. …Remus, c'est pour toi, conclut le professeur en lui tendant le combiné, le visage en berne.

- Allo ?, fit Lupin. Oui, re-bonsoir Priscilla. Mais je vous en prie, ça nous arrive à tous… Désolé, mais demain en début de soirée, je ne suis pas libre.

Il se tourna vers Rogue, qui s'était emparé de la Gazette du Sorcier après avoir éteint la télévision.

- Severus, pour me faire pardonner, je vous invite au restaurant demain.

« Severus » eut un reniflement de mépris et plongea dans la rubrique nécrologique.

- Priscilla, hum… nous pouvons tout de même nous voir en fin de soirée, pour boire un verre… en tout bien tout honneur cela va de soit, précisa Lupin à l'adresse d'un Rogue sarcastique. A vingt-trois heures aux « Poulettes » ? Parfait. Hé bien, bonne nuit, et à demain.

Il raccrocha.

- À part cela tu es célibataire, ironisa le Serpentard.

- Tu n'as qu'à venir avec nous si tu ne me crois pas.

- Je pense qu'un repas en ta compagnie sera largement suffisant.

Le visage de son collègue s'illumina.

- Alors tu restes ? Tu acceptes mon invitation ?

- À l'unique condition que je choisisse le restaurant.

- Tout ce que tu veux, peu m'importe !

Le Serpentard haussa les sourcils.

- « La Tour d'Argent », qu'en dis-tu ?

- Hum… Marché conclu, répondit Lupin qui avait la nette impression que le Sombre avait décidé de le faire raquer au maximum.

Le Maître des Potions réprima un bâillement et referma la Gazette.

- Bon, je vais me coucher, nous avons à faire demain, avec tes amis lycanthropes.

- Cela risque de ne pas être facile, en effet, soupira Lupin.

Rogue se leva puis se dirigea vers sa chambre.

- Alors comme ça je suis… « très beau » ?, ironisa le Ténébreux avant de disparaître.

L'air qu'il avait eu avant de dire cela rappela fortement à Lupin les yeux narquois et tentateurs d'un certain Baigneur… Regard de braise, voix veloutée… Malgré les remontrances de son intelligence, Lupin ne put s'empêcher de sourire bêtement.

.

.

.

Dans son lit, le professeur Rogue ne put s'empêcher d'avoir un sourire mauvais. Il fallait se rendre à l'évidence, l'ancien Maraudeur s'était entiché de lui.

Il allait bien s'amuser…

A suivre