Ce furent des coups portés franchement contre la vitre arrière de la pauvre Jeep qui réveillèrent Stiles dans un sursaut à peine visible, mais tout de même présent. Il eut du mal, mais il parvint à ouvrir les yeux au bout de quelques secondes grâce aux quelques répétitions des coups sur sa vitre qui l'empêchèrent ainsi de se rendormir. Groggy, il eut un peu de mal à reconnaître la silhouette un peu floue de l'homme aux yeux clairs. D'un mouvement lent et paresseux, il abaissa la vitre, vaguement déterminé à entendre ce qu'il avait à dire pour, par la suite, retrouver sa solitude et ainsi, retourner dans le monde des rêves, ce monde dans lequel ses problèmes n'existaient pas, ce monde dans lequel son père l'aimait et mettait de côté sa différence. Oui mais, ce n'était qu'éphémère et l'on ne pouvait pas dormir éternellement. Stiles en était bien conscient. Cependant, il commençait à être réellement fatigué de cette situation qui n'allait pas en s'améliorant. Que devait-il faire pour remonter dans l'estime de son père et regagner son amour ?

- Qu'est-ce que tu fous là ?

La voix grave et peu accueillante de Derek Hale sortit brutalement Stiles de ses pensées ensommeillées mais pas joyeuses pour autant. Ce qu'il détestait se réveiller en ce moment…

- Je suis fatigué alors je faisais une sieste, répondit l'hyperactif d'une voix pâteuse.

SI c'était effectivement la vérité, Derek ne le crut toutefois pas vraiment, puisque… Eh bien, il y avait de bien meilleurs endroits pour dormir que la banquette arrière de ce tas de ferraille, qui plus est en pleine forêt.

- Et t'as pas trouvé mieux que de venir ici ? Lui demanda le loup d'un air sceptique.

- Je sortais du lycée, rétorqua platement Stiles, j'avais la flemme de rentrer chez moi et… Oh et puis j'ai pas à me justifier hein.

Et c'était vrai : pourquoi devait-il expliquer à Derek son choix de dormir ici ? Il était grand et plus ou moins responsable. Il n'avait donc aucun compte à rendre à ce grincheux qui lui servait de… Collègue de meute ? Le regard du loup changea légèrement, devint un peu plus dur.

- Tu n'aurais pas à te justifier si tu avais choisi un endroit un peu plus… Sécuritaire. Tu sais aussi bien que moi que la forêt n'est plus un endroit sûr depuis longtemps.

Ça pour le savoir, il le savait, effectivement. Avec le Nemeton, toutes ces conneries d'affaires surnaturelles et d'apparitions de créatures improbables… Oui, Stiles était parfaitement au courant. Il avait peut-être légèrement oublié qu'il n'était pas le plus apte à se défendre en cas d'attaque, mais… Il l'aimait bien, cette forêt. Et puis, ce n'était pas un endroit où il était censé être dérangé par un « collègue » de meute…

- Ouais mais je m'en fous, répondit-il sans vraiment réfléchir. J'veux juste dormir en paix, pas… Pas chercher des noises au monde surnaturel.

Et surtout… Il n'avait aucune envie de rentrer chez lui. Retrouver l'atmosphère étouffante de sa maison ne le tentait pas le moins du monde. Même si son père était absent à cause du travail, Stiles avait tant peur de mal faire, d'oublier de désinfecter une poignée de porte, de mal ranger quelque chose, de se trahir, de… De baisser encore dans l'estime de son père.

- Je me doute, mais je préfère que tu ne restes pas là. D'ailleurs… Tu ne devrais pas être en cours à cette heure-là ? S'enquit le loup en haussant un sourcil.

A force d'être dans une meute majoritairement constituée d'adolescents, Derek avait commencé à connaître leurs horaires surtout que Scott, en bon alpha-toutou un tantinet égocentrique, lui avait fourni son emploi du temps. Lydia, exemplaire, avait chipé ceux des autres membres lycéens, dont Stiles, même s'ils étaient quasiment tous identiques.

Stiles eut l'air de réfléchir quelques secondes et finit par se rappeler qu'il aurait effectivement dû se trouver en cours, qu'il avait quitté le lycée en catimini et par conséquent séché les derniers cours de la journée. Le seul point positif dans cette histoire, c'était que, prévenu ou pas concernant son absence, son père n'accorderait aucune importance à cette information : son orientation, sa « maladie » était un problème plus urgent à régler à ses yeux…

- Potentiellement, répondit-il laconiquement, désireux de donner le moins d'informations possible au loup qui s'appuyait sur sa portière et ne cessait de le fixer de son regard perçant.

- Pourquoi tu as séché ? Qu'est-ce qui ne va pas ? Enchaîna directement Derek d'une voix pourtant sèche.

Stiles avait toujours apprécié le fait que l'ancien alpha puisse s'inquiéter de son sort. C'était plaisant pour lui de se dire que Derek avait une âme, qu'il puisse prendre cas de l'état de quelqu'un et s'intéresser à autre chose qu'à son passé catastrophique. Néanmoins, cette sollicitude cachée derrière un faux agacement… Il n'en voulait pas. Pas maintenant. Il avait juste envie… D'être tranquille.

De couler seul en attendant que son père revienne sur son jugement.

Stiles se redressa et soupira alors qu'un air abattu déformait son visage d'ordinaire si rieur, si inconscient.

- Ecoute, Derek. Je t'adore et t'es mon Sourwolf préféré. T'es bien gentil de prendre de mes nouvelles et de t'assurer de ma sécurité mais ça va, ok ? Puisque tu y tiens, je vais bouger d'ici. Moi tout ce que je veux, c'est dormir, parce que je suis fatigué.

Je veux oublier ma vie.

- Je veux juste… Être tranquille et me taper la plus grosse sieste de ma vie. Les cours, je m'en fous un peu parce que de toute manière, Lydia pourra me les faire rattraper et encore, pas sûr que j'en aie besoin. Alors tu vois, je t'apprécie beaucoup, mais j'ai pas envie que tu me poses de questions, j'ai aucun compte à rendre à personne. J'ai séché ? Cool, je fais ce qu'ont fait la plupart des lycéens de mon âge ont fait. Maintenant, si tu veux bien t'éloigner de ma voiture…

Stiles se leva malgré la lourdeur de son corps et sortit de la Jeep, pour rapidement passer au poste de conducteur. Derek se décala et vint se placer devant la vitre, que l'hyperactif abaissa à nouveau en soupirant.

- Qu'est-ce qu'il y a encore ? Demanda-t-il, las.

- Tu ne peux pas me mentir, Stiles, l'informa Derek d'un ton nettement plus sérieux.

- Je ne t'ai pas menti.

- Tu n'as dit qu'une partie de la vérité pour me cacher l'autre et crois-moi, je ne suis pas dupe.

- Bah écoute, c'est bien. Bonne journée.

Las de continuer à discuter, Stiles remonta sa vitre de force et démarra sans que Derek ne cherche à le retenir plus longtemps. Il appuya sur la pédale d'accélérateur et partit sans un regard en arrière à une vitesse un peu trop rapide.

Stiles ne put alors pas voir la manière dont le regard de Derek avait changé. Il ne put pas notifier la lourdeur de l'installation de cette inquiétude nouvelle, sincère et profonde.

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Pour éviter de faire une quelconque erreur, la première chose que Stiles avait faite en rentrant avait été de désinfecter la poignée extérieure puis intérieure, avant de monter dans sa chambre pour ne plus en sortir. Son père ne prendrait pas bien de le voir salir son salon ou sa cuisine… Alors Stiles avait acheté un petit sandwich au préalable avant de rentrer. Conduire en étant encore un peu dans les vapes s'était avéré un tantinet difficile mais sa discussion avec Derek lui avait permis de rester passablement conscient assez longtemps pour pouvoir rentrer sans se prendre un arbre. Et le voilà maintenant assis sur son lit, son sandwich attendant sur son bureau. Sandwich qu'il ne mangerait que lorsque son ventre crierait famine et que les contractions de son estomac deviendraient insupportables, histoire de retarder le moment où, dans la nuit, la faim reviendrait.

Enfin, il s'allongea sur son lit et savoura le moelleux de son matelas durant quelques secondes alors que des douleurs dans son dos lui rappelaient qu'une banquette arrière telle que celle de sa Jeep n'était pas vraiment des plus appréciables pour dormir. Roscoe était vieille et ses sièges… Pas confortables pour un sou. Et puis là, dans sa chambre, personne ne viendrait le déranger, n'est-ce pas ? Son père ne terminant pas avant plusieurs heures, Stiles avait le temps d'essayer d'oublier l'atmosphère anxiogène qui l'écrasait depuis qu'il était à l'intérieur de cette maison qui était la sienne. Quoi de mieux qu'une nouvelle sieste pour éteindre momentanément son angoisse ? Tout ce qu'il voulait, c'était réduire la taille de la boule qu'il avait au ventre, ce stress de ne pas savoir quand son père accepterait de le considérer à nouveau comme son fils. Cela ne prendrait que quelques jours, pas tant de temps que cela, après tout… Il l'avait élevé, non ? Il devait forcément l'aimer pour avoir passé toutes ces années à s'occuper de lui, à l'éduquer… On ne pouvait pas effacer tout ça en une annonce. Et puis, était-ce si grave que Stiles n'aime pas autant les filles que cela ? Était-ce si affligeant que cela qu'il préfère les garçons ? N'y avait-il pas pire dans la vie ? Cela empêchait-il réellement Noah de… D'être heureux ? Stiles ne comprenait pas. Comment son orientation pouvait-elle impacter à ce point son paternel ? Il était ouvert hein, il n'y avait pas de problème là-dessus, seulement… Il avait juste un peu de mal à l'accepter. Ça viendrait, ça prendrait simplement un peu plus de temps qu'il ne l'aurait pensé…

Même après plusieurs minutes, Stiles ne réussit pas à s'endormir. Il y avait bien une autre activité qui était assez efficace pour lui changer les idées mais… L'hyperactif se fit violence pour ne pas céder. Il avait beau adorer le tricot, son père ne voulait plus qu'il en fasse et déjà qu'il était censé avoir jeté tout son matériel ainsi que ses pelotes… Stiles ne pouvait décemment pas s'y remettre alors qu'il tentait de remonter dans son estime.

Le ciel l'entendit – ou pas – puisque son téléphone vibra, signe qu'il avait reçu un message. Au moins, cela eut le mérite de détourner son attention, si bien qu'il se redressa, attrapa son cellulaire et l'alluma. Bien vite, l'agacement naquit en lui et il poussa un profond soupir. Pourtant, le message de Jackson ne se composait que d'un seul mot – son nom de famille.

« Stilinski. »

Oui, mais ce seul mot voulait dire que Jackson n'avait pas fini de l'emmerder. Oh, il pourrait le bloquer, mais… Non. Stiles ne pouvait pas se permettre de bloquer un seul membre de la meute, chacun pouvant avoir besoin des autres à tout instant. Jackson compris.

Bien vite, la première impression de Stiles se confirma.

« Je veux que tu me répondes honnêtement. »

Si le premier message de Jackson en prévoyait un deuxième, celui-ci laissait fortement entendre qu'il y en aurait un troisième et sans doute bien plus désagréable que les autres. Désireux de ne pas lui faire plaisir et ayant envie de l'asticoter un peu pour se venger de ce harcèlement qu'il lui faisait subir, Stiles lui répondit :

« On verra. »

Il savait que Jackson pesterait contre cette réponse qui n'était pas celle qu'il désirait. Même si Stiles ne comprenait toujours pas pourquoi le kanima s'acharnait de la sorte pour savoir ce qui se passait chez lui, il commençait à prendre un certain plaisir à l'embêter. Enfin, « plaisir » n'était pas vraiment le bon mot, mais… Disons que Stiles lui rendait la monnaie de sa pièce. Jackson ne s'intéressait à lui que pour mieux l'emmerder par la suite. Ils n'étaient pas amis : simplement « collègues » de meute. Se sauver la vie ne voulait pas forcément dire qu'ils tenaient l'un à l'autre…

Nouvelle vibration, nouveau message.

« J'espère vraiment que tu vas me répondre sincèrement. »

Puis, quelques secondes après :

« Est-ce que ton père te bat ? »

Stiles tomba des nues en lisant ce message. D'abord, il fut paralysé par la surprise, le choc de voir une telle horreur marquée sur son téléphone. Son père ? Lever la main sur lui ? Bien sûr que non ! D'accord, il avait peut-être du mal à accepter son orientation mais de là à le frapper… Non, Noah n'était pas de ce genre-là.

Quelle idée.

Puis, passée la surprise, ce fut la colère qui s'exprima chez lui. Quelle honte ! Comment osait-il penser que son propre père puisse le battre ? On parlait tout de même de Noah Stilinski, le shérif de Beacon Hills, un homme aussi respecté que respectable, un homme de valeurs et qui était pour la justice, contre la violence. C'est ainsi qu'il écrivit ceci alors que son sang bouillonnait dans ses veines :

« Non mais t'es un grand malade d'imaginer ça ! Espèce de taré ! »

Jackson n'était définitivement qu'un enfoiré pour penser une chose pareille. Si son but était effectivement de l'emmerder, c'était chose faite, pas besoin de continuer son petit manège ! Pour le toucher en plein cœur, il fallait simplement mal parler de son père… Et Stiles détestait qu'on puisse salir l'homme qu'il était.

Le battre ! Stiles n'en revenait toujours pas. Non mais franchement, quelle idée !

Oui, quelle idée… Simplement, l'hyperactif était bien loin d'imaginer que ce que préparait Noah était bien pire que de simples coups.