== Chapitre 5 – Le Désastre ==

Elias envoya Perceval et Rostan chercher Arthur pour le mettre au courant de leurs découvertes et partit au trot en direction du rempart Sud. A force de caracoler dans les étages et dans la neige, ses jambes commençaient à franchement le lancer ; l'enchanteur se promit, une fois cette maudite affaire bouclée, d'accompagner plus souvent Merlin dans ses longues promenades en forêt. Un tel manque d'exercice commençait à devenir navrant.

En arrivant dans la cour principale, le mage constata avec soulagement que la grande porte était bien close. Une petite foule hétéroclite s'amoncelait devant les larges battants doublés d'une herse. Piétons, cavaliers, charrettes… la marée de têtes mouvantes et rouscaillantes était bien trop agglutinée pour qu'Elias puisse espérer y déceler son larron depuis le sol, aussi il s'engouffra dans une tour de guet et monta quatre à quatre les marches menant au rempart surplombant la porte.

Sa carcasse essoufflée y fut accueillie par les regards ahuris de Bohort et Iagu, interrompus dans leur propre contemplation de la foule en contrebas.

« Monsieur Elias, est-ce que tout va bien ? » s'inquiéta le chevalier de Gaunes.

Elias balaya l'anxiété de Bohort d'un vague revers de main et s'appuya un instant au parapet pour reprendre son souffle.

« Vous êtes là depuis longtemps ? croassa-t-il.

- Eh bien, je suis ici depuis que le Seigneur Léodagan a ordonné la fermeture et la surveillance de toutes les issues, même si j'ignore encore quelle en est la raison, répondit Bohort sans se défaire de son froncement de sourcils préoccupé. Mais le Seigneur Iagu est assigné à la grande porte depuis ce matin. »

Le jeune homme hocha vivement la tête pour appuyer la déclaration de son aîné.

« Parfait. Est-ce que vous auriez vu passer un cavalier seul, sur un cheval noir ? Un grand roux, très mince, l'air probablement louche. Dans le sens de la sortie.

- Ma foi, personne n'a pu sortir depuis que je suis arrivé ici, puisque les portes étaient déjà fermées, rappela Bohort.

- Bon, ça d'accord, mais avant ?

- J'ai vu aucun cavalier seul sortir depuis ce matin, le renseigna Iagu. Il y a bien eu la patrouille de huit heures et celle de dix heures, mais ils étaient six dans chaque groupe, et je les connais tous bien. Après ça, le rempart s'est écroulé et on n'a plus eu beaucoup de passage avant qu'on nous fasse fermer la porte. Et bien sûr, c'est maintenant que personne n'a le droit de sortir que tout le monde s'est mis à vouloir sortir, forcément… »

Iagu lança un regard agacé à la foule en bas. Les fournisseurs s'égosillaient pour qu'on leur ouvre, scandant à qui voulait l'entendre qu'ils avaient une boutique à faire tourner et n'avaient pas prévu de moisir dans leurs charrettes, sur les pavés enneigés du château. Une horde de loufiats rouspétait à peine moins fort, paniers de commissions vides aux bras, qu'ils devaient absolument se rendre au marché sans quoi il n'y aurait pas assez de pommes de terre pour le repas du soir. D'autres plaintes s'élevaient à droite et à gauche, comme quoi les uns étaient attendus quelque part et les autres qualifiaient de scabreuse cette « prise d'otage » délibérée.

La moitié de l'attroupement ne devait même pas être complètement sûre de la définition du mot « scabreux », en plus.

« Ils me saoulent, j'en peux plus, geignit Iagu au-dessus du vacarme ambiant. On a beau leur dire que c'est un ordre du roi, ils veulent rien entendre, ces glandus.

- Allons, allons, tempéra Bohort. Ils sont tout simplement inquiets, ce qui est assez compréhensible au vu de la situation, je dois dire. Nous-mêmes sommes pris au dépourvu depuis que l'on nous a annoncé qu'il fallait refermer les portes sans nous en donner la raison, vous êtes bien d'accord ?

- Pfff... ouais, p'têtre... m'enfin nous on gueule pas, que je sache !

- Et c'est là où il y a matière à se distinguer, mon jeune ami, sourit le chevalier plus âgé. Notre rôle est de calmer les esprits, plutôt que d'envenimer le conflit. Tenez, vous ai-je déjà narré l'aventure à l'issue de laquelle j'ai gagné l'honorable surnom de Négociateur ?

- Oh, seulement six ou sept fois, marmonna Iagu dans sa barbe. En plus dans la vraie version vous vous êtes foiré, alors...

- Comment ?

- Je disais, ça me ferait plaisir d'entendre ça, puisqu'on a le temps.

- Ah, très bien ! Eh bien voilà, figurez-vous qu'il y a de cela plus de vingt ans, alors que la forteresse de Kaamelott achevait tout juste d'être construite, d'odieux envahisseurs barbares s'étaient mis en tête de la réduire en pièces. La horde progressait à vue d'œil, tout semblait indiquer que le sang de nombreux camarades allait couler dans les jours à venir. Toute l'armée se préparait au carnage à venir, la mort dans l'âme. Quand soudain, une idée providentielle me vint... »

Elias laissa le récit de Bohort sur ses supposés talents de diplomate se poursuivre en arrière-plan et dédia son attention à une tâche bien plus importante : sonder la foule à la recherche du gros fumier qui avait réussi à le berner. Malheureusement la cour était truffée d'alcôves et de recoins, tous envahis par les badauds mécontents, ce qui lui compliquait considérablement la tâche.

L'enchanteur en était à arpenter le chemin de ronde pour jeter un œil derrière un muret quand des jeux de pas empressés se firent entendre dans l'escalier de la tour de guet. Quelques instants plus tard, Arthur débaroula sur le rempart, talonné de près par Perceval et Léodagan. Ce dernier tenait une arbalète massive dans les bras et soufflait comme un bœuf le ferait après une course de deux lieues, ses muscles ressentant probablement le poids de chacune de ses années.

« Vous l'avez trouvé ? attaqua derechef le roi de Logres en arrivant près d'Elias.

- Pas encore, mais il est forcément là. Il a volé un cheval noir auquel il manque une oreille.

- Oui, Perceval nous a dit ça. Vous êtes sûr qu'il n'est pas déjà sorti ?

- Certain, Sire.

- Eh ben et là ? interrompit Léodagan en pointant la crosse de son arbalète en contrebas. C'est pas un canasson noir avec une seule oreille, là derrière la diligence ? »

Les quatre individus se penchèrent comme un seul homme. Derrière l'attelage désigné, à moitié dissimulé par le compartiment, un cavalier solitaire faisait mine de faire partie du convoi. La monture correspondait à la description de Rostan, de son oreille manquante aux marques blanches de sa robe. Du bonhomme immobile en selle, seul le menton était visible sous sa large capuche, et le reste de son gros manteau dissimulait habilement le reste de son corps. Avec largement assez de place pour y planquer, à tout hasard, un petit passager clandestin. Par exemple.

« C'est lui, grogna Elias, la nuque tendue et les doigts crispés sur le parapet. Je suis sûr que c'est lui, c'est cet enfoiré de peigne-cul. Je vais tout lui cramer du groin jusqu'au fond des boyaux.

- Bel esprit, mauvaise méthode, commenta Arthur, avant de se racler la gorge et de hausser la voix pour s'adresser à l'ensemble de la foule. Ahem... s'il vous plaît... s'il vous plaît ! Hé ho !

- HO LES BOUSEUX ! hurla Perceval, si fort que son visage prit instantanément une jolie teinte pourpre. Quand le roi Arthur prend la peine de vous causer, vous écoutez ! C'est votre roi, c'est pas Jo le clodo, alors un minimum de respect, bande de trouducs ! »

Le chevalier gallois y avait peut-être mis un peu trop de zèle, probablement en raison de son inquiétude face à l'enlèvement de son filleul, mais force était de constater que l'efficacité était au rendez-vous. L'ensemble des personnes en contrebas se turent et levèrent les yeux en direction des remparts. Certains ouvrirent d'ailleurs de grands yeux ronds en remarquant la présence du roi, jusqu'alors passée inaperçue.

Elias tourna vers Arthur une expression dubitative.

« Ah oui, et donc là, la méthode… ?

- Oui, bon, grommela le souverain. Le principal, c'est que ça marche. Et puis l'ouvrez pas trop, vous. C'est pas parce qu'on a retrouvé ce glandu que vous êtes sorti du sable, alors à votre place, je me ferais discret. » Arthur ponctua sa remarque d'un regard appuyé en direction de son enchanteur, avant de se pencher de nouveau vers l'amas de bretons désormais tout ouïe en contrebas. « Voilà, donc… pour ceux qui ne m'auraient jamais croisé, ceux qui ont du mal à voir ma tronche d'en bas ou encore ceux qui ne savent pas reconnaître une couronne, le roi Arthur, c'est moi. »

Un instant de silence, quelques échanges de regards désorientés, puis une vague d'applaudissements plus polis que sincères s'éleva du troupeau.

Agacé, Arthur esquissa de grands gestes avec les bras.

« Non mais je m'en fous, merci bien mais je m'en fous, c'est pas ça. Alors vous vous demandez sûrement pourquoi les portes sont fermées, et pourquoi on vous retient ici. C'est bien normal. Eh bien je vais vous le dire : les portes sont fermées car nous sommes à la recherche d'un criminel en fuite au sein du château. »

Au mot « criminel », un brouhaha de murmures préoccupés s'empara de la cour principale. Marchands et loufiats se mirent à jeter des coups d'œil inquiets à droite et à gauche, des fois que la simple mention de l'individu soit suffisante pour le faire apparaître dans les parages.

Le cavalier à capuche, quant à lui, ne bougea pas d'un poil. Ce fumier.

« Rassurez-vous, vous n'êtes pas en danger, hein, poursuivit Arthur, paumes présentées en avant en signe d'apaisement. Pas de panique, vous n'avez rien à craindre. D'autant que ce criminel, nous venons tout juste de le retrouver. Ce qui m'amène à la chose suivante : je vais vous demander de bien vouloir tous vous éloigner du bonhomme à capuche sur le cheval noir, celui qui est juste derrière la carriole avec la portière ouverte. Ouais, ouais voilà, celui-là, tout à fait. Vous vous éloignez tous.

- Et hésitez surtout pas à laisser trente bons pieds de distance, grogna Léodagan en braquant son arbalète sur ledit bonhomme. On sait jamais, ça risque de gicler un peu ! »

La requête des deux souverains et le mouvement de retrait de la foule semblèrent enfin percer la bulle d'indifférence entourant le ravisseur présumé. Ce dernier se raidit en selle et lança des œillades déstabilisées à ses alentours directs qui se vidaient à grande vitesse. Bientôt, il se retrouva seul au milieu d'un grand cercle exempt de toute compagnie, cerné seulement par la neige piétinée et les pavés de la cour visibles en dessous.

« Sire, intervint Bohort d'une voix basse et paniquée, mais qu'a donc fait cet homme ?

- Oh vous allez vite voir ce qu'il a fait, vous bilez pas pour ça, lui assura Arthur avant de reprendre d'une voix plus forte. Voilà, donc vous l'aurez compris, il vaut mieux vous rendre, honnêtement c'est plus simple. De toute façon, vous n'arriverez pas à franchir ces murs vivant. »

Le cavalier semblait s'être remis de sa surprise. De nouveau calme, il rajusta sa prise sur les rênes et leva suffisamment la tête pour faire apparaître le bas de son visage, et le rictus goguenard qui lui étirait les lèvres.

« C'est un défi, Sire ? » lança l'individu.

Elias fronça les sourcils. La voix grinçante n'avait absolument rien à voir avec celle, beaucoup plus jeune et claire, du soldat qui était venu le cueillir dans la salle de jeu. Et en plus de ça, fait plutôt inquiétant, elle ne lui était pas inconnue.

« Une mise en garde, plutôt, répondit Arthur, l'air sévère. Je crois pas que j'ai tellement besoin d'en dire plus, alors commencez pas à me gonfler sinon ça va mal se mettre.

- Dans ce cas, s'il n'y a plus moyen de causer… »

Le ravisseur – car au vu de son comportement et en dépit de sa voix, Elias était désormais entièrement persuadé qu'il s'agissait bien de lui – leva une main pour rabattre sa capuche et dévoiler son visage.

Aucune trace de la tignasse rousse du soldat Lorcan. A la place, de courts cheveux sombres grisonnants aux tempes, et une face balafrée qui obligea Elias à faire un pas en arrière, surpris.

« Hé mais ce serait pas un magicien, celui-ci ? demanda Iagu. Il était là au tournoi de magie en début d'année, non ? Alan, ou Artaban, un truc comme ça.

- Alban, corrigea le cavalier sur un ton agacé. Et oui, j'y étais.

- Ah, voilà.

- Attendez, renchérit Perceval, c'est pas lui qui s'est retrouvé avec une chiasse monstre parce qu'il a mangé du rôti d'agneau daubé, ou j'sais pas quoi ? Y s'appelait pas Alban, le mec ?

- Ah mais oui ! » confirma Iagu en hochant la tête.

Elias décocha un regard en coin au chevalier gallois. « Donc vous, vous mettez quinze ans à retenir mon nom alors qu'on se croise régulièrement, mais le nom d'un type que vous avez vaguement croisé une fois en passant, pas de problème ?

- Ouais mais ça m'a marqué, le coup de la chiasse, parce qu'en fait-

- Ho, vous croyez pas qu'on s'en cogne un peu, non ?! tempêta Arthur. On a un tout petit peu plus urgent à gérer là tout de suite que la capacité réduite de Perceval à retenir les prénoms ! » Puis, à Elias : « C'est lui ou c'est pas lui, au bout d'un moment ? Si on est en train de perdre du temps avec des conneries, j'vous préviens, je vous colle au trou pour trois mois.

- Mais j'ai juste suivi la piste, moi ! s'indigna le sorcier. Il a le bon cheval ! Il est au château alors qu'il n'a rien à y foutre ! Venez pas me dire que c'est pas suspect ! C'est forcément lui !

- Comment ça, « forcément » ? Vous m'avez pas parlé d'un soldat irlandais roux, tout à l'heure ?

- Bah oui, oui oui, admit Elias en hochant bêtement la tête devant le souverain de plus en plus courroucé. Mais là je sais pas, c'est peut-être un complice, ou il y a de la magie impliquée… j'sais pas…

- Bon qu'est-ce que je fais, moi ? grogna Léodagan, l'œil toujours aligné avec le viseur de son arbalète. Je le dégomme, je le dégomme pas ? Sans être d'un naturel impatient, j'aimerais bien savoir. »

Arthur se tourna vers son beau-père, une expression royalement excédée peinte sur le visage.

« Deux secondes, oui ?! On n'est même pas complètement sûrs que ce soit lui, vous allez pas le tirer comme un merle s'il est innocent !

- Ouais mais s'il l'est pas ? Vous faites ce que vous voulez, mais moi je prends pas le risque de le laisser se tirer avec mon petit-fils si c'est lui le fumier qui a fait le coup !

- J'ai pas dit non plus de le laisser partir, commencez pas !Et au passage, c'est mon fils avant d'être votre petit-fils, arrêtez de faire comme si vous étiez le seul à vous en soucier !

- Alors arrêtez de me donner des raisons de le croire !

- De quoi ? Qu'est-ce que ça veut dire, ça ?!

- Ça veut dire que si vous aviez fait plus gaffe, on n'en serait pas là ! »

Dans un étalage de courage dont il devait être le premier surpris, Bohort s'intercala entre les deux hommes enragés avant qu'ils n'en viennent aux mains, bras tendus en signe d'apaisement comme s'il approchait deux lapins adultes furieux. Il ne donnait pas l'air de comprendre grand-chose à ce qui était en train de se passer, le fier chevalier de Gaunes, mais sa sainte horreur du conflit le poussait certainement à faire tout son possible pour calmer le jeu.

« Enfin messieurs, calmez-vous, je vous en prie ! supplia-t-il, partagé entre incrédulité et panique. Rendez-vous compte de l'image que vous donnez au peuple breton !

- Le peuple breton, je l'emmerde ! vociféra Léodagan en braquant de nouveau son arbalète vers le cavalier solitaire en contrebas, là où il avait baissé l'arme pour pouvoir mieux hurler sur son gendre. On va prendre l'option la plus prudente et lui trouer le bide pendant qu'il est encore temps, on pourra toujours poser les questions ensuite.

- Non mais vous vous écoutez ? rugit Arthur. On ne tire pas les gens à l'arbalète sur des suppositions ! Et puis où vous voulez qu'il aille, de toute manière ? La porte est fermée, tout le château est bouclé, il n'ira nulle part ! »

En bas dans la cour, du côté le moins avantageux du carreau d'arbalète, Alban ne semblait pas perturbé outre mesure par la dispute faisant rage sur les remparts. Malgré les auspices qui ne penchaient clairement pas en sa faveur, le mage défiguré trouva même l'audace de sourire.

« A ce propos, Sire, commença-t-il avec un évident excès de politesse, ce serait bien aimable à vous de me faire ouvrir la grande porte. J'ai un bon bout de chemin à faire et j'aimerais arriver avant la nuit, si c'était possible.

- Vous êtes bouché à la cire, ou quoi ? rétorqua le roi de Logres. Quand je dis que vous allez nulle part, c'est nulle part ! J'ai des questions pour vous et vous ne partirez pas avant d'y avoir répondu, c'est compris ?

- Tout ça juste parce que je suis passé dans votre forteresse sans trop m'annoncer ? » Alban soupira et croisa le regard d'Elias. « Ils sont un peu frileux avec les magiciens ici, non ? T'aurais pu me prévenir. »

L'enchanteur du Nord n'appréciait guère d'être pris à parti, comme s'il y avait la plus infime chance sur ce plan de l'existence qu'il offre un quelconque soutien à ce « confrère » nauséabond. Il n'aimait pas particulièrement non plus se faire tutoyer aussi gratuitement en public, mais cela lui donnait implicitement le droit d'en faire autant.

« Pas tous, répliqua-t-il sèchement. Seulement ceux qui se coltinent une aura de trou du cul aussi grosse que la tienne.

- Ah… mon pauvre vieux, ça doit pas être facile tous les jours ici pour toi, du coup. »

La familiarité nonchalante d'Alban était à un cheveu de faire sortir Elias de ses gonds. Il aurait volontiers gratifié le débile de quelques mots bien choisis mais Arthur lui dama le pion alors qu'il ouvrait à peine la bouche.

« Bon, ça commence à bien faire, maintenant ! Elias, vous la fermez ! Et vous en bas, vous descendez de cheval et vous radinez au pied de la tour de guet, tout de suite !

- Ouais… sauf que moi c'était pas trop ce que j'avais prévu, en fait, osa répliquer Alban.

- Il fera bien ce qu'on lui dira, le rigolo, s'il veut pas récolter de l'arbalète dans les miches ! balança Perceval en désignant l'arme susmentionnée dans les mains crispées de Léodagan. Vous êtes pas tellement en position de négocier, mon petit pote !

- Ben… j'crois bien que si, en vrai. »

Tous les hommes sur le rempart échangèrent instinctivement un regard interrogateur. Au moins désormais, Bohort et Iagu n'étaient plus les seuls à avoir l'air complètement perdu.

Alban ne se fit pas prier pour étayer son propos. De sa main droite, il écarta un pan de son volumineux manteau pour dévoiler une petite silhouette menue, ligotée et bâillonnée, assise devant lui sur la selle. Une silhouette bien connue de toute l'assistance.

« Yoan ! » rugit Arthur à la vue de son fils captif.

Ce dernier leva la tête à l'appel de son nom, désorienté. En posant le regard sur son père, les yeux du garçonnet s'écarquillèrent et il se mit à s'agiter. Malheureusement, Yoan avait beau lutter avec l'énergie du désespoir, ses liens étaient bien trop étroitement noués pour espérer s'en défaire. A travers son bâillon filtraient ce qui ressemblait à des appels suppliants et des gémissements étouffés.

« Il est beau mon laissez-passer, non ? sourit Alban en tapotant les cheveux du petit prince avec une tendresse toute feinte.

- Libérez-le, espèce de connard ! exigea Arthur, une main crispée autour de la garde d'Excalibur sans encore tirer l'épée de son fourreau.

- J'ai une autre proposition, Sire. »

De la main qui ne tenait pas les rênes, Alban dégaina une dague effilée de sa ceinture. En moins de temps qu'il n'en fallut à Bohort pour hoqueter d'effroi, le mage balafré en avait pressé la lame sous la gorge de son prisonnier miniature. Ce dernier cessa immédiatement de se débattre et se figea contre son ravisseur. Même depuis le haut des remparts où Elias se tenait, la terreur dans les yeux du petit était bien visible.

Ravi d'avoir l'attention de toute l'assistance sur lui – y compris celle, inutile, de toute la foule de civils amassée en périphérie de la cour – Alban se laissa aller à sourire.

« Voilà ce que je propose. Vous me laissez partir, et moi de mon côté j'évite de faire des petits trous dans l'héritier. Plutôt honnête, non ?

- Honnête ? Vous manquez pas de souffle ! s'écria le roi ulcéré.

- Après si vous voulez pas négocier, aussi…

- Mais j'ai rien à négocier ! Vous le relâchez, et puis c'est tout !

- J'aurais du lui carrer du fer en travers du citron quand j'en ai eu l'occasion ! grogna Léodagan, son arbalète reposant désormais sur le parapet, inutile. Si vous étiez pas une si grosse lopette quand il est question de prendre des décisions à l'instinct, aussi.

- Merci beau-père, on peut dire que ça améliore franchement la situation !

- Ah ben merde, hein ! Au bout d'un moment, faut dire les choses ! »

La volonté d'Arthur de coller une grosse tarte en travers du museau de Léodagan était si forte qu'elle en devenait presque visible. L'immense effort fourni par le fils d'Uther pour résister à ses pulsions se sentait dans tout son être, de sa mâchoire serrée aux doigts tellement agrippés à Excalibur qu'ils en étaient devenus blancs crème. Pour autant, jamais ses yeux effarés ne se détournèrent de son fils, et de la lame pressée contre sa gorge.

Le roi de Logres commençait à comprendre qu'il s'approchait d'une impasse.

Pour gagner du temps et rattraper une fraction – aussi minime fut-elle – des dégâts causés par sa négligence, Elias décida d'intervenir.

« Le soldat Lorcan n'existe pas, pas vrai ? lança-t-il tout en réfléchissant à toute vitesse à une manière de renverser la situation. C'est toi qui es venu m'apporter le faux message tout à l'heure.

- Tout juste, se gargarisa Alban en bombant le torse. T'es pas le seul pignouf du royaume à savoir faire des sorts de polymorphie, tu sais. D'ailleurs à ce propos, j'étais plutôt convaincant, non ? J'ai fait un peu de théâtre quand j'étais jeune, avec une paire de copains. A croire que c'est comme faire du cheval, ça s'oublie pas. »

Un sort de polymorphie. Mais évidemment. Elias avait bien envie de se frapper le crâne contre un créneau pour avoir été aussi stupide. Il comprenait maintenant pourquoi les mouvements de la soi-disant sentinelle lui avaient paru si désordonnés : il n'avait pas été question d'un jeunot accusant le coup de sa dernière poussé de croissance, mais bien d'un magicien habituellement trapu s'habituant à un corps grand et maigrichon.

Le Fourbe s'était laissé fabriquer par le plus vieux tour du manuel, et par un confrère bien plus jeune que lui, par-dessus le marché. Il était vexé, frustré, mais il n'avait pas dit son dernier mot.

Un excès de confiance était le meilleur moyen de créer des brèches dans sa garde, et du haut de sa monture, c'était ce qu'Alban était justement en train de faire. Elias n'avait qu'à brosser un peu plus dans le sens du poil et l'abruti allait certainement commettre un écart qui lui permettrait de prendre l'avantage, sauver le gamin, et regagner les bonnes grâces du paternel dans la foulée.

« J'avoue que j'y ai vu que du feu, avoua l'enchanteur du Nord – les mots étaient véridiques, ce qui ne les empêchaient pas d'être teintés d'amertume. Une belle démonstration de magie…

- Ah, tout de même, merci ! Enfin quelqu'un le remarque ! commenta Alban. J'en connais certains de ma bande qui auraient bien besoin d'entendre ça. »

Une bande, alors ? Intéressant. Le débile ne bossait donc pas pour son propre compte.

« Je me demande même si un tel talent n'est pas gâché sur un boulot aussi médiocre que voleur d'enfant, se figura Elias, faussement songeur. Si tu es intéressé… je suis sûr qu'il y aurait du boulot pour toi ici, au château.

- Non mais allez-y, vous gênez pas ! s'emporta Léodagan. Taillez le bout de gras avec ce fumier ! Vous voulez que je vous fasse monter un casse-croute pendant qu'on y est, pour l'entretien d'embauche ? »

Elias manqua de peu de lever les yeux au ciel. Il aurait du se douter qu'avec sa propension toute particulière à détecter la subtilité, le seigneur de Carmélide ne comprendrait pas l'intention derrière les mots. Heureusement, Arthur était bien plus perceptif ; il donna un coup de pied discret dans la botte de son beau-père et lui intima d'un regard noir de la boucler. Par miracle, le bonhomme vieillissant obtempéra, imité par les autres personnes présentes sur le rempart.

« Allez, relâche le gamin et on en discute, reprit Elias à l'attention d'Alban.

- Tu m'as pris pour un touriste ? rétorqua le plus jeune sans alléger sa prise sur Yoan d'un chouya. Je suis pas assez débile pour tomber dans le piège, figure-toi ! Le gosse ne va nulle part. » Le ravisseur haussa ensuite les épaules, presque exaspéré. « Et puis qu'est-ce que ça peut te foutre, à la fin ? Tu vas quand même pas me faire croire que tu t'es soudainement trouvé une passion pour les marmots, juste toi ? Vu le nombre colossal que t'en as décanillé il n'y a pas si longtemps, ce serait un peu hypocrite de prétendre qu'un de plus ou de moins, ça change quelque chose. »

Comme sous l'effet d'un sortilège, tous les regards convergèrent d'un seul coup vers Elias, qu'il s'agisse du groupe sur les remparts ou de la foule en contrebas. L'enchanteur avait beau être au grand air, il se sentit soudainement acculé, comme piégé au fond d'un trou.

« Qu'est-ce qu'il bave, l'autre guignolo ? demanda Léodagan, les lèvres pincées en une ligne si fine qu'elle disparaissait presque sous sa moustache. C'est quoi cette histoire de gamins canés ?

- Rien du tout, répondit précipitamment Elias. Il essaie juste de détourner le sujet pour-

- Ah, tu leur as jamais raconté, alors ? poursuivit Alban, avec un air faussement désolé si bien exécuté qu'il aurait pu faire passer les meilleurs comédiens de l'île pour des débutants. Oups, pardon, la boulette… Bon tu me diras, au moins maintenant, c'est sorti. C'est jamais bon les petites cachotteries qui pourrissent dans un coin, ça ressort toujours au pire moment. Et puis, le roi Arthur mérite de savoir quel genre de monstre il héberge chez lui, tu crois pas ? »

Le souverain en question fronça les sourcils, ulcéré par cet importun qui non seulement tentait de lui subtiliser son fils unique, mais se payait l'insolence de parler de lui comme s'il n'était pas là. Il se pencha en avant pour poser ses mains à plat sur le parapet et s'adresser directement au mage scélérat.

« Il se trouve que le roi Arthur a toute confiance en son enchanteur, » déclara le Pendragon – et même si Elias sentait très nettement que l'injonction manquait de sincérité et n'était là que pour donner le change, il l'apprécia malgré tout. « En tout cas bien plus qu'en un pignouf sorti de nulle part qui pense pouvoir faire du mal à son fils. Alors vous l'excuserez s'il a du mal à gober votre histoire.

- C'est très touchant, Sire… mais vous vous rappelez sûrement que votre précieux enchanteur a eu une période Lancelot. Il ne fait pas partie de ceux qui ont immédiatement rejoint la Résistance, oh ça non. Il est resté aux côtés du nouveau roi pendant un bon bout de temps, votre loustic, et vous croyez vraiment qu'il passait ses journées à tricoter ? »

Alban marqua une pause volontaire. Cette fois-ci, Arthur ne renchérit pas, ni aucune âme en présence d'ailleurs. Elias sentait le froid d'un mauvais pressentiment lui couler le long du dos, et il lutta pour maintenir un visage neutre à travers le tumulte qui sévissait dans son esprit.

Ce n'était pas possible. L'autre débile ne pouvait pas être au courant.

« Vous voyez, Lancelot avait peur que vous ayez semé des héritiers au trône dans le monde paysan avant de quitter la Bretagne, poursuivit Alban avec un sourire bravache décidément haïssable. Des bâtards illégitimes, mais qui auraient peut-être pu retirer Excalibur un jour et le renverser. Alors Lancelot s'est mis à envoyer des patrouilles de saxons dans les villages. Assez souvent, jusqu'à une fois par semaine. Ils avaient ordre de ramener à Kaamelott tous les garçons de moins de douze ans, par là. Mais pas pour leur apprendre à monter à cheval, si vous voyez ce que je veux dire. »

Arthur demeurait immobile, les mains toujours à plat sur le parapet, les épaules tendues. Elias n'osait pas intervenir, pas plus qu'il n'osait jeter plus que des œillades en biais au roi dangereusement silencieux.

Le sourire victorieux d'Alban s'élargit encore plus, si une telle prouesse était physiquement possible.

« Alors, Elias ? Dis à ton cher roi Arthur qui fournissait Lancelot en poison. Dis-lui qui est le vrai responsable de la mort de tous ces enfants. » Puis, à la foule de bretons éparpillée autour de lui : « Mais j'y pense, de tous vos enfants, si ça se trouve. »

Le voile glacial qui s'abattit sur la cour et les remparts n'avait rien à voir avec la saison hivernale. Elias pouvait sentir le poids cumulé de toutes les paires d'yeux retourner sur lui, aussi pesant qu'une véritable charge physique. Mais le pire, c'était certainement Arthur. Le roi de Logres s'était lentement retourné et décortiquait son enchanteur du regard, cryptique, comme s'il le rencontrait pour la première fois et n'était pas impressionné par ce qu'il voyait.

« Dites-moi que c'est faux, souffla-t-il. Dites-moi qu'il ment. »

Une supplique, plus qu'un véritable ordre.

Elias sentit son visage se décomposer en dépit de sa meilleure volonté. Bon sang, il avait pourtant cru ce déplaisant chapitre de sa vie mort et enterré pour de bon… comment cet abruti pouvait-il être au courant ? Personne ne connaissait la vérité, à part ceux qui s'étaient trouvés sur place à l'époque – et à part Merlin à qui Elias avait tout raconté, mais il voyait mal son époux le trahir de cette manière.

Alors comment ?

« Elias, reprit Arthur. Dites-moi que vous n'avez jamais… fait ce qu'il dit. »

Le Fourbe déglutit avec difficulté. Son silence n'était donc pas suffisant ? Il allait falloir le dire à voix haute ? Comme si son absence de protestation pouvait signifier autre chose qu'un aveu honteux…

« Je… c'est… c'est plus compliqué que ça, croassa-t-il péniblement, la mine basse.

- Pas tellement, non. C'est même assez facile. Est-ce que oui ou non tout ce qu'il dit est vrai ?

- Sire…

- Oui ou non ?

- … oui. »

Elias en avait connu, des épreuves. Il avait fixé la mort dans le blanc des yeux trop de fois pour s'en souvenir. Il avait abattu des centaines de soldats, parfois de façon sordide, sans jamais détourner les yeux. Mais la lueur d'horreur pure dans les iris sombres d'Arthur, il ne pouvait pas se résoudre à la regarder plus d'une seconde. Assommé par la vitesse à laquelle la situation s'était retournée contre lui, le mage ne pouvait que baisser la tête et subir, hébété, tout le poids de l'accusation dirigée à son encontre.

Comme un coup de hache dans une plaque de glace, la voix traînante d'Alban brisa l'épais silence qui s'était abattu dans la cour.

« Bon, vous êtes tous charmants et je resterais bien volontiers évoquer d'autres anecdotes avec vous, mais on m'attend. Alors si personne n'y voit d'inconvénient, mon petit pote et moi, on filoche.

- Mais pourquoi vous faites ça, merde à la fin ?! explosa Arthur, son légendaire sang-froid tari depuis bien longtemps. C'est quoi votre but, vous voulez quoi ? Une rançon ? Des terres ? »

Alban se renfrogna et raffermit sa prise sur sa dague, serrant Yoan un peu plus contre lui.

« Je veux que m'ouvriez cette putain de porte, grogna-t-il. Tout de suite. Sans ça, l'héritier chéri va prendre un sacré coup sur le bonnet, et je suis sûr que tout le monde ici aimerait éviter ça. A commencer par le principal intéressé. J'ai pas raison, bonhomme ? »

A ce stade, le garçonnet ressemblait plus à une rivière qu'à un être humain, étant donné la quantité de larmes qui inondaient ses joues.

Le silence reprit une nouvelle fois ses droits, si lourd qu'Elias pouvait entendre les battements angoissés de son propre cœur au fond de ses oreilles. Le temps suspendit son cours. Que fallait-il faire ? S'entêter et voir si le trouduc avait le triste courage de mener son programme à bien ? Ou céder, et prendre le risque de voir Yoan disparaître dans la nature à tout jamais, vivant, mais hors d'atteinte ?

Comme lors de nombreuses occurrences, Léodagan se décida pour la troisième option, qui n'était jamais évoquée tant elle était naturelle pour le Sanguinaire. La violence brute.

« Bon, vu qu'il faut tout faire soi-même ici, je m'occupe de son cas ! asséna le roi de Carmélide en portant de nouveau son arbalète à l'épaule et en alignant son œil droit avec le petit taquet de bois tenant lieu de viseur. Il fera moins le fiérot avec un carreau en travers de la courge, j'peux vous le garantir ! »

La cible était éloignée, et réduite, mais Elias savait que Léodagan était un tireur redoutable. Avant que les saxons ne viennent leur confisquer jusqu'au dernier couteau à beurre, à Carohaise, il tuait le temps en dégommant des merles depuis le chemin de ronde. Elias l'avait vu atteindre les oiseaux malchanceux à plus de vingt pieds de distance, en plein vol, et par temps venteux. Si quelqu'un était capable d'éliminer Alban sans blesser Yoan, c'était bien Léodagan.

Mais le ravisseur avait encore quelques tours vicelards dans sa besace. Tout en maintenant le gosse contre lui de la main qui tenait les rênes, il passa la pointe de sa dague sous le bâillon et abaissa le tissu pour libérer la bouche de Yoan.

Ce dernier ne se fit pas prier pour sauter sur l'occasion.

« PAPA ! hurla-t-il d'une voix rauque et désespérée. PAPY ! »

Le cri du cœur rebondit contre le mur d'enceinte, alourdi par le chagrin et l'épouvante. Figé par l'impuissance, Arthur ne pouvait que regarder, chacun de ses muscles tendu de frustration sous son épais manteau de fourrure. Il ne pouvait rien faire, et sa détresse silencieuse était un supplice à observer.

« Beau-père, murmura-t-il simplement, plus souffle que voix.

- Je suis dessus, deux secondes… »

Léodagan ferma l'œil gauche et plissa le droit, son entière concentration dirigée vers le cavalier en contrebas, l'enfant que le fumier tenait tel un bouclier humain et les maigres ouvertures que la situation lui offrait. Il releva le coin de sa lèvre supérieure pour découvrir quelques dents fermement serrées. Ses doigts se crispèrent sur le déclencheur, tout doucement, à mesure qu'il ajustait sa visée.

Elias retint son souffle. Bientôt, le carreau fendrait l'air. Bientôt, toute cette horrible journée serait à jeter aux oubliettes…

« PAPA ! PAPYYYY ! » beugla de nouveau Yoan entre deux pleurs.

Léodagan vacilla. Sa main hésita sur le déclencheur. Puis son visage entier se détendit, à mesure que l'intense concentration le quittait. Le roi grisonnant de Carmélide baissa les yeux en même temps que son arme, dépité. Vaincu.

Le tir était trop risqué. Même pour lui.

De rage impuissante, Léodagan serra les mâchoires et se tourna vers son gendre. Imperceptiblement, le plus vieux secoua la tête, laissant transparaître par le regard plus de commisération qu'Elias ne lui en avait jamais connue. Arthur pinça les lèvres et déglutit avec difficulté. Pendant quelques instants, le roi de Logres se retrouva en proie à un débat intérieur, les yeux voilés par le trouble d'un dilemme impossible à résoudre.

Lorsqu'il prit enfin la parole, la dureté de sa voix aurait pu concurrencer les alliages de métaux les plus solides jamais conçus dans tout le monde connu.

« Seigneur Iagu, appela-t-il brusquement.

- Euh… oui, Sire ? répondit le jeune homme qui jusqu'alors s'était bien gardé d'intervenir, tétanisé

- Relevez la herse et dites à vos hommes en bas d'ouvrir la grande porte.

- Que quoi ? Mais, Sire, vous n'allez tout de même pas-

- Je vous demande pas votre avis. Vous la bouclez et vous faites exactement ce que je viens de dire. C'est trop compliqué pour vous ?

- … non, Sire.

- Bien. Exécution.

- Oui, Sire. »

Si le ton était mordant, ce fut pourtant bien la mort dans l'âme qu'Arthur observa Iagu actionner le treuil de la herse. Dans un fracas de chaînes qui sonnait comme autant de glas, les poulies s'animèrent, et la lourde grille s'éleva lentement à mesure que Iagu tournait la large manivelle.

« Sire, je vous en prie, tenta doucement Bohort au milieu des cliquetis métalliques. Il faut reconsidérer…

- Si vous avez une autre solution qui ne finira pas avec le sang de mon fils répandu sur les pavés de la cour, alors je vous écoute, seigneur Bohort. Mais là tout de suite, je choisis la seule option où je peux espérer le revoir un jour vivant. »

Le chevalier de Gaunes hésita, ouvrit la bouche, puis la referma et demeura tristement silencieux derrière son souverain.

Bientôt, la herse se retrouva relevée, et les quatre gardes en poste devant la grande porte en libérèrent les loquets. Ensemble, ils poussèrent les lourds battants de bois rongés par le gel. Ces derniers pivotèrent dans un sinistre grincement.

La voie était désormais libre.

« Parfait, sourit Alban en rengainant sa dague pour mieux se saisir à la fois des rênes et de son petit captif. Il est temps pour nous de filer. Inutile de préciser, mais si jamais vous tentez de me suivre par n'importe quel moyen… un conseil, n'essayez même pas. Un accident est si vite arrivé. » L'enchanteur abject fit avancer son cheval vers la porte, un pas nonchalant à la fois. « Sire, merci de m'avoir accueilli chez vous si gentiment, c'était un réel plaisir. Oh, et Elias ? »

Par réflexe, le sorcier interpelé tendit l'oreille à l'annonce de son nom. Le sourire d'Alban devint éclatant.

« Merci pour tout ce que t'as fait. Le tournoi, aujourd'hui, tout ça… on n'aurait jamais pu y arriver sans toi, alors merci, vraiment. »

Sur ces dernières paroles sans queue ni tête, le ravisseur piqua des deux et envoya sa monture au galop vers la grande porte sans laisser la moindre chance à quiconque de répondre. Les quatre gardes s'écartèrent vivement sur le passage du cheval, peu enclins à se faire piétiner.

Pareil à tous les autres hommes présents sur le rempart, Elias ne put que regarder, médusé et inutile, alors que le cavalier s'éloignait de Kaamelott, accompagné seulement du claquement des sabots sur la route pavée déneigée et des appels à l'aide faiblissants de Yoan à son père et son grand-père.