Lorsque Nayëlle ouvre enfin les yeux, elle aperçoit en premier lieu, les planches en bois du salon. Allongée en chien de fusil par terre, elle se sent déjà courbaturée.

Sa vue est encore trouble, mais elle distingue l'âtre de la cheminée en tournant la tête. Son corps semble peser une tonne et lorsqu'elle se redresse, elle doit faire un effort monumental pour ne pas tomber en arrière. Après plusieurs secondes, elle remarque qu'elle n'est pas couchée à même le sol : Une épaisse couette lui sert de matelas et de couverture à la fois. Elle roule sur le dos. Ses yeux gris observent ce qu'il se passe autour d'elle, silencieusement ; Les volets sont entre-ouverts et filtrent la lumière du jour. Le feu est réduit à l'état de braises rouges et oranges qui crépitent et émettent un son réconfortant et douillet.

Une main sur le visage, elle met quelques secondes pour calmer les vertiges qui la saisissent depuis son réveil. Puis, avec lenteur, tout en se remémorant les événements de la veille, elle repousse le drap et commence à s'examiner sous tous les angles. Avec une certaine forme d'absence, elle remarque les éraflures sur ses genoux, là où son jean s'est déchiré, et les frôle ; une douleur, minuscule, picote son épiderme, puis, plus rien.

Toujours en silence, elle observe ses bras sertis de petites griffures rosées. Pareilles à de petites épines, elles serpentent sur sa peau.

Elle lève ses avant-bras devant son visage, à la fois intriguée et consciente qu'elle ne s'est pas sortie indemne du combat nocturne contre Assassin et DELAROUX. Elle a eu de la chance, il est vrai. De la chance d'avoir Caster auprès d'elle.

Le bruit du plancher de bois qui craque la fait légèrement sursauter. Elle tord le cou pour discerner la source du bruit, encore un peu cotonneuse ; Son Servant, un bol à la main, s'approche d'elle avec un sourire moqueur. Nayëlle se recule légèrement pour lui faire un peu de place, les jambes en tailleur. Elle se passe une main dans les cheveux avec l'espoir de paraître un peu plus présentable. Mais elle porte encore sur elle les affaires de la veille et doit avoir une mine épouvantable. Lorsque Caster s'accroupit à côté d'elle en lui tendant le récipient rempli d'une soupe chaude et odorante, le ventre de la mage se crispe et gargouille. Nayëlle préfère ne pas regarder l'Irlandais, qui doit sans doute ricaner sous cape. Quoique, il ne s'est jamais gêné pour rire librement d'elle, face à elle !

La fierté de la magicienne la pousse à décliner la soupe qui lui fait pourtant terriblement envie. Elle la refuse poliment, d'un geste de la main et décide de se relever. Néanmoins, l'esprit héroïque n'est pas du même avis ; il lui pose une main sur l'épaule et l'oblige, fermement, à rester assise :

« - Master, il faut manger. Tu n'as rien dans le ventre depuis presque 24h, ce n'est pas en s'affamant que l'on gagne une guerre. Tu aurais certainement préféré t'occuper de cela toute seule, je le conçois, mais elle est prête maintenant ; ne gâchons pas la nourriture. »

A quoi bon lutter ... ? Il a des arguments et elle est encore dans les vapes. Elle ne sait même pas si elle va réussir à se redresser du premier coup ; autant ne pas empirer sa situation déjà bien ridicule. Elle hausse les épaules, prend le bol entre ses mains et souffle sur la mixture encore brûlante avant de la porter à ses lèvres. Son estomac vide se tord de douleur dès la première gorgée avalée mais Nayëlle l'ignore (tant bien que mal). Comme Caster l'a si bien dit : elle doit reprendre des forces. Et puis, ce n'est pas mauvais, pas du tout. La mage perçoit des notes légèrement sucrées sur le bout de sa langue à chaque fois qu'elle boit. Sous l'œil attentif et la présence silencieuse de son Servant, elle finit son bol et soupir discrètement d'aise en le posant, vide, sur le drap, entre ses jambes :

« - J'ai perdu connaissance hier soir, n'est-ce pas ?
- Affirmative mam'zelle »

Silence. Nayëlle se mord la lèvre inférieure, le visage baissé pour ne pas croiser les yeux carmin de l'Irlandais :

« - Je suis désolée. Je fais une bien piètre Master pour tomber dans les pommes ...
- Ce n'est rien ma jolie. Ni toi, ni moi, n'étions en forme. Et j'ai puisé dans les tréfonds de tes réserves de Mana en une poignée de secondes, pouffe-t-il en s'emparant du bol.
- Certes. Mais j'aurais dû être là pour t'aider, jusqu'au bout.
- Nayëlle O'NEILL ... »

Elle tourne la tête vers lui en entendant son nom et son prénom. Les lèvres de l'Irlandais sont ourlées en un drôle de sourire mutin et il la regarde. Immédiatement, elle se fige, un sourcil relevé en guise d'interrogation. Elle se demande bien quelle bêtise va-t-il lui sortir ou faire. Néanmoins, il n'agit pas comme la jeune femme s'y attend. Il se contente de lui donner une légère pichenette sur le front et de se relever. Ses yeux sourient eux aussi. Ils sont pour Nayëlle, une source constante d'étonnement et d'étrangeté : Comment un regard peut-il paraître tendre et dur à la fois ? :

« - Vas te laver, j'ai l'impression que tu en as besoin, minaude-t-il. »

Elle ne se fait, bien entendu, pas prier. Les mots de Caster semblent faits d'or tant la perspective de se doucher et de s'ôter boue et poussière, lui paraît divine. Elle déteste la saleté, encore plus quand elle en est l'heureuse porteuse. Qui plus est, un filme ferreux et piquant s'est déposé sur sa langue depuis la nuit dernière et même la soupe réconfortante de son Servant n'a pas eu raison de lui. Ses cheveux sont emmêlés et poisseux quand elle les touche.

Nayëlle se relève avec précaution. Elle jette une œillade vers l'Irlandais à présent accoudé à la fenêtre ; il fume, comme il sait si bien le faire. La mage, une fois campée sur ses deux jambes, se décide à faire un pas. Elle a peur de tomber, malgré les quelques heures de repos qu'elle vient d'avaler, sur un matelas de fortune, près du feu. Finalement, un pied après l'autre, cahin caha, elle finit par atteindre la tant désirée salle de bain, avec sa baignoire en céramique blanche. Mais cette fois-ci, pas de bain de prévu, non.

Nayëlle souhaite se débarrasser de toute cette crasse efficacement et rapidement ; pas tremper dedans.

Au fur et à mesure qu'elle se dévêtit, les souvenirs de sa confrontation (pour le moins étrange), avec Elise, lui reviennent en mémoire. La jeune fille ne semblait pas leur vouloir de mal, bien au contraire. Si elle avait voulu les éliminer, le petit matin aurait été une opportunité digne de ce nom. La brunette se frotte, méthodiquement, pensive. L'odeur sucrée de son savon la fait presque soupirer d'aise. Elle n'ose pas regarder les sillons humides qui s'écoulent de dessus sa peau pour rejoindre les canalisations, par peur d'être dégoûtée ; l'eau doit être grise... Puis, elle se réfugie sous le jet du pommeau de douche, brûlant en fermant les yeux.

C'est un coup sur la porte qui la fait sortir, à contrecœur, de son cocon humide et chaud. Elle éteint l'eau, s'essore les cheveux avant de les enrouler dans une serviette éponge et s'emmitoufle elle-même dans un peignoir bleu nuit. Une fois la ceinture nouée, elle déverrouille la porte de la salle d'eau, passant simplement la tête à travers l'embrasure. Une mèche sombre de sa tignasse dégoulinante, serpente le long de sa joue rosie par la douche chaude. Elle aperçoit Caster, adossé au mur, à sa gauche :

« - Je peux faire quelque chose pour toi ? demande-t-elle, étouffant au passage un bâillement. »

Il prend quelques secondes à répondre. Intriguée, Nayëlle sort le buste de la salle de bain pour l'observer à son aise. Il ne prend pas la peine de se retourner quand il daigne à communiquer :

« - Comment-vas-tu, Master ? Tu te sens mieux ? »

Sa question la laisse abasourdie. Elle cligne brièvement des yeux, ses longs cils perlés d'humidité :

« - Oui, je vais mieux. Merci. »

Elle marque une brève pause avant de continuer :

« - Tu voulais parler d'autre chose ? »

Il grogne, en guise de réponse. Puis, se laisse glisser le long du mur jusqu'à s'asseoir. Cette fois-ci, elle le laisse faire et observe ; il est assez grand pour ne pas pouvoir allonger tout à fait ses jambes :

« - Je voulais savoir, si ma Master, voulait de cette alliance proposée par la Master de Rider. »

Bah voyons, elle s'en doutait. Il n'avait que la stratégie, la cigarette et les jolies minettes en tête, celui-là !

Néanmoins, pour le coup, il avait raison. Ils devaient en discuter. La stratégie primait sur ses cigarettes, donc c'était bel et bien important.

Nayëlle referme la porte, s'arrache aux tissus de bain qu'elle plie avec précaution. Puis, elle enfile des sous-vêtements et une robe en coton noir par-dessus. Elle se sent propre et prête à affronter toutes les questions biscornues de Caster ! D'ailleurs, elle se sent prête à tout (ou presque) ! Finalement, elle prend place en face de son Servant, dans la même position que lui, jambes ramenées contre sa poitrine :

« - Je ne sais pas. Je pense que cela pourrait être intéressant. Rider semble puissante. Et si Elise avait voulu nous achever ...
- Elle l'aurait fait ce matin, sans nul doute. Même un imbécile se serait rendu compte de son opportunité et de ses chances de victoire, vu nos états respectifs à l'aube. »

Nayëlle baisse la tête pour dissimuler sa honte. Son visage ovale dissimulé sous une cascade de cheveux noirs, elle ne dit rien pendant un laps de temps relativement long. Caster décide de ne pas intervenir et un silence douceâtre s'écoule avec lenteur dans la maison. L'Esprit, l'arrière de la tête reposant contre le mur, ferme les yeux. Puis, la voix légèrement éraillée de la mage brise le calme d'un seul coup :

« - Et toi, qu'en pense-tu ?
- Hum ? »

L'Irlandais, sans changer de position, ouvre un seul œil, qu'il pose sur sa Master. Intrigué, il l'observe.

Elle est assise, droite comme un « i » et les jambes en tailleur. Sa robe noire dévoile ses jambes à la peau diaphane, parsemée de part et d'autre de minuscules grains de beauté. Son regard s'attarde sur la cuisse gauche de Nayëlle ainsi que sur sa petite main posée sur son genou. Cette jambe ... Elle leur en fait voir de toutes les couleurs ; il se demande bien ce qui a pu la mettre dans cet état.

Mais l'heure n'est pas aux rêveries. Nayëlle semble attendre qu'il daigne répondre à sa question. Il fouille dans la poche de son jean pour en dénicher une cigarette mais change rapidement d'avis en encaissant l'air courroucé de sa Master. Se contentant donc de jouer du bout des doigts avec le bâton blanc de tabac, il hausse les épaules :

« - Ce n'est pas à moi de prendre la décision finale, Master. »

A vrai dire, sa demande l'a étonné. Aucun Master n'aurait l'idée de quémander l'avis de son servant. Mais Nayëlle venait de le faire. Aussi naturellement que si elle le demandait à un ami.

Maintenant, elle fronce les sourcils à son encontre, ses bras maigres croisés sur sa poitrine délicate. Il se demande bien comment un corps si fragile a-t-il pu freiner une attaque de l'ampleur de celle d'un Servant, hier soir.

Elle se déplace pour s'approcher de lui, jusqu'à se positionner en face à face. Puis, elle se rassied, dans un soupir. Elle a de petites écorchures roses sur la peau :

« - Et bien, j'ai besoin de ton avis également.
- Je ne suis qu'un esprit héroïque mam'zelle. Ton arme, pour accéder au Saint-Graal, grommelle-t-il en levant les yeux au ciel.
- Non.
- ... Hein ?
- Non. Je n'aime pas cette idée-là, bougonne-t-elle, le visage entre ses deux mains. »

Il écarquille les yeux, éclate de rire et secoue la tête :

« - Bah voyons ! C'est la vérité ma jolie ! Je suis un morceau du passé et si je suis devant toi, c'est parce que tu m'as invoqué et que j'ai ton énergie magique à disposition. Je suis à tes ordres ma minette. Je n'ai pas de décision à prendre. Finalement, je ne suis qu'un reflet des temps anciens !»

Les grands yeux de la mage clignent doucement. Puis, d'un seul mouvement, voilà qu'elle s'avance devant l'Irlandais. CuChulainn émet un mouvement de recul, rapidement bloqué par le mur. Ses iris rouges fendues brillent faiblement. Il ne sait pas ce qu'elle a en tête, mais, bien que cette proximité de le dérange pas, il trouve cela étrange.

Soudain, les deux paumes fraîches de Nayëlle se posent sur les joues de l'Esprit Héroïque. Il se fige, n'esquissant plus le moindre geste. La mine contrariée de la brunette et sa présence le laissent confus :

« - Tu n'es pas qu'un reflet, argue-t-elle, en reculant finalement.
- ... Pardon ?
- Je peux te toucher, imbécile. Qu'importe la cause de ta présence ici, ou que tu ne viennes pas de cette époque. Tu n'es pas un vulgaire pantin de guerre, pour moi. Tu étais un grand guerrier avant, tu as vécu, comme je vis en ce moment même. Tu ressens la douleur, la peine, la joie, même si je suis la seule chose qui te retiens ici. Jamais, ô grand jamais je ne manquerai de respect aux choses qui se sont passées et à ceux qui ont vécus. Et certainement pas à la grandeur d'un esprit héroïque -même si tu fumes, que tu es vulgaire et insolent-. Je n'ai pas de poids dans cette guerre si tu n'y es pas, et vice versa. Disons plutôt que nous sommes une équipe ... veux-tu ? »

Il savait pertinemment que Nayëlle O'NEILL n'était pas une jeune femme comme les autres. Depuis la première seconde, il le savait. Quelque chose, dans ses yeux d'acier, le clamait discrètement, quand on savait observer et se taire.

CuChulainn avait eu l'occasion de déceler chez Nayëlle bien des choses. Même si le mystère qui entourait sa Master restait quasiment entier.

Cette tirade aux allures de déclamation, vient de lui confirmer qu'il n'a pas à faire à n'importe qui et, ça lui plaît. Un demi-sourire ourle ses lèvres. Il se relève et s'étire, puis, tend la main à son interlocutrice, lui intimant de faire de même. En le remerciant, elle le laisse la relever.

Il s'autorise finalement à prendre la parole tandis qu'ils se dirigent dans le salon. La mage aux cheveux châtains remarque que le matelas de fortune près de la cheminée a disparu :

« - Je pense qu'une alliance avec Elise et Rider pourrait être intéressante. Mais il faudra rester méfiants et ne jamais se séparer, dit-il tout en se laissant choir dans le canapé. »

Nayëlle, déjà recroquevillée dans un fauteuil, laisse un grand sourire apparaître sur son visage d'ordinaire si sérieux. Ses pommettes rosissent de satisfaction, puis, elle doit étouffer un bâillement, qu'elle masque d'une main. L'Irlandais soupir et se relève :

« - Repose-toi, Master. Tu n'es pas encore totalement remise et tu as simplement une soupe en poudre dans le ventre. Je vais descendre en ville pour trouver de quoi remplir tes placards et ton estomac. Une guerre...
- ...Ne se gagne pas le ventre vide. Tu radotes Caster, minaude-t-elle en fermant à moitié les yeux. »

Il grogne mais ne réplique pas. A la place, il lui ébouriffe les cheveux en passant à côté d'elle. Elle peste et lui tourne le dos en gémissant.

L'Esprit enfile la veste bleue donnée par Nayëlle et ouvre la porte. Un flocon blanc et froid se pose sur son nez. Il s'apprête à avancer quand une main le tire par la manche. La jeune femme, les yeux embrumés de sommeil, lui tend un billet de banque :

« - Tu comptais voler dans les magasins ? D'ailleurs, je devrais te faire une liste de courses, non ?
- Pour répondre à ta première question, non, je n'avais surtout pas pensé à l'argent. Concernant ta deuxième demande : Vu ce que j'ai trouvé dans ton frigidaire, je préfère m'abstenir d'une liste de courses. Des plats tout fait et du jambon blanc, ça ne nourrit pas son homme ! Tu m'étonnes que tu sois aussi maigrichonne ! Tu bois de l'eau et de la poudre de blé à longueur de temps ! »

Elle darde sur lui, son plus mauvais regard, lui refourgue le billet et le pousse dehors des deux mains :

« - Débrouille-toi alors ! J'attends un repas quatre étoiles, je te préviens !
- Oh, ça sera " gustativement " et " nutritionnellement "* beaucoup plus développé que tes sottises, ne t'inquiète pas. Maintenant, vas te reposer, Master. »

Enroulée dans un plaid moelleux sur son fauteuil favori, la mage attend avec patience que son Servant revienne. Elle a alimenté le feu et profite du spectacle dansant de ses flammes.

Nayëlle a l'impression d'apercevoir une multitude de petits personnages entre les braises. Ils semblent danser, main dans la main, dans une farandole brûlante et rougeâtre. Elle s'est endormie lorsque Caster est parti. A présent, parfaitement réveillée, elle savoure l'odeur du produit qu'elle a utilisé pour nettoyer le sol quelques minutes auparavant. La table est déjà mise, en guise de taquinerie silencieuse à l'encontre de son Servant.

Elle ne l'avouera sans doute pas, mais elle s'est habituée à sa présence. Et la maison lui semble vide. Elle ne connaissait pas ce sentiment, auparavant : attendre une personne ne lui avait jamais paru intéressant. Mais Caster a un don certain, malgré ses railleries et ses manies détestables pour la cigarette : il sait l'apaiser simplement en étant dans la même pièce. Nayëlle commence à apprécier cela.

Un rapide coup d'œil en direction de la fenêtre lui fait comprendre qu'il neige encore.

La nuit semble se poser comme une feutrine sombre sur les paysages alentours. Les courbes du jardin et des arbres, radoucies par la poudreuse qui s'est déposée dessus, se parent de reflets bleutés. Un petit écureuil, peu soucieux du semblant d'activité humaine qui occupe l'endroit, trotte des barrières en bois jusqu'au centre du potager, situé à l'angle de la maisonnette.

Nayëlle l'observe, rêveuse. Sa fourrure orange est une petite lueur dans la neige. Comme si quelques derniers rayons du soleil avaient été piégés là. Le petit animal, une baie entre les pattes, relève soudainement le museau et disparaît dans un bond, éparpillant poils et poudreuse dans son saut. En même temps que l'écureuil s'enfuit, le carillon placé à l'entrée du jardin résonne joyeusement.

Nayëlle, dans un soubresaut, se relève. Elle prend le temps de plier le plaid sur le fauteuil et d'enfiler une grosse veste par-dessus sa robe. Elle ne sait pas pourquoi elle s'est habillée si légèrement pour la saison, mais elle n'a pas le temps de se changer maintenant. Une fois ses chaussures mises, la mage sort et se dirige vers le portail. Méfiante, elle s'avance avec précaution parce qu'elle est certaine qu'il ne s'agit pas de Caster. Lui, serait simplement rentrer sans prévenir.

Elle s'apprête à faire demi-tour en reconnaissant la silhouette d'Alya. Mais en voyant cette dernière trembloter, le nez et les joues rouges, elle change d'avis, à contrecœur et lui ouvre avant de se réfugier chez elle sans attendre qu'Alya ne la suive ;

« - Dépêche-toi, grogne-t-elle lorsque la concernée frappe ses bottes pleines de neige sur le pallier, Il fait froid et j'ai un feu qui brûle, pour rien actuellement, dans la cheminée. »

Une fois débarrassées de leurs affaires chaudes, Nayëlle se dirige vers la cuisine. Elle fait chauffer de l'eau et farfouille dans ses tiroirs en quête de thé. Son amie, silencieuse, s'est assise à la table et examine les couverts déposés sur la nappe :

« - Ton ami écossais est toujours ici ? demande Alya en jouant avec une fourchette argentée.
- Oui, il est parti faire des courses. Pose-ça, veux-tu. Non, pas comme cela, remet-la droite. Et viens plutôt dans la cuisine. Je fais du thé. J'ai besoin de me réchauffer.
- Et bien, et bien ... Toujours aussi directive Nayëlle.
- Nous nous sommes vues hier, non, ce matin. Je n'ai pas changé en l'espace de quelques heures.
- ... Et puis, tu aurais moins froid si tu mettais un pantalon et un pull ! A moins que ce ne soit pour ton Écossais ? minaude son amie. »

La Mage manque de renverser l'eau brûlante qu'elle versait dans des tasses en verre. Elle s'insurge et rougie de colère et de gêne en voyant Alya lui faire les yeux doux. Pendant que Nayëlle lui tend son récipient fumant, elle hausse comiquement les sourcils. La jeune femme lui tourne le dos une poignée de seconde, pour nettoyer les quelques gouttes d'eau qui ont échappées à son Self-Control et qui perlent sur la gazinière. Elle rejoint finalement Alya, s'assied en face d'elle et se mure dans un silence aux saveurs de la rancune.

Pendant une minute, on entend seulement les frottements des cuillères contre le verre et les soupirs d'Alya qui se réchauffe les doigts sur le mug :

« - Tu sais, s'exprime finalement la femme aux cheveux caramel, je m'excuse pour tout à l'heure. C'était gonflé de ma part. Tes parents et toi, ça n'a jamais été l'amour fou.
- Ma famille et moi, tu veux dire...
- C'est vrai. »

Nayëlle hausse les épaules, presque indifférente à l'affirmation d'Alya et avale une gorgée de thé. Elle perçoit des notes vanillées sur son palais et, les appréciant à leur juste valeur, boit encore. Le liquide, bien que brûlant l'occupe quelques secondes. Elle se concentre sur la sensation de chaleur qui descend par son œsophage :

« - Depuis combien de temps ne leur parle-tu plus, Nay' ?
- Haaa ... Pourquoi es-tu venue Alya ? Pourquoi t'ai-je ouvert cette porte ?
- Parce que je suis ta seule amie, Nayëlle O'NEILL ! »

Evidemment. Quelle question. Nayëlle trace des symboles imaginaires sur la buée de son mug du bout de l'index :

« - Depuis deux ans et demi. Mais mon esprit les a quittés bien avant.
- Bah voyons !
- Tu sais pertinemment qu'ils n'étaient pas tendres avec moi, Alya.
- Je sais, je sais ! Mais, ils le faisaient pour ton bien.
- On isole une enfant, lui fait subir des examens drastiques, l'empêche d'avoir des amis et de faire des activités extérieures pour son bien ? Tu le pense sincèrement ? Alya, tu te voiles la face ...
- Non, et bien. Je ...
- On harangue à une gamine, tous les jours, qu'elle a un pouvoir dangereux et qu'elle pourrait tuer les gens qu'elle aime si elle ne faisait pas attention ? On ne témoigne aucune affection à son égard et on la traite comme un ... monstre : Pour son bien ?, gronde Nayëlle, lui coupant la parole par la même occasion. »

Elle est à présent relevée, les mains à plat sur la petite table de la cuisine. Ses yeux sont deux fers chauds, sous la colère. Elle secoue sa main baguée sous les yeux d'Alya, qui sourit avec une tendresse déplacée. Cela agace encore plus Nayëlle, qui lève les bras au ciel :

« - Vraiment, tu es de leur côté ? Je suis la bête noire de la famille O'NEILL de par la seule faute de ma naissance. Je n'ai jamais voulu de cet handicape, moi. Tu ne peux pas comprendre. Nos familles se connaissent et se côtoient depuis des générations... mais toi, tu as eu de la chance. Tu n'as pas cette fichue magie, qui coule dans tes veines ! Je ne sais même pas... »

Un vertige la saisit soudainement. Nayëlle se rattrape de justesse à la table et doit cesser de cracher son venin un court instant. Alya, sans bouger, l'observe. Ses yeux en amande semblent inquiets. Et pourtant, étrangement glacials :

« - Quelque chose ne va pas, Nay' ?
- Rien, ce n'est rien. Je me sens un peu bizarre, c'est tout... »

Le monde ne cesse de tourner. Il est pareil à un carrousel. Le sol doit être en coton, parce que les jambes de Nayëlle ne la soutiennent pas comme il faut, sur le plancher. La jeune femme attrape son mug à moitié plein et le porte à ses lèvres. Ses doigts tremblants, peine à le soulever et lorsqu'elle le repose, elle en renverse la quasi-totalité. Encore des étourdissements ? Elle y est abonnée c'est ça ? La poisse... !

Alya la regarde et fait finalement mine de se lever :

« - Tu es sûre que tout va bien Nay' ?
- Je ne... Je ne sais pas. »

La voix de Nayëlle n'est qu'un murmure. Elle n'a plus de force, alors qu'elle était en pleine forme il y a de cela une vingtaine de minutes.

Elle dérape sur le plancher et tombe par terre. Dans sa chute, elle fait tomber l'une des tasses, qui se fracasse à ses côtés sous la forme de petites étoiles translucides.

Elle aperçoit, dans la noirceur de son restant de vision, Alya qui s'accroupie à côté d'elle.

La dernière chose qu'elle voit avant de perdre totalement connaissance, ce sont ses lèvres rouges, tordues d'un sourire étrangement doux.