- Au prochain message pour me fliquer, je vous bloque ! C'est clair ?!
Stiles était furieux. Chacun des SMS de ses deux frères avait été envoyé dans l'unique but de savoir où il était, ce qu'il faisait, avec qui, le tout agrémentée de petites menaces de le dire à son père. Et comme ni l'un ni l'autre n'était au courant pour le surnaturel, Stiles n'allait certainement pas mettre son paternel dans la sauce. Stuart et Thomas les prendraient pour des dingues, mais ne leur réserverait pas le même sort. Stiles serait laissé à l'abandon et Noah… Sans doute envoyé en hospice. Pour son bien. Parce que ces deux idiots tenaient à lui et qu'ils auraient mal rien que d'imaginer qu'il puisse avoir perdu la tête.
Le problème avec tout ça, c'était l'ampleur que ça prenait. Stiles préférait mettre les choses au clair tout de suite pour éviter que cela ne prenne de l'ampleur et devienne du harcèlement même si ça en avait déjà la forme globale.
- T'as qu'à pas disparaître sans explication en plein milieu de la nuit, lâcha Stuart en croisant les bras sur sa poitrine.
- J'ai aucun compte à te rendre, cracha Stiles.
- Ah ouais, et tu trouves normal que le lycée appelle Papa en début de matinée parce que t'es pas en cours ? Stiles, qu'est-ce que tu foutais ? Commença à s'irriter Thomas. Tu trouves ça normal, toi ? Disparaître en pleine nuit, sécher les cours ? Qu'est-ce qui t'est passé par la tête ?
Beaucoup de choses. Mais il n'allait rien leur dire.
- Ecoutez, je crois que vous avez pas compris. Je gère ma vie comme je l'entends et aucun de vous deux n'a le droit de me faire le moindre reproche. Bordel, vous n'êtes jamais là, vous débarquez du jour au lendemain et je devrais vous informer de tout ? Vous pouvez courir !
- Stiles, on ne dit pas ça pour… Commença Thomas.
- Ferme-la ! Le coupa violemment Stiles. J'en ai assez que vous me surveilliez, assez de vous ! Je sais me débrouiller, je sais ce que je fais et jusqu'à maintenant, j'ai vécu sans vous. Je vous le répète : vous n'avez pas été là avant, vous n'avez pas votre mot à dire. Alors la prochaine fois que vous me faites le coup, ça va très mal se passer.
Et il était diablement sérieux. Ses mains tremblaient de fureur, ses sourcils étaient plus froncés que jamais et ses yeux plus chocolat noir que miel lançaient des éclairs. Stiles n'était pas pour la violence et s'il possédait une batte de baseball, c'était uniquement pour se défendre en cas d'urgence. Même ses poings, il évitait de les utiliser – et de toute façon, il se ferait plus mal lui-même qu'il ne ferait souffrir un potentiel assaillant.
Stuart esquissa un sourire mauvais et fit un pas en avant.
- Tu crois que tu nous fait peur ? Stiles, t'es le plus fragile et le moins débrouillard d'entre nous.
- Stuart, le coupa Thomas d'un air réprobateur. On ne l'a pas fait venir pour ça.
La voix de celui qui était leur portrait craché à tous les deux mais qui, en même temps, était considéré comme leur aîné suffit à faire taire Stuart et à avorter dans l'œuf la tirade qu'allait lui sortir Stiles en réponse. Enfin, il n'avait pas de réplique magique qui lui fermerait son clapet mais au moins, cela l'aurait un tantinet défoulé. De plus, il fut obligé de contenir la remarque plus qu'acerbe, carrément acide, qu'il faillit sortir. Ce n'était pas qu'il respectait Thomas outre mesure, mais il fallait avouer qu'il était bien curieux de savoir quelle connerie il pourrait lui sortir. L'écouter ne le dérangeait pas, parce qu'il mesurait un minimum ses paroles, contrairement à cet idiot de Stuart qui avait ce défaut d'être… Sans filtre. Et blessant, aussi. La tête de la famille était consciente de son potentiel intellectuel et n'hésitait pas à le lui rappeler régulièrement. Stiles ravala la bouffée particulière qui montait en lui, ce mélange étrange entre haine et douleur. Il croisa les bras sur son torse.
Lorsqu'il se fut assuré que ni Stuart ni Stiles n'allait l'interrompre, Thomas reprit la parole :
- Ecoute, on s'inquiète. On sait que Papa a été à l'hôpital cette année, et toi aussi. Stuart a trouvé une lettre d'Eichen House dans la boîte aux lettres.
La gorge de Stiles s'assécha.
- C'était un rappel de facture. Stiles, qu'est-ce qu'il s'est passé ?
L'hyperactif avala difficilement sa salive. Ah. Oui, c'était un problème. Le pire, c'était que le ton qu'utilisait Thomas n'était même pas agressif, contrairement à Stuart qui se fichait ouvertement de lui. Non, Thomas semblait réellement… Curieux et perdu à la fois.
- Je vois pas en quoi ça vous regarde, marmonna l'hyperactif en faisant en sorte de contrôler sa colère et son trouble, tous deux à des niveaux très disparates.
Disons que ni lui ni son paternel n'avaient cru utile d'informer ses deux frères de cette période de sa vie plutôt… Tortueuse et peu reluisante. Si Stiles n'était pas fier d'avoir été le joujou d'un démon-renard-méchant, c'était surtout l'aspect surnaturel de la chose qui le dérangeait… Tout simplement parce qu'il ne pouvait pas en parler. Le problème avec cela, c'était que ses deux vis-à-vis allaient penser que sa santé mentale n'était pas au beau fixe et donc redoubler de vigilance le concernant, ce qui était compréhensible mais en même temps… Non, définitivement, Stiles n'avait pas envie de les avoir sur le dos plus que c'était déjà le cas. Bordel, il avait dormi au loft, chez Derek, et il n'avait même pas pu profiter ! Pourtant, voir le loup au réveil, c'était quelque chose, hein, ses yeux en auraient été ravis si son esprit ne s'était pas retrouvé aussi vite préoccupé par ces deux parasites qui s'étaient mis à le harceler.
- Tu es le seul à habiter avec Papa, et Papa est fragile, avança Thomas. On s'inquiète pour lui, et savoir que tu as été à Eichen House… Tu comprends que ça nous fait douter.
Celui que l'on continuait de considérer comme l'aîné parlait d'un ton mesuré et de moins en moins dur. Sans doute savait-il que Stiles était du genre indomptable, tout comme Stuart, et que l'amadouer serait la meilleure manière pour lui de lui faire entendre raison. De plus, ce qu'il soulevait était un fait : Stiles avait effectivement passé quelques jours à Eichen House. Ce n'était pas tous les jours que l'on apprenait, après des mois d'absence, que son frère avait eu un séjour en hôpital psychiatrique. Surtout que ni Thomas ni Stuart n'avait une idée de la raison qui avait poussé Noah à placer Stiles à cet endroit, réputé pour sa dureté. Ce qu'aucun des deux garçons ne savaient, c'était que l'hyperactif qui leur faisait face avait été l'unique personne à prendre cette décision et qu'il avait toute sa tête. Cette histoire était pour eux sombre, renfermait des secrets dont ils ne pouvaient imaginer l'existence. Cela la rendait d'autant plus floue et élevait le comportement de Stiles à… Inquiétant. Eux, ce qu'ils désiraient, c'était simplement démêler cette histoire, essayer de comprendre toutes ces choses qui leur échappait. Ils avaient été longuement absents à cause de leurs études respectives, ne venant que rarement lors des périodes de fêtes telles que Noël ou des choses de ce style, mais ce temps était révolu. Ils étaient là, maintenant et après tant d'années, désiraient faire leur retour aux sources, retrouver leur père, leur famille, et peut-être, tenter de renouer les liens avec ce frère un peu étrange, auquel ils avaient toujours eu du mal à s'attacher. Disons qu'il avait une manière de penser différente et que Thomas et Stuart n'avaient jamais réellement fait d'efforts pour le comprendre. L'aîné était prêt à en faire, cette fois, il avait acquis assez de maturité pour cela. Le Stilinski à lunettes, quant à lui, n'avait pas encore réellement fait ce cheminement intérieur, eu cette réflexion qui changerait beaucoup de choses entre eux. Pour l'instant, l'image que Stuart avait de Stiles était faussée : à son avis, l'hyperactif était juste un petit emmerdeur qui avait pour seul objectif d'enquiquiner ceux qui empiétaient sur son espace vital. Jamais il ne lui viendrait à l'esprit, du moins pas tant qu'il n'aurait pas le déclic, que Stiles puisse simplement fonctionner différemment.
Thomas notifia la pâleur soudaine de Stiles et la tension qu'il dégageait. Dans ses prunelles ambrées, il crut lire de la peur et de la douleur, mais n'avait aucun moyen d'en être sûr, et ce fut si bref qu'il crut avoir rêvé. Car déjà, l'hyperactif avait renfilé, sous ses yeux ébahis, un masque d'une qualité étonnante. Là, en une seconde, l'impassibilité régnait sur son visage empli de grains de beauté. Mais sa peau restait étrangement pâle.
- Une simple erreur de parcours. Mon séjour là-bas n'a rien changé chez Papa. Il va bien.
Sa voix était monocorde, sans âme, comme s'il récitait un texte appris par cœur. Et en soi… Il n'avait pas tort. Si les deux frères absents s'inquiétaient effectivement pour leur père, l'aîné avait constaté qu'il allait tout à fait bien, tout en gardant à l'esprit que Noah était fragile et qu'il était à surveiller. Le second n'arrêtait pas de dire qu'il y avait anguille sous roche et qu'il fallait creuser du côté de Stiles. Thomas était d'accord, mais pas pour les mêmes raisons. En effet, quelque chose le titillait chez l'hyperactif, mais cela lui semblait bien plus profond que cette histoire concernant leur père.
- Je suis sûr que tu nous caches quelque chose et tu vas te dépêcher de nous dire ce que c'est, cracha Stuart.
- Sinon quoi ? Demanda l'hyperactif sans réellement avoir l'air de se soucier de la réponse.
S'il gardait cette pâleur apparue dès l'instant où l'on avait parlé de son séjour à Eichen House, il avait cette fois l'air las, fatigué de cette conversation qui ne menait à rien.
- Sinon je lui dis que tu es gay, lâcha tout simplement Stuart d'un air satisfait.
- Il le sait déjà, soupira Stiles. Je vois pas ce que lui répéter va t'apporter. Enfin, si tu veux avoir l'impression que tu lui apprends quelque chose de nouveau, vas-y.
Stuart déchanta légèrement et ne vit pas le regard courroucé que lui lançait Thomas. A ses yeux, c'était aussi bas qu'à ne pas dire. Bon, il apprenait quelque chose. Puisque Stiles n'était pas quelqu'un qu'il voyait souvent, il n'avait absolument aucune idée de son orientation sexuelle qui, pour lui, importait peu, au final. C'était même hors sujet. Il reporta son regard sur Stiles. C'était fou comme son masque était bien fait, et comme son expression neutre sonnait de plus en plus faux à ses yeux.
- Et puis si c'est réellement pour me faire chier moi, pourquoi l'embêter lui, avec quelque chose qui me concerne et qui pourrait l'affecter, si tu t'inquiètes pour lui ? Si tu avais un peu de jugeote, je pense que tu ferais tout pour ne pas lui rajouter de poids sur les épaules. Donc en fait, tu ne t'inquiètes pas pour lui, mais tu veux juste m'emmerder. Alors je te le répète, vas-y. Fais-toi plaisir, mais il ne sera pas surpris.
Par ces mots, Stiles avait repris les rênes de la discussion en la tournant à son avantage, avec une information des plus véridique : il avait effectivement fait son coming out il y a un moment de cela, et Noah n'avait eu aucun mal à l'accepter. Pour lui, peu importait le genre qu'il pouvait aimer et puis c'était la vie de son fils, pas la sienne. La seule chose qu'il lui avait dite avait été de simplement faire attention, de se protéger – Stiles avait rougi comme une tomate – mais également de se méfier. En amour, on souffrait. Il ne fallait pas qu'il s'ouvre trop vite au premier venu qui lui ferait de l'œil. L'hyperactif lui avait rétorqué qu'il n'y avait aucun risque, omettant toutefois de lui préciser que la seule personne qui l'intéressait était parfaitement hétérosexuelle. Pour ce qui était de la souffrance à ce niveau-là, il était rodé.
Déjà fatigué par cette discussion qui ne faisait pourtant que commencer, si l'on y réfléchissait bien, Stiles choisit d'y mettre un terme : il était venu pour voir ce qu'ils lui voulaient, c'était chose faite. Maintenant, plus qu'à repartir. Où, il ne le savait pas encore, mais sortir de la maison de sa famille serait un bon début. Il se détourna alors et partit sans une dernière parole, sans un regard en arrière. Il n'avait pas le cœur à s'engueuler avec eux alors qu'il était prêt à le faire en arrivant, ni même à continuer de se battre. Car le fruit des investigations de ses frères remuait en lui des souvenirs qu'il aurait préféré oublier. Stiles avait besoin de penser un peu à lui et de se protéger, ou bien il allait sombrer.
