Isaac avait tout entendu. Les murs du loft n'étaient pas spécialement fins, seulement… Les voix de Derek et Stiles brisaient littéralement le silence ambiant. Et ce qu'elles avaient dit ne l'avaient pas le moins du monde rassuré, ni apaisé. Il se passait quelque chose et à vrai dire, cela ne lui disait rien qui vaille. En fait, la proximité qu'ils avaient l'air d'avoir était trop surprenante pour être normale. Il était habitué à les voir s'engueuler, à entendre Stiles chercher à le provoquer, le faire sortir de ses gonds. Là, la voix de l'hyperactif avait traduit une faiblesse et une angoisse folle, à tel point qu'il ne l'avait pas reconnue tout de suite. Et finalement, il avait fini par sentir des bribes de son odeur, qu'il n'avait pas remarquée avant. Une odeur provenant du fameux étage, qu'il n'avait pas sentie auparavant parce qu'il était trop concentré sur Derek. Derek qui était fatigué. Derek qui ne sentait pas très bon. Derek qui n'avait pas l'air bien. Mais en fait, Isaac comprit que son état découlait probablement de Stiles et c'était d'autant plus surprenant… Qu'ils étaient tous sauf proches. C'était le jour et la nuit, le soleil et la lune, le bavard et le taciturne. Et pourtant, c'était Derek qui semblait aider Stiles et non Scott, son meilleur ami. Scott qui ne s'était pas montré avare en reproches, la veille.
Que s'était-il passé ? Isaac n'avait que des idées, tirées du peu qu'il avait entendu, mais ce n'était pas assez pour dessiner un tableau des faits. De ce qu'il en savait, un policier avait fait du mal à Stiles, qui avait failli mourir et Derek l'avait sauvé. Il était bien loin de la réalité, mais s'en rapprochait toutefois doucement. Pour que son presque grand-frère en vienne à s'inquiéter pour l'hyperactif au point que celui-ci se trouve chez lui et qu'il semble lui promettre une sécurité à laquelle le plus jeune avait du mal à croire ? Et puis cette odeur, cette odeur ! Même si elle était atténuée par la distance et les murs, Isaac n'avait, de mémoire, jamais eu à sentir une fragrance aussi putride tant elle empestait la négativité, mot qui, lui-même, ne s'accordait pas avec Stiles. Il fronça les sourcils. Derek devait lui en dire plus et s'il devait attendre, campé des heures ici, dans le salon, il le ferait.
Dans les minutes qui suivirent, plus aucune parole ne fut échangée entre le loup et l'humain, si bien qu'Isaac se demanda ce qu'ils faisaient. Il attendit, hésita à monter, mais perçut du mouvement. Enfin, Derek descendait, l'air encore plus fatigué que lorsqu'il était monté. Le bouclé, quant à lui, ne perdit pas de temps :
- Qu'est-ce qu'il se passe avec Stiles ?
Derek le regarda longuement avant de comprendre qu'il lui avait non seulement parlé, mais également posé une question, comme s'il était déconnecté, ailleurs. Isaac la lui répéta, désireux d'avoir une réponse. L'ancien alpha passa une main sur son visage fatigué et soupira. Il n'était pas prêt et pour être honnête, n'avait pas la moindre envie de parler de ça. Pas qu'Isaac ne soit pas à l'écoute. Simplement, il fallait lui laisser du temps à lui aussi. L'histoire de Stiles, du peu qu'il l'avait effleurée, n'était pas simple à digérer. Et puis, il était facile de deviner que ce qu'il avait vu n'était que la partie émergée de l'iceberg. Pas besoin d'être un génie pour le comprendre. A la simple pensée qu'il lui soit arrivé autre chose, il en avait la nausée. Presque tout de suite, il choisit de s'assoir sur le canapé. Ses jambes le tenaient, bien sûr, il n'allait pas s'effondrer, mais… Oui, c'était mieux qu'il s'assoie. Il releva son visage défait vers Isaac.
- Isaac, est-ce que tu pourrais t'en aller, s'il te plaît ?
Derek était bien conscient que son silence n'allait ni rassurer l'agneau face à lui, ni lui faire lâcher l'affaire. Cependant, il avait réellement besoin d'un temps seul, y compris pour faire parler Stiles. Ce qu'il vivait ne devait pas rester sans conséquence pour son agresseur. Et puis… Il fallait qu'une aide, quelle qu'elle soit, lui soit apportée. Le loup ne se rappelait que trop bien de la manière dont le jeune homme avait avalé la multitude de cachets pour mettre un terme à son existence. L'image le hantait plus qu'il ne l'aurait cru. Comment faire pour s'en débarrasser ? Il n'en avait aucune idée. Cela faisait partie des choses qui marquait et que l'on n'oubliait pas.
Isaac eut l'air outré.
- Mais non ! Sérieusement Derek, tu me vois me casser après ce que je viens d'entendre ?! S'emporta-t-il.
L'attitude de Derek le déstabilisait et sa demande… D'ordinaire, il répondait un minimum ! Pourquoi l'aîné faisait-il tant de mystère ? Pourquoi cherchait-il tant à ne rien dire ?
- Qu'est-ce que tu as entendu ? S'enquit mollement l'ancien alpha, sans que son expression faciale ne change.
- Tout, répondit instantanément le bouclé en se rapprochant de lui. S'il est arrivé quelque chose de grave à Stiles, je dois le savoir. On doit tous le savoir. On est une meute, les problèmes des uns sont les problèmes des autres ! S'il va mal, on doit l'aider.
- Pas cette fois, lâcha laconiquement le Hale.
Les derniers évènements étaient bien trop lourds à porter pour un seul adulte. Alors des adolescents ? C'était du suicide, sans mauvais jeu de mots. De son côté, Stiles n'apprécierait sans doute pas voir ses soucis étalés au grand jour, devant ses amis, qui plus est. Tout ça, c'était très frais et rien ne garantissait que l'hyperactif remonte la pente. C'était possible, mais il allait falloir faire preuve d'une patience infinie avec lui. Derek en était capable et il devait pour cela faire en sorte d'exposer l'adolescent au moins de stress possible. C'était à peine s'il daignait songer à lui faire confiance : qu'en serait-il des autres, s'il leur apprenait ce qui était arrivé à l'hyperactif ? Ce choix ne revenait pas à Derek, mais bien à Stiles. Si l'adolescent décidait de leur en faire part, grand bien lui fasse. S'il voulait tout garder pour lui, il fallait le respecter son choix. Derek étant au courant, il agissait comme une exception et ne dirait rien de ce qui était arrivé sans l'accord de Stiles.
- Derek, réfléchis un peu ! S'il va mal, à quoi ça sert de le garder cloîtré ? Il a besoin de nous, de sa famille !
- Il a surtout besoin d'être seul. Et moi aussi. Alors si tu pouvais t'en aller… Inutile que je te montre où est la sortie, je suppose, tu la connais déjà.
Il accompagna ses paroles peu avenantes mais criantes de désespoir d'un geste vague en direction de la porte.
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Derek soupira alors qu'il venait de poser sa tête sur l'un des coussins du canapé. Isaac était bien plus dur en affaire qu'il ne l'avait soupçonné. En fait, il était sacrément tenace et rivalisait de ténacité avec Stiles, le… L'ancien Stiles. En effet, le bouclé n'avait pas lâché l'affaire une seule seconde et Derek avait cédé au bout d'une bonne vingtaine de minutes d'une discussion plus à sens unique qu'autre chose. S'il n'avait rien révélé en soi, il avait permis à Isaac de rester. Le jeune loup avait, de son côté, exigé que Derek se repose un peu, ne serait-ce que pour faire disparaître ces cernes de panda et détendre un peu cette peau moins hâlée que d'ordinaire. Quelques minutes de négociations plus tard, et c'était là que l'ancien alpha avait cédé également, celui-ci avait accepté de dormir un peu, à la seule condition qu'Isaac ne monte pas voir Stiles mais surveille les battements de son cœur. Bien évidemment, il devait le réveiller au moindre souci. Isaac n'était pas satisfait, mais il en sortait tout de même bien plus gagnant que prévu puisqu'il pouvait rester et essayer par la même occasion de glaner quelques informations plus ou moins à l'insu de Derek sans manquer à sa parole. Il tenait à la confiance que lui accordait l'aîné et ne comptait pas la trahir : il le respectait trop pour cela. Alors, il irait doucement et ferait son possible pour ne pas céder à son envie d'aller rendre visite à Stiles, à l'étage. Si Derek avait émis cet ultimatum, il devait avoir une raison. Raison qui, forcément, titillait sa curiosité et son inquiétude. Encore une fois, lui et Stiles n'étaient pas censés être proches et pourtant, Derek était le seul qui savait. Peut-être pas tout, mais bien assez pour ne pas paraître perdu. Pour qu'il soit carrément désemparé et qu'il ait été aussi fermé à l'idée de mettre qui que ce soit au courant de l'état de Stiles… Oui, ce devait être important et grave. Isaac n'était pas le moins du monde rassuré. Parce que l'hyperactif, même s'il avait tendance à avoir un débit de paroles souvent difficile à suivre, restait un ami. Loyal et adorable, il n'en existait pas deux comme lui. Alors imaginer qu'il avait manqué de mourir… Peu importe la manière, ce n'était pas envisageable.
Isaac fit passer le temps comme il le pouvait. D'abord, il lut un peu même si ce n'était pas une passion. Il préférait jouer aux jeux-vidéo. Le bouclé aimait faire travailler ses réflexes et sa vue. Même si ce n'était que dans une certaine mesure, cela lui permettait doucement de s'améliorer et lui donnait l'impression que ça servait à quelque chose. La lecture… Il avait peu de patience et un peu de mal à faire travailler son imagination. Disons que ce n'était pas son truc ou plutôt… Qu'on ne l'avait pas vraiment aidé à apprécier. Derek lui, devait adorer cela puisqu'il possédait une bibliothèque des plus fournies. Pour autant, Isaac ne l'avait jamais vu s'en approcher. Sans doute était-ce un petit plaisir coupable qu'il ne s'accordait qu'en solo. L'ancien alpha avait, comme tout le monde, son petit jardin secret.
Lorsqu'il revint dans le salon après avoir longuement réfléchi à ce qu'il pourrait faire, Isaac jeta un coup d'œil à Derek et tomba des nues. Lui qui pensait le trouver tout juste somnolant découvrit qu'il s'était laissé happer par un sommeil semblant profond. Il ne ronflait pas, mais presque. Le cœur d'Isaac se serra. Il devait vraiment être épuisé pour ne pas l'avoir entendu arriver. Si tel était le cas, il lui aurait sans doute balancé une remarque mollasse du style « t'as rien de mieux à faire ? Je t'ai autorisé à rester, mais trouve-toi un semblant d'occupation. » Isaac se mordit la lèvre inférieure et décida d'aller jeter un coup d'œil à la bibliothèque qu'il avait déjà aperçue plusieurs fois. Dans une pièce séparée du salon par une simple porte, les étagères remplies à ras bord de livres le narguaient déjà. Par tous les diables, Derek avait-il ne serait-ce que posé les yeux dessus ? La plupart paraissait neufs et aucun grain de poussière ne reposait sur les tranches révélées.
Après avoir épuisé la totalité de ses idées pour s'occuper, Isaac fut tenté de réveiller Derek, mais abandonna tout de suite cette idée. Celle qu'il eut dans la foulée fut un peu plus difficile à réfréner : monter à l'étage et rendre une petite visite à Stiles. Il faisait ce qu'il pouvait pour ne pas y penser – et donc repousser la tentation d'aller le voir – mais c'était plus fort que lui. Il s'inquiétait, ce qu'il avait entendu le hantait et n'aidait pas à calmer ce stress qui continuait de germer en lui.
Si tentatrice fut l'envie de monter, Isaac fut retenu par la promesse qu'il avait faite à Derek. Promesse qu'il avait à cœur de tenir. Il n'avait qu'une parole, et la confiance de l'ancien alpha valait plus que tout l'or du monde. Alors, il ne profita pas de son sommeil pour transgresser ses ordres. Il se laissa aller à surfer longuement sur son téléphone et cela, jusqu'à ce qu'il décide de s'en aller.
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Derek dormait bien. Oui, il dormait très bien. Le pousser à se reposer était fourbe : une nuit avait suffi à le fatiguer assez pour qu'il sombre, abandonnant toute idée de se réveiller rapidement. Toutefois, de petites secousses venaient perturber ce sommeil salvateur et ce n'était pas la sensation la plus agréable qu'il avait connue. Cela devenait même sacrément dérangeant, au point qu'il finit par émerger et ouvrir péniblement les yeux. A peine l'image face à lui se fut-elle imprimée dans sa rétine, Derek sentit tout sommeil et toute fatigue le quitter. Il se redressa vivement et força directement Stiles à s'assoir. Le jeune homme tremblait et peinait à tenir sur ses jambes, alors le faire s'installer sur le canapé ne fut pas difficile. Derek fit un rapide balayage auditif du loft : ils étaient seuls, Isaac avait quitté les lieux et d'après son odorat, cela faisait un moment. Aussitôt, il s'en voulut. Durant le laps de temps où il était resté inconscient – laps de temps dont il ne connaissait pas la longueur –, il aurait pu se passer tout un tas de choses, certaines plus regrettables que d'autres. Par chance, Stiles était là, avec lui et allait bien, du moins physiquement. Ses tremblements étaient facilement explicables : il mangeait peu, se déplaçait alors qu'il manquait cruellement de forces et d'énergie. Le loup n'était pas dupe. La peur, presque indissociable de son odeur, lui piquait le nez.
- De quoi tu as besoin ? Tu as fait un cauchemar ? Tu as soif ? Tu veux…
- Je dois rentrer chez moi, articula Stiles d'une toute petite voix en le coupant sans aucun problème.
Derek posa sur lui un regard éberlué, comme si Stiles avait dit quelque chose d'insensé. En soi, c'était ce qu'il avait fait. Rentrer chez lui ? Dans cet état ? Avec un pervers qui l'attendait peut-être toujours malgré ses blessures ?
- Tu peux… Me ramener ?
Derek détestait entendre Stiles parler de cette façon, sortir prudemment ses mots, d'une voix faible, un peu tremblante sur les bords. Chaque fois qu'il posait le regard sur lui, il ne voyait plus cet hyperactif qu'il avait toujours connu. Il ne remarquait que son ombre. Toute sa lumière solaire l'avait quitté.
Il avait à côté de lui un adolescent totalement différent.
- T'as toujours été dingue, commença Derek.
Stiles releva le regard, mais pas assez haut pour l'ancrer dans le sien. Il n'y arrivait pas.
- Mais si tu me crois assez stupide pour te laisser y retourner, tu l'es plus que je ne le pensais, termina le loup d'une voix blanche.
- Je dois…
- Tu ne dois rien du tout.
- Mais mon père…
- On s'en branle, lâcha Derek avec un naturel déconcertant.
Quelque chose le chiffonnait concernant Noah, mais il retint toute question le concernant. Il interrogerait Stiles plus tard, lorsque la situation se serait un peu… Aplanie.
- Il a essayé de m'appeler… Plusieurs fois, lui apprit l'hyperactif sans augmenter le volume de sa voix.
A l'image de son esprit, elle était brisée.
- Tu veux que je lui parle ? Demanda Derek, en devinant que son protégé n'avait pas dû répondre à son paternel.
Expliquer les tenants et les aboutissants de cette affaire ne l'emballaient pas vraiment, mais si c'était nécessaire et si Stiles ne se sentait pas prêt à parler de lui-même, Derek le ferait. Garder le silence sur ce genre d'évènements n'était certainement pas la chose à faire.
- Non, surtout… Surtout pas. Tu lui dirais tout ce qu'il s'est passé et… Non, juste non, souffla l'hyperactif.
Derek fronça les sourcils devant le refus de Stiles. Le but, c'était justement de prévenir Noah, histoire de prendre toutes les mesures pour empêcher que son fils se fasse à nouveau agresser. Dans un sens, le loup comprenait la position de l'hyperactif et n'était pas dupe. Il avait vu ce qui était sur le point de se produire, avait été malgré lui témoin de la violence dont l'homme avait fait preuve à l'égard de l'adolescent et la manière dont il allait purement et simplement le prendre, sans se soucier le moins du monde de ses refus. Annoncer ce genre de choses à un parent n'était pas simple, bien au contraire, mais nécessaire. Et il essaya de le lui faire comprendre, même si son instinct continuait de le titiller par rapport au shérif.
- Stiles, il doit savoir, pour pouvoir te protéger. Je sais bien que c'est difficile, mais il faut que…
- Il ne me protègera pas, il ne l'a jamais fait, le coupa un peu rudement l'hyperactif.
Et pour la première fois, le volume de sa voix avait monté d'un cran tandis qu'elle s'était durcie.
Il y eut un instant de frottement. Le regard de Derek s'éclaira d'une lueur nouvelle l'espace de quelques secondes, avant de s'assombrir brusquement. Les mots de Stiles étaient bien trop clairs pour être compris autrement et pourtant, il peinait à croire à ce qu'ils sous-entendaient, à imaginer la portée de l'horreur qu'ils traduisaient. Stiles était-il réellement en train d'insinuer que ce qui s'était passé… S'était déjà produit ? Venait-il également de sous-entendre que son père était au courant ? Et qu'il n'avait rien fait ? Derek savait ce que signifiait ce qu'il avait vu et qu'il avait avorté avant qu'il ne soit trop tard.
Stiles avait manqué de se faire violer sous ses yeux, et ce n'était pas quelque chose qu'il était près d'oublier.
Derek comprit alors quelque chose qui, même si cela semblait évident, ne l'était pas tant que ça.
Son sang se glaça alors que les mots s'associaient aux images et aux actes.
- Mais… Que… Ne put-il que balbutier tant le choc était grand.
- C'est son meilleur ami, lâcha Stiles d'un air mort. Ce mec c'est… C'est le meilleur ami de mon père. Qu'est-ce que tu veux que je fasse contre ça ?
L'hyperactif parlait de manière étrange : comme s'il n'avait rien sous-entendu, et en même temps comme si Derek savait tout. Mais le loup n'était pas préparé à ce qu'il comprenait à la fois trop vite et trop lentement. D'un coup, sa vision de Stiles changea, et lui montra davantage le garçon détruit que l'hyperactif qu'il avait toujours connu.
- Tu es son fils, arriva-t-il à dire.
Soulever une évidence, c'était tout ce qu'il était capable de faire à l'heure actuelle.
Mais Stiles secoua la tête et sa voix trembla lorsqu'il lâcha :
- J'ai pas autant de valeur que ce mec.
Il s'arrêta un instant et Derek eut l'impression que la pièce s'était vidée de tout oxygène. L'atmosphère anxiogène était étouffante et pourtant… Pourtant ce n'était pas lui qui avait été agressé. Mais la pause que fit Stiles fut trop courte pour le laisser digérer toutes ses paroles.
- C'est pour ça que… Je dois rentrer. Tout… Tout va me retomber dessus et… Il faut bien que j'arrondisse les angles, tu comprends ?
Pour la première fois depuis un moment, il le regardait. Et Derek se sentit… Brisé. Les yeux embués de Stiles le narguaient alors qu'il n'avait pas le souvenir d'avoir déjà vu une aussi grande souffrance humaine. Une chose était certaine, il était hors de question pour lui de le laisser rentrer si l'autre pouvait à nouveau surgir. Il l'avait bien amoché, oui, mais pas assez pour le mettre hors d'état de nuire. Le besoin de sortir Stiles de cette maison avait été plus fort que tout le reste. Plus fort que cette envie folle de défigurer cet abruti. Derek avait toujours été de ceux qui agissaient avant de réfléchir. Pour cette fois, il avait fait l'inverse. Son loup et sa part humaine avaient jugé plus urgent de mettre Stiles en sécurité en premier lieu, plutôt que d'user de la violence plus que nécessaire sous ses yeux, pour réduire cet humain en charpie. Il lui avait peut-être cassé le nez, mais c'était le minimum qu'il désirait lui faire pour ce qu'il comptait réaliser.
- Tu ne rentres pas si cet homme est dans le coin, s'entendit-il dire.
- Il va sans doute passer un jour ou deux à l'hôpital, et encore… Il est solide. Ce que tu lui as fait… Ça m'accordera un peu de temps, expliqua Stiles d'une voix tremblante.
Il semblait prêt à s'effondrer alors même qu'il était assis. Par peur de le voir sombrer sous ses yeux, Derek le ramena vers lui. Il le sentit se crisper à son contact et se mordit la lèvre inférieure. Oui, il se doutait de ce qui le faisait réagir de la sorte, mais il avait l'impression qu'il allait se briser en morceau là, à côté de lui. Dans ses bras. Alors oui, le tenir permettait au loup de se rassurer, de se dire qu'il était encore là, vivant, avec lui. Et Stiles tremblait. Plus les secondes passaient, plus il tremblait fort. Derek savait qu'il n'avait pas peur de lui : ce qui prédominait dans son odeur, c'était cette souffrance incommensurable, agrémentée de cette honte qu'il n'aurait jamais imaginé si grande. Lui qui aurait voulu se bercer d'illusion ne pouvait que se rendre à l'évidence.
Ce qu'il avait entrevu, couplé à ce que Stiles avait insinué prenait de plus en plus d'importance dans son esprit, devenait atrocement concret.
Derek se retrouva muet, sans aucun mot à dire, aucune parole à prononcer. Il eut mal au cœur et la sensation fut plus physique que mentale. Mais il n'en montra rien et vit tout autant qu'il sentit Stiles se ratatiner dans ses bras alors qu'il se trouvait incapable de lui répondre. Tout cela le dépassait.
