Chapitre II : Un pacte est scellé
- « Arrêtez de bouger... »
Adenor ne pouvait croire qu'au XXIème siècle elle se voyait obligée de porter un corset. Pourquoi la forcer à porter des robes qui nécessitaient de s'étouffer ainsi ? Il y avait beaucoup d'autres styles de robes très élégantes pour lesquelles on n'avait pas besoin d'un tel carcan. La bonne de la famille tira si vigoureusement sur les lacets qu'Adenor crut qu'ils craqueraient. Ils ne lâchèrent pas et la jeune femme pensa alors qu'elle allait bientôt étouffer et que sa poitrine allait exploser. La vieille femme noua finalement les lacets et fit asseoir Adenor près de la coiffeuse de bois et de porcelaine.
- « Alors, comment faire... » s'interrogea la servante. « Madame vous trouve tellement rousse... elle voudrait une coiffure en hauteur pour que la couleur choque moins. »
- « Je ne suis pas carotte non plus ! » s'indigna Adenor, qui en avait assez de ces remarques récurrantes. La camériste rit et dit :
- « Peut-être pas, mais vous êtes rousse et, croyez-moi, vous avez bien le caractère qui va avec vos cheveux. Tenez vous droite maintenant. » Le veille femme tira un peu trop fort sur ses cheveux lorsqu'elle commença à les brosser et Adenor crut qu'elle les lui avait arrachés de la tête. Elle s'excusa et les brossa avec plus de douceur. Un sort aurait été plus rapide, mais elle était incapable de coiffer quelqu'un d'un simple coup de baguette. Finalement, au prix de nombreux efforts pour les deux femmes, Adenor était élégamment coiffée. La servante alla fouiller dans le placard et en sortit une longue robe vert foncé, qu'Adenor revêtit aussitôt, bien qu'elle la détestât. Sa mère voulait qu'elle la porte ce soir... L'instant d'après, la mère d'Adenor entra dans la chambre et noua sans cérémonie un bijou autour du cou de sa fille.
- « Ma mère me l'a donné le jour où je me fiançais. C'est à ton tour de le porterAdenor se retourna et fixa froidement sa mère.
- « Comment pouvez-vous... »
- « Nous en avons déjà parlé. Tiens donc ta langue jeune fille. »
- « Je ne connais même pas... »
- « Le fils Malfoy est le meilleur parti qui soit, crois-moi. »
'Le fils Malfoy par-ci, le fils Malfoy par-là... n'avait-il donc pas de prénom ? Ni de visage ?' pensa Adenor qui n'en pouvait plus d'entendre sa mère lui parler de 'bon parti', de 'riches familles', de 'sang-pur'... Mais elle n'allait pas s'abaisser au point de demander le moindre renseignement à son sujet. Ca jamais ! Lorsque sa mère lui en parlait pour susciter son intérêt, Adenor gardait les lèvres scellées et ne soufflait mot.
- « Et l'amour dans tout ça ? »
- « L'amour ? Pauvre fille ! Te voilà bien naïve. Penses-tu que tu trouveras un homme qui t'aimera de manière constante ? Et regarde ton père et moi : ne sommes-nous pas heureux comme ça ? »
- « Nous n'avons visiblement pas la même vision du bonheur et de la vie de couple. »
- « Insolente ! Si nous ne devions pas sortir dans quelques minutes et si Marianne n'avait pas passé tout ce temps à te coiffer, crois-moi que je ne me serai pas retenue ! »
- « Je n'en doute pas mère... »
- « Suffit ! Va mettre tes chaussures et ta cape. Tu as deux minutes pour être dans le hall, pas une de plus ! »
Adenor soupira et retint ses larmes. Marianne passa une cape sur les épaules de sa jeune protégée avec la douceur qu'elle lui témoignait toutes les fois où la jeune femme subissait les discours de sa mère. Adenor put l'entendre reniffler. La jeune femme savait que Marianne l'aimait et qu'elle lui était profondément dévouée. Adenor se retourna alors vers elle et fut soudainement étreinte par la vieille femme.
- « Bon courage mademoiselle Adenor. Sachez que je serai toujours là pour vous, même si je ne peux pas faire grand-chose... »
- « Le savoir me donnera du courage, je ne me sentirai pas seule. Merci. » Adenor lui rendit son étreinte et se séparara de la chère petite vieille qui s'essuya les yeux avec sa manche.
Adenor descendit les escaliers et retrouva ses parents dans le hall. Ils sortirent de la maison, son père la saisit par le bras et elle se sentit transplaner. Ils arrivèrent à destination et Adenor manqua de se cogner à un mur de pierre froide. Son père lâcha son bras et sa mère lissa les plis de sa cape.
- « Tâche d'être un peu présentable ! »
Ils sortirent d'une petite maison, une ancienne dépendance, dont les Malfoy se servaient à l'occasion comme aire de transplanage pour leurs invités. Ils traversèrent le parc et arrivèrent en vue de la maison. Adenor s'arrêta net, mais sa mère la tira violemment par le bras pour la faire avancer vers le manoir. Ce manoir qu'Adenor avait aussitôt reconnu. Les Malfoy, c'était eux... Non, non ! Sa respiration s'accéléra, Adenor crut qu'elle allait étouffer, sa tête tourna.
- « Petite idiote ! Que t'arrive-t-il à présent ? »
- « Pas eux, non pitié. » bredouilla-t-elle. Pour la première fois, elle supplia. « Je vous en prie ! » Elle trébucha et tomba à genoux, paralysée par la peur. Elle ne pensait pas à Draco, étrangement elle n'avait pas pensé un seul instant à celui qui lui était promis. Non, elle ne pouvait que songer à la terreur qu'elle ressentait à la seule pensée de Lucius Malfoy.
- « Relève-toi ! Ne fais pas de scène. » Sa mère la gifla finalement et Adenor revint à elle. Son père nettoya la robe de sa fille d'un coup de baguette et la tira vers les escaliers qui menaient aux portes du manoir.
Adenor se retrouva finalement dans le hall austère de Malfoy Manor. Narcissa et Lucius vinrent aussitôt à eux. Ils reconnurent bien Adenor mais firent comme s'ils la rencontraient pour la première fois. Voilà ce qui arrivait lorsque l'on arrangeait les mariages à l'ancienne sans même prendre la peine de rencontrer la fiancée... Certes, ils avaient vu des photos et l'avaient trouvée très jolie, mais quelle différence entre la jeune fille souriante - malgré elle - des photos et la jeune femme fermée qui était arrivée chez eux cet automne ! Les parents se saluèrent, les Malfoy firent quelques compliments sur la beauté de la promise de leur fils, et Adenor fut menée au salon, toujours flanquée de ses parents qui comptaient veiller toute la soirée à ce qu'elle ne fasse pas de faux-pas.
- « Je vais chercher Draco. » Narcissa s'éloigna à la recherche de son fils, qui parlait plus loin avec des invités, la mort dans l'âme.
- « Permettez-moi de vous l'enlever un instant ma chère Cassiodore. » Narcissa prit son fils par le bras et l'attira à part. « Fais comme si de rien n'était lorsque tu la verras. »
- « Comment ça ? » Draco haussa les sourcils, perplexe et inquiet.
- « Viens... » lui donna-t-elle pour seule réponse.
Draco suivit sa mère et alors il la vit, il comprit. 'Ingrid'. C'était elle. Jusqu'à présent il avait haït et maudit la femme qui lui était promise, qui allait le faire sortir d'une prison pour mieux l'enfermer dans une autre, mais à cet instant une telle douceur et une telle douleur s'emparèrent à la fois de son coeur qu'il se promit de tout faire pour être aimé d'elle et pour la rendre heureuse. Draco et Adenor furent présentés l'un à l'autre et laissés tous les deux. Leurs parents s'éloignèrent ensemble pour parler tour à tour avec les différents invités.
- « J'étais certain qu'Ingrid n'était pas votre prénom... » Il n'osa pas la tutoyer, ni lui demander s'il pouvait. Tout ce soir était tellement cérémonieux.
- « Je... je n'avais pas trouvé mieux. » avoua-t-elle.
- « Voudriez-vous boire quelque chose ? » lui proposa-t-il avec un léger sourire.
- « Mm, oui volontiers. » accepta Adenor qui avait la gorge terriblement sèche. Draco lui offrit son bras et elle l'accepta timidement. Elle le suivit en silence jusqu'au buffet. Elle avait été prête à haïr son fiancé, à détruire sa vie, mais à présent elle se mettait à douter. Peut-être qu'un jour elle pourrait apprendre à l'aimer, peut-être serait-ce possible... Et si elle ne pouvait pas l'aimer, au moins elle tâcherait de ne pas gâcher sa vie. Il n'avait pas plus le choix qu'elle en fin de compte, ils étaient dans la même situation, alors autant se serrer un peu les coudes et se respecter, à défaut de mieux.
Ils n'eurent pas réellement l'occasion de se parler calmement ce soir-là, étant abordés de toutes parts par des invités désireux de leur parler et de faire la connaissance d'Adenor. Le repas fut ensuite servi et à nouveau ils n'eurent pas le loisir de se parler ; et plus le temps passait et moins ils en avaient envie : la boule qui serrait leur gorge semblait grossir à chaque minute. Le moment fatidique approchait, bientôt il serait trop tard pour faire demi-tour, trop tard pour fuir... bientôt le pacte serait scellé. Adenor avait véritablement l'impression d'être l'offrande d'un pacte que ses parents passaient avec le diable, avec ce serpent, ce démon qui avait presque jusqu'au prénom de Satan. Elle tressaillit et sentit alors qu'on lui prenait la main. Draco serra la main de la jeune femme dans la sienne en signe de soutien. Ils partageaient la même épreuve, les mêmes craintes. Pourquoi n'avaient-ils pas refusé ? Parce que c'était trop compliqué, trop de pression s'était exercée sur eux, toute leur vie. Lucius Malfoy ne faisait pas confiance au jugement de son fils pour trouver une épouse digne de son rang. Quant aux parents d'Adenor, ils avaient vu d'un très mauvais oeil une amitié d'enfance de leur fille et d'un garçon au sang-mêlé, et, depuis ce jour, avaient décidé qu'ils prendraient le destin de leur fille en main. Adenor serra la main de Draco en retour et ils se séparèrent aussitôt. Quelques minutes plus tard, Lucius Malfoy se leva pour faire un discours. Adenor et Draco l'écoutèrent à peine, ils savaient bien quels étaient les enjeux pour leurs parents. Les familles de sang-pur se faisaient tellement rares que les Malfoy étaient allés chercher Outre-Manche celle qui pourrait être le parti idéal pour leur fils... et ils l'avaient trouvé en la personne d'Adenor Langlois. Les Langlois n'avaient pas hésité un instant, ils connaissaient les Malfoy de réputation et ce fut bien assez pour eux.
Lorsque Lucius Malfoy et Septime Langlois eurent achevé leurs discours respectifs, tous se levèrent de table et se placèrent au centre de la pièce autour des parents, et d'Adenor et Draco. Adenor essayait de ne pas trembler et Draco évitait de poser son regard sur son père, le regard de la haine, pour lequel il aurait dû payer par la suite.
Les parents prononcèrent des paroles symboliques, que ni Adenor ni Draco n'écoutèrent attentivement, ils avaient tous deux l'impression de se trouver dans une autre dimension, loin, très loin. Néanmoins ils en furent brusquement tirés lorsque leurs parents leur tendirent les bagues de fiançailles. Draco passa délicatement l'anneau au doigt d'Adenor, qui fit de même pour Draco l'instant d'après. Ils sentirent leurs doigts brûler, les anneaux scintillèrent et répandirent une lumière blanche autour d'eux. Puis tout cessa, la lumière faiblit jusqu'à disparaître, le métal des anneaux redevint froid. Le pacte était scellé. Draco savait que tous attendaient que les nouveaux fiancés s'embrassent ou s'étreignent. Il se pencha donc vers Adenor et embrassa doucement sa joue. L'assemblée applaudit, puis tous se dispersèrent les uns après les autres après les avoir félicités. Draco et Adenor restèrent seuls un instant et Draco lui dit :
- « Ni toi ni moi n'avons choisi, et je n'avais jamais pensé que l'on déciderait pour moi. » Mais tant de choses avaient changé ces derniers temps, avaient échappé à son contrôle. Il reprit : « Je t'ai détestée sans te connaître, mais maintenant je te promets de faire tout ce que je peux pour que les choses se passent au mieux. Nous devons nous serrer les coudes... »
La lèvre d'Adenor trembla, mais elle lui sourit courageusement et avec reconnaissance. Une nouvelle fois elle serra sa main dans la sienne, puis ils furent hapés par la foule des convives.
