Chapitre IV : Ton vin, ta lumière

- « Toutes tes affaires sont prêtes ? »

- « Oui j'ai tout réduit dans mon coffret... »

- « Très bien, nous allons transplaner chez les Malfoy, tu te prépareras là-bas. Et on ne repassera pas par la maison après. » La maison ? Elle n'avait jamais appelé les endroits où elle habitait « la maison ». C'était donc la dernière fois qu'elle serait là. Adenor aurait presque pu en être heureuse...

Elle se contenta néanmoins d'acquiescer d'un air résolu. Que pouvait-elle faire d'autre ? Rien. Depuis le début elle savait qu'il était plus sage d'accepter, d'obéir à ses parents. Elle ne pouvait supporter l'idée qu'ils la fassent agir par Imperium, ce dont ils seraient parfaitement capables. Elle était dirigée là aussi, elle obéissait à un ordre impérieux, mais elle gardait toute sa raison et ses sens en éveil. Il fallait choisir le moindre mal. Et si ça ne marchait pas entre Draco et elle ils se permettraient sûrement de chercher l'amour ailleurs... Après tout, ils ne briseraient pas réellement de serment, comme ils n'avaient pas choisi librement de s'unir. Il n'y avait infidélité que s'il y avait eu amour au départ. Tout cela était question d'apparence, uniquement d'apparence.

Adenor, Marianne et Mme Langlois s'installèrent dans une des chambres d'amis de Malfoy Manor. Adenor fut vêtue (dernière fois que je mets un corset !), coiffée (dernière fois qu'on m'arrache les cheveux !) et enfin maquillée (dernière fois que l'on me mettra le bâton de mascara dans l'oeil !). Adenor fut patiente et ne dit mot pendant toute la préparation. A la fin, sa mère récapitula :

- « Bien, tu as le médaillon pour le quelque chose de vieux, la robe pour le quelque chose de neuf, les gants pour le quelque chose de prêté et enfin un ruban pour le quelque chose de bleu. Tout y est. » 'Sauf l'amour', se dit Adenor. « Tu me sembles prête. Essaie au moins de sourire ! »

Adenor foudroya sa mère du regard et celle-ci ne répliqua pas, contrairement à d'habitude. Commençait-elle à regretter ? A avoir des remords ? 'Certainement pas' pensa Adenor. Des remords ? Elle ? Jamais !

Un luxueux bouquet fut apporté à la mariée par Narcissa Malfoy, et Septime Langlois vint chercher sa fille pour la mener à l'autel qui avait été dressé dans le jardin, dans une bulle de chaleur. Adenor n'arrivait toujours pas à se réconcillier avec le fait qu'elle se mariait en hiver. Elle aimait l'hiver, mais lorsqu'il était blanc, or aujourd'hui la nature était grise et morne et visiblement il n'y aurait pas le moindre rayon de soleil, pas la moindre lueur d'espoir. Adenor avait hâte que la cérémonie et le banquet soient passés, qu'elle puisse trouver un peu de paix dans son futur logis, s'y isoler et penser calmement à ce qui adviendrait désormais.

Draco se trouvait près de l'autel, à côté de son parrain qui serait son témoin. De l'autre côté se tenaient Narcissa et Lucius Malfoy. Gisèle Langlois prit place auprès d'eux et l'instant d'après la mariée arriva au bras autoritaire de son père. Adenor avait l'impression que le sol allait se dérober sous ses pieds. Oh si seulement elle pouvait reculer et s'enfuir à toutes jambes, mettre fin à cette masquarade. Son père rafermit la pression qu'il exerçait sur le bras de la jeune femme et celle-ci continua à le suivre sans résister. Elle arriva finalement à l'autel, sans avoir écouté la moindre note de musique. Elle avait suivi la cadence de son père, mais ne saurait dire quelle musique avait été jouée. Elle avait l'impression d'être un automate, un pantin dont on tirait les ficelles. Son père la laissa, Adenor prit machinalement place auprès de Draco et c'est alors qu'elle essaya de revenir à la réalité. Ils échangèrent un bref sourire pour se donner du courage et ne pas rendre les choses plus désagréables. Draco prit délicatement la main d'Adenor dans la sienne et le mage célébrant commença à parler.

Le sang d'Adenor ne fit qu'un tour lorsque le mage reprit la formule traditionnelle qu'elle détestait tant « Qui donne cette femme pour épouse ? » et lorsque son père y répondit en manquant d'éclater de fierté. Il ne la donnait pas, il la sacrifiait, il la sacrifiait sur l'autel de traditions stupides et de ses intérêts personnels, financiers et sociaux. Des histoires de rangs, d'argent... Adenor commença à se sentir mal, la tête lui tournait. Draco sembla le sentir car il se pencha vers elle pour lui murmurer :

- « Adenor, ca va ? »

Adenor acquiesça et inspira profondément.

Après maintes paroles inutiles qu'Adenor écouta à peine, vint le moment des voeux. Adenor était paniquée, mais une telle sincérité brillait dans les yeux gris de Draco lorsqu'il se tourna vers elle qu'elle se sentit un peu mieux. Il semblait vouloir tout faire pour que les choses se passent au mieux, pour qu'ils ne souffrent pas. Elle l'ignorait, mais en vérité Draco voulait se faire aimer d'elle, être digne d'elle.

Draco lâcha doucement la main d'Adenor. Son parrain lui donna la bougie et l'anneau, Adenor redonna son bouquet à Narcissa, et Draco prononça les voeux :

- « De ma main, j'écarterai tes chagrins. Ta coupe ne sera jamais vide, car je serai ton vin. Avec cette chandelle je serai ta lumière si tu traverses les ténèbres. Avec cet anneau, je te demande de t'unir à moi. »

Il redonna la bougie à son parrain et passa l'anneau au doigt d'Adenor.

Adenor fit de même à son tour et le mage célébrant prononça quelques paroles. Puis vint le moment tant redouté du baiser. Draco savait que cette fois il ne s'en tirerait pas avec un simple baiser sur la joue. Les mariés s'embrassèrent brièvement et l'assemblée se réjouit d'une voix.

Adenor essaya de sourire alors qu'elle remontait l'allée au bras du jeune homme qui était désormais son époux, mais elle n'y arriva pas réellement. Son baiser avait été doux et tendre, et elle aurait aimé ce qu'elle avait ressenti si seulement elle avait pu sortir de ses pensées sombres, ne serait-ce qu'un instant.

Adenor et Draco essayèrent tous deux d'être plus présents lors du repas, de répondre aux invités et d'entretenir les conversations. Adenor discuta un peu avec le parrain de Draco. Il était une des personnes avec qui elle avait eu très envie de parler : l'homme était sombre et froid, sinistre même, pourtant il semblait cacher une nature plus sensible et Adenor crut voir en lui l'âme d'un artiste. Severus Snape était tout cela en effet, mais jamais il ne l'aurait avoué et Adenor ne pouvait que se fier à son intuition.

La journée fut longue et alors que la nuit hivernale précoce allait tomber, Adenor se sentait vidée et erreintée. Les invités partirent, et Adenor monta prendre ses affaires. Lorsqu'elle redescendit, elle salua poliment les Malfoy, ignora ses parents et attendit Draco dehors. Celui-ci la rejoignit aussitôt.

- « Tu as tout alors ? »

- « Oui c'est bon. »

- « Je vais nous faire transplaner. » Draco savait où était la maison, il y était allé la semaine dernière, mais Adenor l'ignorait. Il lui offrit son bras et l'instant d'après ils transplanaient.

Ils arrivèrent dans un bosquet en pleine campagne. Des vallons verts aux courbes généreuses s'étendaient à perte de vue, caressés par les délicats rayons du couchant, des oiseaux cachés dans les haies de bocage chantaient doucement pour se réchauffer, les mugissements de la mer se faisaient entendre au loin. Adenor sourit. Elle pourrait aimer cet endroit, elle le sentait.

- « C'est par ici. »

Draco mena Adenor, toujours à son bras, à travers champs et s'arrêta quelques minutes plus tard.

- « La voilà. »

Adenor vit alors leur maison pour la première fois. C'était une belle bâtisse victorienne de pierre rose et blanche flanquée d'une petite tour aussi adorable qu'élégante. Adenor l'aima aussitôt et fut saisie d'un heureux présentiment.

Ils marchèrent en silence jusqu'à la maison. Draco ouvrit la porte et fit galamment entrer la jeune femme.

- « Bienvenue chez toi ! »

Adenor lui sourit et se laissa guider dans la maison. Draco lui fit visiter toutes les pièces de la cave au grenier, où ils abandonnèrent cadeaux et effets du mariage, puis revint au premier étage et lui dit :

- « Je pensais que tu aimerais prendre cette chambre-là, qu'en dis-tu ? Elle est exposée au couchant. »

Adenor suivit Draco dans une des chambres de la tour et acquiesça son approbation. Apparemment Draco avait décidé qu'ils feraient chambre à part et Adenor en aurait poussé un formidable soupir de soulagement si seulement elle l'avait osé. A la place elle demanda :

- « Tu prendras laquelle ? »

- « Celle qui est au bout du couloir, elle me plaisait bien. Bon et dis-moi, quelles couleurs on met ? On ne va pas laisser ça comme ça. » En effet, autant l'extérieur de la maison était clair et acceuillant, autant l'intérieur était froid et morose.

Adenor et Draco se mirent d'accord pour avoir des murs écrus, des rideaux de velours bordeaux dans certaines pièces et d'un vert foncé assez doux dans d'autres. Ils laissèrent le mobilier tel quel, ils changèrent juste la couleur des fauteuils et des différentes pièces de tissu de la maison.

- « Ils nous ont mis de quoi manger quelques jours. On ira faire les courses ensemble dans la semaine, d'accord ? »

- « Oui, ça sera très bien. Ah et je pensais installer mon atelier à côté de la bibliothèque. »

- « Chouette idée, tu as besoin d'aide ? »

- « Non ça ira, je te remercie. » Adenor regretta aussitôt d'avoir refusé, ils auraient eu l'occasion de faire quelque chose ensemble, mais elle ne revint pas sur sa décision.

Chacun aménagea donc sa chambre et son bureau et ils ne se retrouvèrent qu'un peu plus tard pour boire un thé dans le salon. Ils bavardèrent un peu, puis chacun prit un livre. Ils passèrent ainsi le restant de la soirée en silence puis allèrent se coucher sans dîner : ils avaient mangé plus que suffisamment au mariage, bien que'ils n'auraient rien avalé s'ils avaient pu. Ils se souhaitèrent bonne nuit et chacun s'enferma dans sa chambre. Aucun ne dormit bien cette nuit-là. Adenor s'endormit finalement après s'être dit qu'elle ferait comme s'ils étaient colocataires. Cela marcherait peut-être mieux ainsi...

Adenor bailla, s'étira et se laissa retomber dans son lit. Elle n'avait aucune envie de se lever, aucune. Elle regarda le cadran de sa montre et soupira. Elle rejeta la couverture d'un air résolu et se glissa hors du lit. Elle frissonna et se hâta de s'habiller chaudement.

Adenor descendit et entendit du bruit dans la cuisine. Elle y entra et fut surprise de voir Draco vêtu d'un pantalon noir et d'une chemise grise. Elle n'aurait jamais cru le voir habillé en moldu, enfin en presque moldu.

- « Bonjour... »

- « Bonjour ! Bien dormi ? »

- « Ca va merci... » répondit Adenor qui préféra passer l'insomnie sous silence. « Tu n'as pas froid comme ça ? »

- « Euh non... Je suis pas très frileux, et il fait meilleur ici qu'à l'étage. Il faudra chauffer un peu. »

- « Oui... » répondit simplement la jeune femme.

- « Tu prends quoi le matin ? »

- « Juste un café. » Elle s'était forcée chez les Malfoy, tout comme Draco.

- « Ah oui ? Comme moi. Serré ? »

- « De préférence. »

- « Sans sucre ? »

- « Oui s'il te plaît. »

Ils se sourirent et Draco prépara les deux cafés. Ils s'assirent l'un en face de l'autre dans la cuisine et sirotèrent leur café en silence.

- « Je reprends demain à 8h. » dit finalement Draco.

- « Tu termines à quelle heure ? »

- « 18h généralement, parfois 19h. Tu as des projets pour ta journée de demain ? »

- « Je pensais aller me promener un peu aux alentours puis aller à Londres, voir si je pourrais trouver un travail. »

- « Je regarderai les annonces au ministère pour toi si tu veux. »

- « C'est gentil, merci. Tiens à propos, ton père est au ministère aussi, non ? »

Draco manqua de se brûler en se renversant du café sur la main.

- « Euh oui... J'avais oublié que je le verrai là-bas aussi. »

- « Aussi ? »

- « Hein ? »

- « Comment ça tu le verras là-bas aussi? »

- « Je voulais dire que je le voyais aussi là-bas. Je m'étais dit que maintenant que j'étais parti... Je devais être sur mon petit nuage. »

Adenor n'insista pas, mais demeura perplexe. Où pouvait-il voir son père en-dehors du travail ? Pourquoi était-il amené à le voir ? Que faisait-il ?

Toujours ces secrets, toujours cette crainte, la crainte de ce qu'elle pourrait apprendre, sur le père, sur le fils. Dorénavant, elle était mêlée à tout cela, sans le vouloir, sans même savoir. Elle avait été précipitée au coeur d'événements dont elle ne pouvait même pas saisir la portée, l'enjeu. Si seulement elle savait... Mais voulait-elle vraiment savoir ? L'ignorance n'était-elle pas plus souhaitable qu'apprendre une vérité qui ne pouvait être que douloureuse, révoltante ?

Chacun passa la journée à sa convenance, sans vraiment chercher à se parler ou à s'occuper ensemble. Il leur faudrait du temps, du temps pour s'habituer à la présence de l'autre, du temps pour se découvrir et s'accepter au quotidien. Draco alla se coucher de bonne heure et Adenor essaya de dessiner un peu avant d'aller dormir à son tour, dans sa petite chambre où un feu dansant crépitait.