Chapitre IX : L'attente
Draco passa plusieurs jours à Sainte Mangouste et Adenor demeura auprès de lui tout ce temps. Puis Dumbledore vint les chercher pour les cacher au QG de l'Ordre, où ils seraient en sécurité. Severus y était déjà reclu et était d'humeur plus abjecte que jamais. Alors qu'ils arrivaient au grenier, exceptionnellement à trois, Dumbledore leur dit :
- « Je n'ai pas pu aménager de chambre au rez-de-chaussée, mais vous aurez une chambre assez agréable au premier étage, elle devrait vous plaire. Tu auras juste un étage à monter Draco. »
Draco acquiesça et Adenor sourit à Dumbledore. Ils descendirent lentement les escaliers jusqu'au premier étage. Draco s'appuyait sur sa canne à chaque marche et Adenor se tenait toujours à côté de lui, au cas où il aurait besoin de son bras. Elle demeurait vigilante et guettait discrètement, du coin de l'oeil, sa moindre faiblesse.
- « Voilà c'est ici. » Ils entrèrent et Dumbledore se tint dans la porte pendant qu'ils découvraient leur chambre.
- « C'est parfait professeur. » lui dit Draco.
- « Merci beaucoup. » ajouta Adenor.
- « Je vais vous laisser vous installer, vos bagages sont déjà là. Je dois voir Severus. Nous nous reverrons après le dîner. »
Ils se saluèrent et Dumbledore s'en alla, refermant la porte derrière lui. Draco s'assit aussitôt dans un fauteuil avec un soupir de soulagement. Le trajet depuis le grenier avait été difficile pour lui. Il était très affaibli et le moindre déplacement lui demandait de gros efforts. Sa jambe le faisait particulièrement souffrir et il avait perdu beaucoup de poids. Dumbledore voulait également qu'il rencontre un psychomage, mais pour le moment Draco avait refusé. Les détraqueurs l'avaient profondément marqué psychologiquement, mais il voulait s'en sortir sans thérapie.
Adenor alla ouvrir leurs valises.
- « Il y a tous nos vêtements, et quelques livres. »
- « Et tes peintures ? »
- « Non. »
- « Je demanderai à Dumbledore qu'il aille les faire chercher. »
- « Oh ne l'embête pas avec... »
- « Adenor, nous allons être enfermés ici peut-être un bon bout de temps, autant avoir de quoi s'occuper. Bien sûr il y a une bibliothèque, mais je doute qu'elle soit très fournie. Je lui demanderai tout à l'heure pour tes peintures, je veux que tu puisses peindre si tu en as envie. »
Adenor lui sourit avec reconnaissance. D'un geste souple de sa baguette, elle envoya tous les vêtements se ranger dans l'armoire et ordonna les livres sur une étagère. Draco la regarda avec des gros yeux.
- « En un coup de baguette tu arrives à les classer par domaine et auteur ? »
- « Euh oui... »
- « Waw, c'est impressionnant. »
- « Des années d'entrainement... J'avais pas toujours grand-chose à faire chez mes parents, je suis devenue un peu maniaque. Mais ne t'en fais pas, je me soigne. »
Draco rit. C'était la première fois qu'il riait depuis qu'il avait été arrêté. Adenor en fut si heureuse qu'elle rit avec lui. Ce fut bref, mais ils rirent. Adenor vint s'asseoir sur l'accoudoir près de lui et posa sa tête rousse contre la sienne. Elle caressa doucement son torse et ferma les yeux. Draco posa sa main sur la sienne et la caressa de son pouce, d'un air presque absent, en tout cas songeur. Adenor sentit les larmes lui piquer les yeux, mais elle les ravala. Comme elle voudrait que tout cela ne soit jamais arrivé, qu'il n'ait pas eu à passer par toutes ces épreuves. On lui avait rendu son Draco, mais un Draco différent. Son amour pour lui n'avait pas changé, il n'avait pas été altéré, mais elle avait tellement mal pour lui, le voir si faible, si anxieux. Allait-il encore faire des cauchemars cette nuit ? Combien de temps serait-il hanté ? Peut-être toute sa vie... Merlin, comment pouvait-on infliger de telles souffrances à un être humain ! Comment avaient-ils pu porter ainsi atteinte à son humanité, à sa dignité, comment avaient-ils pu le torturer de la sorte ? Elle sentait que la dépression avait planté ses griffes acérées en lui, sans pitié, comme un ennemi invisible mais terrible qui était venu insidueusement prendre possession de son être. Mais elle l'aiderait à le chasser, cet ennemi pernicieux, oui il réapprendrait à vivre, il réapprendrait à être heureux. Il avait rit. Oui il avait rit !
Draco avait besoin de se reposer, mais Adenor insista pour qu'il descende dîner, il ne pouvait pas sauter de repas et elle ne voulait pas qu'il s'enferme dans la chambre. Si elle y apportait son dîner une fois il n'en sortirait plus. Elle l'aida à descendre les escaliers et il ne la repoussa pas. Elle en fut soulagée, elle avait eu peur qu'il refuse son aide. Severus les rejoignit juste après, le regard noir et la mâchoire serrée. Avoir fermé Poudlard de peur que Voldemort ne l'attaque, être obligé de rester enfermé ici... Pour la première fois de sa vie il comprit ce que Sirius Black avait dû ressentir. Et il comprenait également la peur de Dumbledore, la peur de mettre ses élèves en danger s'il les gardait au collège. Ils étaient tous retournés chez eux en début de semaine. Il espérait que c'était la bonne solution, qu'ils ne courraient pas un danger encore plus grand chez eux.
Draco ne mangea pas beaucoup, mais Adenor constatait que son appétit revenait peu à peu et ne le força pas à se reservir. Dumbledore vint leur refaire une petite visite, puis ils allèrent se coucher. Adenor appréhendait la nuit, les cauchemars. S'il ne dormait pas elle ne pouvait pas non plus dormir, et lorsqu'elle dormait c'était d'un sommeil léger, prête à réveiller Draco dès que ses cauchemars commenceraient.
Quelques minutes après qu'ils se soient couchés, Adenor put sentir Draco frissonner. Il ne dormait pas, mais toutes ses pensées se focalisaient sur l'enfer dont il venait à peine de réchapper. Adenor se blottit contre lui et posa sa main sur son épaule, le ceignant ainsi d'un bras. Elle le sentit alors s'apaiser petit à petit. Il posa sa main sur la sienne et ils demeurèrent ainsi tous les deux, immobiles, essayant de fixer leurs pensées sur le bonheur qu'ils avaient pu partager avant que leur jeunesse leur soit finalement volée. Ils finirent par s'endormir tous deux, à peu près en même temps. Draco fit deux cauchemars, mais la nuit se passa plutôt bien et ils se réveillèrent plus reposés que la veille. Ils restèrent un peu au lit, puis se préparèrent pour leur première journée au QG.
Lorsqu'ils arrivèrent à la cuisine, Severus y était déjà installé devant une tasse de thé fort et lisait La Gazette. Il les salua brièvement et reprit sa lecture. Draco et Adenor se firent un café et le burent en silence, sentant que Severus n'était pas d'humeur à être dérangé. Il plia finalement le journal et le rejeta sur la table.
- « Ce ministre est un parfait imbécile, comme tous les autres. Fudge était attentiste, Scrimgeour a le zêle mal placé. Allez savoir ce qui est mieux. »
- « Il serait temps de réformer le ministère en profondeur, depuis le temps qu'on le dit. » répondit Draco.
- « Oui, mais je doute que le fait d'avoir un Conseil de ministres nous change beaucoup d'un ministre. Au lieu d'avoir un incompétent on en aura toute une myriade. » répliqua Severus, en référence à une ancienne discussion.
- « Ca évitera les décisions despotiques comme celles de Fudge. »
- « Tu crois ça ? Je ne te savais pas utopiste Draco. Ces gens sont tous les mêmes. Et s'ils sont plusieurs à décider, au sein d'un conseil, tu peux être sûr qu'ils seront tous du même avis, ou alors que les uns influeront sur les autres. Non, c'est sans appel. Ce n'est pas le système qu'il faut changer, mais les êtres humains. Autant aller habiter sur la lune tout de suite. »
- « Vous êtes bien pessimistes. » leur dit Adenor. « Nous sommes tout de même mieux lottis que dans bien d'autres pays. De plus, les ministères sont toujours impuissants ou plus prompts à faire des erreurs en temps de guerre. C'est une situation de crise, ça doit être difficile à gérer. Dans la théorie ça paraît simple, mais dans la pratique... En tout cas moi je garde espoir. Je crois en ce que nous a dit Dumbledore, et une fois Vous-Savez-Qui tombé et la guerre achevée, le pays pourra se relever petit à petit, se reconstruire pas à pas. Je me moque de l'incompétence des ministres, c'est le peuple qui rebâtira le pays. »
- « Vive la République. » moqua Severus en français.
Adenor roula des yeux et ne répondit pas. Elle préféra se reservir une tasse de café.
- « Bien les jeunes, je vous laisse. J'ai du travail. »
- « Je te croyais au chômage technique parrain. »
- « En ce qui concerne les cours. D'ailleurs, j'appellerai plutôt ça un congé payé longuement attendu. » Il n'ajouta rien et se leva. Il avait toujours à faire avec les potions qu'il créait et améliorait. Lorsqu'il sortit, Adenor reprit :
- « Je me demande si des membres de l'Ordre viendront aujourd'hui. »
- « Il y a régulièrement des réunions, donc c'est bien possible. »
- « Tu y assisteras ? »
- « Pour quoi faire ? Je ne servirais à rien. »
- « Ne serait-ce que pour te tenir au courant. »
- « Je verrai. Au moins, ça te fera un peu d'animation, beaucoup de membres trainent après les réunions. Tu pourras faire leur connaissance. »
- « Ca me ferait très plaisir. » Et cela ferait du bien à Draco de les voir. Néanmoins Adenor ne formula pas cette pensée tout haut, elle savait bien que Draco l'aurait contredite en lui parlant de Harry et des autres qu'il avait connus à Poudlard et qu'il ne revoyait jamais avec plaisir.
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- « Et encore un qui a transplané dans le mur... Quelle bande d'incapables. » grogna Severus, qui était installé dans le salon avec Draco et Adenor. Il lisait tandis que les deux jeunes gens disputaient une partie d'échec. Ils étaient de piètres joueurs et Severus évitait de regarder les déplacements qu'ils faisaient, il en aurait eu la nausée. Un bruit dans le grenier avait interrompu leur quiétude. L'instant d'après le fameux trio arrivait dans le couloir. Hermione Granger riait aux larmes tandis que Ronald Weasley avait piqué un fard digne de la tante Berthe qui trônait sur un mur du couloir, la face orange de poudre. Elle entra dans le salon et leur dit, entre deux éclats de rire :
- « Il a transplané sur une caisse. Oh c'était monumental. » Elle hurla de rire. « Quelle chute, Merlin ! Je n'oublierai jamais sa tête. » Elle se mit à rire de plus belle, tandis que Severus et Draco la regardaient de travers, que Harry se retenait de rire, que Ron essayait de garder son calme et qu'Adenor souriait d'un air indulgent. Hermione se calma en voyant l'expression des deux Serpentards.
- « Voilà, je suis calmée. » dit-elle, juste avant de se mordre la lèvre pour ne pas se remettre à rire.
- « Il y a une réunion ? » demanda Draco d'une voix froide.
- « Oui dans dix minutes. A tout de suite alors ! » Et le trio alla s'installer dans la salle de réunion.
Severus et Draco émirent un grognement à l'unisson et retournèrent à leurs occupations respectives. Adenor pouffa de rire à leur réaction et se reconcentra sur la partie d'échecs qui se présentait on ne peut plus mal pour elle. En effet, deux tours plus tard, Draco, bien qu'exécrable aux jeux de stratégie, lui faisait échec et mat. Ils entendirent ensuite les membres s'installer dans la salle de réunion. Ni Draco ni Severus ne bougea. Ils étaient devenus inutiles, cachés, reclus ici, ils n'avaient plus leur place dans la guerre, ils ne pouvaient plus accomplir leur devoir. Ils ne pouvaient qu'attendre l'issue du conflit, dans le secret, dans la honte.
A la fin de la réunion néanmoins, deux membres vinrent au salon, Lupin et un sorcier du ministère. Celui-ci dit :
- « Malfoy, on va avoir besoin de votre aide. »
- « Ah oui ? Et pour quoi ? »
- « Un dossier à préparer. »
- « Un dossier ? »
- « Oui, une défense. Le procès débutera lundi prochain. Tenez. » Il lui tendit le dossier. Draco se hissa sur sa canne pour se lever et prit le dossier.
- « Shacklebolt ? » s'écria-t-il. Severus leva le nez de son livre. Kingsley Shacklebolt ? Comment diable avait-il pu être arrêté ? Et pourquoi surtout ! « Très bien, je vais préparer ça. » répondit Draco, remis de sa surprise. Il posa le dossier près de l'échiquier et se rassit, sa jambe tremblante. Remus Lupin se tourna alors vers Severus. Il le salua et Severus lui répondit froidement, mais poliment.
- « Je vais avoir besoin de te parler en privé si tu veux bien. »
Severus se leva et suivit le Maraudeur. Ils entrèrent dans la cuisine désertée.
- « C'est pour la juge Cox. »
- « Ca y est, vous avez trouvé quelqu'un pour l'approcher ? »
- « Oui, une amie d'enfance à elle qui travaille pour Dumbledore. Elles ne se sont pas vues depuis longtemps, mais elle pourra l'approcher et gagner sa confiance. »
- « Quelle potion il vous faut ? »
- « Rupture d'anévrisme. »
- « Anévrisme... quatre jours de repos. Elle sera prête samedi. »
- « Très bien. Je viendrai samedi pour la prendre alors. »
Severus acquiesça. Ils se saluèrent brièvement et Lupin s'en alla. Severus retourna au salon. Adenor discutait avec Hermione à l'entrée de la salle et Draco était déjà plongé dans le dossier de Shacklebolt, griffonnant furieusement des idées et des arguments. Il était tellement brillant, Severus espérait qu'il ne resterait pas inspecteur trop longtemps. Il pourrait avoir un bel avenir en tant que plaideur.
Les trois pensionnaires dînèrent avec quelques membres de l'Ordre, puis Severus alla commencer la potion, tandis qu'Adenor et Draco s'installaient à nouveau dans le salon. Draco se remit au travail et Adenor prit un livre. Après deux bonnes heures de lecture, elle bailla et s'étira. Elle se leva et vint déposer un baiser sur la tête de Draco.
- « Je vais aller me coucher, mes yeux se ferment tous seuls. Tu viens ? »
- « Je voulais finir cette partie... Je te rejoins plus tard. »
- « D'accord... Bon courage, mais ne veille pas trop tard quand même. »
Ils s'embrassèrent brièvement et Adenor monta se coucher. Elle soupira. Ils avaient à peine rompu leur baiser qu'il s'était repenché sur le dossier. Elle savait qu'il allait s'investir dedans au maximum pour ne plus penser. Ne plus penser à Azkaban, ne plus penser aux cruels souvenirs que les détraqueurs lui avaient fait revivre encore et encore. Avait-il tué lorsqu'il avait rejoint les Mangemorts ? Avait-il torturé ? Quelles images il avait dû revoir ! Quels remords avaient dû déchirer son coeur ! Severus ne savait plus vivre, elle le voyait, Draco allait-il devenir comme son parrain ? Non, elle ne le permettrait pas ! Non ! Pas tant qu'elle vivrait et qu'elle serait à ses côtés.
Draco travailla longtemps, mais sentit finalement qu'il s'endormirait d'un instant à l'autre. Il se leva et, s'appuyant sur sa canne, monta lentement à la chambre. Il n'avait pas été correct avec Adenor tout à l'heure et il s'en voulait. Elle était tout pour lui, tout ce qu'il avait, et il l'aimait si fort ! C'était pour elle qu'il voulait continuer à vivre, se battre, ne pas sombrer comme Severus. Adenor l'entendit monter les marches. Elle se tendit, en alerte, puis fut soulagée de l'entendre entrer, il avait pu monter les marches seul. Draco se changea et se glissa dans le lit. Adenor vint aussitôt se serrer contre lui. Il embrassa son front.
- « Pardonne-moi pour tout à l'heure. Bonne nuit ma chérie. »
- « Bonne nuit. » Et elle s'endormit aussitôt, trop fatiguée pour veiller plus longtemps. Draco s'endormit peu de temps après, bercé par la respiration paisible d'Adenor.
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- « Ne touche pas à ta tour, laisse-la ici, elle couvre tes pièces fortes. Regarde ce que tu peux faire avec ton fou. » Draco se pencha davantage sur l'échiquier, puis, après une minute, déplaça un de ses fous. Severus acquiesça. Adenor sourit. Elle n'aurait jamais cru que Severus saurait être aussi patient. Cela faisait bien trois quarts d'heure qu'il reprenait presque tous les mouvements de Draco pour lui expliquer différentes stratégies, patiemment, inlassablement. Dans des moments comme ceux-là elle prenait conscience des liens qui unissaient le parrain et son filleul, elle prenait conscience du fait qu'ils se connaissaient vraiment, qu'ils avaient vécu des choses ensemble, qu'ils pouvaient s'appuyer l'un sur l'autre. Le reste du temps elle ne pouvait que l'appréhender intuitivement, le deviner, mais pas vraiment le percevoir.
Elle aurait aimé avoir quelqu'un comme ça, qui la connaitrait depuis qu'elle était bébé, qui saurait sans devoir lui demander, qui comprendrait sans qu'elle n'ait à parler. Elle avait Draco qui pouvait comprendre sans que la moindre parole ne soit échangée, mais ce n'était pas pareil, non. Adenor fut rappelée à la réalité par la voix de Draco :
- « Occupe-toi de tes bulbes tu veux bien ? »
Un rictus amusé se forma au coin de la bouche de Severus. Adenor demanda alors :
- « Qu'est-ce que c'est que cette histoire de bulbes à la fin ? » Elle les avait souvent entendus dire ça.
- « Oh ça. Draco était encore haut comme trois pommes. Il ne se souvenait plus comment on disait l'expression 'occupe-toi de tes oignons'. Il ne l'avait entendue qu'une ou deux fois, mais avait voulu s'en servir. Et il m'a dit 'occupe-toi de tes bulbes'. Depuis c'est resté. »
Adenor rit et Draco sourit d'un air amusé. Oui ils avaient du vécu ensemble, ces deux-là se connaissaient bien. Adenor sourit et retourna à sa lecture, tandis que les deux hommes reprenaient leur partie d'échecs.
Ce jour-là, les membres se réunirent à nouveau et à nouveau Severus et Draco ne se joignirent pas à eux. Adenor regrettait qu'ils restent ainsi en retrait, après tout ils étaient toujours des membres de l'Ordre, on leur confiait toujours des tâches. Draco avait préparé toute la défense de Shacklebolt, il avait fourni un très gros travail, mais il s'était contenté de donner le dossier à Dumbledore et n'était pas allé à la réunion qui s'était tenue ce jour-là. Il en allait de même pour Severus. Sauf que dans le cas de Severus, la situation était plus délicate, il préparait des potions de mort, rien dont il pouvait être réellement fier, bien que son travail soit indispensable. Il devait en avoir tellement assez de remplir des fioles avec des poisons...
La réunion prit fin alors que Severus et Draco disputaient une nouvelle partie d'échecs. Hermione resta en arrière dans la salle de réunion avec Dumbledore :
- « J'aurais voulu vous en parler avant la réunion, mais je suis arrivée trop tard. Je suis allée chercher les peintures d'Adenor comme vous me l'aviez demandé, cet après-midi. »
- « Comment était la maison ? »
- « C'est justement de ça dont je voulais vous parler... Une partie a été saccagée. La Marque a été tracée à différents endroits, ainsi que le mot 'traître.' »
Dumbledore soupira.
- « Ne leur dis rien, ils ont suffisamment de préoccupations. J'enverrai des membres réparer les dégats. Merci de m'avoir averti. »
- « Je vous en prie. Je vais aller voir Adenor pour lui donner son matériel. Je ne dirai rien. »
Hermione pénétra dans le salon. Remus parlait avec Severus et Draco tandis qu'Adenor lisait un peu plus loin. Hermione s'approcha d'elle.
- « Bonsoir Adenor. »
- « Oh bonsoir ! » Elle posa son livre et sourit à Hermione.
- « J'ai une bonne surprise pour toi. Je suis allée prendre ton matériel de peinture chez vous aujourd'hui. »
- « C'est vrai ? » Adenor se leva, le visage rayonnant. Hermione sortit un petit coffret de sa cape et lui tendit.
- « Tout est réduit ici. »
- « Oh merci ! Merci beaucoup ! Ca me manquait tant. »
- « Ca ne doit pas être facile d'être enfermé ici. Surtout pour eux... »
- « Ils tiennent le coup, mais c'est pas facile c'est vrai. »
Elles discutèrent quelques minutes, elles faisaient peu à peu connaissance, après chaque réunion. Hermione fut néanmoins appelée par Dumbledore et dut laisser Adenor. Celle-ci monta aussitôt au deuxième étage pour installer son atelier dans une chambre. Elle avait presque terminé lorsqu'elle entendit Draco monter.
- « Bien installée ? » lui demanda-t-il. Il lui souriait, et pas seulement de ses lèvres, mais de ses yeux aussi, pour la première fois depuis qu'elle l'avait retrouvé. Elle lui fit son plus beau sourire et vint prendre sa main.
- « Viens voir ! Hermione m'a tout apporté. »
Draco la suivit jusqu'à son plan de travail. Elle y avait ordonné tous ses pinceaux, ses lamelles, ses couleurs. A côté, elle avait déposé les peintures qu'elle avait commencées avant l'arrestation de Draco.
- « Ca a dû te manquer. » lui dit-il.
- « Oui beaucoup. Je peindrai peut-être un peu tout à l'heure, mais pour le moment, allons nous mettre quelque chose sous la dent ! »
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Draco travailla longuement sur un dossier juridique et monta alors qu'Adenor dormait déjà. Elle se réveilla néanmoins lorsqu'il entra, bien que silencieux et discret.
- « Il fait tard, rendors-toi vite ma chérie. Je vais prendre de la potion de sommeil. »
- « D'accord. » murmura-t-elle. Elle se rendormit lorsque Draco se coucha auprès d'elle. Néanmoins, elle se réveilla à nouveau une ou deux heures plus tard lorsqu'elle sentit Draco frissonner. Ses lèvres semblaient murmurer nerveusement, mais Adenor ne pouvait entendre ce qu'il disait. Elle tenta de le réveiller, en vain. Elle commença à paniquer lorsque Draco s'agita davantage.
Elle sauta du lit et courut hors de la chambre. Severus, il fallait aller chercher Severus. Elle monta les marches deux à deux, mais glissa sur la dernière et tomba lourdement sur les genoux. Elle se releva aussitôt et courut frapper à la porte de la chambre de Severus. Il ne dormait pas et ouvrit tout de suite.
- « Severus, venez ! » haleta-t-elle. « Draco, il a pris une potion de sommeil, mais il fait un cauchemar et je n'arrive pas à le réveiller. Il faut faire quelque chose, c'est horrible... » Sa voix se brisa. Severus alla chercher une fiole dans son armoire et descendit, Adenor sur ses talons, puis pénétra dans la chambre.
- « Tu devrais sortir Adenor. »
- « Pourquoi ? »
- « Crois-moi. »
Elle obtempéra, bien que contre son grès, et ferma la porte. Elle entendit alors Draco vomir violemment et frémit. Severus sortit l'instant d'après.
- « C'est bon, il est réveillé. Ca devrait aller, et il ne se souvient pas du cauchemar. Par contre, plus de potion de sommeil à l'avenir. Il n'y réagit pas assez. »
Adenor hocha douloureusement du chef.
- « Adenor, et toi, ça va aller ? »
Elle releva la tête, le regard franc.
- « Oui moi ça va. » Elle n'ajouta rien et rentra dans la chambre, fermant doucement la porte après elle. Ni Draco ni elle ne dormirent beaucoup plus cette nuit, mais comme par un accord tacite, ils ne reparlèrent pas de l'incident.
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Quelques jours plus tard. Draco but son café et s'installa pour travailler dans le salon. Adenor monta à son atelier, mais pas pour peindre. La nuit avait été difficile, les cauchemars de Draco avaient été violents. Adenor ne pouvait s'empêcher d'imaginer ce qu'il devait revoir, les actions qu'il avait dû accomplir. Elle ne se souvenait que trop bien du mot « cruauté ». Oh que c'était dur, dur d'être forte, courageuse, dur de ne rien lui demander et d'être là pour lui, de le soutenir sans savoir réellement, dur de le voir souffrir, dur de se demander s'il s'en sortirait, s'il coulerait... dur. Une larme roula sur sa joue, puis une autre, et une autre, et encore deux. Les larmes coulèrent sans discontinuer et soudain Adenor fut prise de sanglots compulsifs. Son atelier se situait juste à côté de la chambre de Severus. Celui-ci y montait justement, mais comptait venir demander à Adenor si elle voudrait l'aider pour une préparation. Il ouvrit doucement la porte et vit Adenor secouée de pleurs. Elle craquait finalement. L'arrestation, la captivité, le procès, Sainte Mangouste, elle avait tout enduré sans rien dire, sans ciller, elle avait été courageuse et forte pour Draco. Il s'était demandé quand elle craquerait, quand elle évacuerait enfin la pression. Il voulut refermer la porte, mais l'entendit lui dire :
- « Non Severus, ne partez pas... »
Severus demeura immobile un instant sur le pas de la porte, puis entra et referma après lui. Il se dirigea vers Adenor et s'assit en face d'elle. Elle gardait les mains crispées sur son giron. Elle se mit à pleurer plus fort, amèrement, si amèrement. Severus hésita, puis posa sa main sur le bras de la jeune femme, comme au procès. Adenor serra alors très fort ses doigts sur la manche de Severus et porta son autre main à son visage, pour cacher ses traits convulsés par les pleurs. Severus ne bougea ni ne parla, il la laissa pleurer tout son saoûl et se raccrocher à lui. Elle finit par se calmer, après avoir longuement pleuré, et desserra son étreinte. Severus libéra alors doucement son bras.
- « Merci. » murmura-t-elle.
- « Je t'en prie... » lui répondit-il d'une voix basse. « Je vais dire à Draco que tu essayes de peindre, que tu ne veux pas être dérangée. »
- « Je ne pourrai pas peindre... »
- « Voudrais-tu m'aider pour une potion ? Elle est délicate à réaliser seul. »
- « Je veux bien oui. »
Elle se leva lentement et essuya ses joues, puis suivit Severus jusqu'à la chambre qu'il utilisait comme laboratoire. Elle avait dû renoncer à son travail pour se cacher ici, renoncer au travail de préparatrice que Severus lui avait trouvé, mais pouvoir aider Severus l'en consola quelque peu.
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Adenor et Draco cuisinaient lorsque des membres de l'Ordre arrivèrent. Ils avaient tout leur temps et cuisinaient donc sans baguette, il n'y avait pas grand-chose d'autre à faire.
- « Bonjour vous deux ! »
- « Bonjour Maltus. »
- « On a dû prendre Méline, la pitchoune de Peg, avec nous, vous pourrez la surveiller ? »
- « Bien sûr ! » répondit aussitôt Adenor. La petite fille entra à cet instant dans la pièce, sa petite main dans la grande paluche de Shacklebolt.
Elle sourit timidement au jeune couple et se hissa sur une chaise. Kingsley caressa sa jolie tête brune et sortit avec son collègue.
- « Méline, tu veux préparer le gâteau avec nous ? »
La petite fille lui fit un sourire radieux, découvrant une jeune dentition qui accusait la perte de plusieurs dents de lait. Adenor lui tendit la main et Méline descendit de sa chaise pour la rejoindre.
- « Moi c'est Adenor, et lui c'est Draco. On va s'occuper de toi en attendant ta Maman. » Adenor souleva la fillette et l'assit sur le plan de travail. Méline regarda avec admiration Draco battre les blancs en neige sans baguette, puis Adenor la mit à contribution pour la confection de la pâte.
Tous trois étaient couverts de farine, de sucre et de chocolat lorsqu'ils terminèrent le gâteau, et tous trois arboraient un sourire joyeux, même Draco. Ils se débarbouillèrent et mirent le gâteau à cuire, puis allèrent s'installer au salon. Adenor faisait dessiner Méline, et Draco lisait près d'elles. Lorsque Méline fut fatiguée de dessiner, elle reporta son attention sur Draco. Après l'avoir observé quelques instants, elle demanda :
- « C'est quoi là ? »
Draco releva la tête. Méline montrait ses poignets. Il ne savait pas quoi lui répondre. Comment expliquer à une enfant si jeune ? Il répondit finalement :
- « Ca c'est parce que j'ai été malade. »
- « Ca fait ça quand on est malade ? »
- « Certaines maladies peuvent faire ça, mais elles sont rares, tu ne devrais pas t'inquiéter. »
- « Ca va partir ? »
- « Ca prendra un peu de temps, mais oui. » mentit-il. Méline sembla rassurée et elle ne posa plus de question à ce sujet. Ils profitèrent de leur après-midi tous les trois, dans la bonne humeur, puis Peg vint chercher sa fille pour rentrer à la maison. La vie était entrée dans le QG, elle avait rayonné quelques heures, accordant à Draco et Adenor une trève dans leur combat contre la dépression, la maladie qui avait infligé ces marques à Draco, ces marques indélibiles.
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Un matin, quelque deux semaines plus tard, Draco descendit de la chambre alors qu'Adenor lisait dans le salon. Il s'était couché tard pour finir un dossier et avait eu besoin de rattraper du sommeil le matin. La défense qu'on lui avait demandé était prête et il pouvait se reposer. Il marchait désormais sans sa canne et sa démarche se faisait plus assurée chaque jour. Au fur et à mesure que son corps guérissait son état d'esprit aussi progressait. Il vint à Adenor et caressa doucement son visage. Elle releva alors la tête de son livre et lui sourit. Il s'assit à côté d'elle et l'embrassa tendrement. Ils échangèrent un long baiser, un baiser réellement désiré et partagé, un baiser si longuement attendu. Adenor sentit qu'il revenait à elle, qu'il retrouvait le désir. Il avait été distant et Adenor avait attendu patiemment qu'il revienne peu à peu à la vie, qu'il ait de nouveau le désir de vivre, de s'intéresser aux gens autour de lui, à elle. Il revenait, il laissait l'ombre derrière lui, petit à petit.
Il interrompit le baiser et dit :
- « Je suis si heureux Adenor... Si heureux que tu sois là avec moi. »
Adenor se blottit contre lui et il la serra très fort. Adenor put enfin sentir sa présence. Son être et ses pensées étaient là, avec elle. Après le procès, lorsqu'il était avec elle, il avait continué de penser à ce qu'il venait de traverser, mais cette fois il était réellement là, entièrement. Il était enfin là.
Severus voulut entrer dans le salon, mais se ravisa. Il pouvait percevoir leur sérénité, percevoir le changement en Draco. Il avait opéré tout doucement, mais pour la première fois il était réellement palpable. Draco revenait des ténèbres. Severus s'éloigna sans bruit et alla lire le journal dans sa chambre.
Le soir, Draco et Adenor allèrent se coucher en même temps. Cette fois, Draco ne resta pas immobile sur le dos à fixer le plafond, mais vint prendre Adenor dans ses bras. Elle se blottit contre lui et des larmes de joie perlèrent au coin de ses yeux noirs. Elle ferma les yeux et inspira profondément. Depuis son retour, c'était toujours elle qui était venue contre lui, et il lui répondait à peine, il restait fixe, sur le dos, ses pensées l'éloignaient d'elle. Pas cette fois. Enfin. Ils s'endormirent rapidement. Cette nuit-là, Draco fit un cauchemar, mais réussit à se rendormir après.
La quiétude revint peu à peu dans leur couple et ils se retrouvèrent pleinement quelques nuits plus tard, la santé physique de Draco n'étant plus un obstacle et ses pensées étant enfin fixées sur le monde autour de lui, sur Adenor, sur eux. Néanmoins, une nuit, Draco fut réveillé par sa marque qui se mit à le brûler, comme si on frappait son bras avec un fer chauffé à blanc. Il se redressa pour sortir de la chambre, mais la douleur se fit encore plus forte. Il cria et tomba à genoux. A l'étage, un bref cri rauque de douleur put aussi se faire entendre. Severus, sa main droite serrée sur son bras descendit les escaliers jusqu'au premier, sa vision troublée par la douleur. Puis aussi soudainement que la douleur s'était faite sentir, elle disparut. Il frappa à la porte de leur chambre et entra. Il vit Draco se redresser, Adenor à côté de lui, les traits inquiets.
- « Il attaque. » dit Severus. « Je vais vérifier que l'Ordre est au courant. »
Il sortit de la chambre et alla contacter Dumbledore. Quelques instants plus tard, Draco le rejoignait, habillé, sa baguette à la main.
- « On y va ? »
- « Bien sûr qu'on y va. » répondit son parrain. Il ne comptait pas rester là les bras croisés à attendre, et même s'il aurait voulu que Draco reste, il savait bien qu'il ne pourrait le convaincre.
- « Tu as prévenu Dumbledore ? »
- « Oui, mais il venait d'apprendre, par Potter. Il m'a dit de ne pas bouger. »
- « Tu parles. »
- « Exactement. Attends-moi ici, je vais me préparer en vitesse. »
Adenor descendit alors que Severus montait à la volée.
- « Tu ne peux pas y aller Draco... »
- « Je le dois. Je me haïrais toute ma vie de ne pas y être allé. »
- « Si tu en reviens. »
- « Adenor, je ne peux pas rester ici. Je ne peux pas ! »
Il y eut un instant de silence, et Adenor murmura finalement :
- « Je sais... Je sais. »
Draco l'attira doucement vers lui et serra ses petites mains.
- « Je viens aussi. » lui dit-elle alors, redressant le visage, son regard noir brillait d'une détermination farouche.
- « Adenor, non ! Je ne supporterais pas qu'il t'arrive quelque chose ! »
- « Et s'il t'arrive quelque chose à toi ça ne fait rien c'est ça ? Je survivrai, hein ? Je ne pourrai pas rester ici à attendre de savoir si tu t'es fait tuer ou non. Je ne peux pas rester ici alors que tu accomplis ton devoir. Ce n'est pas parce que je suis une femme que ce combat n'est pas le mien, que ce n'est pas aussi mon devoir ! »
Draco ne répondit pas, elle avait raison, et elle avait pris sa décision. Aussi, deux minutes plus tard, ils quittaient tous trois le QG de l'Ordre et rejoignaient la bataille au ministère.
