Note : Coucou tout le monde ! Voici le début du chapitre de l'enfer ! Et par chapitre de l'enfer, je veux dire qu'il est interminable, j'ai mal au crâne rien qu'à y penser. Sinon aujourd'hui on a un peu de (mauvaise) technologie et de mythologie nordique au programme. Voilà, je vous fais des bisous !


CHAPITRE 5A

Tony avait eu raison en leur prédisant une nuit mouvementée. Il n'était pourtant pas étranger aux nuits sans sommeil, mais celle-ci avait été différente de ses expériences précédentes. Plus de responsabilités et moins d'alcool, sûrement.

Ils avaient réparti les enfants dans plusieurs chambres. Tony avait passé de longues, très longues minutes, à expliquer aux divers petits groupes le fonctionnement de la douche pour qu'ils puissent se coucher propres. Pour certains, il s'était même retrouvé à faire une démonstration quant à l'utilisation d'une brosse à dents.

Il y avait eu des cas particuliers. Deux ou trois gosses qui ne connaissaient pas le concept de lit et avaient insisté pour dormir à même le sol. L'un d'entre eux avait refusé de dormir tant que la lumière restait allumée alors que ses colocataires improvisés se montraient terrifiés de la pénombre. Il avait fallu chercher une autre chambre pour le récalcitrant. Oh, et changer deux ou trois pansements en rassurant les petits blessés.

Tony était allé se coucher aux alentours de trois heures du matin, drainé de toute énergie vitale. Il avait brièvement croisé Loki au détour d'un couloir. Le dieu ne semblait pas en meilleure forme que lui, il portait toujours l'armure qu'il avait en arrivant, sentait juste un peu la sueur, et ses cernes commençaient à lui descendre au menton. Il était parti en grommelant quelque chose à propos de couvertures trop irritantes pour la peau, Tony s'était lâchement dédouané de l'affaire et n'avait pas cherché à en savoir plus.

Son matelas lui avait presque paru aussi doux que la fois où il était rentré d'Afghanistan. Mais à peine avait-il fermé les yeux que JARVIS l'appelait à propos d'une situation. Et Tony s'était retrouvé à nettoyer un lit plein de vomi à trois heures et demie du matin parce qu'un des gosses avait trop mangé plus tôt. Vraiment, il maudissait sa vie. Et Loki. Surtout Loki, en fait.

À peine avait-il fini sa tâche ingrate, que JARVIS se remettait à crier à l'urgence. Le cerveau embrumé de Tony eut du mal à comprendre ce qu'il se passait, parce que le petit démon bleu avait accidentellement gelé la moitié de sa chambre, manquant de peu le reste des enfants qui s'y trouvaient. Sa sœur paniquée essayait de le calmer, mais il semblait que le plus jeune fût trop loin pour l'entendre. Tony fit évacuer la chambre et demanda à JARVIS de convoquer le principal responsable du foutoir général.

Loki arriva dans la minute, l'air juste un peu ailleurs.

« Va te coucher Stark, lui dit-il, sa voix un peu plus traînante qu'à l'ordinaire. Je m'occupe de lui. »

Tony ne chercha pas à comprendre et obéit avec plaisir. Il s'endormit comme une pierre.

Sa béatitude ne dura pas longtemps. Il fut réveillé par JARVIS qui, encore une fois, l'informait d'un problème. Il avait envie de faire sauter la tour et ses habitants. Quel était le problème de ces gosses qui ne pouvaient pas rester tranquilles cinq minutes ?! On leur demandait juste de dormir, bordel !

Avec un soupir, Tony se força à se rappeler que les pauvres avaient probablement vécu tout un tas de situations traumatisantes avant d'atterrir ici. Il ne devait pas laisser sa fatigue le rendre irritable.

Tony trouva la gamine moussue envolée au-dessus son matelas. Ses colocataires piaillaient en essayant de la faire redescendre. De ce qu'il parvint à comprendre, elle avait manqué de flotter à travers une fenêtre ouverte, et de finir quelque part dans New York. Après avoir fait fermer ladite fenêtre, il avait fixé la petite qui dormait toujours paisiblement en apesanteur à l'aide de draps. Il n'avait aucune putain d'idée de comment la faire redescendre, aussi était-il parti chercher Loki pour qu'il utilise sa magie bizarre, et qu'ils puissent enfin tous se recoucher.

Le dieu se trouvait dans son lit, occupé à lire un bouquin au petit démon bleu qui avait manqué de transformer sa chambre en réfrigérateur. Le garçon dormait à présent du sommeil des bienheureux, étalé sur le lit. Et il utilisait le ventre de Loki comme oreiller. Malgré l'heure tardive, Tony ne retint pas un petit rire attendri.

« Tu fais les histoires du soir maintenant ? chuchota-t-il en rentrant dans la pièce.

Loki lui lança un regard noir de cernes par-dessus son bouquin. Tony put lire le poulain rouge sur la couverture. Ça avait l'air charmant.

- Qu'est-ce qu'il y a, Stark ? demanda-t-il.

- La mère nature s'est envolée de son lit, répondit Tony

- Tu veux dire Gersimi ? C'est plutôt normal à son âge, il n'y a pas de quoi venir me déranger, le morigéna-t-il. Les Vanes sont réputés pour être de grands mages, et elle est trop jeune pour contenir tout ce pouvoir. Laisse-la faire et retourne donc te coucher.

Tony n'écoutait qu'à moitié ce que Loki lui expliquait. Il était concentré sur son visage, tendu et fatigué, mais terriblement gracieux dans la lumière tamisée de la pièce. Celle-ci créait un clair-obscur délicat sur ses traits, son nez droit, l'angle de son menton, celui plus dur de ses pommettes. Des sculpteurs auraient tué pour l'avoir pour modèle, Tony en était sûr.

- Tu m'écoutes Stark ? s'agaça l'objet de son attention.

- Oui, oui, se secoua-t-il. Bon, tu sais quoi j'y vais et tâche de dormir aussi, t'as pas encore fermé l'œil, je me trompe ?

Loki leva les yeux au ciel comme un adolescent à qui l'on venait de faire la morale.

- J'y vais, je finissais juste le livre.

- Tu le finiras une autre fois Rudolphe. Allez, bonne nuit, enfin, il doit nous rester genre deux heures de sommeil, mais je suppose que c'est mieux que rien.

- Bonne nuit à toi aussi Stark. » Soupira le dieu. Tony l'entendit refermer son bouquin alors qu'il quittait la pièce. Il lui jeta un dernier regard.

Lorsque Tony se recoucha, il avait le visage de Loki gravé derrière ses paupières. Malgré son épuisement, il ne parvint pas à se rendormir.


Loki avait l'impression qu'un dragon lui était tombé dessus pendant son sommeil, ce qui n'était pas peu dire. Sur son torse, il sentait un poids léger et frais.

Il se redressa un peu pour observer le garçon jötun qui avait décidé de l'élire comme oreiller personnel. Il se sentait bizarrement détaché de son propre corps, comme s'il observait les faits d'une autre dimension. Lui, Loki, qui avait tué Laufey et manqué d'annihiler l'entièreté de son peuple, se retrouvait à aider l'un de leurs enfants. Deux, en fait, s'il comptait la sœur, Signy. Les Normes avaient parfois un drôle de sens de l'humour.

Il s'était attendu à trouver deux monstres. Les vieilles histoires d'Asgard lui étaient revenues en tête, et il n'avait pas eu à les écouter pour qu'elles l'empoisonnent. Il les connaissait bien, elles et leurs morales, leurs constructions effrayantes, efficaces, les retournements de situation dramatiques, et les cris et les pleurs… Tout cela s'était logé en lui, et au lieu de s'en défaire, il s'était construit dessus comme une tour sur des sables mouvants.

Mais ni Sigmund, ni Signy n'étaient des monstres mangeurs d'enfants. En réalité, ils étaient les enfants qu'on avait mangés, s'il devait reprendre la métaphore. Loki les avait bien observés, et il n'avait rien vu de mauvais ou de vicié en eux, juste deux êtres souffrants, deux innocents surpris par la cruauté de ceux qu'ils pensaient être leurs semblables.

Autre point surprenant leur peau ne brûlait pas la sienne. La première fois que Signy l'avait effleuré par accident, il s'était attendu à ressentir au moins un picotement, un effet désagréable, ou même à tourner bleu, mais rien de tout cela ne s'était produit. C'était pour le moins mystérieux, mais il ne comptait pas les questionner à ce sujet pour l'instant. Il avait déjà trop de choses à penser.

L'aube se levait à peine et la tour semblait encore relativement calme. Loki décida d'en profiter pour prendre une douche rapide, penser les égratignures qu'il avait lui-même récoltées et se changer. Lorsqu'il revint dans la chambre, Sigmund le fixait de ses yeux silencieux et rouges.

« Prends ton temps, tu peux rester dormir autant que tu le souhaites. » Le rassura-t-il.

Le garçon se réinstalla confortablement et ferma les yeux. Loki l'observa quelques secondes de plus. Signy lui avait expliqué qu'il avait cessé de parler après qu'ils se soient fait enlever. Elle avait refusé d'entrer dans les détails, mais Loki n'avait plus besoin qu'on lui explique la cruauté du monde depuis bien des années. Sigmund ne reparlerait probablement plus jamais et ils allaient devoir faire avec.

Il se força à se sortir de ses pensées. Stark et lui-même allaient avoir beaucoup à faire aujourd'hui pour préparer leur petit voyage spatial. Il méditerait une autre fois.

L'humain se trouvait dans la cuisine, occupé à nourrir cinq fillettes alignées en rang d'oignons en face de lui. Les filles d'Ægir, songea le dieu. Malgré leur jeune âge, elles restaient impressionnantes. Comment s'étaient-elles retrouvées dans cette situation, et où pouvait bien être le reste de leur fratrie ?

« Bien dormi ? lui demanda l'humain en lui tendant ce qui ressemblait à une tasse de café.

Il avait l'air d'avoir perdu le peu de sens logique qui devait lui rester, des cernes méchamment violettes sous les yeux, les cheveux en bataille et le t-shirt sale. Loki devinait sans peine que quelque chose l'avait tenu éveillé le reste de la nuit, mais il ne s'en inquiéta pas outre mesure, d'une part parce qu'il avait réussi à se convaincre que le bien-être d'Anthony Stark ne l'intéressait pas, et d'autre part parce qu'au vu de la toute nouvelle population de sa tour, l'humain avait, effectivement, bien du souci à se faire.

- Très bien, merci, mentit-il en prenant l'offrande. Et vous les filles ?

Cinq têtes se tournèrent vers lui avec une simultanéité inquiétante.

- Non, lui répondit l'aînée, une rousse qui devait avoir dans les quinze ans. Elle avait les yeux très bleus et sa peau semblait transparente.

- Quelque chose s'est mal passé ? s'enquit Stark, l'air compatissant. Il poussa doucement Loki hors de son chemin, et le dieu le laissa faire, non sans noter la familiarité avec laquelle le Midgardien évoluait autour de lui. Il n'était pas sûr d'aimer cela.

- Beaucoup de choses se sont mal déroulées le long de nos rivières, Anthony Stark, annonça-t-elle. Nul besoin d'une nuit agitée, le seul fait que nous soyons en train d'avoir cette conversation avec vous est le signe d'un grand dérèglement.

Loki retint un rire à l'air un peu éberlué qui apparut sur le visage du mortel. Le pauvre aurait besoin de faire un peu de tourisme dans l'univers histoire de s'habituer à ses étrangetés.

- Ouais bon, leçon apprise. Qui veut des céréales ? »

Il reçut cinq signes de tête affirmatifs en réponse. Loki le regarda servir les jeunes femmes, puis s'asseoir à son tour avec un soupir fatigué.

Il se sentait confusément reconnaissant envers le mortel. Stark n'avait aucune idée de ce dans quoi il trempait, mais il avait tout de même accepté de l'aider sans penser aux conséquences. Loki seul n'aurait jamais pu gérer dix-neuf enfants, pas avec le peu de moyens dont il disposait ces derniers temps. Ça et son absence totale d'expérience, en matière d'enfants, et surtout en matière de charité.

Il ne l'avouerait jamais, mais il avait eu une courte période durant laquelle il avait essayé de jouer au super-héros. Cela s'était produit à une époque où sa jalousie pour Thor lui était devenue insupportable. Insupportable, au point qu'il avait voulu l'imiter pour lui voler quelques miettes de l'amour qu'il récolait toujours partout où il allait. Cet idiot n'avait même pas besoin d'essayer. On l'aimait, tout simplement. Mais Loki s'était rapidement heurté à ses propres limites. Son cœur était trop sec pour qu'il se soucie de celui des autres et il restait, malgré tous ses efforts, amer, maussade et égoïste.

Parfois, il discernait chez Stark cette même envie de plaire, d'être le gentil de l'histoire, et cela le renvoyait tant à lui-même qu'il en était dégoûté. Et envieux. Oh, oui, il était toujours le même enfant jaloux, là, tout au fond de son être.

« Tu manges pas ? l'interpella innocemment le Midgardien. On va en avoir besoin aujourd'hui. »

Loki s'efforça de réprimer la lassitude qui l'envahissait et s'installa à côté de lui. Lorsqu'il s'assit, Stark posa très naturellement sa main gauche sur le haut de sa cuisse. L'information mit un moment à arriver à son cerveau embrumé, et il mit encore plus de temps à prendre conscience que la main réconfortante n'avait rien à faire là, et qu'il devrait l'en bouger. Il la chassa comme une mouche, vaguement ennuyé. Il était devenu trop laxiste, aucun autre de ses amants ne se serait permis une telle effronterie.

Stark ne fit que rire un peu. Il était vraiment inconscient, songea le dieu. Mais ils corrigeraient cela une autre fois. Sans audience, si possible.

« Arrête de rire, le réprimanda-t-il, mais sans dureté. Tiens-moi plutôt un peu au courant du programme du jour.

- Pourquoi ce serait à moi de dresser un programme ? protesta le mortel. Je suis terrible en organisation, d'ailleurs, je pense que je suis allergique aux plannings. J'aimerais que ce soit une blague, mais je suis très sérieux. Tu vois ? J'ai ma tête sérieuse.

Loki n'avait pas besoin de le regarder pour savoir qu'il avait tout sauf une tête sérieuse. Il lui donna un coup de coude dans les côtes.

- Parce que de nous deux, c'est toi le super-héros, Stark. Je pensais que l'on avait déjà établi ce fait.

- Très bien, très bien, céda-t-il. J'avoue, j'y ai un peu réfléchi. Déjà, on va se débarrasser de l'horrible truc sur mon tapis, je pense que c'est la priorité absolue.

Loki lui donna un second coup de coude. Stark glapit.

- Aïe ! Je suis sérieux Rudolphe ! Il va bien falloir qu'on en fasse quelque chose, je vais pas rester avec un cadavre dans ma maison, merde à la fin, c'est trop glauque !

- Surveille ta langue en face d'enfants, le reprit Loki en pointant les jeunes filles qui mangeaient, imperturbables.

- Nous avons déjà entendu pire, lui dit l'une d'entre elle en secouant sa longue chevelure sombre et froide. Ne vous dérangez pas pour nous.

Loki pensait se souvenir qu'il s'agissait de Kólga, la plus jeune. Non pas qu'elles resteraient assez longtemps avec eux pour qu'il s'en préoccupe vraiment. Il avait d'autres choses à faire que de s'attacher à un tas d'enfants bizarres et traumatisés.

- Bref, reprit le Midgardien comme si de rien était. Une fois qu'on se sera occupé de cette priorité, je propose qu'on voie chacun des gosses séparément et qu'on établisse la suite en fonction des cas. Je veux dire, il y en a sûrement qui ont encore de la famille, et avec eux ce sera pas trop compliqué, mais on aura peut-être des cas plus chiants. Faudra voir avec eux s'ils connaissent des structures ou des trucs comme ça sur leur planète.

Loki acquiesça pour montrer qu'il écoutait.

- Après, on aura plus qu'à dresser un itinéraire. On ferait bien de faire au plus court parce que je peux pas non plus disparaître des mois sans que ça soulève trop de questions. Pas pour me vanter, mais je suis plutôt connu. Et il faudra préparer le vaisseau pour le voyage, faire les provisions, ramener des vêtements, le nécessaire d'hygiène, organiser les chambres, ce genre de trucs. J'irai voir comment il est foutu. Je veux dire, ouais, j'ai aussi envie de le démonter, et de tout analyser, mais on aura le temps pour ça plus tard.

- L'espace est plutôt petit, l'informa Loki. Il nous faudra emmener le strict nécessaire.

Stark huma. Loki pouvait voir les rouages de son cerveau tourner à pleine vitesse.

- Je vais m'occuper de ton tapis puisque tu y tiens tant, annonça-t-il. C'est l'espace de quelques minutes, pas plus. On réveillera le reste des enfants d'ici une heure ou deux, il est encore tôt, et ils ont besoin de repos. On leur expliquera le déroulement de la journée quand ils seront tous rassemblés, je déteste avoir à me répéter.

- Ouais, ça me va. Je suppose que je ferais mieux d'aller voir le vaisseau maintenant. Les filles, finissez de manger et après… faîtes ce que vous voulez, mais ne cassez rien, finit-il assez lamentablement.

Blóðughadda, la rousse, lui sourit avec quelque chose qui ressemblait à de l'indulgence.

- Nous promettons d'être bien sages, Anthony Stark. »


Loki venait juste de se débarrasser du corps du stupide reptile qui, pour parler poliment, les avait mis dans une situation fort pénible, lorsque Stark débarqua dans le salon en gueulant comme un possédé.

« C'est un putain de vaisseau Star Treck ! braillait-il, quoique cela puisse bien vouloir signifier. Star Treck, répéta-t-il.

- Stark, l'interrompit Loki. Je n'ai aucune idée de ce que peut bien être un vaisseau Star Treck.

Stark sautillait littéralement sur place, plus excité qu'un enfant devant son nouveau jouet. Il lui expliqua, d'une voix que son enthousiasme rendait plus aiguë qu'à l'ordinaire.

- C'est un moteur à distorsion ! Je n'ai aucune putain d'idée de comment ce vaisseau fait pour stocker autant de putain d'énergie, parce que c'est quand même le problème principal de cette technologie, mais ces malades l'ont fait ! Loki, je dois le démonter.

Loki sentit une migraine pointer le bout de son nez. Il ne connaissait de ce que Stark appelait un moteur à distorsion que sa dimension politique, à savoir que beaucoup de races de la galaxie se disputait cette technologie pour des raisons qui lui restaient obscures. Oh, et ils avaient besoin du vaisseau, accessoirement.

- Stark, écoute-moi bien, il est hors de question que tu te divertisses avec notre seul moyen de transport ! Tu en feras tout ce que tu voudras lorsque nous aurons fini de raccompagner ces enfants chez eux, mais je ne veux pas te voir toucher au moindre boulon d'ici là ! Je me suis fait comprendre ?

L'insupportable mortel lui répondit par une moue boudeuse.

- Mais tu ne comprends pas ! lui opposa-t-il. On peut littéralement contracter et dilater l'espace-temps avec ce truc !

Effectivement, il ne comprenait pas. Stark, qui devait se sentir d'humeur professorale, lui expliqua.

- Imagine que notre espace-temps est un tissu, et que ce tissu remplisse notre univers. Un moteur à distorsion permettrait, enfin, permet puisqu'on en a un sur le toit de ma tour, oh mon Dieu.

Loki leva les yeux au ciel. Stark se racla la gorge, embarrassé et reprit.

- Okay, je vais te la faire simple. Un moteur à distorsion permet de déformer le tissu de l'espace-temps par la masse et l'énergie. On contracte l'espace-temps à l'avant du vaisseau, et on le dilate à l'arrière. Ça forme une espèce de bulle, si tu veux. Le résultat, c'est que c'est pas le vaisseau qui se déplace, mais l'espace-temps qui se raccourcit et le rapproche de sa destination.

Le dieu émit un petit grognement pensif. Il pouvait comprendre pourquoi une telle prouesse était autant recherchée.

- En théorie, on va littéralement se déplacer plus vite que la lumière ! Oh mon Dieu, Alcubierre serait tellement jaloux s'il pouvait me voir !

- Très bien, très bien, je comprends ton enthousiasme Stark. Mais je mets toujours mon veto quant au désassemblage du vaisseau.

Stark poussa un cri dramatique et s'effondra sur le canapé. Loki fit de son mieux pour masquer son amusement, il ne manquerait plus que Stark se sente encouragé dans ses âneries.

- Tu es si cruel, geignit-il. C'est un poignard en plein cœur, ah, à moi nobles dieux de la science ! Emportez-moi loin de ce tyran !

- Tu es ridicule. » Se moqua Loki.

Ils furent interrompus par la petite vane qui entrait tout naturellement dans la pièce Loki se souvint que Stark l'avait surnommée petite mère nature avec un certain amusement. Le mortel avait tapé dans le mille sans le savoir. Les Vanes étaient réputés pour leurs relations fusionnelles avec la terre et les forêts, ainsi que pour leur attitude nonchalante, coulante comme les rivières et molle comme l'herbe du printemps.

Gersimi, avec ses airs ingénus les informa poliment.

« J'ai faim, et les autres aussi.

Loki rit de son ton demandeur. Exception faite desfilles d'Ægir, elle était la seule qui osait leur parler aussi franchement, les autres avaient encore leurs réserves.

- Tu sais si tout le monde est réveillé ? lui demanda Stark. On va s'organiser pour la journée dans la cuisine, Loki et moi, on va tout vous expliquer.

La fillette passa une main dans la masse verte de ses cheveux.

- Non, je m'en moque un peu, de ces autres-là. Sans vouloir vous embêter.

- C'est pas grave, je vais dire à JARVIS de les appeler, dit Stark. Allez, viens, on va te nourrir petite mère nature. »

Loki les suivit dans la cuisine, là où se trouvait déjà bien la moitié de la population locale. Stark et lui-même servirent les enfants qui n'avaient pas encore mangé en attendant que les autres arrivent. Il laissa Stark s'encombre de l'annonce publique et leur expliquer qu'ils les verraient tous séparément dans le salon afin qu'ils puissent parler ensemble de leurs situations respectives.

La déclaration fut accueillie avec différents degrés d'enthousiasme. Entre deux bols de lait et pâtisseries, Loki réprima l'envie de se téléporter à l'autre bout de l'univers, dans l'espoir fuir toutes ces nouvelles responsabilités. Stark se tourna vers lui, un sourire aux lèvres.


Ils se trouvaient au beau milieu de leur discussion avec les filles d'Ægir lorsque le sujet que Loki redoutait le plus fut abordé. Jusqu'ici, les choses s'étaient pourtant merveilleusement bien passées. Elles leur avaient expliqué qu'elles n'avaient besoin que d'une source d'eau pour rejoindre le reste de leur famille, à savoir leurs quatre sœurs et leur mère, la déesse Ràn. De fait, elles n'auraient même pas à entreprendre le voyage spatial avec eux.

« Vous savez, lui dit Blóðughadda, je n'aurais jamais cru être aidée par le second prince d'Asgard.

Elles savaient donc bel et bien qui il était. Loki s'était posé la question. Il pinça ses lèvres pour ravaler une remarque déplaisante.

- Saviez-vous que notre père Ægir était un Jötun ? dit-elle encore.

- J'en ai entendu parler, oui, répondit précautionneusement Loki.

- Il a été tué dans la guerre de Jötunheimr, par Odin en personne selon notre mère. Vous l'avez peut-être connue, car elle-même était asgardienne. Elle a été bannie d'Asgard après avoir marié notre père.

Loki choisit de ne pas répondre, mais elle insista.

- Nous avons toujours pensé qu'Odin avait visé notre père de manière personnelle, parce qu'il n'avait jamais pu supporter l'idée que l'un des siens puisse vouloir épouser un géant de glace. Que pensez-vous de cette théorie ? Vous le connaissez bien mieux que nous, après tout.

Loki n'eut pas à y réfléchir longtemps.

- Cela lui rassemblerait, oui.

- Il aurait aussi pu simplement le faire dans le feu de la bataille, votre père est, après tout, connu pour aimer la guerre en tant que telle, mais nous n'y croyons pas. »

- Vous voulez dire qu'Odin est un belliciste ? intervint Stark, l'air un peu incrédule. Je pensais qu'il était défenseur des neufs mondes, ou une connerie du genre.

Il fit alors une chose étrange : il se tourna vers Loki, de tous les gens du monde, pour chercher une confirmation. Décidément, Stark ne cesserait jamais de susciter sa curiosité. La question principale étant bien sûr : comment une seule personne peut-elle être à la fois si intelligente et si stupide ?

Loki se racla la gorge.

- À ta place, je m'abstiendrais de me le demander Stark. Comme tu le sais déjà mes relations avec la famille royale ne sont pas au beau fixe.

Et c'était un euphémisme, ajouta-t-il mentalement.

- Ma mémoire est en excellent état, je suis un génie, tu te souviens ? lui rétorqua l'insolent mortel.

- J'ai parfois des doutes…

Stark émit un petit bruit de frustration. Loki pouvait parier qu'il s'imaginait déjà en train de l'étrangler.

- Éclaire-moi quand même, tu veux Rudolphe ? s'impatienta-t-il. Je veux ton point de vue sur la question.

Loki vérifia d'un regard et, oui, il avait bel et bien l'air déterminé à obtenir une réponse. Il contempla l'idée de rester muet, ou de raconter n'importe quoi, mais il devait bien admettre que c'était toujours un plaisir de cracher sur Asgard, et qu'il n'était pas homme à refuser une telle opportunité.

- Elles ont raison, oui. Et j'ajouterai qu'Odin n'est pas juste un belliciste. Il est un belliciste brillant, ce qui le rend bien plus dangereux et bien plus efficace que tous les autres. Il n'a jamais engagé de campagne sans motif de justice, de paix, de bonté pour appuyer ses actions. Je ne dis pas que ces motifs étaient forcément fallacieux, au contraire, il est parvenu à beaucoup de bonnes choses ainsi, mais ils servaient un but. Pas ces belles idées-là.

Stark l'observait à travers ses cils, épais et sombres.

- Qu'est-ce que tu veux dire par but ? le relança-t-il.

- Odin avait besoin de s'assurer du soutien des peuples des neuf royaumes, ou tout du moins de leur obéissance, lui expliqua-t-il. Les Asgardiens étaient déjà acquis à sa cause, pas parce qu'ils croyaient en elle, mais parce que ce sont des guerriers depuis si longtemps qu'ils ne savent rien faire d'autre que la guerre. Donne à un homme d'Asgard du plaisir, et il te répondra qu'il veut une épée.

Loki prit quelques secondes de plus pour bien articuler sa pensée. Sans savoir pourquoi, il était important pour lui que Stark le comprenne, et qu'il sache que ce n'était pas juste le ressentiment qui le faisait parler.

- Comme tu peux t'en douter, beaucoup d'autres peuples n'ont pas cette culture guerrière. C'est pourquoi Odin a eu recours à d'autres valeurs, des valeurs bien plus universelles et pourraient toucher une plus grande partie des populations : la Justice, le Progrès, l'Harmonie… Des causes qui, si elles ne motivaient pas toujours ses troupes, étaient au moins intouchables par les partisans de potentielles révolutions. Même s'ils n'étaient pas convaincus, ils étaient réduits au silence, sous peine de passer pour des personnes amorales.

- Je crois que je vois un peu le bail. C'est une forme de propagande de guerre.

Le dieu hocha la tête, et il vit du coin de l'œil les sœurs en faire de même. Il soupira et ajouta.

- Il est vrai qu'Odin s'est beaucoup calmé ces derniers temps. Je soupçonne que maintenir ce qu'il a déjà obtenu représente un défi de taille. Mais il n'en reste pas moins que, dans beaucoup de mondes, et y compris sur ta chère Terre, il pourrait être jugé, et condamné comme criminel de guerre. »

Tony siffla. Loki pouvait dire qu'il était impressionné, mais il ne savait pas si c'était en bien ou en mal. Enfin, il avait l'air de comprendre la taille des enjeux, ce qui était déjà un bon point.

Blóðughadda intervint dans la conversation, ses yeux translucides posés directement sur Loki.

« Vous avez un point de vue très particulier sur la question, prince Loki, nota-t-elle remarquer d'une voix cristalline. Surtout pour un Asgardien. Serait-ce cette clairvoyance qui pousse votre peuple à vous écarter ainsi ?

C'était décidément une enfant bien intelligente. Loki sourit poliment et lui répondit.

- Je suis désolé Blóðughadda, mais je crains que ce ne soit là qu'un seul des très nombreux reproches qu'Asgard m'adresse. Ils ont assez de sujets de griefs contre moi sans avoir à y ajouter ma clairvoyance, comme tu le dis si bien.

- Vous ne leur ressemblez pas beaucoup, dit-elle encore, et cette fois-ci Loki ne put s'empêcher de se crisper un peu.

Heureusement pour lui, elle abandonna le sujet aussi facilement que l'eau glissait d'une rivière à un lac.

- Il n'empêche, mes sœurs et moi nous vous sommes reconnaissantes de votre aide. Nous ne vous oublierons pas, ni vous, ni votre compagnon Stark, reprit-elle avec un petit sourire.

Il entendit le mortel rire à côté de lui.

- C'est gentil à vous les filles. »