- Je t'en supplie, je ferais tout ce que tu voudras, mais par pitié, n'envoie pas cette photo sur le groupe de la classe !

En posture dogeza, Akira se prostrait face à une Mina Ashido suffisante et dominante. La scène aurait pu paraître étrange... Non, c'était étrange de constater une scène pareille. Cependant, Akira ne pouvait pas avoir plus honte que maintenant ; la seule chose qui comptait, c'était cette photo.

- Hi hi hi ! Pfffrrr... BWA HA HA HA !

Akira leva sa tête ; Mina-chan se tenait les côtes et tapait du pied, le visage hilare. Cette réaction eut pour effet d'amplifier la honte d'Akira, qui rougit de plus belle. Il se redressa néanmoins, et marmonna :

- Je ne vois pas ce qu'il y a de drôle...

- Ahh... (elle essuya ses yeux larmoyants) C'est juste que de te voir dans cette position, c'est priceless...

- Alors ? Tu vas l'envoyer ? répliqua amèrement Akira, se sentant vaincu pour de bon.

- Quoi ? Non !

Le jeune homme fut frappé de stupeur, avant de se ressaisir :

- Mais, tu vas en faire quoi ?

Mina le regarda un instant, avant de taper quelque chose son téléphone. Le bruit caractéristique de la corbeille numérique se fit entendre.

- Voilà ! Maintenant, il n'y a que moi qui connaît ton secret !

- C'est... étonnant que tu réagisses comme ça - il prit un air soupçonneux - Qu'est-ce que tu as en tête ?

- Je vais être ton Cupidon !

Il la regarda avec un air aussi perdu qu'une mouche dans une couverture, si bien qu'elle soupira d'exaspération et expliqua :

- Tu me connais mal : je suis pas du genre à me moquer des gens qui tombent amoureux...

- Je ne suis pas amoureux ! s'exclama-t-il, mais elle l'ignora :

-...je veux plutôt te donner les techniques nécessaires pour que tu puisses organiser un super date avec Jiro, comme ça vous passerez un bon moment ensemble, et qui sait !

-...Pourquoi tu m'aides ? On se connaît pas vraiment, et puis tu m'as vu attaquer Mineta-kun alors qu'il n'avait rien fait.

- Bah, quand tu danses, je vois que tu n'es pas quelqu'un de méchant !

- Q...Quoi ? (Akira secoua sa tête, épaté) Ne me dis pas que tu juges les gens de cette manière ?

- Bien sûr que si ! (Mina le regarda, soudain très sérieuse) Une personne aigrie et malhonnête ne peut pas s'exprimer autrement que par la violence. Toi, par contre, tu exprimes si bien tes émotions quand tu dansais, l'autre fois...

- À ce point ?

C'était vrai, pourtant ; quand il avait dansé, et jouait de la flûte, il se sentait unique, véritable. Le monde autour de lui devenait plus clair, vibrant de bonheur.

- L'art nous fait exprimer notre bien-être. Et puis, ne le dis à personne, mais...- elle se pencha vers lui - Mineta-kun a beau avoir changé, j'ai toujours une mauvaise impression en le voyant.

Akira sourit ; au moins, une personne ne semblait pas dupe.

- Bon, je t'invite chez moi pour qu'on puisse te préparer au grand jour ! (elle s'éloigna en lui faisant signe de la main) Je t'envoies mon adresse par message, à ce soir !

Il lui dit au revoir, et, quand elle disparut, soupira de soulagement ; curieusement, bien que sa raison lui sommait de ne pas céder aux caprices étranges de sa camarade rose, l'envie de tenter cette expérience grandissait de seconde en seconde.

Son téléphone vibra ; il l'alluma et lut un nouveau message donnant une adresse postale.

Il sourit.


- Le nerd m'a... hrpmf...

- Tu peux le dire, Katsuki ; toute parole que tu profères restera entre nous.

- Il m'a sauvé.

Le blond ressentait le tiraillement intense dû à la bataille entre ses sentiments et son ego. Jamais il n'aurait cru dire cette chose, et surtout nulle part. Pourtant, il ne détestait pas l'ambiance de cet endroit ; ce n'était ni trop étouffant comme la maison de Queue-de-cheval, ou morne comme la cuisine de sa mère quand ils avaient discuté. Rien d'oppressant, mais pas trop détendu non plus.

- Continue, lui intima le chien avec un geste.

-...Quand j'ai utilisé mon attaque, mes bras ne répondaient plus ; j'avais si mal que je voulais que tout s'arrête. Mais j'ai en même temps ressenti un truc, et ça m'a aidé à garder conscience.

- L'extase de la victoire, comprit Hound Dog en opinant du chef.

- Ouais, un truc comme ça... Mais j'avais pas assez de force pour résister au souffle de mon explosion, alors je me suis fait catapulté contre un immeuble. Les débris allaient s'écrouler sur moi, et comme Altaïr était hors jeu, je pensais que... Argh !

- Tu pensais...?

- Putain ! (il fit exploser sa paume) Pourquoi c'est si dur !?

- Tu as longtemps réprimé cette partie de toi, c'est normal que tu ne la comprennes plus. Prends ton temps, respire comme si tu reprenais ton souffle.

Un peu douteux, Katsuki suivit néanmoins son conseil, et utilisa la même méthode de respiration que celle pour l'entraînement. Petit à petit, ses muscles se détendirent, et la tension disparut. Et ces mots sortirent de sa bouche :

-...J'avais peur qu'il se venge de moi en me laissant tomber.

Voilà, il l'avait dit ; ce putain de nerd, qu'il avait complètement tenté de détruire, lui faisait peur. Hound Dog ne dit rien, mais l'observa d'un oeil critique avant de lâcher un grognement :

- C'est une pensée rationnelle ; après tout, tu l'as si longtemps rabaissé que tu n'avais jamais imaginé qu'il puisse se redresser...

- Commencez pas avec vos trucs de psychanalyse à deux balles, le menaça le blond avec un regard noir.

-...et tu as pensé qu'il aurait voulu se venger, continua le conseiller sans prendre en compte la remarque, habitué à faire face à des menaces en tout genre.

Katsuki resta silencieux, regardant ses mains : elles avaient tellement de potentiel d'après tous ces extras, et pourtant... Il s'en était servi pour accentuer son désir de devenir le numéro 1 sans jamais regarder à ses pieds s'il ne marchait pas sur les autres. Car c'était normal, non ?

- Y a aucun monde où il me pardonnerait, comprit-t-il en serrant ses poings avec frustration.

- Tu ne peux pas le savoir.

Il releva sa tête, surpris ; Hound Dog le dévisageait avec un air entendu, avant de continuer :

- Chaque personne possède en elle un seuil de tolérance, avant qu'elle n'éclate en mille morceaux. Tu as eu de la chance de tomber sur Midoriya, car il possède, d'après ce que tu m'as dis, une force de caractère prononcée - il leva son doigt - Ne te mets pas non plus dans l'idée que tout ce que tu lui as fait ne vaut rien ; c'est toujours là, et ça t'affecte aussi, donc ça doit l'affecter pour autant.

- Alors, je fais quoi ? cracha Katsuki.

- C'est simple : tu t'améliores. Ne cherche pas à changer ce que tu es, mais seulement à écouter ce que tu ressens ; ce sera difficile au début, mais crois-moi, une fois que tu auras atteint ce stade, alors tu sentiras le besoin de lui en parler. On est d'accord ?

Katsuki hésita quelques instants, doutant des propos un peu trop à l'eau de rose du conseiller, avant de soupirer :

- Mouais... Votre tactique va sûrement pas fonctionner.

- Fais moi confiance, grommela son interlocuteur. Je suis dans le métier depuis longtemps, et tu n'es pas le seul gamin qui avait ce genre de problèmes - il lui donna un carnet - Tiens.

- C'est quoi, c'te merde ? (Katsuki prit le carnet en lui jetant un regard de dégoût) Vous m'avez pris pour une putain de collégienne, ou quoi ?

- C'est un carnet de rapport, et tu vas me faire le plaisir d'écrire tout ce qui t'est arrivé de bien et de mal dans la journée. Utilise le vocabulaire que tu veux, l'important n'est pas l'écrit en soi, c'est le ressenti - ajouta-t-il en tapotant sa poitrine - Et, Katsuki ?

- Quoi, encore ? râla-t-il en se dirigeant vers la porte.

- Quand quelqu'un te propose une activité de groupe hors du cadre scolaire, je te conseille d'y participer ; on ne sait jamais, peut-être qu'avoir plus de relations avec les gens de ta classe te permettra d'avancer plus vite sur la résolution de ton "problème"...

Le blond en pétard renâcla, avant de sortir, le carnet à la main. Quand il fut assez loin, il atteint une poubelle de couloir, et s'apprêta à jeter le carnet, mais... Katsuki stoppa son geste, un souvenir remontant dans sa mémoire.

Il explosa le carnet entre sa main, avant de le balancer par la fenêtre. Le son d'un objet percutant l'eau lui arracha un sourire de satisfaction, mais quand il se tourna pour voir le visage couvert de taches de son tordu par la tristesse, une colère sourde enfla en lui.

Il redressa lentement son bras, regardant le carnet avec méfiance. Puis, en lâchant un tsk caractéristique, il ouvrit son sac et le fourra à l'intérieur, en grommelant des injures et autres saletés.


Sortant du bus et remerciant le chauffeur, Akira regarda la rue autour de lui ; le quartier Unabu avait l'air d'être plus fancy qu'il ne l'aurait crû, avec des magasins multicolores et des lampions accrochées à des ficelles tendues à chaque bâtiment. La moiteur de l'air annonçait un été particulièrement chaud, aussi le jeune homme portait une chemise de lin très fine que lui avait offerte Momo avant son départ.

Suivant les indications de son téléphone pour le mener à bonne destination, il commença à marcher. Fait amusant, la technologie de localisation avait prodigieusement évolué en précision et en vitesse, si bien qu'Akira se demandait pourquoi les gens avaient délaissé la conquête spatiale alors que les satellites avaient l'air de parfaitement fonctionner...

Il arriva à bon port en quelques minutes ; la maison de Mina n'avait pas vraiment de design extérieur, mais il ne faut pas juger un livre à sa couverture. Akira entra dans la petite plaza extérieure précédant l'entrée, s'approcha de la porte et toqua. Des voix éclatèrent de l'autre côté, le faisant sursauter, et la porte s'ouvrit avec fracas sur un type immense et baraqué, aux sourcils broussailleux et froncés avec des bras aussi gros que des bûches. Le plus impressionnant, c'était les bois immenses qui sortaient de son crâne.

- Z'êtes qui ? grommela d'une voix gutturale le mastodonte.

- Euh... Je suis un ami de Mina, elle m'a invité...

- MINA ! gueula soudainement le grand type. T'AS DE LA VISITE !

- J'arrive, roh là là ! répondit une voix distante.

L'instant d'après, une Mina un peu échevelée débarqua dans son champ de vision, déjà bien obstrué par le colosse. Elle avait l'air contrariée, mais quand elle aperçut Akira, un sourire radieux apparut sur ses lèvres.

- Tu es venu ! (elle se tourna vers le grand homme) Papa, ne me dis pas que tu fais encore ton numéro intimidant ?

- Euh...

Sous le regard étonné du jeune homme, la fille éclata de rire, et son "père" se frotta les bras, l'air gêné. Soudain, elle s'arrêta et s'adressa à Akira :

- Allez, rentre ! Ma mère a préparé des boissons fraîches.

Après s'être incliné devant le père avec un petit peu trop de raideur, il enleva ses chaussures et posa le pied dans la maison de sa camarade ; le couloir était assez banal, les murs jaunes-beige avec des portes-manteaux et des tableaux variés, ainsi que quelques étagères destinées à ranger les clés de voiture ou lunettes de soleil.

Ce fut plus loin que la demeure l'impressionna : l'acceuillant dans le salon, la famille Ashido possédait un style très particulier, coloré et bizarrement vieillot selon les standards d'aujourd'hui : des affiches de groupe de K-pop, des enceintes un peu partout avec des étagères remplies de disques, ainsi qu'un tapis bien à l'écart, et assez abîmé pour laisser deviner ce qu'on y faisait.

- Bonjour, fit-il en s'inclinant face à la mère Ashido. Je sui Akira Arata, un camarade de classe de votre fille. Honoré de vous rencontrer.

- Allons, allons, pas besoin d'être aussi formel ! répondit-elle en agitant sa main, souriante.

- T'as pas intérêt à faire du tort à ma petite reine alien, gronda une voix derrière le jeune homme, le faisant frissonner.

- Papa ! cria Mina d'un ton de reproche, avant de tapoter l'épaule d'Akira ; il se retourna, pour lui faire signe de la suivre.

Remerciant les parents pour leur accueil (et acceptant avec déférence la boisson fraîche), et les deux montèrent les escaliers. Dans le couloir supérieur, plusieurs portes fermées et uniques : rose, bleu-roi, vert-pomme...

- Tu as une fratrie ? s'enquit poliment Akira.

- Oui, mais qu'est-ce qu'ils sont nerveux ! C'est difficile de faire mes devoirs quand j'ai trois petits diables qui courent dans ma chambre. Et toi, tu as de la fam... Oh !

- Ne t'inquiète pas. Ce sujet ne fait pas partie de mes "problèmes de stress" ; j'ai deux grandes soeurs et un petit frère, donc deux adversaires et une responsabilité.

- Ah ha ha !

Ils entrèrent dans sa chambre, et dieu qu'elle était extravagante : un mélange de rose cerise et framboise, le tout cimenté par un noir bleuté, et quelques touches de violet mûre pour agrémenter le tout. Très dense, la décoration surplombait l'ambiance de la pièce, qui pour quelqu'un d'économe comme Akira était à la limite étouffante.

Mina tira une chaise roulante à côté de son lit, puis bondit sur ce dernier et s'assit en tailleur, invitant Akira à la rejoindre. Ce dernier s'assit sur la chaise, et commença le plan mirobolant du "D.R.H Ashido".

- Alors ! (son regard, mélange de machiavélisme et d'excitation, l'effrayait un tant soit peu) Je te le demande une dernière fois, car tu ne pourras pas revenir en arrière...

- T'es un peu mélodramatique, tu crois pas ? se risqua Akira.

- Est-ce que tu veux mon aide, oui ou non ?

- Si je suis venu ici, la réponse est évidente.

- Bonne réaction ! le félicita sa camarade, puis tapa dans ses mains : Je te demande toute ton attention, car tu seras mis à rude épreuve.

- D'accord ! obéit-il en prenant un air sérieux.

Elle sourit, puis prit un agenda rose qui traînait sur sa table de nuit, et l'ouvrit pour lui montrer la date du week-end, avec une adresse : le centre commercial de Kiyashi.

- Là ; c'est ici que tu dois saisir l'opportunité qui se présentera à toi !

- Tu veux dire... un rendez-vous ? (il se frotta la nuque) Je ne sais pas... déjà que je n'aime pas trop m'afficher en public depuis que j'ai été relâché sous surveillance, toute la police connaît mon visage et ils risquent de m'embêter... Et d'ailleurs, l'absence de Jiro ne va pas mettre la puce à l'oreille à tout le monde ?

- Justement ! Si tout le monde est invité, ça n'aura rien d'anormal ! soutint-elle en reposant son agenda, les yeux brillants.

- Euh... Je ne te suis pas : tout le monde ? Je ne suis pas sensé être en incognito ?

- Mon dieu, t'es vraiment idiot quand tu t'y mets ! (elle fit un "chop") Si tout le monde est présent, ce sera beaucoup moins suspect quand tu accompagneras Jiro.

- Certes, mais il faudrait encore prendre en compte Denki et Sero ; ces deux-là vont remarquer que j'essaye de m'approcher d'elle... Eurg, ça sonne bizarre dit comme ça...

- L'amour, c'est pas bizarre ; c'est danser sur des braises ardentes tout en appréciant la fraîcheur de l'air. Mais j'avais déjà pensé à ce problème : tu aimes la musique ?

- Je joue de la flûte, déclara le brun en haussant ses épaules.

- Herp, mauvaise pioche - elle fit la moue - Tant pis, on fera avec : tu aimes le rock'n'roll ?

- Jiro-san aime le Rock'n'roll ? Je pensais qu'elle aimait le métal...

- Attends, tu aimes le métal ?

Mina le regarda comme s'il venait d'un autre monde, et Akira toussota, un peu gêné.

- J'aime le Power, le Stray et le Folk... Un peu le groove, mais pas trop quand même, et... je ressemble à une curiosité, n'est-ce pas ?

- Pas du tout ! Kyoka-chan adore le métal, mais elle en a vraiment honte parce que c'est un genre assez connoté "vilain", ce qui fait tâche pour une apprentie héroïne... Mais si... (elle commença à marmonner dans sa barbe) mais si elle voit que tu es un passionné de métal, elle t'acceptera sûrement beaucoup plus facilement, car elle se sentira reconnaissante envers toi !

-...parce que je serais une sorte de confident pour la musique ?

- Ah, la confidence... Oui, t'as vraiment beaucoup de choses à apprendre... Bon, que le cours commence ! PLUS ULTRA !

Ainsi commença l'entraînement du disciple et son maître, pour que ce premier puisse parcourir le tortueux chemin de cette émotion si complexe et si simple à la fois, ce nectar que tous veulent goûter et que l'on regrette autant qu'on en redemande. Cette petite chose infime, qui éclate en une myriade d'imperceptibles et délicieuses pétales.

Mais l'amour, c'est avant tout un secret que l'on cultive à deux.