Quelqu'un toqua.
Akira leva les yeux de son magazine, pour voir Kyoka qui était entrée dans sa chambre d'hôpital. Malgré la position étrange de ses jambes meurtries, lui donnant un air de breakdancer un peu trop enthousiaste, il ne rougit pas. Posant le magazine sur la table de chevet, il la vit s'asseoir sur la chaise à ses côtés.
Akira détourna son regard ; malgré l'intention claire de son amie à vouloir prendre la parole, il laissa couler ce silence apaisant. Dehors, quelques infirmiers flânaient en tétant leurs cigarettes, discutant probablement des évènements de Kamino.
- À quoi pensiez-vous ? lança-t-il en se tournant vers Kyoka.
Elle voulut lui répondre, mais il continua :
- C'était incroyablement idiot de votre part.
- Je... (des larmes apparurent dans ses yeux) J'aurais dû...
- Vous avez risqué votre sécurité, le coupa Akira. Risqué votre vie pour faire ce que les pros allaient accomplir dans tous les cas.
- Mais ça a marché ! protesta-t-elle, de la colère dans sa voix.
- Bien ! grinça-t-il avec un ton peu trop moqueur à son goût, mais la rage qui palpitait en lui fit trembler sa voix : Pour toi, c'est comme ça que ça fonctionne ? On lance la fusée et on se dit qu'elle va forcément décoller ?
Baissant la tête, Kyoka mordit sa lèvre inférieure. Elle s'était tellement inquiétée pour Akira, comment aurait-elle fait autrement ?
- Tu es vraiment égoïste... souffla-t-elle en serrant ses poings. Tu as de la chance d'être blessé, ou je t'aurais frappé !
- Kyoka, tu t'es jeté dans une antre remplie de vilains, mettant ta vie et celle de nos camarades en jeu, et même si je sais que c'est Bakugo qui en est l'instigateur... Tu as participé, donc tu es toute aussi fautive, soupira-t-il en se tournant vers la fenêtre.
- Regarde-moi quand tu me parles ! cria-t-elle presque.
Surpris par ce haussement de ton, il se tourna et fut stupéfait : des larmes coulaient abondamment le long des joues de celle qu'on surnommait "Mur de Pierre". Mais ses yeux montraient à quel point ses émotions combattaient férocement les unes contre les autres.
- Je suis tout à fait d'accord, c'était complètement con, mais... (elle essuya ses larmes) J'ai eu tellement peur à ce moment-là, est-ce que tu y as pensé ?
Il ouvrit la bouche, puis la referma ; elle avait touché un point sensible. Encore une fois, le grand Akira Arata était incapable d'empathie.
- Je sais très bien à quoi tu penses, gronda-t-elle. Tu es en train de te dire que tu ne mérites pas qu'on te sauve, parce que tu es juste incapable de comprendre ceux que tu sauves toi-même.
Elle lui prit sa main, et le regarda dans les yeux.
- Mais tu sais quoi ? Je m'en fous.
Son coeur fit un bond immense dans sa poitrine, et une lumière étrange s'alluma dans les yeux sombres qui perçaient son regard.
- Tu es aussi maladroit qu'un phoque sur un tricycle, t'as aucune idée de ce que ressentent les autres...
- Qu'est-ce que je disais, marmonna-t-il, mais elle serra sa main.
- Laisse-moi finir ! Tu n'entreprends rien de désintéressé, tu es possiblement un pervers doublé d'un narcisse que j'en aurais aucune idée. Pour toutes les fois où tu dépasses les autres, tu finis toujours par te moquer de leurs faiblesses.
Elle inspira pour reprendre son souffle, puis déclara :
- Mais tu as souffert. Tu souffres encore et je sais que tu souffriras autant, sinon plus que nous. Et pourtant, tu continues à sourire, à faire des efforts pour comprendre les autres alors que tu ne te comprends même pas. Tu es courageux, serviable et complètement incapable de blesser les autres.
Soudain, elle l'attira contre elle. Son étreinte était différente de toutes celles qu'il avait connu ; Aizawa-sensei lui donnait une impression que quelque chose d'immense l'abritait. Momo-chan, une sorte de couverture réconfortante.
Là, ça faisait mal. C'était envahissant, dérangeant et beaucoup trop étrange. Pourtant, impossible de s'en défaire ; le faire n'aurait eu aucun sens, la sensation de vide l'aurait atteint dans ce cas. Sans sourciller, il lui rendit ce qu'elle lui offrait.
Il voulut pleurer, mais à la place sanglota un peu, tandis que Kyoka lançait :
- J'ai toujours voulu comprendre pourquoi tu étais aussi insupportable, mais j'imagine que vu que c'est la deuxième fois que je te vois pleurnicher, ça me donne des indices...
- Je pouvais pas me permettre de vous perdre... (Il serra plus fort, respirant ce parfum de vieux disques et de sueur lavandée) Qu'est-ce que je serais devenu si vous m'aviez quitté ?
- C'est simple.
Elle s'écarta de lui.
- Un héros.
Nezu avait reçu des dizaines d'appel de la commission sur l'arrestation de All For One par All Might, surtout à propos de ce miracle sur le retour temporaire de son pouvoir. Comment le One For All s'était-il réveillé dans l'ancien héros, et pourquoi pas avant ? La théorie la plus probable consistait à penser que la Réponse n'avait jamais vraiment supprimé les résidus de l'Alter, juste l'avait affaibli assez pour que Toshinori soit convaincu qu'il soit disparu.
Mais l'autre possibilité impliquait un troisième parti, et selon les dires de l'ancien Symbole de la Paix, c'était le cas. Malheureusement, il ne gardait aucun souvenir du moment entre le soir où il se trouvait dans son bureau, et celui où il fonçait sur All For One. Alors Nezu avait directement fait le lien avec le "Mage", cette personne mythique qu'Akira lui avait décrit.
Si ce "Mage" était capable de traverser les dimensions et de manipuler la réalité à un niveau multiversiel, on pouvait imaginer que ce dernier avait pu réussir à s'introduire dans leur monde, du moins temporairement, et de redonner du pouvoir à All Might. Mais la question était : pourquoi ? Déjà, pourquoi le rendre pendant une période limitée, alors qu'il pouvait le faire de manière permanente ? Peut-être pour conserver un semblant "d'équilibre"... pensa le directeur en sirotant son thé. Je devrais en toucher deux mots à Akira.
Mais il remettrait ça à plus tard : l'affaire la plus importante était de retrouver la Ligue des Vilains pour mettre fin à leurs agissements, une bonne fois pour toute. Les rapports de la Police que Tsukauchi lui avait confié indiquaient tous qu'aucune piste n'avait été récoltée, malgré l'arrestation de ce docteur Gusaki.
Ce médecin était un fervent partisan de la Réponse, auparavant neurobiologiste, il avait commencé ses recherches sur les Alters il y a de cela sept ans. Et c'était dans cette période que la soeur de Kaminari, la petite Jiki, avait été présumée morte, donc ça concordait. La Police avait retrouvé sur Gusaki une sorte de compas qui possédait un champ gravitationnel propre, tout en émettant des radiations gamma à haute fréquence. L'objet avait été placé sous surveillance dans un laboratoire, mais aucun test n'avait été concluant pour l'instant.
Soudain, quelqu'un entra dans son bureau ; il s'agissait de Shota. Nezu sourit et se redressa de son fauteuil.
- Ah, juste au bon moment ! (il lui présenta son service de thé) Un peu de jasmin ?
- Merci, fit le professeur en s'asseyant tandis que la souris lui remplissait une tasse. La journée a été longue.
- Je peux le croire ; et j'ai vu ta conférence de presse, pour laquelle je te félicite grandement.
- Ce sont juste des crétins qui bavent d'envie sur des scoops sans se soucier des conséquences, maugréa l'autre en prenant la tasse. Dès qu'ils ont creusé dans le passé d'Akira, ils ont tiré des conclusions tellement hâtives que j'ai du intervenir pour calmer le jeu.
- Tu m'as étonné : cela ne te ressemble pas d'être aussi déterminé pendant ces interviews.
Nezu se rappelait avec clarté le visage plein de colère froide et contrôlée de ce professeur, tandis qu'il défendait Akira contre l'opinion baisée des journalistes.
- Le gamin ne méritait pas qu'on le traîne dans la boue, déclara Aizawa en buvant sa tasse de thé. Déjà qu'avec son passé traumatisant plus sa maladie dégénérative...
- Il faudrait que tu le lui dises, Shota.
Rien qu'à l'emploi de son prénom, ce dernier sut à quel point le rat était sérieux. Il sirota encore un peu de thé, tentant d'éviter le sujet, mais son supérieur le regardait avec un air de reproche. Shota soupira :
- J'ai mes raisons de croire que ça ne s'aggravera pas tant qu'il ne sera pas au courant.
- Ce n'est pas comme ça que les maladies congénitales fonctionnent, et tu le sais très bien.
-...
- En lui cachant la vérité, tu crois le protéger. Pourtant, tu expulses les élèves qui ont un potentiel trop bas ; Akira ne pourra pas finir son cursus sans sévérités graves. Est-ce que tu considères toujours qu'il a le potentiel ?
- Pourquoi ne l'aurait-il pas ? explosa Shota en renversant son thé par terre. Vous croyez que c'est facile de le voir tous les jours faire des efforts, le sourire aux lèvres ? Chaque instant, je veux le lui dire, mais si je le fais, tout ce travail, tout ce potentiel sera gâché !
Il ne se rendit pas compte qu'il s'était levé ; il avait tellement perdu son sang froid que ses mains tremblaient, son coeur battant à toute allure.
- Shota.
Il leva les yeux ; le directeur le regardait avec un air désolé.
- Rassieds-toi.
Serrant ses poings pour se calmer, il se posa sur la chaise, mais n'osa regarder que le sol.
- Tu es frustré à cause du souvenir de Shirakumo.
Un sourire éclatant. Un reflet bleu, et des manières et habitudes complètement loufoques.
Des décombres d'où apparaissait une main retombée, vide de toute vie.
- Il n'y a pas qu'Oboro, souffla le professeur en chassant chaque souvenir douloureux qui remontait dans son esprit. Mundane, Krater, Miwaziki...
- Tu penses qu'ils auraient apprécié que tu caches la vérité à ce jeune homme ?
- Mais ça n'est pas que son rêve de devenir un héros ! Il est déjà un héros, bien qu'il lui reste du chemin à faire... Je ne veux pas lui retirer son rêve...
- Ce que tu lui retires, Aizawa, c'est son avenir.
Nezu prit une autre tasse de thé, laissant le professeur se réfléchir sur ces mots, avant de déclarer :
- D'ici la fin de la semaine, je veux que tu lui dises tout ce qu'il doit savoir.
- Mais si on doit le soigner, il ne pourra pas passer le permis provisoire.
- C'est à lui d'en décider. Pas à toi.
Katsuki se roula dans son lit.
Le téléphone allumé, il regardait l'écran qui affichait une suite de messages. Joues-Roses l'avait bombardé d'excuses, d'explications foireuses et d'autres conneries, mais sans qu'il lui réponde. Qu'est-ce qu'il devait lui répondre ? C'était la première fois que ça lui arrivait, et d'habitude, quand il était confronté à un nouveau problème, c'était soit une explosion soit... Soit quoi ?
Il lâcha un cri de rage, provoquant une question étouffée de sa mère qui s'enquit de son état, auquel il répondit : "Fiche-moi la paix, la vioque !" avant de retourner à sa contemplation. La mention "lu" étaient collés à tous les messages de Joues-Roses, et le dernier d'entre eux comprenait : "Il faut qu'on parle".
- Parler de quoi, marmonna le blond en éteignant son téléphone. C'était juste une erreur due à ces putains "d'émotions miroir".
Il avait appris ce terme d'Hound Dog, qui lui avait expliqué que, lorsqu'on est entouré de joie et de bonne humeur, on a souvent tendance à reproduire cette dernière, surtout dans des occasions comme la victoire d'All Might.
All Might... Katsuki avait longtemps réfléchi sur sa soudaine venue éclair et miraculeuse, combattant le vilain alors que Pieds-Fusées tentait de s'enfuir. Déjà, le N°1 était sensé avoir perdu son Alter, mais il s'était mystérieusement retransformé en M. Muscles spécialement pour l'occasion.
Le jeune homme avait commencé à avoir des soupçons dès l'incident du camp d'été, quand Deku s'était explosé le bras avec ces fouets noirs bizarres. Ce maudit nerd lui avait parler de "pouvoir d'emprunt", donc au début Katsuki avait bêtement pensé que ce type n'avait jamais utilisé son pouvoir parce qu'il le considérait aussi similaire à celui d'All Might.
Mais avec la révélation d'Akira, sa vision des choses s'était élargie, le monde avait changé ; All For One, ce vilain surpuissant et maléfique, pouvait apparemment voler les Alters des gens pour les transférer à quelqu'un d'autre.
Et si l'Alter du nerd n'était pas que "similaire" ? Lentement, les souvenirs de Katsuki s'imbriquèrent, de rassemblèrent dans une suite beaucoup trop logique pour qu'il puisse la supporter. Il chasse la réflexion dans un coin de son crâne ; il irait demander à Deku face à face.
Mais avant, il avait autre chose à faire.
Il ralluma son téléphone, et revint sur la page de contact avec ce trop plein de messages, et appela. Quelques instants plus tard, quelqu'un décrocha :
- Allô ?
- C'est moi, lança le jeune blond en tentant de ne pas penser à ces grands yeux noisette. T'as raison : il faut qu'on parle.
