L'examen ayant été annulé, les élèves étaient tous repartis chez eux. Pour Yuei, direction le dortoir ; ce fut avec une joie amplifiée de satisfaction face à un travail accompli qu'ils s'installèrent dans le bus.
Tu parles.
L'ambiance était si morose que personne n'osait hausser la voix. Surtout que maintenant, entre les gémissements de douleur et les inconforts créés par les nouveaux corps, et la confusion générale… Tous les garçons, autrefois si dynamiques et bruyants, s'étaient mués en murs de silence.
Jiro n'avait même pas le cœur de sortir son portable pour y brancher ses earphones et écouter quelques morceaux. Elle s'installa à côté de Mina, qui avait perdu son air enjoué pour le remplacer par une tête pensive, regardant par la fenêtre. Néanmoins, elle lâcha un soupir et dit à son amie :
— J'appréhendais beaucoup pour la journée, tu sais ?
— T'étais pas la seule, répondit Jiro en se calant sur fauteuil.
— Je sais, mais… (la rose secoua sa tête) Je pensais que j'allais me planter, et pourtant j'ai réussi.
— Toi, te planter ? s'étonna Jiro ; d'ordinaire, Mina ne pensait pas réussir, elle se disait qu'elle allait réussir.
— Bizarre, hein ? Pourtant, je flippais grave. Et quand j'ai passé la première épreuve, c'était pas seulement soulageant ; j'ai ressenti de la fierté.
— Oh, Mina… (Jiro sourit tendrement) Je te savais pas si émotive.
— Je suis un être humain, tout de même ! Et je peux pas être tout le temps heureuse. Comme toi, par exemple ; quand ça t'ennuie ou que tu te sens mal à l'aise, tu es très claire envers les autres.
— C'est parce que tu as un grand cœur, croâ, intervint Tsuyu qui avait entendu la conversation.
— Tsu a raison ; je suis pas comme toi, t'es pas comme moi, Mina. J'ai moins de compassion que toi, c'est pour ça que je dis ce que je pense.
— Toi, moins de compassion ? (elle pouffa, mais le regard entendu de Jiro lui fit avouer :) C'est vrai que quand tu t'y mets, tu ne prends pas de pincettes. D'ailleurs, avec Akira, tu as pu ?
— On s'est expliqué, tous les deux. Je me suis excusé de l'avoir traité comme ça, mais c'est une vraie tête de mule… (Jiro souffla) Non pas que je lui en veuilles, j'aurais réagis de la même manière.
— Tu n'es peut-être pas compatissante, mais empathique, ça oui, croâ, avança Tsuyu.
— Empathique, hein ? (elle interrogea du regard la rose, qui opina du chef) J'aime bien…
Puis, comme Mina et Tsuyu avaient lancé un autre sujet de discussion, Jiro se pencha dans le couloir du bus pour regarder au fond ; là-bas, il regardait les lampadaires passer avec un air profond, indescriptible. Jiro se mit à rougir, le voyant là sous sa vraie forme. Et bordel qu'il était beau ! C'était au-delà de la définition plastique, ou même de l'air en lui-même. C'était l'impression qu'il dégageait, un calme olympien.
La discussion avant de monter dans le bus était encore vive dans son esprit ; quelque chose comme « tu n'as pas confiance en moi » avec un soupçon de « laisse-moi tranquille ». Bref, malgré le fait qu'elle s'était excusée et appuyer qu'elle avait bien constaté qu'il n'était pas un casseur de gueules en puissance, Akira était resté ferme sur ses positions, et avait décidé de faire l'enfant en passant à l'arrière du bus. Bref, leur relation qui roulait sur de beaux rails s'était pris une grosse vache à pleine allure.
Elle n'arrivait pas à décrire leur relation, d'ailleurs. Amoureux ? Akira était trop complexe pour tomber amoureux de manière conventionnelle, ça elle en était certaine. Amis ? Parfois elle se sentait si proche de lui qu'une fusion ne l'aurait pas étonné, mais parfois on aurait dit qu'il venait d'une autre planète.
— Tu devrais aller lui reparler.
Jiro sursauta ; Tsuyu la regardait avec ses yeux ronds et à première vue inexpressifs. Cependant, toute la sagesse d'une grenouille y résidait. Jiro haussa ses épaules.
— « Laisse-moi tranquille ». C'est à lui de décider s'il veut parler.
— Parfois, on refuse le soutien pour paraître fort. Mais la force ne peut rien contre nos émotions, et on finit par sentir coupable. Va lui parler.
Muette devant cette injonction, elle soupira, avant de demander l'autorisation à son professeur principal de se lever pour aller derrière. Il lui lança un regard interrogateur, et elle répondit qu'elle avait besoin de s'excuser auprès de son camarade. Son prof accepta, et la voilà tirée vers l'arrière, l'accélération du bus l'emportant vers un sujet épineux qu'elle n'avait pas envie de traiter maintenant.
Mais il n'y avait pas qu'elle dans l'équation. Akira la vit arriver, mais ne la regarda pas vraiment. Il prit un air renfrogné et croisa ses bras, qu'on pourrait traduire par : « je suis une huître émotionnelle. Au revoir ». Un gamin. Cette pensée la fit sourire, lui arrachant un :
— La première chose à éviter quand on veut s'excuser, c'est se moquer de la personne en question juste devant elle.
Jiro grimaça ; attentif et perspicace, comme toujours. Ne sachant quoi répondre, elle fit ce qu'elle savait faire de mieux. Elle s'assit à côté de lui et resta silencieuse, regardant dans la même direction que lui. Après un petit blanc, elle demanda :
— Qu'est-ce qui est si intéressant dehors pour que tu t'y intéresses autant ?
— C'est mon reflet que je regarde. Je me demande si c'est bien moi, ou juste un autre qui joue un rôle.
— Super déprimant comme réflexion. Autre chose ?
Il tourna la tête vers elle, vexé. Mais ça la fit sourire ; elle avait réussi à attirer son attention, et lui montrer clairement qu'elle n'allait pas rentrer dans son petit jeu de drama queen aux délires existentiels. L'important, c'était ici, là. Pas dans sa tête, mais dans son cœur.
Comme prévu avec son silence éloquent, il soupira et ajouta :
— Tout à l'heure… Pourquoi tu ne pas fais confiance ?
— J'avais peur, avoua sincèrement Jiro. Pas que tu passes du côté obscur, mais que tu te remettes à penser en spirale négative. Un peu comme un siphon d'évier.
— Charmante image. Tu n'avais pas mieux ?
— Pour te décrire quand t'es dans cet état ? Beaucoup mieux, mais je veux pas te brusquer.
Cette remarque lui arracha un sourire, et elle le suivit. Puis vinrent les pouffements, les rires francs. C'était rafraîchissant, et en même temps, ça pinçait un peu le cœur. Mais bon ; ils étaient jeunes, ils étaient naïfs et ils devaient en profiter pendant qu'il en était encore temps.
— J'ai eu peur, moi aussi, avoua Akira après quelques hoquets.
— De quoi ?
— Que tu ne veuilles plus de moi.
Un coup de marteau en plein cœur.
— C'est l'hôpital qui se fout de la charité !
— Je sais. Je m'excuse d'avoir eu peur.
— Non, le sois pas (elle posa sa tête sur son épaule, et à son grand plaisir, il ne la chassa pas) Tu as le droit d'être imparfait de temps à autre, ça fait partie de ton charme.
— J'aimerais avoir le privilège d'être affaibli, mais la Ligue court toujours !
— Oh, tu recommences ! râla-t-elle, avant de soupirer : Ce n'est pas parce que tu sembles visé que tu dois te lancer dans une entreprise suicidaire. Aie conscience que des centaines de héros sont à leur recherche, et puis… (elle regarda à l'avant du bus) On a un super prof qui veille sur nous.
— Mais personne ne sait de quoi ils sont capables…
— Si tu sais des trucs, dis-leur simplement.
— Ce n'est pas aussi simple que ça ! (Akira porta sa main à son visage) On parle d'ennemis possédant des armes qui peuvent nous toucher n'importe où et quand, de personnes détenant des informations sur tout le territoire, d'un réseau bien plus vaste qu'une simple corporative de vilains !
— Ils restent des humains, contredit la lycéenne.
Le rire qui sortit de la bouche de son camarade lui déplût ; un sale mélange d'ironie, de désespoir et de dégoût. Elle le questionna du regard, et il finit par dire avec un ton des plus sérieux :
— Jusqu'où me croirais-tu ?
— Tant que c'est pas au-delà de la sphère terrienne, je ne risques pas de douter.
Akira la dévisagea un instant, la rendant confuse. Puis, petit à petit, l'hypothèse improbable et ténue enfla, enfla jusqu'à exploser en cette exclamation :
— Attends, tu déconnes j'espère !?
Shota Aizawa n'avait pas pour habitude d'enfreindre la loi pour des choses bénignes. Mais là, c'était son seul remède pour éviter de devenir fou.
Les lumières qu'il voyait et tentait d'ignorer (ce qui était devenu de plus en plus difficile) étaient forcément liées à Akira. Il en était persuadé ; l'autre soir, dans sa chambre, ce n'était pas son Alter. C'était autre chose. Mais quoi ? Alors il avait enfreint la loi. Ce n'était pas la première fois qu'il le faisait, mais de cette manière, oui.
Mettre sur écoute deux élèves en discussion, c'était à la fois irrespectueux et très douteux, presque sinistre. Le problème venait surtout qu'il avait pris il-ne-savait-combien de précautions pour qu'Akira le remarque, connaissant la perspicacité du jeune homme. Le pire, c'est qu'il avait profité de son état de choc et du contrecoup pour finaliser son projet diabolique.
Il se promit de s'excuser plus tard, même s'il avait ses raisons. Allumant le capteur, il n'attendit pas longtemps avant d'entendre les deux voix s'élever dans ses écouteurs :
—…tu déconnes, j'espère ?
— Je ne déconne jamais sur ce genre de choses. Tu sais que je suis assez calé en physique pour te faire comprendre les concepts de voyages interdimensionnels.
Shota haussa un sourcil. Revint la voix de Jiro :
— Attends, attens, attends ! Tu vas pas me sortir le discours : « je viens d'une autre dimension » ? (moment de silence) Non, arrête de me regarder comme ça, tu me fais peur !
— Si tu ne veux pas comprendre, je me tais.
De nouveau le silence. Shota pouvait presque imaginer Akira croiser les bras en boudant, sa camarade pesant le pour et le contre ; il sentit l'ombre d'un sourire.
— D'accord, mais tu promets de bien m'expliquer en détail si je ne comprends pas, Ok ?
— Je comptais le faire dans tous les cas (il y eut des froissements ; il devait sûrement sortir un bloc-notes ; des griffonnements) Tu vois cette sphère ? Imagine-là en quatre dimensions et tu as cet univers.
— Tu m'as déjà perdu.
Moi aussi, pensa Shota.
— Bon, imagine que c'est une bulle de savon. Tu es dans un bain, et toutes les bulles sont des univers, avec étoiles, planètes, galaxies et tout le reste. C'est bon ?
Un silence. Sûrement un hochement de tête.
— Bien. Normalement, on ne peut pas sortir de ce monde, un peu comme dans le ruban de Moebius (nouveau griffonnement) Mais parfois, on peut réussir à transcender les dimensions pour s'extirper du monde dans lequel on vit. Là, on atterrit dans un univers « passerelle », le bulk.
— Donc t'as passé le bulk pour venir ici ! Mais d'où, alors ?
— D'un monde où les super-pouvoirs n'existent pas, ou pas encore… Je ne sais pas si ce monde-ci est une version plausible de mon monde d'origine.
— Et comment tu as atterrit dans notre monde ?
— « Notre » ?
— C'est aussi le tien, tu sais.
Shota faillit lâcher un râle d'agonie. Qu'ils coupent leurs amourettes, il voulait des explications !
— Je suis d'accord sur le plan cosmologique. Métaphysique ? Un peu moins…
Décidément, y en avait pas un pour rattraper l'autre… En attendant, aucune information sur Akira quand il était encore dans « l'autre monde ».
— Comment, sinon ? sembla s'agacer Jiro.
— Excuse-moi. Je suis arrivé ici après une bataille, durant une guerre contre un empire galactique.
Le ton douloureux qu'il avait pris ne faisait aucun doute, et ça concordait avec ses traumatismes ; Akira avait été un enfant soldat. Shota grinça des dents à l'idée qu'il y ait des gens capables de telles atrocités… Mais au moins, tout concordait ; les capacités inouïes du jeune homme, son passé brumeux, ses crises.
— Pourquoi vous vous battiez ? La terre contre une galaxie, l'issue est assez facile à deviner.
— À cause de la magie.
Alors là, Aizawa faillit s'étouffer avec sa langue. « Ce n'est pas possible, il délire » ; c'est ce qu'il aurait aimé pensé, mais il avait appris à connaître le jeune homme au point de déceler ou non un mensonge, ou même un syndrome de folie des grandeurs.
— Désolé, je… (Jiro hésita) Tu comprends que c'est difficile à croire !
— Pas plus difficile à croire que l'existence des Alters. Scientifiquement parlant, on peut arriver à expliquer le cas de Tsuyu… Mais Todoroki ? Ou Tokoyami ? On est trop loin du concept d'évolution pour parler d'une conséquence « naturelle ».
La magie… Est-ce que… ? Aizawa lança un regard par la fenêtre ; toutes ces petites particules seraient donc de la magie ? Ça n'expliquait pas comment il pouvait les voir, et surtout comment se débarrasser de cette maudite vision.
Akira n'arrivait pas à le croire. Elle m'a crû ! Dis comme ça, ça sonnait un peu : « elle a gobé mes bobards ! », et cette pensée lui arracha un rire. Tandis qu'il regardait le plafond de sa chambre, il imaginait déjà les mille et unes questions que Kyoka lui poserait demain. Tout comme Maty l'avait fait avec Yannis au début de toute cette histoire.
Il attrapa son téléphone. 20h, mais aucun message… Elle est toujours en train de digérer le truc, pensa-t-il avec compassion. Il plaqua l'appareil contre son cœur, avec la conviction idiote qu'il transmettait ses pensées à sa nouvelle confidente. Et pas seulement…
Devait-il lui avouer qu'il se sentait pousser des ailes à chaque fois qu'elle lui demandait quelque chose ? Il était bien trop tôt pour ça… Pourtant, dans le bus, elle avait posé sa tête sur son épaule ! Le simple souvenir de ce contact le fit frémir. Est-ce que je suis un pervers ? paniqua-t-il en pensant aux différentes tares présentes dans la Ferroul Squad.
Non. Je lui dirais quand je me sentirais mieux. Quand les murmures auront disparu, et quand tous me considéreront comme Akira Arata le héros et non comme le fou furieux. Avec ces espérances en tête, il laissa le sommeil l'emporter dans un sourire.
— Arrête, on va nous entendre ! minauda Ochaco en se retenant de rire.
— Va falloir trouver mieux que ça, et Bakugo l'embrassa dans le cou.
« Il » avait escaladé le mur pour rentrer dans sa chambre ; quelle n'avait été sa surprise en voyant le blond toquer gentiment à sa fenêtre, tel un rouge-gorge curieux. Et Ochaco n'avait pas regretté de l'avoir laissé déployer ses ailes. Soudain, il descendit plus bas…
— Attends ! siffla-t-elle ne retenant un gémissement de plaisir.
— Quoi ? grommela-t-il, cessant son geste. Tu ne veux pas continuer ?
— J'adorerais, mais…
— « Mais on est trop jeunes » ou une connerie dans le genre, j'imagine ?
Le mur se redressa entre lui et elle ; il s'écarta, tournant la tête vers le fond de la pièce. Seules les cigales meublèrent le silence.
— Bakugo, je…
— Ne t'excuse pas, c'est pas bon de se précipiter… Tch ! (il frotta sa nuque, puis se tourna vers elle, un sourire aux lèvres) Je suis une tête brûlée, tu te souviens ?
Même en ayant une autre apparence, il n'avait pas changé. Soulagée, elle acquiesça, avant de se jeter dans ses bras pour un câlin. Ça, au moins, c'était tout sauf précipité.
— J'arrivais pas à dormir.
— C'est parce que t'as pas désactivé la lumière bleue !
Avec un sourire, Mina suivit le conseil de Denki, et sentit l'écran se teinter d'une douce lueur digne d'un coucher de soleil. Le plus étonnant, c'est que le visage de son ami, seulement éclairé par son écran, était devenu beaucoup moins effrayant, mais plus… féminin, déjà…
— Tu me regardes bizarrement. Tu voulais me dire quelque chose ?
— Juste te parler. Par rapport à l'épreuve contre le proviseur, heu…
— Ah, ça ? Ouais, c'était du tonnerre !
— Ha ha… Beau trait d'esprit ! (Denki sourit, et elle eut un frisson) Non, je voulais m'excuser.
— Par rapport à quoi ?
— Pour avoir pensé que tu n'étais qu'un bouffon de service. Désolé…
L'autre haussa des épaules.
— C'était une façade que j'avais travaillé de fond en comble, alors ne te sens pas coupable d'être tombée dans le panneau.
— Je sais, mais n'empêche… Je préfère m'excuser.
— T'es pas obligée.
— Oh, Denki, tu peux juste dire « Merci » ou « C'est pas trop tôt » ! râla-t-elle.
— Merci.
C'était pourtant un simple mot. Juste à travers un téléphone, avec une voix un peu déformée par le manque de réseau. Pourtant, le sourire franc associé, les pommettes qui se soulevaient pour agiter les mèches noires rebelles…
— Et merci de m'avoir fait confiance pour le plan. Je n'y serais pas arrivé sans toi.
— La prochaine fois, je serais disponible plus tôt ! répliqua-t-elle sans réfléchir.
Dans la seconde qui suivit, son cerveau lui signala qu'elle avait mentionné une « prochaine fois » avec un ton trop enjoué, heureux pour n'être qu'une simple formalité. Elle fourra la tête dans son coussin pour étouffer le rouge de ses joues.
— Mina ? Oi, Mina ! Je vois des reflets roses, et… Eh, c'est tes cheveux !
— Oui, j'accepte votre proposition de stage. J'en parlerais à mes professeurs demain matin. Merci beaucoup de votre sollicitude, M. Yokoshima.
Izuku raccrocha, et regarda l'heure qu'il était ; 22h. Il fallait dormir… Il s'allongea dans son lit, observant le mur qui le longeait. Là, une petite photo de lui en All Might avec sa mère qui le portait pour le faire s'envoler. Maintenant, son corps avait changé, mais pas son esprit.
Cet horizon n'était plus un rêve désormais. Il allait devenir réalité.
