Le froid lui tint compagnie le long du trajet. Pour chaque souffle de vapeur qui s'échappait de sa bouche, Akira posait un pied devant l'autre, rythmé par les battements de son cœur. Courir le long du fleuve lui faisait le plus grand bien.

C'était d'ailleurs son premier jogging, et la sensation d'être libre comme l'air, d'accélérer à ses envies… Tout cela devenait précieux, et il savourait chaque instant. Un corbeau croassa avant de fixer le jeune homme, qui lui rendait la pareille. Ces animaux, dans son monde d'origine, étaient tous à la solde de Créabat. Ici, c'était juste des aviaires avares avilis par la ville.

La brume du matin se mua en vapeurs d'or.

Il s'arrêta un instant. Le soleil se levait, comme toujours ; l'aube l'accueillit d'un rayon chaleureux et enchanteur, chassant les sombres pensées qui obscurcissaient son chemin. Avant, il n'appréciait pas la lumière naturelle, car elle signifiait, que les magiciens pouvaient se recharger en magie, et donc en sorts.

Maintenant ? C'était un spectacle saisissant, souligné par un froid de canard. Il se remit à courir, avec l'idée absurde qu'il marchait sur des sillons d'airain. La lumière, bien que vaisseau de la magie, ne pouvait pas être modifiée par cette dernière. Elle l'était, avec le vide, la seule chose incorruptible.

L'objectif par venir en vue, alors qu'il commençait déjà s'essoufler. Il regarda sa montre ; 50 kilomètres, tout cela en deux heures. Il leva les yeux, et un sourire aux joues rosies apparut sur ses lèvres : la voiture de Momo était déjà là. Elle lui avait bien proposé de faire le voyage ensemble, mais il avait préféré tester son endurance sans Alter.

L'agence de Majestic était un petit immeuble avec un rez-de-chaussée qui laissait voir, par une baie-vitrée, un bureau. En s'approchant, Akira put lire l'insigne juchée au dessus de la porte d'entrée : « Les mystères de la magie sont entre vos mains, vos vies entre les nôtres ». Mystérieux et/ou inquiétant… Ça me plaît bien, pensa le jeune homme en sonnant.

La porte s'ouvrit presque immédiatement, laissant apparaître un homme mûr en pyjama, échevelé et tenant une tasse de thé au jasmin à la main ; Majestic, qui lui lança un regard ennuyé avant de siroter son thé.

— Puis-je savoir à qui ai-je à faire de si bon matin ?

— Votre stagiaire, répondit Akira en tendant sa lettre.

Le héros la prit, la lut, et grogna, avant de s'écarter pour le laisser rentrer. Dès que la porte fut refermée, Akira fut assailli par l'odeur âpre des cèpes et âcre des encens. Bien sûr, c'était seulement pour le style, mais ça restait limite… Il se força à ne pas se boucher le nez ni à le froncer, et suivit son maître de stage à travers le couloir.

Au fond, une cuisine simple… Et Momo était là ! Akira lui fit un signe de bienvenue, laquelle répondit d'un sourire. Deux autres élèves étaient présents : un dont le costume ne laissait pas deviner son lycée d'origine, et…

Une élève de Seiai, qui le dévisageait avec un air si haineux qu'Akira fut étonné d'être encore de ce monde. Il s'installa juste à côté de Momo, suivi du regard noir de l'une et curieux de l'autre. La célébrité cause bien des soucis… Ah, vivement la retraite !

— Bonjour à tous. Durant cette semaine, je serais votre maître de stage, Enma Kannagi. Mon agence emploie trois héros et héroïnes, et nous nous occupons de ce secteur avec parcimonie. Me suis-je bien fait comprendre !

— Oui ! répondirent les jeunes à l'unisson.

— Bien… (il but une gorgée de thé) Je ne suis pas très à l'aise avec ce genre de choses, alors on va déjà commencer par un tour de table. Je connais déjà vos Alters, donc vos noms et vos lycées suffiront… Toi (il désigna l'élève de Seiai), tu commences.

— Oui, monsieur ! répondit-elle en se levant, à la manière d'une militaire. Je m'appelle Sara Kamemonai, nom de code Valorheart ! Je suis en première au lycée héroique de Seiai ! Merci de me faire l'honneur de m'accueillir, monsieur !

— C'est bon, tout va bien se passer, pas besoin d'être aussi formelle, commenta le héros avec un sourire en coin ; la fille rougit de honte et se rassit, lançant un brusque regard de reproche à Akira, qui haussa les sourcils. Majestic reprit : À toi.

— Mon nom est Ogata Koetsu, et mon patronyme héroïque est Alacritic. Je viens du lycée Gijinji et suis une formation privée.

— Un cursus privé ? Ça existe ? ne put s'empêcher Akira.

— Tous les héros ne sont pas sortis d'un lycée spécialisé, expliqua Majestic à la place d'Ogata. Certains d'entre eux passent par des formations qui sont le plus souvent des stages et encore des stages… (il se tourna vers Ogata) J'ai fais le même parcours que toi. Si tu as des questions, n'hésite pas.

— Oui !

— Donc, ensuite nous avons… (son regard se porta sur Akira) Ah oui, le fameux prodige…

— Mon nom est Akira Arata, alias Starbinger. Je viens du lycée Yuei.

Le héros acquiesça, puis se tourna vers Momo. Avec elle, tout le monde fut scotché par un mélange de grâce, d'assurance et de force.

— Je suis Creaty, ou Momo Yaoyorozu. Je viens de Yuei, et vous prie de ne pas me favoriser compte tenu de mes origines.

— Le choix du nom du héros précédant le civil, ça peut prêter à confusion…

À vrai dire, Majestic voulait sûrement mettre en garde ses stagiaires quand à la dissociation du héros et de la personne, in fine chose impossible et passablement illogique.

— La vie des autres m'est plus précieuse, mais je reste consciente qu'elles ne valent rien si je ne peux pas sauver la mienne.

Le héros sourit malicieusement, avant de reprendre une gorgée. Il posa sa tasse fumante sur la table, s'étira et intima les adolescents à le suivre.

Il leur présenta les locaux, qui étaient divisés en deux parties : publiques et privées. La partie publique comprenait des bureaux pour accueillir les plaintes ou autres affaires sommaires, ainsi qu'une salle de divination pour les plus superstitieux qui adoraient voir Majestic leur narrer le futur. Ce dernier leur apprit que c'était dans la partie administrative qu'ils passeraient le plus clair de leur temps.

Vint ensuite la partie privée, divisée par les pièces de vie (chambres, cuisines, salles de bain…) et un petit terrain vague à l'arrière de l'immeuble qui servait de base d'entraînement, où des machines rustiques sommeillaient (en attente d'un bon coup de torchon, vu leur état !).

— La première partie de la semaine, vous ferez des simulations de sauvetage que nous aurons organisé, mon équipe et moi. Ensuite, on vous fera passer sur le terrain pour voir comment vous vous débrouillez face à de vrais vilains.

— L'examen initial ne comprenait pas des situations de catastrophes ? s'enquit Sara de Seiai, un bloc notes à la main.

— Vous les jeunes, vous en demandez beaucoup ! et le héros lâcha un nouveau rire, faisant rougir la jeune fille ; contrairement à ce qu'Akira croyait, celle-là ne savait pas cacher ses émotions. Soudain, Majestic murmura : Prions pour que ça n'arrive pas…

Les dieux sont trop faibles pour empêcher cela, ajouta mentalement Akira. Après le rapide tour du terrain, Majestic reçut un appel et emmena les jeunes jusqu'à son poste de rassemblement. Là, ses side-kicks l'attendaient de pied ferme, manifestement moins détendus que leur supérieur, toujours en pyjama. Peut-être est-ce pour ça que Sara rougit autant ? se dit le châtain.

— Les jeunes, on a du pain sur la planche ! (Majestic fit un geste, et des anneaux d'énergie filèrent dans toutes les directions pour attraper son costume et le lui poser dans ses mains ; son chapeau sur la tête, il ricana :) Allons constater de quel bois vous êtes fait !


— Et donc, elle a réagi comment quand elle a appris que t'étais plus le grand frère, mais la grande sœur ? demanda son collègue stagiaire.

— Elle était super contente, pardi !

Denki se trouvait dans l'agence la plus cool de la région ; il y avait beaucoup à faire, mais personne ne se tendait en d'innombrables rituels honorables ronflants, et puis le staff était chill un max. Le plus drôle restait de voir les autres, plus formels dans leur habitudes, devoir se tordre socialement pour s'adapter à l'ambiance sans pour autant tomber dans la procrastination.

Heureusement pour Denki, un aîné en terminale qui faisait son stage ici lui apparaissait comme le type le plus sympathique du milieu. Possédant un Alter de vision électromagnétique, avec la carrure d'un athlète au sommet de son art, il possédait une aura qui rassurait la jeune fille.

Oui, elle se sentait comme ça et c'était fort bien. Elle n'avait pas changé de nom comme tous ses autres camarades de classe, mais le plus important, ça se sentait dans ses veines, dans ses muscles, dans son souffle chaud qui caressait ses lèvres. C'était si bon d'être en vie, elle l'avait presque oublié…

…oublié…

Elle ne pouvait pas oublier pourquoi on l'avait amené ici. On lui avait promis de la faire sortir définitivement de cet endroit morbide, vide et sans réactions. Sans rêves. Dites-vous que si l'on vous proposiez de sortir d'un endroit où la sensation est morte et vous n'aviez pour seule compagnie que vos pensées, qui finissaient bien sûr par vous rendre folle, l'offre devenait très alléchante.

Refuser ? Non merci. Elle avait sauté sur l'occasion, et laissé son alter ego masculin s'épancher sur les délices délirants de l'esprit, tel que la philosophie ou le questionnement interne. Et bien sûr, elle n'allait laisser passer aucune occasion.

Naturellement consciente de ses atours et atouts, elle appliqua avec diligence toutes les méthodes nécessaires à l'assouvissement de sa faim ; l'amour. Ce doux nectar sucré qui l'avait raccroché à sa santé mentale entre de longues périodes de torture par l'Enfant de la Chose. Bref, elle n'avait de cesse de complimenter le beau jeune homme, de lui parler de sa propre vie, tout cela dans un seul et unique but.

Bien entendu, il y avait un hic ; Mina. Elle était allée dans la même agence et s'échinait à se mettre en Denki et sa nouvelle lubie. Pas étonnant que la moutarde lui monte au nez par moment, mais les menaces de son libérateur résonnaient à ses oreilles encore fraîches : « si les autres soupçonnent que tu es une autre personne, je n'hésiterais pas et te bannirais de ce monde ».

La jouer finement pour obtenir les faveurs de l'un et conserver celles de l'autre. Voilà ce qu'une nihilienne savait faire de mieux. Voilà sa véritable nature. Quand l'une la réclamait, elle s'excusait auprès de l'autre. Puis, elle trouvait des urgences pressantes afin de retourner auprès de l'un.

Comment auraient pu lui en tenir rigueur ? Dans le cas impossible où ils s'en rendraient compte, de quel droit l'accuserait-on ? Personne ne pouvait lui enlever cela, elle se battrait sans relâche jusqu'à que son souffle s'éteigne comme tous ceux qui l'avaient précédé.

Elle n'avait qu'une mission pour obtenir cet idylle.


— Ça fait longtemps qu'on s'est pas fait une bouffe ensemble.

— Oui.

Assis dans un petit resto de ramen au coin d'une vieille rue, Yokumiru Mera et Shota Aizawa s'échinaient à choisir leur bol. Le premier commanda un tonkotsu pimenté, le second un shio rehaussé au gingembre. Pendant leur attente, Mera enchaîna :

— Ils sont pas trop chamboulés, tes élèves ?

Shota resta de marbre ; l'employé de la commission faisait référence à leur transformation physique et psychique récente. Haussant les épaules, il se contenta de lâcher :

— Ce sont des apprentis héros ; ils ont vu pire.

— Mmmh… (bien que Mera n'était pas doué de mauvaises intention, son sourire lui faisait froid dans le dos) Je suis quand même étonné qu'Akira Arata ait été épargné.

— Il n'était pas dans la foule lorsque ça s'est passé, mentit Shota. Ce qui veut dire que lae vilain(e) y était, lui ou elle.

Mera acquiesça. Un silence suivit, ponctué par les conversations éparses des autres clients. Vinrent leurs bols de nouilles, qu'il mangèrent sans prononcer un seul mot. Arrivé à la moitié, Mera reprit :

— N'empêche, il a quelque chose de spécial, ce jeune homme.

—…

— Oh, arrête ! Je ne veux pas te pousser au favoritisme (Mera agita ses baguettes en sa direction) Nous savons toi et moi qu'il attire toujours l'attention.

— Nul besoin d'être spécial pour faire cela, répliqua habilement Shota.

True. Mais ton élève l'est, c'est indéniable. On pourrait penser qu'il a du retard vu son âge, mais ses capacités générales sont bien au-dessus de la moyenne. Il a une… (Mera prit un instant de réflexion) aura qui fait peur.

Si tu savais… faillit dire le professeur. Akira lui avait rapidement expliqué les principes de la magie, notamment de l'aura, qu'il pensait liée à l'Alter d'une personne. Et Shota avait vu celle d'Akira ; immense, décalée et terrifiante.

— C'est un gamin au passé douloureux, il s'est forgé une carapace.

— Ah ? (Shota sentit qu'il avait fait une erreur en entendant le ton de Mera changer ; le gingembre, sans doute) Et que lui est-il arrivé ?

— La rue, mentit en partie Shota. Il a été abandonné à ses parents à un orphelinat, mais il était sans Alter.

— Sans Alter ? (Mera écarquilla les yeux) Ce n'est pas possible…

— Si. Le sien s'est déclaré quatre mois avant la rentrée de Yuei. Avant, il était maltraité par les autres enfants, et s'était enfui vers ses cinq ans. Bien sûr, un enfant seul est facilement manipulable, aussi les vilains ont tenté de profiter de sa condition pour l'utiliser. Mais ils ne savaient pas à qui ils avaient à faire ; Akira les enflait à chaque fois, survivant à chaque bataille pour le rendre plus fort, mais moins ouvert. La suite, c'est depuis que je l'ai rencontré, il n'y a pas un jour où je m'inquiète pour son état mental.

— D'où sa violence pendant l'examen… (il jeta un regard noir à Mera, qui agita ses mains en signe d'innocence) Je ne parle pas de l'incident Seiai, mais de ses performances pendant le jeu des balles ! Il ne blessait personne, mais sa façon de faire ressemble à un bulldozer muni d'une scie atomique.

— Belle image, je te la prends, sourit le héros en avalant sa tranche de narutomaki.

— Tu sais pourquoi la Ligue s'en prend à lui ?

Bien joué, Mera. Vraiment, c'était bien joué ; créer du lien social et se rapprocher au travers d'un sujet commun pour ensuite poser une question sur le passé d'Akira, et enfin passer à l'attaque tel un journaliste. La commission ne l'avait pas recruté pour rien, parce que Shota répondit :

— La Réponse lui en veut personnellement. Pas la Ligue.

— Merde… Pardon pour l'injure, mais… La Réponse ? Moi je pensais juste qu'elle visait les numéros un comme All Might, mais ça… (Mera se passa une main sur le visage, avant de rire faiblement) Heureusement qu'elle n'est plus là !

— Oui, répondit Shota en regardant son bol de nouilles. Heureusement.

Il avait un mauvais pressentiment.