Elle n'allait pas bien, mais vraiment pas bien du tout !

Momo retira d'un coup sec le couteau qui s'était planté dans sa chair ; heureusement, juste avant qu'on le lui plante, elle avait créé une feuille de titane pour protéger l'intérieur de ses muscles. En apprenant à créer sous sa peau, l'apprentie-héroïne avait réussi à contrôler le processus de fabrication avec plus de précision, jusqu'à épouser la forme de ses muscles. En un instant, elle pouvait se créer un squelette interne.

Mais le désavantage, c'est que ça la ralentissait, vu que ses articulations étaient gênées par les plaques. Et le temps de les dissoudre dans son organisme, Momo n'en aurait pas assez pour créer plus, ou même échapper aux prochains yakuza. Ceux-ci n'avaient pas fait de quartiers chez les héros ; si ces derniers avaient pour mission de les neutraliser sans séquelles graves ou mortelles, les bandits modernes n'avaient aucune restriction. C'est presque injuste, pensa-t-elle avec ironie.

Rampant parmi les corps inconscients, sa tenue avait au moins l'avantage de la camoufler…

— Tu vas quelque part, ma jolie ?

Elle tourna la tête ; c'était l'un des Huit Préceptes, Yu Hojo ! Son masque médical et sa tête rectangulaire lui donnait presque un air de crâne inexpressif. Momo grinça des dents.

— T'es Creaty, à en juger ton costume… Si t'avais pas bougé, j't'aurais même pas vu, ha ! (il sortit de sa poche un revolver) Je tue jamais d'enfant, mais de mon point de vue, t'en es pas une…

Je n'ai que quinze ans, espèce de monstre ! faillit hurler l'apprentie-héroïne, mais fit marcher ses méninges ; elle devait gagner du temps…

— Tu es sûr que je suis la seule à être encore en vie ? D'autres pourraient débarquer en entendant ton coup de feu…

Attends… Comment il me connaît ?

— T'as pas peur de la mort, hein ?

Bien sûr que si !

—…mais t'as raison, ouais (il rangea son arme, et l'attrapa par les cheveux) On est sensé s'occuper des gros poissons. Tu comprends ce que ça veut dire ?

Pas immédiatement, vu que la douleur l'empêchait de penser correctement. Oh non ! Tout ça n'était qu'une diversion, pour que Chisaki s'échappe avec la petite. Cela voulait dire qu'ils étaient au courant ! Mais comment ? Le vilain rit soudain.

— Ah, je vois que t'as saisi ! Dommage pour vous, on est assez entraîné pour retenir des héros tels que vous.

Non, c'était absurde ; ils n'avaient pas fait que les retenir. Aucun yakuza que la jeune fille et les héros avaient affronté ne semblaient étonnés ou désemparés. Chacun d'entre eux avaient été séparés à cause de l'Alter d'un des Préceptes, puis Momo avait affronté des personnes ayant déjà compris ses points faibles et limites !

Un informateur. C'est grâce à un informateur, sûrement doublé d'un analyste qu'ils ont pu lancer une contre-offensive aussi efficace. Un informateur au courant de nos déplacements, ayant accès à nos dossiers ou proche de nous… Une taupe ? Cette perspective lui fit froid dans le dos.

— Bon, désolé de te décevoir, mais aucun héros va t'sauver, ma petite. Donc soit tu me supplies en dogeza de t'épargner, soit… (il plaqua son pistolet sur la tempe de Momo) je repeins le sol.

Je suis foutu, se dit-elle en toute honnêteté. Je n'ai aucune échappatoire, trop blessée pour utiliser mon Alter sans aggraver mon état, ou même me battre… Je suis fou…

Un visage s'imposa à son esprit. Un symbole d'espoir.

—…posez cette arme, marmonna-t-elle.

— Hein ? J'ai pas bien entendu… (le Précepte ricana) Tu disais ?

— Posez immédiatement cette arme ! hurla-t-elle en créant une barre de métal de sa tempe.

L'objet arracha l'arme des mains du yakuza, qui recula en titubant. Momo faucha ses jambes d'un balayage circulaire, grimaçant de douleur sous l'effort. À peine le Précepte à terre qu'elle était déjà en train de courir vers la sortie la plus proche… Mais celle-ci se résorba, avalée par les murs. Piégée, elle se retourna vivement vers Hojo, relevé entre temps.

— Sale petite chieuse ! grommela-t-il en fonçant vers elle.

Des cristaux purs apparurent sur tout son corps tandis qu'il lançait un crochet droit vers elle, qu'elle esquiva en se baissant. Dans le même mouvement, elle attrapa les genoux de son adversaire pour le déséquilibrer, mais ce fut une mauvaise décision ; son équilibre étant supérieure à la force de la jeune fille, il ne bascula pas et la frappa au dos à la place. Elle tomba brutalement au sol.

Il lança un coup de poing pour la finir, mais elle roula au dernier moment, des éclats de pierre effilés découpant légèrement son costume et son visage. D'une roulade, Momo se releva en haletant.

— Arrête de filer, gamine ! T'as aucune chance de t'échapper…

Elle observa les murs déformés ; en effet, aucune échappatoire n'était visible… Mais si c'est un Alter qui est à l'origine de ce phénomène, il se peut qu'il soit réversible ! Il lui suffisait juste de trouver le… elle n'eut pas le temps de continuer sa réflexion, esquivant un nouveau coup de la par du Précepte.

— Tu es agile, mais pas pour longtemps, ricana-t-il en la bombardant de mandales.

Elle évita, sautilla, esquiva encore et encore… Mais elle finit par buter contre un mur. Là, elle se prit gifle acérée de plein fouet, les cristaux entaillant sa chair avec violence. Elle croisa ses bras pour protéger son visage des coups, quand un autre l'atteignit au ventre. Elle tomba à genoux, dégobillant ; son costume l'avait protégé de l'aspect tranchant de l'Alter d'Hojo, mais pas de sa force naturelle et de la masse complète de son poing cristallisé.

Un autre arrivait. Momo n'aurait même pas l'occasion de relever la tête pour mourir dignement… Face contre terre, comme avec père…

— Rien de personnel, gloussa le vilain en préparant son poing. Sayonara… Eurgh !

Un bruit mat, suivi d'un fracassement d'un corps contre un mur. Puis un bruit mi-mou, mi-craquelé.

Et un hurlement strident.

Surprise, Momo en trouva la force de se relever, pour constater avec effroi une scène ignoble. Là, le Précepte avait le bras arraché, du sang giclait de la plaie ouverte en abondance, en repeignant le sol d'un rouge très semblable au tapis dans l'entrée de la maison de la jeune fille. Le bras du yakuza se trouvait à l'autre bout de la pièce, encastré dans le mur et à moitié broyé.

Elle faillit vomir et paniquer, surtout en voyant le yakuza s'effondrer au sol en pleurant et en appelant sa mère. Sa mère. Un dur à cuir comme lui, habitué à tuer des gens et à toutes sortes de choses illégales, sanglotait comme un bébé. Et c'est là qu'elle vit l'ombre derrière lui ; un type en tenue militaire noire et vert sombre, à la tête recouverte d'un masque intégral au sourire sordide. Deux vitres rouges sombres reflétaient le corps au sol devant lui. Puis se levèrent vers Momo, qui recula. Une voix modifiée sortit de l'inconnu :

Tout va bien ?

Elle ne suit quoi répondre. Quoi dire ! Une personne débarquait en démembrant une autre, avec une froideur macabre, et là demandait si le témoin allait bien ? Il fallait être fou à lier, ou extrêmement entraîné psychologiquement pour atteindre un tel niveau de détachement.

Soudain, le yakuza se releva d'un bond et balança son bras cristallisé sur le type masqué. Au bord de la mort, Momo elle-même reconnut que Hojo était rapide, et son coup allait faire mouche avec puissance… Mais non. Un battement de cil. Le bras de l'inconnu devint flou, et Hojo fut décapité. Quand Momo put enfin distinguer le bras de l'acte, aucune trace de sang n'était visible.

La personne au sexe inconnu s'approcha, mais à sa démarche, Momo supposait qu'il s'agissait d'un homme (ou bien une femme entraînée à tromper son monde). La brune à la queue de cheval ne bougea pas d'un pouce, avant de se rendre compte de ce qu'elle venait de voir. D'un coup d'œil et d'un plongeon, elle repéra et se jeta sur le pistolet du Précepte et pointa l'arme sur l'assassin.

— Ne bougez plus jusqu'à l'arrivée des héros, ou je tire ! bredouilla-t-elle.

—…

— Mettez vos mains sur votre tête !

Vraiment ? Tu es visiblement trop paniquée pour comprendre que tu n'as pas l'autorité de me tirer dessus…

Il disait vrai, malheureusement ; même avec l'équivalent d'un permis provisoire, tenir une arme et s'en servir contre quiconque n'avait rien à voir. Et vu la vitesse de cette personne, une balle n'aurait servi à rien. Lentement, presque avec gentillesse, la personne mit la main sur celles de Momo pour baisser l'arme. C'est là qu'elle put vraiment croiser son regard, bien que la couleur lui restait inconnue ; de grands yeux fatigués, entourées de cernes tirées. San prévenir, il se brouilla et disparut dans un coup de vent.

La pression retombant, elle s'adossa contre le mur, pantelante. Elle avait échappé de peu à la mort… mais ce qui m'a sauvé est bien pire. Mais une question demeurait : qui donc était ce meurtrier.


Izuku soupira ; il n'aurait pas dû faire ça.

Pas de tuer Yu Hojo, non ; ça, c'était autorisé. Tuer les Préceptes faisaient partie de ses directives « bonus », selon M. Yokoshima. Pour reprendre ses mots : « Tu dois te dire que tu peux les accomplir dans la limite de tes capacités et celles des Préceptes. Et si la vie d'un civil est en danger ». Comme Yaoyorozu-san n'était pas, à proprement parler, une héroïne, elle restait une civile et Izuku n'allait pas rester sans rien faire.

Il était un héros nouveau, mais un héros tout de même.

N'empêche, il restait son objectif principal. Et grâce au produit que lui avait confié M. Yokoshima, tuer ne provoquait plus en lui ces crises de panique qui le déconcentraient dans sa mission ; il lui suffisait d'une petite pilule bleue pour effacer le stress immédiat. D'un geste rapide et précis, il en sortit une autre de sa sacoche ventrale et l'avala, tandis qu'il naviguait dans les couloirs à l'aide d'un plan holographique.

Là, sur le plan, un point rouge ; sa cible se déplaçait. Je dois en finir vite, ou mes amis seront blessés. Cette pensée en tête l'intima à accélérer. Il n'avait jamais été aussi rapide, vif comme l'éclair, aucun mouvement inutile ; les entraînements de M. Yokoshima portaient enfin leurs fruits.

Mais il n'y avait pas que le physique qui compterait ; le prochain adversaire d'Izuku était redoutable et possédait un Alter problématique. L'important, c'était la tactique. Un Alter de décomposition et de recomposition, assez vif pour agir en même temps que la pensée… Overhaul était puissant, mais pas invincible ; sa vitesse de réaction ne dépassait pas celle d'un athlète entraîné. Celle d'Izuku lui permettait de voir le monde presque en ralenti. L'important, ici, ce serait de créer une brèche vers le ciel, et l'emporter dans l'air. Tant qu'il ne touche rien de solide, son Alter est inutile. Neutraliser un vilain par le biais de son Alter le rendait le plus souvent inapte…

Pour le contenir une fois qu'il l'aurait battu, Izuku avait prévu des menottes spéciales qui plongeraient les mains du chef des yakuza dans un liquide réfrigérant ; Overhaul (l'Alter) ne pouvait prendre effet si les doigts du sujet ne bougeaient pas.

Seulement, Overhaul n'était pas sa cible principale… La petite Eri est forcément traumatisée, et tout ce grabuge doit la terrifier. Son « père » essaye sûrement de sauver sa marchandise, mais moi je vais sauver une petite fille ! Sa détermination, mêlée à son sentiment de révolte lui donna assez de force pour briser le mur à l'exact endroit où son radar détectait Overhaul.

Deux Préceptes, leur chef et la petite tétanisée ; sûrement à cause de l'apparence d'Izuku. Il n'aimait pas trop ce costume, mais M. Yokoshima lui avait assuré que l'anonymat complet était de mise pour cette mission, sinon il serait mis hors circuit du système héroïque. Et puis, se dit Izuku avec ironie, il ne faut pas se fier aux apparences.

Kai Chisaki, annonça-t-il devant le concerné médusé. Vous êtes en état d'arrestation pour trafic de Trigger, meurtre et séquestration sur mineur. Rendez-vous sans discuter, ou je serais dans l'obligation d'utiliser la force.

— Qu'est-ce que c'est que ce bordel ? gronda-t-il en mettant Eri derrière lui ; cette façon qu'il avait de surprotéger la petite comme si c'était la sienne…

Izuku s'avança lentement, son costume grésillant d'énergie. En ce moment même, il pouvait atteindre les 50 % naturellement, les 60 % étant sa limite actuelle. Overhaul n'aurait pas le temps de répliquer s'il l'attaquait maintenant, mais l'adolescent préférait lui laisser une chance (et surtout, un héros n'attaque jamais le premier).

— Qui es-tu ? demanda l'un des deux Préceptes, Shin Nemoto.

Derrière son masque de médecin la peste, on devinait son sourire en coin ; son Alter, Confession, permettait d'arracher de force une réponse après une question posée. Mais Izuku l'avait déjà prévu.

Je suis celui qui va vous arrêter.

— Merde ! (le type se reprit) Quel est ton nom…

Il n'eut pas le temps de terminer sa question que le pied d'Izuku était déjà sur sa face, le projetant brutalement contre le mur. Cette attaque, il l'avait travaillé tellement de fois que le lycéen pouvait l'exécuter aussi facilement qu'une respiration. Et quand l'habitude vient, la vitesse suit ; même Overhaul n'avait rien vu venir.

Le yakuza tenta de le toucher, mais le vert était déjà sur l'autre Précepte. Il l'envoya au tapis tout comme son compère avec la même violence ; l'alter de cet homme aurait été problématique. Une fois qu'Izuku fut sûr d'être seul avec Overhaul, il se tourna vers lui, une flamme de haine dans son regard, qui brûla d'ardeur par son injonction :

Libère-la.

— HA ! (le yakuza grinça des dents) Tu penses qu'elle va suivre un type violent comme toi ? Je suis la seule famille qu'il lui reste.

Je ne me répéterais pas.

Izuku s'avança lentement. Il n'était pas pressé d'en finir, au contraire ; il avait la certitude que, plus Overhaul verrait qu'il n'était en rien supérieur à lui, plus il serait puni pour ses exactions. Il devait comprendre que, sans son Alter, il était inutile. Soudain, le yakuza fit quelque chose d'étonnant : il sortit un flingue.

— N'approche pas !

Et il tira. La balle était lente, si lente que l'apprenti héros avait le temps de la regarder déformer l'air, une vague invisible à l'œil humain. Humain. Ce mot qui perdait tout son sens dans ce monde engourdi, où il se sentait invincible.

Il fit un léger écart pour éviter la balle, et dans son mouvement arracha l'arme des mains d'Overhaul ; c'était un pistolet à seringues.

L'anti-Alter, hein ? (son poing se serra jusqu'à tordre l'arme) Encore faut-il me toucher…

Le geste du yakuza fut vif, presque brouillé. Izuku évita les doigts tendus vers lui, l'air de rien. Une rafale de mains l'assailli, mais toutes trop lentes pour parvenir à le toucher. Overhaul changea de tactique et se tourna vers le sol. C'était le moment qu'Izuku attendait ; il donna un grand coup de pied ascendant vers le plafond, si puissant qu'il en perça le béton et souffla le vilain par l'ouverture.

Le vert se lança à sa hauteur, se retrouvant dans le ciel tel un aigle vindicateur. Comme prévu, l'autre était déboussolé, incapable de comprendre comment il avait fait pour se retrouver ici la seconde d'après. L'apprenti-héros en profita pour sortir les menottes, et envoya un Air-Smash pour foncer vers Overhaul, et enchaîner ses mains dans les menottes spéciales.

Ils retombaient. Mais, incapable d'utiliser son Alter, il n'était plus que Kai Chisaki. Un homme qui n'avait pas prit conscience, que, sans son pouvoir, il n'était rien. Un simple imbécile vaincu par son propre idéal.

Un simple imbécile qui hurla de terreur, en tombant des nues au sens figuré comme au sens propre.

Izuku le rattrapa néanmoins, et utilisa le jetpack intégré à sa combinaison pour ralentir sa chute, et atterrir à l'endroit précis où il avait creusé un trou au plafond. La petite Eri était toujours là, prostrée en regardant ce séraphin obsidienne aux veines d'émeraude, son « père » dans les bras. Elle tremblait, pleurait et mettait ses mains sur sa tête. Ses bras menus couverts de bandages, tout comme ses pieds.

Ce n'était pas ça, le travail d'un héros. Izuku s'en rendit compte, et prit un risque ; il enleva son masque, laissant apparaître son grand sourire tandis qu'il tendait sa main vers elle.

— Tout va bien se passer : je suis là.