L'exercice du jour était similaire à l'intitulé « Vilain contre Héros ». Cette fois, il n'y avait pas de bombe mais un enlèvement, et l'exercice se déroulait dans toute une ville. Et, pour cet exercice, Akira devait faire équipe avec la personne qu'il appréciait le moins… Non, qu'il voulait assassiner. Littéralement.
Un programme festif, en somme, pensa Akira tandis que Minoru Mineta concevait le plan pour vaincre les héros que représentaient leurs camarades, soit Tokoyami et Iida. Chacun d'entre eux avait eu un rôle attribué : le cerveau et les muscles. Et bien sûr, en terme de puissance de feu, les muscles étaient forcément tombés sur Akira.
Actuellement, ils se trouvaient sur le terrain Bêta, la simulation d'une ville. Enfin, sous, pour être plus précis ; dans un métro aménagé, au côté d'un mannequin sensé représenter l'otage.
— Je pense que nous devrions accrocher l'otage sur les rails le temps que le train passe, et nous enfuir.
— L'exercice est de garder l'otage, répondit Akira, scolaire.
— Hmpf ! Si tu te cantonnes à l'exercice, tu gâche 99 % de ton potentiel. De toute manière, si nous faisons s'effondrer les entrées du métro, ça devrait les ralentir assez pour qu'on puisse s'en sortir…
— Qu'est-ce que tu ne comprends pas dans « l'exercice est de garder l'otage » ? répéta le châtain, mais le violet lui fit la moue :
— Tu sais, si tu arrêtais de percevoir le monde à travers une loupe teintée, tu aurais bien plus de recul.
— Qu'est-ce que tu tentes de faire ? Me convertir au côté obscur ? ricana Akira en s'étirant.
— Au côté rationnel, plutôt… (Mineta soupira) Tu sais, je pense que tu as beaucoup perdu de ta superbe.
— On se concentre, l'ignora-t-il, sentant la moutarde lui monter au nez.
— Avant, tu étais, comment dire… plus « dynamique » intellectuellement parlant. Tu n'hésitais pas, tu étais opportuniste. Tu avais cette étincelle…
—…qui te manquait ?
Il acquiesça, et Akira se renfrogna ; oui, il avait été odieux, mesquin, trop rationnel pour être humain. Mais c'était fini : il pouvait vivre en fonction avec ses émotions, sans qu'elles lui soient étrangères.
Mineta resta silencieux pendant un long moment, et Akira les lunettes infrarouges venant du secteur invention ; pratique dans des endroits exigus, où l'énergie thermique se transmettait mieux que dans l'air. L'abondance de métal aidait beaucoup.
Akira repéra une forme, qu'il ne put identifier. Il observa son « bas », et ne remarqua pas de température accrue ; il s'agissait donc de Tokoyami.
— C'est Tsukuyomi, constata Akira en utilisant les pseudonymes, comme s'ils étaient de vrais vilains. Il est possible qu'ils aient trouvé des informateurs.
Dans tout le terrain, des postes étaient disposés pour laisser échapper, d'une voix monochrome, des informations plus ou moins vagues ; une simulation de témoins. Plus on s'approchait du lieu du crime, plus précises étaient ces infos.
— Qu'est-ce que tu proposes ? s'enquit-il en rangeant ses lunettes dans son étui.
En tant que « muscles », Akira n'avait pas le droit de faire des plans par lui-même ; il devait juste obéir. Avec Mineta , c'était une perspective dangereuse…
— Iida est le plus rapide, donc il aurait dû nous trouver en premier. Je pense qu'il doit nous attendre quelque part.
Formidable. Le fait que Mineta était capable de tout prévoir était bien entendu très utile, mais pour Akira qui possédait les gènes de Yannis, et ainsi sa mémoire génétique, il avait une peur viscérale, qui ne lui appartenait pas mais tordait ses boyaux dès l'infime scintillement doré dans les yeux de son défunt camarade.
Car une fois que la Vérité vous avait touché, on pouvait vous considérer comme complètement changé. Donc mort.
— Mes condoléances, se surprit-il à dire.
— Garde-les pour eux.
Mineta, si mauvais ou inapte aurait-il pu être, ne méritait pas de laisser sa place à cette chose.
Fumikage n'était pas idiot ; il avait appris à se méfier de Mineta et de ses plans surréalistes. Aussi Akira le vit s'engager dans l'escalier avec prudence. Malheureusement, quand on affronte quelqu'un d'intelligent, ce dernier a déjà prévu que vous aviez prévu ce qu'il avait prévu.
Il ne se passa rien, Tsukuyomi ne tomba dans aucun piège. En fait, le piège s'était refermé sur lui à l'instant même où l'exercice avait commencé. Mineta avait déjà prévu toutes les possibilités, et il s'amusait maintenant à observer Tsukuyomi s'en rendre compte.
Selon le plan, Akira l'attendait de pied ferme… Mais Mineta aussi. Leur adversaire était étonné, dans sa parure sombre qui cachait ses formes féminines. Même son visage aviaire avait changé, en un sens ; plus effilé, plus raffiné… plus effrayant.
— Je vous tiens, vilains ! s'écria-t-il en sortant Dark Shadow. C'est une grossière erreur de m'amener dans un terrain où je possède l'avantage, sans aucune lumière.
— Oh, mais c'est exactement ce que je souhaite ! éclata de rire Mineta en appuyant sur le bouton d'un activateur.
L'entrée principale explosa, les débris encombrant le passage. Les lumières électriques vacillantes éclatèrent toutes, et les diodes, les panneaux de secours, les néons… Tout fut détruit en un orchestre assourdissant qui ne dura que deux battements de cœur, et le monde fut plongé dans les ténèbres.
Obscurité qui résonnait d'un rire assourdissant, débordant de folie furieuse.
Akira pesta, tandis que Tokoyami hurlait de douleur ; même malgré l'entraînement au camp d'été, il y avait toujours de la lumière. Là ? C'était si noir qu'il fallait user de lunettes à rayons X pour se diriger, où l'on voyait un monde noir peuplé de tiges, de plaques et de boîtes blanches blanches. Marcher alors que vos pieds touchaient le vide dérouta Akira, qui bouscula Mineta sans faire exprès.
— Regarde où tu marches !
Il ne répondit pas. La douleur d'avoir trahi un de ses camarades ,en suivant le monstrueusement génial plan de son ennemi, ça l'empêchait de se concentrer. Les cris de Tokoyami résonnaient dans le couloir aux rails, jusqu'à qu'ils furent assez loin pour les confondre avec les grincement du vieux métal. Les deux vilains temporaires arrivèrent à un autre arrêt fictif, et sortirent du métro. Mineta était essoufflé, ce qui rassurait Akira ; au moins, il avait tout dans la tête et rien dans les jambes.
— Attends, haleta le violet en comptant sur ses doigts. Quatre… trois… deux… un…
— L'exercice est terminé, jaillit la voix d'All Might d'un haut-parleur. L'équipe de vilains est victorieuse ; retournez à l'entrée du terrain.
Ce fut avec la mine dépitée d'un perdant qu'Akira revint, la queue entre les jambes. Il n'osa pas regarder Iida et Tokoyami, mais ils sentaient leur frustration. La classe les accueillit, quoi qu'un peu confuse. Shouko demanda, pétrifiée :
— Que vient-il de se passer ?
— Mineta ? demanda Aizawa, impassible.
— Un vilain cherche à fuir, expliqua ce dernier d'un ton didactique. Mais quand il est question de se faire la malle, le plus difficile est de créer un mouvement de panique suffisant pour que les héros soient débordés. Alors je me suis dis : « Au lieu de piéger les héros, pourquoi ne pas faire en sorte qu'ils se piègent eux-mêmes ? ». Dark Shadow était une de mes options : il devient incontrôlable lorsqu'on le plonge dans l'ombre total (Mineta croisa ses bras, fier de lui) En créant l'effet de surprise avec la bombe et la destruction des lumières, le stress de notre camarade a naturellement augmenté. Ça a brisé sa concentration, et il a perdu le contrôle. Il a tué l'otage, et cela aurait été pire s'il y avait eu plus de mondes. Moi ? J'ai pu m'enfuir tranquillement car j'avais l'équipement, la connaissance des lieux, le timing et l'absence de stress.
— C'est… (Akira vit Kyoka serrer son poing, le visage tiré par la colère ; elle se tourna vers le professeur) Inadmissible ! Vous allez vraiment laisser passer ça ?
Tout le monde (sauf Mineta, qui la regardait d'un air vaseux) fut étonné ; il était rare de voir Kyoka s'énerver pour un exercice, et surtout utiliser le mot « inadmissible » qui ne semblait pas faire partie de son vocabulaire. Je la connais mal, se dit Akira avec un mélange de honte gênée et de curiosité joyeuse.
Aizawa-sensei la regarda pendant un instant, et le châtain crut naïvement qu'il allait réprimander le comportement du violet. Malheureusement…
— Jiro, ton camarade a fait ce qu'il pensait être le plus judicieux, puis le professeur se tourna vers All Might, qui s'empressa d'ajouter :
— Laissez-moi vous dire une chose importante, jeune Jiro : il y a des héros qui agissent avec leur cœur, et d'autres avec leur tête. Ni l'un ni l'autre a tort ou a raison, car on a besoin des deux pour pouvoir sauver le plus efficacement possible, tant sur le plan physique que psychologique. Ton camarade a certes usé de méthodes peu… orthodoxes, mais il a brillamment su utilisé son environnement pour obtenir le résultat le plus efficace. Qui sait de quoi il sera capable quand il sera sur le terrain ?
Akira voulu s'effondrer ; penser comme un vilain pour un exercice. Agir en tant que tel ? Une vaste comédie qui trompait bien son monde…
— Il est vrai, reprit Aizawa, que beaucoup d'entre vous ont le modèle du héros au grand cœur en tête. Et vous n'avez pas tort d'y croire – il se tourna vers Mineta, qui perdit immédiatement sa mine fière devant le regard lourd d'intentions de son professeur – et toi, tu devrais prendre exemple sur eux. J'ai connu des élèves prodiges, et beaucoup se sont tournés vers la voie la plus rationnelle pour survivre. Tu sais où ils sont, maintenant ?
—…En prison, grommela ce dernier. Ou morts.
— Ta perspicacité te fait honneur, alors tiens compte de la leçon de ces hyper-rationalistes : qui trop combat le dragon devient dragon lui-même.
— Mais c'est du Nietzsche, ça ! s'exclama Akira.
Il s'attira le regard interrogateur des uns et des autres, et se rétracta. Aizawa se frotta l'arrête du nez et ajouta :
— Bref, j'oublie mon devoir de professeur : bravo à vous, Akira, Mineta. Fumikage, Iida, vous devrez rédiger un rapport sur la raison de votre échec.
— Sensei ?
Akira avait levé la main, mais n'attendit pas l'approbation de son professeur pour dire :
— Je ne pense pas avoir réussi, alors j'écrirais aussi ce rapport !
— Tu sais, tu n'es pas obligé de le faire.
À la bibliothèque, Iida, Tokoyami et Akira travaillaient ensemble pour rédiger leur rapport. C'était un exercice ennuyeux, mais le faire à plusieurs permettait au jeune homme de discuter avec ses camarades à propos de Mineta.
— Je n'ai rien fait durant l'exercice, à part écouter ses directives, grommela Akira.
— C'était le jeu, fit Iida. Moi, j'étais là seulement pour vous attraper si vous vous enfuyez.
— Je sais, je sais… Argh, pourquoi il a fallu que ce soit Mineta ?!
— C'est plutôt une bonne chose, tu n'étais jamais tombé avec lui depuis le début de l'année.
— Tu m'oxymores la face, c'est pas sympa… J'aurais préféré qu'il ne soit pas là du tout.
— Akira ! Ne parles pas comme ça d'un camarade, s'offusqua le lunetteux.
— Quoi ? Tu vas pas me dire que vous l'appréciez plus qu'il ne l'était avant ?
Les deux garçons changés en filles détournèrent leurs regards. Au moins, ils savent que c'est vrai… Akira insista :
— Vous ne remarquez vraiment rien ? Son comportement a changé trop vite, c'est trop étrange !
— Ça arrive avec la puberté, tenta de justifier Iida sans grande conviction.
— Ou bien il a toujours été comme ça ? fit Tokoyami avec le même air.
— Et vous, alors ? Toute la classe ! Shouko a été l'élément déclencheur, et maintenant chacun d'entre nous…
— D'entre nous ? (Tokoyami fit sursauter Akira quand il se leva en frappant la table de ses deux mains) Tu es le seul à ne pas avoir été… quoi que ce puisse être ! Le seul ! Tu ne remarques vraiment rien ?
— Fumikage…, bredouilla le châtain, tandis qu'Iida tentait de le calmer ;
— Non, Tokoyami ! Même que pour toi, il serait plus judicieux que tu m'appelles Tsukuyomi.
— Fumikage, fit Iida. Ce n'est pas…
— « Sympa pour Akira », hein ? (il croassa quelque rire) Akira par-ci, Akira par-là… Oh, le pauvre Akira qui vivait dans la rue a tellement besoin d'attention ! Oh, le pauvre Akira qui ne sait pas se contrôler souffre et a besoin de soins !
L'intéressé regardait son camarade, horrifié. Ce n'était plus Tokoyami qui se trouvait en face de lui : c'était une version déformée, vide de toute forme d'empathie qui se relâchait après un long moment de détention.
— Je n'ai aucune envie de te côtoyer, Arata. Je ne te fais pas confiance, et je pense qu'il n'y a pas que moi.
— Perso, j'en fais pas partie.
Akira se retourna : Debout derrière sa chaise, Kyoka se tenait droite face à Tokoyami qui la regardait d'un air surpris. Puis, le corbeau grinça des dents, tourna le dos au groupe et s'éloigna. Iida le regardait d'un air peiné, et Akira lui lança :
— Iida, dis-moi… Tu me fais confiance, à moi ?
Lorsque son camarade pivota, Akira voulut s'enfuir ; dans son regard, on n'y voyait aucune confiance, juste une forme de pitié maladive qui dissimulait une certaine jalousie, ou une haine abondante ? Rien dans ses yeux fut amical.
— Dégage ! cracha Kyoka, faisant fuir Iida, la queue entre les jambes.
— Je suis vraiment pathétique, se lamenta Akira quand la porte de la bibliothèque se referma. Aïe ! Pourquoi tu m'as frappé ?
— Tu recommences à te morfondre, c'est mon rôle de petite amie de t'empêcher de finir dans le caniveau (elle prit un ton plus doux en s'asseyant) Moi, je te fais confiance.
— Merci… Mais j'aimerais qu'ils comprennent que Mineta n'est pas celui qu'il semble être !
— Justement, c'est sur ça que je voulais te questionner : quand on avait passé les examens contre les profs, c'est à ce moment-là que tu lui as sauté dessus. Et c'est à ce moment-là qu'il a « changé ». Et juste après Shouko, d'ailleurs… Argh, tu vis toujours avec autant de fausses coïncidences ?
— Oui, et franchement, je me demande si je ne suis pas le personnage de quelque histoire tordue… Par contre, si on me proposait de faire équipe avec toi le restant de mes jours, je serais tes muscles avec plaisir (il ne remarqua pas qu'elle avait rougi) Mais tu as raison, ce ne sont pas des coïncidences : Mineta a… comment expliquer cela ?
— La magie ou la… Vérité ?
— La Vérité. Celle de la Connaissance, pour être plus précis ; tout comme la Réponse avant lui.
— Hein ? Mais tu m'avais dis que la Vérité choisissait une personne jusqu'à sa mort !
— C'est pour ça que je ne sais pas ce qu'il se passe… (Akira prit un air préoccupé) Il est tout à fait probable que les règles pour obtenir une Vérité changent en fonction du monde dans lequel on se trouve. Dans le Centre de Clonage, on ne m'a jamais dit grand-chose sur la Vérité, mis à part ces seules conditions.
Kyoka soupira et posa sa tête sur l'épaule d'Akira en triturant un stylo dans sa main.
— Qu'est-ce qu'on doit craindre ?
— La même chose qu'avec la Réponse : il peut prévoir tout ce que l'on va faire avant même qu'on y ait pensé ou réfléchi, et il peut contrôler les gens qui ont ingéré sa Vérité.
— Mais quel rapport avec le changement de sexe ?
— Ce n'est pas compliqué quand on possède le potentiel d'accéder à toutes les « connaissances ». Et pas seulement de ce monde ; mon ancien chez moi possédait une drogue qui permettait de transformer la structure via des manipulations hormonales complexes.
— Pas important, d'accord… Tu as un plan pour le défaire ?
— Je voulais justement t'en parler, mais je crois que tu vas refuser…
De toute manière, Akira n'avait pas le choix, qu'elle soit d'accord ou non.
Le soir venu, le jeune homme était dans sa chambre, assis en tailleur sur son lit. Son air calme était trompeur, cependant ; à l'intérieur de lui, loin derrière son corps et son esprit, il était en pleine bataille verbale.
…
Cette fois, Akira n'était pas au pied du trône de Synnaï. En fait, lui, Laura et Yannis étaient assis à la même table que lui. Ils toisaient le châtain avec respect et méfiance. Il avait gagné sa place, mais pour combien de temps ?
— AINSI DONC, TU QUÉMANDES NOTRE ASSISTANCE ? ironisa Synnaï de sa voix galactique. JE REFUSE.
— Nous devons décider de ton sort et du nôtre, fit Laura, éthérée. Je suis indécise.
— Perso, j's'rais pas contre le laisser nous utiliser. Il a fait ses preuves. J'en suis !
— Commençons les négociations, fit Akira Arata. L'enchère est la suivante : le contrôle de mon corps.
