*Neuf jours plus tard, la veille du festival…
Kyoka avait laissé libre cours à sa créativité, et ça avait payé !
Elle regardait sa partition avec une fierté non dissimulée. Passant des heures en journée, grignotant celles du sommeil, ses cernes témoignaient de son assiduité. Elle avait vraiment tout donné !
Bakugo était un professionnel de la batterie, Denki de la guitare et Akira du synthé. Kyoka avait pensé à un trio de chanteuses, avec elle comme principale, Momo et Sero en secondaires pour une harmonie plus profonde. Le reste de la classe s'occupait de la danse, des effets spéciaux et des éclairages. Tout était parfaitement mis en place !
Elle jeta un regard vers Akira… qui regardait sa partition avec les sourcils froncés et les lèvres pincées.
— Euh… quelque chose ne va pas ?
— C'est mièvre, lâcha-t-il.
Kyoka cligna des yeux deux fois, avant de se racler la gorge. Ignorant le commentaire, elle se pencha vers lui, jeta des coups d'œil furtifs au sein de la cantine pour vérifier que personne ne les écoutait, et murmura :
— Tu as pu faire avancer le plan ?
Akira leva son regard de la partition vers elle, et haussa un sourcil… avant d'acquiescer. Elle soupira de soulagement, et posa sa main sur la sienne. Il frémit. Elle voulut lui en parler, lui tirer les vers du nez…
— Tu es sûr que tu vas bien ? Tu as arrêté Mineta, pourtant !
— Oui, c'est juste que je… (il marqua une pause, se frottant les yeux) je suis fatigué.
Kyoka sentait qu'il n'allait pas bien, mais ne voulait pas le brusquer. Elle opina, et posa sa tête sur son épaule. Nouveau frémissement. Elle voulait lui en parler, lui tirer les vers du nez… Mais dans ce genre de période d'organisation et de stress, il était plus vulnérable.
Ils se dirent bonne nuit arrivant au dortoir, Kyoka l'observa monter les escaliers d'un pas lourd. Elle voulait lui en parler, lui tirer les vers du nez… Non, je dois lui faire confiance.
Une fois dans son lit, la lueur de la lune attira son regard ; elle avait un mauvais pressentiment… Je ne peux pas lui tirer les vers du nez, pensa-t-elle en attrapant son téléphone. Mais elle le peut. Elle tapa frénétiquement un message, l'envoya, et regarda l'écran quelques instants, la gorge nouée.
*Le lendemain, le Festival
Izuku observait ses camarades monter la scène à la va-vite. De par son absence, il avait été écarté du projet. Non pas que ça le dérangeait ! Au moins, il prenait du repos en attendant la suite…
Corps en lambeaux. Visages tuméfiés. Trous sombres dans les murs de sa mémoire…
Le vert secoua sa tête, chassant la désagréable impression. Il devait rester calme ; la scène de toute à l'heure lui restait encore au travers de la gorge…
…
— Je ne peux pas passer à côté de ça, comprends-moi, grommela le professeur principal en dégageant une mèche rebelle.
Izuku se sentit tout petit sous le regard dur lourd de reproches. M. Yokoshima lui avait trouvé une excuse valable, et Izuku l'avait raconté. Seulement, malgré l'argument irréfutable, Eraserhead avait insisté :
— Midoriya, tu vas mal : tu as des cernes sous les yeux, tu débarques couvert de blessures minimes dans la chambre de ton camarade, tu mens ouvertement (Izuku sursauta, et son professeur soupira) Tu n'es pas taillé pour mentir. Mais je n'ai aucune preuve à part mon instinct, alors je ne peux rien dire. Cependant, saches que tu ne dois pas tout garder pour toi.
— Oui, sensei, murmura Izuku en serrant ses poings sur ses genoux, la tête baissée.
— Regardes moi quand tu me parles.
Le vert leva les yeux en ouvrant la bouche de stupeur, car Eraserhead s'était adressé à lui comme envers un petit enfant d'école élémentaire. Cependant, il ne prenait pas un air sévère ; ce fut l'inquiétude que le jeune homme lut sur son visage.
— Midoriya, reprit-il d'un ton plus doux. Il n'y a aucune raison d'avoir peur.
— Je n'ai pas peur, bredouilla le vert.
Il était terrifié.
— Très bien, tu n'as pas peur. Mais tu as besoin d'aide ! (le héros se pencha) Je pourrais passer un appel à ta mère.
— Ce ne sera pas nécessaire.
Il se retourna, et Izuku regarda vers la porte ; Nezu se tenait aux côtés de M. Yokoshima, lequel fit un clin d'œil à son disciple. Ce dernier rougit de honte, et baissa de nouveau la tête. De sa voix fluette, le directeur du lycée s'exclama :
— Aizawa, je te cherchais ! Je te présente le maître de stage de Midoriya, M. Yokoshima.
— Ah oui ? (Eraserhead se leva et serra la main de Yokoshima) Enchanté.
Il ne le semblait pourtant pas, remarqua Izuku. Le sourire poli de Yokoshima s'élargit :
— Eraserhead ! J'ai beaucoup entendu parler de vous.
— Les commérages des médias sont peu instructifs, railla-t-il. Vous, par contre, n'êtes pas un héros. J'espère que vous en employez…
Pendant un instant, Izuku eut froid dans le dos ; il savait combien son mentor avait travaillé pour parvenir là où il était, alors quand un possesseur d'Alter le rembarrait, c'était le pied de guerre apprêté. Le garçon se tourna vers Nezu, qui regardait les deux empoignés avec un sourire indéchiffrable.
Soudain, Yokoshima opina et lâcha la main d'Eraserhead, toute trace de sourire ayant disparu de son visage.
— Je n'ai pas peut-être pas le blason héroïque, mais qu'est-ce qui m'empêche d'en avoir l'étoffe ?
Au grand étonnement d'Izuku, Aizawa sourit et s'inclina.
— Un petit test de professeur inquiet ; je voulais savoir si mon élève était entre de bonnes mains.
— Ah ! Ne vous inquiétez pas pour ça, mon expertise lui est grandement profitable.
— Quelqu'un peut me dire ce qu'il se passe ici ?
Izuku tourna la tête.
— All Might ! souffla-t-il, et son premier mentor tourna la tête vers lui.
Il voulut s'enfoncer dans son fauteuil sous ce regard brûlant de colère. Le bleu de glace qui froissait toute ardeur le vrillait de part en part.
— Jeune Midoriya, qu'est-ce qu'il t'est passé par la tête ?
— C'est… Nous en avions parlé !
— J'ai la preuve formelle (All Might ignora son ancien disciple et se précipita vers le chef d'entreprise) que vous formez des justiciers en cachette pour former votre milice personnelle !
Un lourd silence s'abattit dans la salle. Izuku doutait que son mentor ait trouvé de telles informations, mais le jeune homme savait qu'All Might était plein de ressources. Heureusement, Yokoshima… opina du chef ?
— Vous avez dépeint le tableau, mais sans prendre en compte le cadre ; j'ai ici (et l'homme sortit son téléphone pour afficher un document) l'autorisation officielle de la Commission de la Sécurité Publique Héroïque qui me permet de former moi-même des héros.
— C'est absurde ! s'exclama All Might, qui se tourna vers Nezu : N'est-ce pas ?
Le directeur continuait de sourire.
— C'est la loi, Yagi. Personne ne peut la contredire.
All Might s'épouvanta, et se tourna vers Eraserhead en quête de soutien ; son collègue héros et professeur secoua sa tête. Yokoshima rangea son téléphone et adressa un autre clin d'œil discret à son disciple, avant de dire :
— Je suis venu justifier l'absence de M. Midoriya ci-présent ; il a été blessé durant son stage, et a eu besoin de repos.
— Et comment vous expliquez sa venue à l'école avec son costume en lambeaux, lui-même pas très loin de cet état ? demanda calmement le héros aux cheveux noirs.
— Je lui ai demandé une dernière mission, répondit l'homme en haussant des épaules.
— Sur le temps de l'école. C'est contraire au règlement.
— Ah oui, le règlement… Midoriya ?
Izuku redoutait ce moment depuis le début de l'entretien. Son cœur se serra sur la noirceur chaleureuse, celle qui lui donnait de la force. Il inspira, puis déclara :
— Je veux mon certificat de radiation ; je quitte Yuei.
Nezu opina tristement du chef, Aizawa ne prononça plus un mot. All Might regardait son ancien élève comme si ce dernier venait d'affirmer qu'il était né sur Mars, avant de s'agenouiller devant lui et lui demander quelle mouche l'avait piqué. Mais Izuku ne regardait que ses poings serrés. Poings qui accueillirent les larmes vaincues de ses yeux fatigués… Il avait besoin de dormir, de tout remettre en ordre dans sa tête.
M. Yokoshima, derrière son masque sérieux et solennel, cachait un sourire triomphant et bestial.
…
Izuku avait donc prévenu ses camarades de son départ. Ces derniers l'avaient regardé avec des yeux ronds, lui avaient posé des questions sur leur propre attitude envers lui, l'ambiance en classe, la difficulté des cours… Mais Izuku leur avait assuré que ce n'était rien. Et c'était le cas : il ne ressentait rien. Juste une lassitude éreintante en attendant la prochaine mission.
Mais seul Katsuki l'avait blessé.
Le blond l'avait regardé droit dans les yeux, et Izuku y avait lu quelque chose qui le faisait passer pour l'arroseur arrosé ; de l'inquiétude mêlée à la douleur du rejet. La même chose qu'il avait ressenti lorsque le vert lui avait tendu la main, dans cette rivière après la chute.
Izuku marmonna une vague excuse et partit aux toilettes, se sentant nauséeux. Lorsqu'il atteint sa destination, il marcha mollement jusqu'à un lavabo et s'aspergea le visage d'eau fraîche, avant de se regarder dans le miroir.
Il était méconnaissable.
Teint cireux, front couvert de rides à force de froncer les sourcils, des cernes qui rivalisaient avec celles d'Eraserhead… Le joyeux fringant Izuku avait cédé sa place au sérieux et froid de l'Exécuteur. « Je suis le Deku qui donne du courage ! » ne sonnait plus vraiment bien, mais l'Exécuteur ? Un beau nom, meilleur que le Corbeau qui n'était pas très impressionnant.
Soudain, un bruit mat attira son attention. Il se retourna…
— Oh, tu es là ?
Akira venait de sortir des toilettes, essuyant ses mains rouges de sang à l'aide de papier-toilette, son corps éclaboussé de pourpre à la manière d'une toile d'artiste incompris. Izuku fut tellement choqué qu'il n'esquissa pas un geste, tandis que le châtain le regardait d'un air interrogateur. Avec des yeux aux reflets mordorés.
Izuku reprit contenance et se mit en garde ; son ami était sous l'emprise de la Réponse ou All For One si ce dernier possédait l'Alter du vilain. Le vert n'avait pas son costume, mais il avait assez étudié Akira pour savoir que 30 % était suffisant pour le battre.
Cependant, Akira lui passa à côté pour se laver les mains, perturbant l'ancien lycéen. Soudain, il dit :
— J'ai beaucoup réfléchi après le raid d'Hassakai, tu sais… Tu étais malade durant cette période.
— Où veux-tu en venir ? demanda Izuku, conscient qu'il ne fallait pas brusquer un détenu de la Réponse.
— Tu te rappelles le jour où Bakugo a balancé tes devoirs contre ta fenêtre ? (Izuku sourit faiblement ; la trace de brûlé y était encore visible) Eh bien, vois-tu, je suis d'une nature soupçonneuse. Tellement que j'ai installé une caméra dans ta chambre et un sonar.
Izuku se pétrifia. Akira continua sur un ton ennuyé :
— Quand on joue avec le feu, on finie par y laisser des plumes.
Puis il lui sourit. Une entaille béante sur un rire silencieux, fou. Un croissant de lune morte qui surplombait Izuku.
Il détourna le regard vers l'une des toilettes.
Le cadavre d'une étudiante était pendu à l'aide de ses intestins. Le sang ne s'était écoulé que dans les WC, bloqué par un loquet dans une chasse d'eau continuelle. Malgré toute l'inhumanité dont il avait fait preuve et été témoin, Izuku eut un haut-le-cœur et vomit. Akira le regarda avec inquiétude :
— Ça va ? Tu ne te sens pas bien ?
— Que… (Izuku respirait par à coups, tentant de garder les battements de son cœur sous contrôle) Comment… tu… fais… ?
— Fais quoi ?
— Pour rester… aussi calme… ?
Akira le regarda un instant, puis haussa les épaules. Coincé entre ses vêtements de lycéen tâchés de sang et son attitude décontractée, on ne pouvait douter de sa folie…
Oh. Izuku avait compris. LA différence entre lui et le châtain. Ce pourquoi M. Yokoshima lui faisait passer des entretiens de psychanalyse régulièrement. Akira ? Il avait fait ses rendez-vous comme un bon petit élève de lycée. Mais profondément, et Izuku était terrifié de le savoir… Il n'est pas humain. Il ne l'a jamais été. La folie était un euphémisme.
Aucun masque n'est assez épais pour cacher la monstruosité.
Akira s'essuya ses mains propres, contrastant avec la teinte noircissante de ses vêtements. Ses gestes méthodiques trahissaient une habitude oubliée pendant un temps, un peu comme quand vous demandez à un ami de rejouer du piano après deux ans de pause ; les réflexes ne meurent jamais.
Le jeune homme se tourna vers le vert, et montra d'un doigt le cadavre pendu, l'autre sur la bouche. Le message était clair. Le cerveau d'Izuku, synapse après synapse, finit par revenir à la réalité. Sa réalité. Qui était le vert ?
Il se leva pour faire face à Akira, et lança d'un ton catégorique :
— Tu vas me suivre jusqu'au bureau du proviseur, et tu t'expliqueras une fois là-bas.
L'autre le regarda d'un œil morne, avant de glousser. Quand il parla cependant, sa voix était différente… familière, en un sens.
— As-tu déjà vu un scénario se dérouler parfaitement du début à la fin ? Moi oui. Sais-tu pourquoi ? Parce que c'est moi qui l'ait écrit.
Izuku l'aurait reconnu entre mille. Soudain, quelque chose sembla se vriller dans sa tête, le forçant à tomber à genoux. Puis la Vérité s'empara de son âme. Lorsqu'il se leva, la voix de Mineta Minoru surgit de nouveau de la bouche d'Akira Arata :
— Bien. Voyons si tu peux rendre honneur au nom « d'Exécuteur ».
