37-L'arroseur arrosé

Flack attendait Jessie de pied ferme le lendemain. Dès qu'il l'aperçut ( il fallait dire qu'elle était facilement reconnaissable, malgré sa petite taille, avec son jean délavé taille basse, son dos nu rouge vif, ses baskets de la même couleur et son blouson de cuir noir) , le jeune détective fonça droit sur elle et finit par remarquer qu'elle portait un sac de sport. Pourquoi avait-elle amené ce truc ? Encore pour faire une de ses blagues vaseuses ? Enfin, pour le moment, il devait remettre les pendules à l'heure, tout en restant calme…

Don (la saisissant par le col, furieux) Tu te trouves drôle !

Jessie (ne se laissant pas démonter, le faisant la lâcher) Salut, Donnie Boy !

Don (soupirant devant son flegme) Jessie… J'en ai assez de ton attitude désinvolte et excentrique ! On n'est plus au collège ! Tu es vraiment allée trop loin, hier…

Jessie : Pourquoi ? T'étais pas heureux de rester avec Stella toute la journée ? T'aurais préféré Danny ? Enfin, moi j'trouve qu'le hasard a bien fait les choses…

Don : As-tu la moindre idée de ce que j'ai pu ressentir ? Tu n'es qu'une égoïste qui ne pense qu'à s'amuser aux dépends des autres !

Pendant quelques instants, la jeune femme le fixa intensément, le transperçant de son regard vert ambré. Et la voir si silencieuse inquiéta Flack.

Jessie (croisant les bras) Dis-moi, Donnie Boy, t'es vraiment furieux contre moi ? Ou plutôt contre toi devant ton incapacité à parler à Stella alors que tu en avais l'occasion ?

Et sans réfléchir, Flack gifla sa partenaire, furieux. Comment osait-elle ? Elle n'avait pas le droit de le critiquer ! Elle ne savait rien de ses sentiments et de sa souffrance ! Mais quand il se rendit compte de la gravité de son geste, le jeune détective s'écarta de Jessie, honteux. Il ne voulait pas être un de ces hommes qui levaient la main sur une femme…Même très en colère…

Don (le regard triste, s'excusant) Jessie…Je…

Jessie (souriant, rassurante) Tout va bien, Donnie Boy. Depuis l'temps, j'la méritais bien. Et j'ai bien fait d'apporter ça. (bas) Tu es à point. (revenant à la normal) Qu'est-ce que tu dirais si on réglait tous nos p'tits différends sur le ring ?

Don (la regardant et se reculant, atterré) Non, Jessie…Je…Même furieux, je n'aurais jamais dû te frapper.

Jessie (avec une petite grimace comique) Donnie Boy, c'était une toute p'tite gifle de rien du tout et j'suis habituée à prendre les coups, tout comme toi. Même si j'suis une nana, j'reste un flic !

Don : Ce n'est pas une raison…

Jessie : Allez ! Un p'tit combat ! Ça te défoulera et tu te vengeras de toutes mes bêtises… (avec défi) Encore faut-il que tu réussisses à m'toucher…

Don (toujours honteux) Jessie…Non…

Jessie (amusée) Ne m'dis pas qu'tu laisserais passer cette occasion d'me taper dessus après tout c'que j'tai fait ! Certains n'hésiteraient pas…

Don (gravement) Justement, je suis pas comme eux…

Jessie : Je l'sais bien. Mais j'veux qu'on s'fasse un combat à la loyale…Pour le fun !

Don (vraiment réticent) Jessie…

Jessie : A moins qu't'es pas de tenue de sport ?

Don : Bien sûr que si…

Jessie (partant, lui faisant un clin d'œil) Alors, j't'attends sur le ring dans quinze minutes !

Et avant qu'il ne réponde, la jeune femme se dirigea vers la salle de sport, espérant que Flack s'y rendrait. Sa phase quatre l'avait énervé et c'était ce qu'elle voulait pour s'occuper d'un autre problème. Il serait plus…enclin à agir comme elle le voudrait, pour pouvoir ainsi l'aider. Mais pour cela, il devait venir…

oOo

Jessie attendait Flack, appuyée sur les cordes du ring, ses gants de boxe autour du cou et son casque à la main, et alignait bras d'honneur sur bras d'honneur aux hommes qui osaient la siffler. Il fallait dire que la jeune femme, encore une fois, contrastait avec le décor ambiant avec son top court moulant et son minishort, tous les deux noirs, qui étaient très loin de l'habituelle tenue de sport des autres agents jogging et T-shirt gris avec NYPD plaqué dessus.

Enfin, Flack finit par arriver, vêtu d'un jogging noir et d'un de ces T-shirt gris, sauf qu'il n'avait aucune manche ici, dévoilant ainsi ses épaules solides, et il se dirigea vers elle, prenant des gants et un casque au passage. Bien, il avait manifestement pris sa décision…

Jessie (avec un ton de défi) J'ai bien failli croire qu't'allais te dégonfler, Donnie Boy…

Don (souriant) Ça te ferait trop plaisir…

Jessie (mettant ses gants, son casque et son protège-dents) Allez, montre-moi c'que t'as dans l'ventre !

Don se prépara puis les deux détectives se positionnèrent pour leur combat. Les autres policiers présents, dont Kaile, s'agglutinèrent autour du ring pour voir le spectacle, lançant des paris.

Kaile, par contre, était plutôt intriguée et aussi bizarrement inquiète en voyant le regard déterminé de Jessie. Et ce n'était pas un regard combatif…Quelles étaient les réelles intentions de la jeune femme ?

Un des agents donna le signal de départ et les deux adversaires commencèrent à se tourner autour, avec des petites foulées souples, ne se quittant pas des yeux. Mais Jessie voyait bien que Flack ne comptait pas la frapper. Bon, elle n'avait plus le choix…

Jessie (un ton mauvais dans la voix) Alors, Donnie Boy, on pisse dans son froc ?

Alors que Flack fronça les sourcils à cette provocation sans importance, intrigué par le ton employé par sa partenaire, Jessie lui asséna un direct du droit sur la mâchoire rapidement suivi d'un coup de poing dans l'estomac. Merde, elle devait encore forcer la dose…

Jessie (plus méchamment) J'croyais qu't'étais furieux contre moi ? (voyant Flack continuer à lui tourner autour avec un regard incompréhensif) Je vois…Beaucoup d'belles paroles mais aucun acte…Couard !

Encore deux coups de poing. Mais qu'est-ce qu'il attendait ? Pourquoi ne réagissait-il pas ?

Jessie (d'une voix mauvaise) Et ben ? Toujours rien ? J'comprends mieux…T'as raison d'rien tenter avec elle. T'es qu'un perdant ! Tu la mérites pas ! Elle devrait t'cracher d'ssus au lieu de t'parler…

Jessie esquissa un nouveau direct, du gauche cette fois, mais là, Flack se protégea mais ne contre-attaqua pas…Elle devait aller encore plus loin, faire plus fort…Jessie n'avait pas penser que ça allait être si dur…

Kaile regarda son amie, abasourdie. Pourquoi provoquait-elle ainsi Flack ? Quel était son but ? Jessie était quelqu'un de brusque, certes, mais elle adorait Flack ! Pourquoi faisait-elle ça ?

Jessie (avec un sourire narquois) Bien défendu ! Mais ça fait pas vraiment avancer les choses… Cette bombe n'a pas emporté que tes tripes, elle a aussi embarqué ta fierté et tes couilles, Flack !

Le détective tiqua, se hérissant, en entendant son nom dit avec un tel mépris, mais elle touchait juste…Mais elle devait s'arrêter…

Jessie (continuant, lui balançant un nouveau coup de poing) J'comprends mieux pourquoi ils ont pitié de toi ! Mais tu ne la mérites pas ! Tu mérites de souffrir car t'aimes ça ! Vraiment, j'suis déçue…Où est le Flack dont on m'chantait les louanges ? Qu'est-ce qu'il est devenu ? Une mauviette !

Kaile pouvait voir Flack fulminait de rage à chaque phrase prononcée par Jessie. Mais qu'est-ce qu'elle faisait ?

Jessie : Elle devrait te mépriser au lieu de te protéger ! Tu t'laisses guider par ta peur ! T'es qu'un faible, un minable…Tu pourras jamais la protéger…

Cette fois-ci, Flack réagit et balança son poing gauche droit sur le visage de Jessie, qui n'esquiva même pas, relâchant sa défense exprès, et qui s'étala sur le sol du ring puis se releva.

Jessie (méprisante) C'est tout ? Ridicule, risible…Incapable.

Flack (furieux) Ta gueule !

Le détective, des larmes de rage et de douleur coulant sur ses joues, se jeta sur Jessie, la mettant à terre, et la frappa violemment, passant toute sa colère, sa souffrance et son mépris de lui-même sur elle, tout en lui hurlant de la fermer. Flack ne voulait plus en entendre plus, cette vérité qu'il savait déjà. Il savait qu'il était devenu faible et couard depuis l'explosion, qu'il ne méritait pas Stella, qui ne le voyait d'ailleurs que comme un gosse effrayé. Il se détestait, se méprisait et se faire percer ainsi à jour par Jessie, qui lui balançait cette vérité en pleine figure, le révulsait.

Voyant les coups violents que portait Flack sur Jessie, Kaile décida de grimper sur le ring pour l'arrêter, ses autres collègues ne semblant pas réagir. Mais…

Jessie (se protégeant des coups de Don depuis le début de sa crise) Non ! Il doit se défouler ! Il a besoin de ça !

Kaile (apeurée et très inquiète) Jessie ! Il va finir par te…

Jessie (avec un regard sûr et déterminé) Non. T'inquiètes pas…

Et en effet, Flack finit par se calmer peu à peu et se mit à trembler violemment, alors que Jessie, les bras pleins de bleus et une de ses pommettes ouvertes, se redressa pour le prendre dans ses bras, retirant leurs casques et caressant avec une extrême douceur les cheveux noirs de Don.

Jessie (doucement) C'est bien, Don, c'est bien…Maintenant, tu peux y aller…Pleure, libère-toi de tout ça…Tu en as besoin…Pour ton bien…Tu as retenu ça depuis trop longtemps…

Jessie tourna ensuite la tête vers Kaile, médusée, et prononça « Stella » silencieusement, lui demandant aussi du regard de vider la salle. Ils auraient besoin d'un peu de paix…

oOo

Jessie resserrait son étreinte sur Don, accentuant la caresse dans ses cheveux noirs, ignorant ses douleurs diverses. Il avait cogné fort mais c'était la seule façon pour qu'il se libère de toute cette colère. Une colère dirigée contre lui, contre son impuissance à dépasser sa peur, à se déclarer à Stella et contre cette faiblesse qu'il croyait avoir…Mais Jessie sentait bien qu'il retenait encore ces émotions négatives…

Jessie : Don…Il faut qu'tu te libères de toutes ces émotions…Arrête de les garder en toi…Délivre t-en…

Kaile revint enfin avec Stella, intriguée de s'être fait traîner jusqu'ici, et la scientifique se figea immédiatement en voyant le corps prostré et tremblant de Flack entouré par les bras meurtris de Jessie. Sans même réfléchir une seconde, l'experte se précipita vers eux, grimpant sur le ring pour les rejoindre, très inquiète.

Stella : Que s'est-il passé ?

Jessie (visiblement épuisée) J'l'ai guéri…Enfin, presque…A toi de prendre le relais, Stel'…Aide-le à se libérer. Il doit relâcher toute la tension qu'il a emmagasinée depuis son accident. J'ai fait l'plus gros du boulot. Y a que toi qui peux l'finir…

Stella regarda la jeune femme, interrogatrice : pourquoi elle en particulier ?

Sans ajouter un mot de plus, Jessie força la scientifique à s'accroupir et lui glissa délicatement Flack dans les bras, à qui elle chuchota :

Jessie : Stella est là et elle a besoin de toi…Le vrai toi, celui qui est courageux, qui ne craint rien. Celui qui a surmonté sa peur pour la retrouver dans cet immeuble piégé…Laisse-la te découvrir et t'aider à te libérer. Combat et vainc ta peur, Don… (à Stella) On va vous laisser…

Titubant, Jessie descendit du ring et rejoignit rapidement Kaile, se vautrant presque sur elle. La détective la retint et la soutint puis l'aida à quitter la salle, laissant Flack et Stella seuls.

Kaile : Tu peux m'expliquer ? Ça fait parti de ton plan pour les réunir ?

Jessie (souriant) Non. La phase quatre m'a permis d'aider Flack aujourd'hui…

Kaile (comprenant) Tu savais qu'il allait être en pétard avec le coup des menottes et qu'il t'en voudrait à mort…

Jessie : C'est ça. Mais j'pensais vraiment pas que je serai obligée de le pousser aussi loin. J'te jure, ça m'a fait mal de lui dire toutes ces horreurs…

Kaile : Je pense qu'il comprendra…Sinon, tu t'excuseras…

Jessie : Pas besoin de me le dire… J'espère que Stella va arriver à détruire ses foutues entraves mentales…

Kaile : Mais dis-moi, qui t'a aidée, toi ? Pas ta sœur…

Jessie : Non. C'est mon mentor qui m'a sortie de la dépression dans laquelle j'm'enfonçais… C'que tu as vu tout à l'heure, c'est sa méthode…J'te dis pas, quand il m'a fait c'coup là, j'lui ai filé la pire correction d'sa vie…Mais ça m'a permis de revenir…Et j'suis redevenue moi-même…

Kaile : Qu'est-il devenu ?

Jessie : Il est toujours flic…

Voyant que Jessie ne lui en dirait pas plus, Kaile continua son avancée, la soutenant toujours.

Kaile : Pourquoi avoir laissé Stella finir ce que tu as commencé ?

Jessie : Parce qu'elle est…son phare, son unique raison de vivre, celle pour qui il veut se battre.

Kaile : Je sais qu'il en est amoureux mais…

Jessie : T'inquiètes pas. Ça va bien s'passer. Par contre, si tu pouvais m'amener à l'infirmerie, s'te plaît. J'vais pas tarder à tourner de l'œil…

Kaile (inquiète) Bien sûr !

Les deux jeunes femmes pressèrent alors le pas pour se diriger vers l'infirmerie. Mais Kaile était à la fois impressionnée et déconcertée par l'attitude de Jessie : c'était un mélange de courage et de folie. Pourquoi n'avait-elle pas demandé à quelqu'un de plus costaud de prendre sa place ? Flack aurait pu la tuer…

oOo

Stella avait eu un vague résumé de ce qui s'était passé par Kaile et avait étrangement compris ce qu'avait voulu faire Jessie. Mais ça avait été vraiment dangereux…

Reportant toute son attention sur Flack, la scientifique lui fit poser son visage au creux de son cou et caressa ses cheveux avec tendresse tout en se questionnant sur sa présence ici : comment pouvait-elle aider le jeune détective ?

Stella (avec douceur) Flack…Don…S'il vous plaît, réagissez…Ne vous laissez pas ronger par cette peur. Ne la retenez pas en vous. Libérez-vous… (levant son visage vers le sien délicatement) Pleurer ne vous rendra pas plus faible…

Et comme si les paroles de Stella avaient été le déclencheur, la clé de sa liberté, Flack finit par relâcher toute la tension et la douleur qu'il gardait en lui, pleurant bruyamment et criant sa frustration, tout en serrant Stella avec force.

Stella (des larmes commençant à couler, caressant doucement ses cheveux) Tout va aller mieux, maintenant, Flack…

Et les policiers restèrent enlacés ainsi pendant une bonne demi-heure. Flack avait tant de tristesse en lui…