LEGEND OF WAR
Chapitre 2
~ Se mentir à soi-même, le meilleur moyen de ne jamais se trouver. ~
Michelle Guérin
05h27, dans la salle de réunion du Quartier Général.
« Ok, voilà le topo : au menu du jour, mission repérage. Je vais former deux groupes et on partira avec les 4x4 dans une heure en direction de Suna. Idéalement, pour limiter les risques de nous faire remarquer, on laissera les véhicules deux kilomètres en amont et on terminera à pied. Le but n'est pas d'entrer en contact avec les insurgés, je le répète, c'est une mission de repérage aujourd'hui. On prend la température et basta. Dans le cas où vous tomberiez nez à nez avec un individu armé, si vous êtes en danger et si la situation le permet, neutralisez-le discrètement. Si quelqu'un vous paraît suspect et se trouve dans votre périmètre de surveillance, vous l'interpellez et vous le cuisinez jusqu'à preuve de son implication directe ou indirecte dans le coup d'état ou dans le cas contraire, de son innocence. Soyez furtif et efficace. Actuellement, on est seuls au monde, on ne pourra pas compter sur un appui aérien avant plusieurs jours. Équipez-vous de silencieux et embarquez dans votre paquetage de quoi camper. Des questions ? Aucune ? Parfait ! Neji, tu seras au commandement de la section Taka et vous irez vous poster à l'Ouest de la ville. D'après les données satellite, elle est enclavée par des falaises et des crêtes, ça nous facilitera la tâche pour trouver un point de vue idéal sur l'intégralité de l'objectif. Tu prends avec toi Juugo et Kiba. Yahiko, t'es infirmier de ce que j'ai lu dans ton dossier. Tu seras en soutien de Taka, si ça dégénère, je ne veux pas te savoir en première ligne. Quant à la section Kurama, c'est moi qui la dirigerais. Saï et Uchiha seront avec moi et on prendra l'Est. »
« C'est Sasuke. Pas ''Uchiha''. » interrompit le concerné en assassinant Naruto d'un regard contrarié.
Imperturbable, Naruto planta à son tour le sien fermement.
« Ouais, ouais… Sasuke. » balaya-t-il mollement, comme si c'était sans importance. « Allez, dispersez-vous. On se retrouve devant les 4x4 à 6h30 tapante. »
Le groupe donna son aval d'un coup de tête et chacun partit vaquer à ses occupations en attendant l'heure du départ. Tous, sauf Sasuke qui attendit patiemment que tout le monde quitte les lieux pour apostropher Naruto loin des oreilles indiscrètes.
« Je peux te parler une minute ? »
Sans cesser de griffonner quelques notes sur son plan de zonage et sans daigner relever la tête, Naruto soupira.
« Permission de parler accordée... Pas celle de me tutoyer. »
Sasuke grinça des dents et plissa un peu plus les paupières, mécontenté par le ton ennuyé du Sergent-Chef autant que par sa méprisable décision de l'assigner à n'être qu'un misérable aspirant de seconde zone, sous ses ordres de surcroît.
« Pourquoi ne pas m'avoir laissé à la tête de mon unité ? Je la commande depuis deux ans, je ne vois pas pourquoi je devrais être rétrogradé. Je recommande de revoir la composition des équipes. »
Piqué par un soudain intérêt, Naruto posa tranquillement son stylo et entremêla ses doigts en s'installant plus confortablement dans son fauteuil. Il fit tourner ses pouces dans un sens, puis dans un autre, tout en analysant Sasuke d'un air inintelligible. Ce dernier exhibait une moue boudeuse, presque enfantine, mais Naruto n'était pas du genre à se laisser attendrir par un caprice. Ce n'était pas un enfant de cœur et Sasuke allait bientôt s'en apercevoir.
« Je n'aime pas me répéter, mais pour cette fois, je veux bien faire un effort : je m'en branle de savoir qui tu diriges, et là, tout de suite, je m'en branle de tes recommandations. Soit t'es vraiment con, mais comme je te connais pas, je te donne le bénéfice du doute, soit t'as un sérieux problème avec l'autorité. Mais dans le fond, peu importe, ça ne change rien au fait que pour cette opex, le boss, c'est moi et t'as rien à redire. T'as pigé ce coup-ci ou toujours pas ? »
« … C'est vous qui avez un problème. »
« J'te d'mande pardon ? » répliqua le blond en baissant d'une octave, froissé par ce nouvel affront.
« Vous avez forcément lu mon dossier ! » s'insurgea Sasuke, profondément irrité par ce comportement détestable. « Vous avez bien vu que mes états de service étaient irréprochables ! Vous faites ça uniquement pour m'emmerder tout ça parce que vous ne supportez pas que quelqu'un vous tienne tête. »
Avec agilité, Naruto bondit de son siège et vint le surplomber de toute sa hauteur et de la tempête qui s'agitait furieusement dans ses yeux clairs.
« Ouais. » confirma-t-il en hochant plusieurs fois la tête. « J'ai horreur de ça. Mais je vais te faire une fleur en te laissant l'occasion de déguerpir immédiatement. Rompez. Hors de ma vue Sergent. »
Mais Sasuke ne bougea pas. Pire, il osa même le défier encore et encore en soutenant son regard. Ce fut donc lui qui tourna le dos en premier, à la fois irrité par son audace et importuné par sa présence. L'odeur du brun planait dans l'air et lui donnait des étourdissements, bien qu'il n'en montrât rien.
« J'ai pas terminé. » héla à nouveau Sasuke. « C'était vous dans les douches hier. Vous étiez en train de m'épier. »
« Quoi ? » s'étrangla Naruto. « Qu'est-ce que tu me racontes ? »
« Je vous ai vu. Inutile de nier. »
Mis devant le fait accompli, il aurait pu avouer, bien sûr. Il aurait pu… se sentir contraint de dire la vérité. Dire qu'au mauvais moment, ses pas l'avaient conduit jusqu'aux douches communes et que surpris, il s'était caché dans un coin et avait admiré son corps nu comme on admire une œuvre d'art sans estimer si ce qu'il faisait était bien ou mal. Il aurait pu avouer qu'après l'avoir contemplé, ses sens s'en étaient retrouvés déboussolés. Il aurait pu avouer qu'à cause de ce qu'il avait vu, sa nuit fut agitée au point de ne pas pouvoir fermer l'œil. Il aurait pu se sentir au pied du mur, comme un gamin pris en faute. Il aurait pu tout balancer. Mais ce fut tout l'inverse. Sans la moindre hésitation, Naruto refusa d'affronter la vérité et contesta ces accusations.
« T'avais sûrement du savon dans les yeux. J'étais dans ma piaule. »
Avec dédain, Sasuke hoqueta.
« Menteur… »
Que sa parole soit remise en cause contraria davantage Naruto, déjà bien échaudé par sa précédente envolée verbale. Une veine gonflée vint décorer sa tempe et d'un coup sec, il attrapa Sasuke par le col de sa veste.
« Attends un peu… Tu sous-entends quoi là ? Que tu m'as vu en train de te mater ? Moi ? T'es resté trop longtemps au soleil ma parole, ça t'a tapé sur la tête. De deux choses l'une Uchiha : tes penchants, j'en ai rien à secouer. Tant que tu fais le taff pour lequel t'es payé, le reste, je m'en balance. Pour ta gouverne, sache que je suis marié. À une femme. Et que j'ai deux gosses. Alors arrête de prendre tes rêves pour la réalité j'étais dans ma piaule en visio avec elle et j'y ai pas bougé. T'as cru me voir, peut-être bien parce que t'aurais voulu me voir, mais on va mettre les choses au clair : je suis pas de ton bord… Si c'est ça le truc. Maintenant, dégage. Va te préparer, le moindre retard sera sanctionné. »
Abasourdi, toute contre-attaque mourut entre les lèvres de Sasuke.
Non, il n'avait pas halluciné. Il l'avait vu, il en mettait sa main à couper. Ce même regard bleu glace qui le dardait, il se souvenait parfaitement l'avoir croisé. Mais devant l'évidence, Naruto niait en bloc et cela ne pouvait être qu'indubitablement l'aveu de faits qu'il ne voulait pas assumer.
Qu'à cela ne tienne…
En se dégageant de sa prise, Sasuke renifla en grimaçant, désabusé, mais obtempéra. Inutile de raisonner un âne bâté.
Naruto réintégra sa place à son bureau et fit mine de se reconcentrer sur sa cartographie, mais l'esprit n'y était plus. En coulant un discret regard sur le dos désormais lointain du brun, une colonie d'épines se mêla à sa salive et lui piqua la gorge.
Lui ? L'avoir maté ? Et puis quoi encore ? Uchiha se faisait des films, ça n'avait rien à voir avec ça. Ça ne s'était pas passé comme il l'avait dit. Il ne l'avait pas épié, ni… reluqué. Ce n'était… qu'une simple vérification. Voilà. Une vérification.
Seule Hinata lui faisait ressentir des choses, et c'était d'elle dont il était éperdument amoureux. Et puis, c'était à ses seins ronds qu'il pensait quand il s'adonnait à un plaisir solitaire, à ses hanches voluptueuses auxquelles il s'agrippait, à ses fesses dodues qu'il claquait parfois en s'enfonçant en elle, à ses longs cheveux qui caressaient ses cuisses quand au-dessus de lui, elle se donnait sur son sexe dressé, à sa voix qui partait dans les aigus quand il l'emmenait à la jouissance… À elle tout court. Sasuke était un homme, et les hommes, ça ne l'attirait ni de près, ni de loin. Il l'aurait forcément remarqué.
Du moins, il s'efforça de s'en convaincre.
8h51, à l'Est de Suna.
« Taka au rapport. Vous êtes en position ? »
« Affirmatif Kurama. À part des hyènes et des antilopes, nous n'avons pas croisé grand-chose dans notre secteur. »
« Soyez vigilants Taka. On a aperçu des traces de notre côté. Sûrement celles d'un berger et son troupeau, mais aussi des pneus de tout-terrain. C'est peut-être un lieu de passage pour faire entrer des armes, on ne peut rien affirmer, mais on ne peut pas non plus négliger cette piste. »
« Reçu, on ouvre l'œil. Terminé. »
Naruto raccrocha sa radio et la rangea dans une petite poche à scratch près de son cœur. À ses côtés, Saï survolait la ville à travers ses jumelles, du haut de la falaise de grès sur laquelle ils avaient établi un campement de fortune à leur arrivée une demi-heure plus tôt. Comme espérée, leur position leur permettait d'avoir une vue plongeante sur Suna et la crête avait naturellement ouvert des brèches dans la roche. Ces sortes de grottes ou crevasses peu profondes pourraient leur servir d'abri en cas d'attaque ou pour se protéger du froid la nuit et Sasuke était d'ailleurs parti en inspecter quelques-unes.
« Qu'est-ce que tu penses du Sergent Uchiha ? C'est tendu avec lui, non ? » demanda Saï pour meubler la conversation.
Effectivement, le trajet en voiture et les derniers kilomètres à pied s'étaient effectués dans un silence plombant, mais malgré tout, derrière ses lunettes fumées et à son insu, Naruto n'avait pu s'empêcher de lorgner sur le brun à la chevelure indomptable de temps à autre, dans le rétroviseur intérieur pendant qu'il conduisait ou lors de l'ascension de la côte caillouteuse jusqu'à leur point de chute, comme inexorablement magnétisé.
Toutefois, l'orgueil ancestral de Naruto ne lui permettait pas d'offrir l'effort nécessaire à son intégration, ni à un éventuel pardon. L'Uchiha avait déjà dépassé les bornes, et selon lui, il était le seul fautif de cette dissension.
« La rébellion est proscrite dans mes rangs. Quand il se soumettra à mes règles sans se plaindre, on en reparlera. Pour l'instant, notre entente est compromise, alors il a intérêt à devenir un peu plus docile s'il ne veut pas être le seul responsable du fiasco de la mission. J'hésiterai pas à l'enfoncer auprès du Commandant ou du Général si besoin. »
« T'es dur… Moi, je l'aime bien. »
Naruto jeta un coup d'œil biaisé à son subordonné et avisa le léger sourire qui venait de fleurir sur son visage. Il ne s'épanchait pas forcément sur ses conquêtes, mais certains indices lâchés lors de quelques discussions autour d'une table avaient pu permettre à Naruto de conclure que ses préférences visaient plutôt un public masculin. Saï était un séducteur, un beau-parleur qui, tout en finesse, parvenait toujours à ses fins. D'ordinaire, ce que faisaient ses camarades soit de leur cul, soit de leur queue ne l'intéressait guère, mais cette fois, sa curiosité fut titillée au point de ressentir le besoin de lui tirer les vers du nez.
« Et donc quoi ? Il t'intéresse ? »
Le sourire de Saï s'agrandit davantage et se voulut mystérieux.
« Je l'ai aidé à s'installer hier soir pendant que t'étais parti bouder et on a discuté un peu. »
« …Et ? » enchérit Naruto, laissé sur sa faim.
« Mmh… Il est sympa. Très sympa. »
Naruto n'était pas dupe. Il n'y avait nul besoin d'un décodeur pour comprendre que ''sympa'' voulait dire ''baisable'' dans la bouche de Saï.
« Tu perds pas de temps. » lui fit-il tout de même remarquer.
« Je te mets dans le contexte : si ta femme te lance des regards équivoques, qui te font comprendre qu'elle attend quelque chose de toi, tu tournes le dos et tu fais celui qui n'a rien vu toi ? Sérieux Naruto… Je vais pas te faire un dessin. Quand tu sens que ça matche, pourquoi attendre ? »
« Que ça matche ? » répéta-t-il en fronçant les sourcils.
« Ouais, quand il y a un feeling quoi. C'est vrai ce qu'on dit : le regard, ça ne trompe pas. »
« Tu viens juste de le rencontrer. »
« Et alors ? Pour tirer un coup, pas besoin de se connaître. T'as sûrement dû faire pareil, mais tu as oublié parce que ça fait dix ans que t'es maqué et que t'as la bague au doigt. »
Songeur, Naruto tortilla son annulaire gauche, vierge de toute trace de bague. Quand il partait en mission, il ne portait pas son alliance, de peur de se faire un jour capturer et d'informer par ce biais les ennemis sur sa situation maritale. Il ne voulait pas qu'Hinata soit impliquée de quelque manière que ce soit dans des histoires liées à son travail. Imaginer qu'on lui impose une rançon en échange de sa vie ou quelque chose du genre avait tout de l'intolérable. Mais ce qui le chagrinait n'avait rien à voir avec sa femme. Étrangement, savoir que Saï espérait rapidement mettre le grappin sur Sasuke, et qu'à ses dires, ça semblait réciproque, le dérangea. D'accord, le délai entre le départ et le retour auprès de leurs proches pouvait être long quand ils partaient en opération extérieure, il comprenait le manque de chaleur humaine, mais là… Quand même… Ça allait beaucoup trop vite.
« Hé. Vous devriez venir voir ça. »
Sur un rocher au-dessus d'eux, dans son treillis beige se confondant avec le sable, Sasuke refit surface.
« Continue la surveillance. » ordonna Naruto à un Saï déjà en train de se redresser du sol sur lequel il était couché.
Par un chemin escarpé, le leader de la section Kurama rejoignit Sasuke et tous deux se mirent en marche après ne s'être adressé qu'un subreptice regard.
Seulement quelques minutes et le brun s'arrêta à l'entrée d'une petite cave creusée dans la paroi, juste assez large pour qu'un homme puisse s'y faufiler. Il s'y accroupit puis d'un coup de menton, proposa à Naruto de s'avancer.
« Regardez. »
Le blond s'abaissa à son tour et en un instant, ses yeux s'écarquillèrent.
« Bordel… C'est de la dynamite. »
« Ouais. Et il y en a assez pour faire sauter un immeuble de dix étages. »
Les bâtons étaient en nombre et à portée de main, méticuleusement attachés par groupe de cinq. Tordant ses lèvres d'un air tracassé, Naruto estima que le niveau de danger venait de grimper d'un cran supplémentaire. Et il n'aimait vraiment pas ça.
« C'est donc bien un lieu de passage… Ils se servent des fissures comme zone de stockage. Va falloir être encore plus sur nos gardes. Faut qu'on trouve une planque en hauteur pour surveiller ce chemin. »
« C'est déjà fait. Suivez-moi. »
Dans la foulée, Sasuke le conduisit cinquante mètres plus haut, mais tous deux durent à nouveau crapahuter pour atteindre la cachette soumise à approbation. Après l'effort, un tunnel naturel se dévoila, allouant une bonne visibilité sur la route en contre-bas et sur la ville assiégée.
« C'est spartiate, mais à trois, ça devrait faire l'affaire. L'accès est compliqué, je doute que les opposants grimpent jusque-là. Ils cherchent davantage la praticité en sélectionnant des estafilades accostables rapidement pour charger ou décharger leurs munitions. »
Naruto examina vaguement la galerie, étroite, mais en profondeur, sans rien trouver à redire. L'Uchiha avait tout d'un crétin prétentieux et allergique aux ordres, mais il n'économisait pas ses forces et son initiative s'apprécia, bien qu'avoué à demi-mots.
« Ça ira. »
Sasuke opina du chef.
« Je vais chercher Saï dans ce cas-là. »
Sans attendre, il rebroussa chemin, mais derrière lui, la voix éraillée de Naruto s'éleva.
« Bien joué Uchiha. »
Sasuke stoppa sa marche et pivota, l'étonnement peignant tout son visage. Il ne fut pas le seul à être surpris. Avare en compliment, Naruto s'étonna lui-même de son amabilité. Était-ce là les prémices d'un travail d'équipe dans une atmosphère beaucoup plus sereine ? Il était sans doute trop tôt pour le dire. Mais Sasuke esquissa néanmoins un mince sourire, mesurant l'effort que cela avait dû demander à Naruto pour se montrer sous un autre jour que celui d'un immonde macho.
« C'est Sasuke. » répondit le Sergent, d'humeur plus douce, avant de poursuivre sa descente.
Du haut de son perchoir, Naruto le regarda dévaler la pente ardue et fut le désagréable témoin de la poignée de main de Sasuke pour aider Saï à se relever, de l'accolade qui suivie lorsqu'il le réceptionna contre lui, de la complicité qui semblait réellement naître entre les deux hommes.
Comme un cancer, une ombre dont il n'eut pas conscience s'étendit pourtant malicieusement sur son cœur.
20h12, à l'intérieur de la planque.
Cette première journée de reconnaissance se solda par une attente des plus abrutissantes. Sur le passage qu'ils guettaient, aucun mouvement n'avait alerté les hommes de l'unité Kurama et dans la métropole, les allées et venues des cohortes armées ne suscitèrent pas non plus de branle-bas de combat. Le constat fut le même du côté de Neji lorsqu'ils installèrent leurs paillasses pour la nuit, un peu plus tôt dans la soirée. Mais cette mission d'espionnage ne faisait que commencer et la patience était une vertu pour ces militaires surentraînés.
La nuit désormais tombée, l'équipement de vision nocturne devint indispensable pour prolonger la garde. Mais avant tout, l'estomac des soldats criait famine et Saï fut celui dévolu à cette tâche.
Autour du réchaud à gaz, seule source lumineuse autorisée dans l'obscurité totale, l'ambiance était au repos provisoire, mais les gloussements de ces deux compagnons d'infortune, continuels depuis près d'une demi-heure, agaçaient Naruto.
La cohésion avec Sasuke ne s'était pas vraiment installée, alors, il l'avait quasiment ignoré de toute la journée, préférant échanger avec Saï qui, en réponse, n'avaient cessé de multiplier les regards lubriques à son encontre. Pas qu'il recherchait spécialement l'attention du membre du commando Taka après l'avoir durement traité, mais son officier prenait de la place. Beaucoup de place.
« Et là, pas le choix, j'ai dû sauter dans le lac sans connaître la profondeur pour éviter les balles. Y'avait de quoi paniquer, mais le temps de ma chute, je me suis pris pour un oiseau… Juste quelques secondes, je volais… je volais… j'étais libre… Plus de guerre, plus de balles… Seulement la liberté. »
Comme l'animal, Saï déploya ses bras en mimant un vol planant et tout en légèreté, agrémenté d'un long sifflement, arrachant à Sasuke un sourire amusé. Naruto, en plein air à l'entrée du tunnel, roula des yeux, plus exaspéré par la grotesque tentative de séduction de son allié qu'il ne l'aurait voulu. Finalement, l'Uchiha avait peut-être eu raison, il aurait mieux fait de recomposer les équipes. Entendre Saï relater des récits plus rocambolesques les uns que les autres était de la torture pour ses oreilles, d'autant que Sasuke semblait réceptif à ce ramassis de connerie.
Que pouvait-il dire ? Saï était avenant, comparé à lui, et d'une bien meilleure compagnie.
« Bon, Messieurs, pardonnez-moi, mais il faut que j'aille me soulager. Sasuke, tu voudrais pas m'accompagner ? Tu vois… Pour m'éclairer et… me tenir mon fusil. »
Sous la question d'apparence anodine, un regard lourd et la proposition indécente du cadet de la bande brilla comme un phare en pleine mer. Si Naruto ouvrit la bouche, scandalisé, Sasuke expulsa un rire étouffé.
« Je crois que t'es assez grand pour t'occuper de ton fusil tout seul. »
« Dommage… » souffla Saï d'une moue désenchantée. « Tu sais pas ce que tu rates. Mais bon… Une prochaine fois peut-être. »
Naruto dégagea ses jambes étendues pour le laisser sortir de la grotte et lui lança un regard de travers qu'il n'aperçut même pas.
D'un point de vue purement professionnel, Saï était un bon soldat. Mais présentement, il lui pompait l'air comme jamais. Cette fois, il n'y avait plus aucun doute à avoir : avec des paroles aussi crues, une demande si équivoque, Saï venait d'afficher clairement son orientation, et plus encore sa volonté d'obtenir les faveurs de Sasuke. Et même s'il ne se mêlait jamais des histoires que pouvaient bien entretenir ses compères, Naruto, à flux tendu, se permit quelques remarques déroutantes et d'une franchise implacable pour qui ne s'y serait pas préparé.
« Tu devrais te méfier de Saï. Ta présence a l'air de le rendre un peu nerveux au niveau de l'entre-jambe. »
Sasuke, qui en l'absence du concerné s'occupait du bouillon qui leur servirait de repas, leva le nez de la marmite et questionna d'une œillade déconcertée le Sergent-Chef Uzumaki.
« Excusez-moi ? »
« Ça veut dire qu'il aimerait bien te mettre dans son lit. Et je crois même que vu son état, il n'a pas très envie d'attendre jusque-là. »
« …Et ça vous pose un problème ? »
« J'dis juste que si t'es pas en accord avec ça, je peux lui dire de calmer ses ardeurs. »
Un rire cristallin lézarda sur les faces de la crevasse, un son agréable, doux comme une caresse et eut pour effet de faire taire Naruto.
« J'hallucine… » se reprit Sasuke, les épaules encore secouées par l'hilarité. « Vous vous inquiétez pour moi ? »
Est-ce que ses mots sonnèrent comme cela ? Distraitement, Naruto joua avec le cliquetis de son arme.
« Je suis pas un grand diplomate. Mais si un de mes gars ne respecte pas l'intégrité d'un autre, ça va me poser un problème, ouais. »
La courbe sur les lèvres de Sasuke se densifia subtilement. Non, en effet, on ne pouvait conférer à Naruto la palme du plus grand philanthrope de la Konoha Royal Army, mais sa maladresse verbale, bourrée de fragilité, révélait son humanité.
Dans son paquetage, il délogea deux tasses en acier inoxydable pour les remplir de soupe fumante. Après quoi, il s'installa en tailleur aux côtés du blond et lui en tendit une aimablement. ''Un pardon sincère n'attend pas d'excuses'', disait-on. Naruto était certainement l'un des rares fumiers auquel il avait été confronté dans toute sa carrière, mais en grattant un peu la surface, peut-être trouverait-il autre chose qu'un parfait enfoiré ?
« C'était pour nous surveiller que vous nous avez mis dans votre unité ? »
« Pas du tout. J'avais pas remarqué que ça accrochait entre vous deux. Mais faudrait pas que vos petites affaires viennent semer la zizanie dans le groupe. L'objectif, c'est la réussite de la miss-… »
« La mission. » termina l'Uchiha. « Ouais, je sais. C'est sacré pour vous, la mission. N'ayez crainte, aucune affaire ne troublera quoi que ce soit. Je sais que l'enjeu est énorme. »
Fallait-il comprendre que Sasuke n'était pas aussi sensible aux charmes de Saï ? Naruto se garda bien de poser la question, puisqu'au fond, ce n'était pas ses affaires, mais une sorte d'appréciation gagna tout de même le cœur de l'homme.
La flamme du réchaud continua de briller dans l'abri, mais de façon beaucoup moins franche, signe que la cartouche de gaz délivrait ses dernières vapeurs. En buvant le potage réhydraté, Naruto étudia d'un œil oblique le profil du soldat, là où la lueur pâle jouait d'ombre et de lumière sur les contours de son visage, sur sa bouche rosée et pleine, son nez droit... C'était intime et hautement déstabilisant, car en dépit de ses certitudes, de l'amour véritable qu'il portait à sa femme, Sasuke réveillait en lui des sensations inédites.
« Ça dure depuis combien de temps pour vous, l'armée ? »
Il n'y avait pas que la musique pour adoucir les mœurs. Apaisé par l'obscurité, l'absence de raffut et peut-être aussi par le timbre pondéré et suave de Sasuke, l'intraitable Naruto osa abaisser quelques barrières, suffisamment pour se prêter à un jeu de confidences.
« Ça fait quatorze ans. Je me suis engagé à ma majorité. Je ne savais pas trop quoi faire de moi à cette époque, alors ça m'a semblé être une bonne option. Et j'ai chopé le virus depuis. »
« Et votre femme ? Elle en dit quoi de tout ça ? Ce n'est pas simple d'être mariée à un militaire. Vous avez des enfants aussi. Ils ont quels âges ? »
« Boruto a quatre ans. Ma fille, Himawari, n'est pas encore née. Ça ne devrait plus tarder, mais je ne serais pas rentré. Ma femme, elle a pas de problème avec mon boulot. Elle sait que je fais ça pour nous, pour la maison, les enfants… Pour nous assurer un avenir. Et puis, c'est aussi par passion. Elle gère. »
« Et depuis que vous êtes père, vous n'avez jamais songé à quitter l'armée ? Excusez-moi, vous semblez catégorique, mais c'est une sacrée charge que vous lui infligez. Un enfant en bas âge, un nouveau-né, une baraque… »
« Elle est entourée, elle a sa famille. Je ne l'ai pas non plus abandonnée. L'armée, l'unité Kurama, je ne peux pas décrocher. Qu'est-ce que je pourrais faire d'autres ? Non, je ne peux pas tout lâcher. Et puis, c'est le jeu. Quand on s'est rencontrés par le biais de Neji, il y a dix ans, je faisais déjà partie des rangs, donc ce n'était pas une surprise. L'un n'empêche pas l'autre. »
« Dix ans… » murmura Sasuke. « C'est une histoire qui dure. »
Il y eut un moment de flottement, où l'un et l'autre se turent pour des raisons différentes.
Naruto décortiqua les propos de Sasuke, puis songea aux siens. À Hinata et à son fils qu'il ne voyait pas grandir. À leur maison qu'il redécouvrait à chaque fois qu'il rentrait, comme si ce n'était pas vraiment la sienne. À Himawari, qu'il ne verrait pas naître et qui aurait déjà trois mois quand il reviendrait. Mais en lui, nul regret, nulle culpabilité. Malgré l'amour qu'il portait à sa famille, se sédentariser ne faisait pas partie de ses options, ni de ses projets. L'armée lui apportait ce que sa femme ou ses enfants ne sauraient jamais lui donner : la liberté, un sentiment d'accomplissement à nul autre pareil. Était-ce égoïste d'agir ainsi ? Très certainement. Mais les hommes de l'unité Kurama faisaient aussi partie intégrante de sa famille. Il leur était loyal… et redevable. Et rien n'aurait pu lui faire revenir sur sa décision.
« N'empêche… Si on regarde ça de loin, on dirait que vous fuyez quelque chose… » reprit Sasuke.
« Qu'est-ce que tu insinues ? » grommela Naruto, devenant un peu plus méfiant.
« Je sais pas… Vous vous êtes déjà demandé si cette vie vous convenait ? Vous pourriez sérieusement vous poser la question. Parce que quand on aime une personne, on se doit de la soutenir non ? Mais celle que vous avez épousé va accoucher et elle doit s'occuper seule de l'ainé et se débrouiller pour l'arrivée de votre fille, de votre maison. Et vous, vous êtes ici, à des kilomètres… peu concerné. »
« Je suis concerné, qu'est-ce que tu me chantes ? » s'énerva soudainement Naruto. « Elle touche la totalité de mon salaire pour couvrir les dépenses ! »
« Je ne parle pas d'argent, mais de présence. Dites-moi… Les Opex longue durée, ça ne serait pas plutôt une échappatoire ? Une façon de vous dérober ? Comme si chez vous, vous étouffiez ? »
L'analyse pointue de Sasuke laissa Naruto sans voix. En quelques mots, il l'avait dressé devant la déplaisante vérité. Une bombe dure à encaisser, autant qu'à entendre. Mais comment faire pour se débarrasser d'un costume quand celui-ci ne faisait plus qu'un avec sa peau ?
Malgré cela, Naruto ne serait pas Naruto s'il concédait à assumer son mensonge sans broncher. Il s'y était enlisé depuis des années, idiot était celui qui pensait pouvoir l'en extirper…
« Ouais, bah… Tes théories fumeuses, garde-les pour toi et dans ta cervelle tu veux ? »
C'en était assez pour le Sergent-Chef Uzumaki. Il termina à la hâte son breuvage et se releva pour se dégourdir les jambes, toutefois renfrogné. Sasuke mettait le doigt sur des sujets sensibles, bien trop pour être abordés. Seulement, il persista à s'y infiltrer.
« Si vous ne traitez pas le mal à la racine, c'est comme une gangrène vous savez. Ça prolifère jusqu'à vous consumer entièrement. »
« La ferme. J'ai pas besoin de tes conseils. » trancha sèchement le blond. « Tout va très bien avec ma femme. Cette conversation est terminée. »
Pour donner plus de corps à ses mots, Naruto tourna définitivement le dos et rabattit ses lunettes de vision nocturne sur son nez pour sillonner les alentours, ignorant la plainte découragée de son analogue.
Rien d'autre qu'un néant d'une teinte verte n'apparut au travers d'elles. S'il sentait les yeux du brun lui brûler la nuque, Naruto pria pour apercevoir des phares ou n'importe quel autre mouvement, juste pour que cette tension s'arrête.
Combien de fois s'était-il répété de ne pas faire ami-ami avec de nouveaux équipiers ? Preuve en était, tout ce qui ressortait de ce laisser-aller était le sentiment de se faire juger. Cette percée au cœur de son intimité n'était que trop brutale et Naruto eut du mal à s'entendre dire qu'il délaissait ses proches, surtout de la bouche d'un presque inconnu. Qu'il dise vrai ou non ne changeait pas la donne : la vérité était là encore simplement trop dure à admettre.
De tous, Sasuke venait à nouveau d'être le seul à se confronter à lui et à la réalité de sa vie. Une folie, selon lui. Un danger. Un risque de se faire démasquer.
Le silence entre eux reprit ses droits durant un temps qui s'écoula longuement. S'il joua les marmoréens, Naruto cogitait à s'en faire mal à la tête. Hinata, la distance qui l'éloignait un peu plus d'elle sans qu'il ne s'en rende compte, cette mission, cette guerre, Sasuke et son débarquement abrupt dans sa vie, toutes ces choses bizarres qu'il éprouvait depuis, Saï et les indénombrables regards qu'il avait posés sur lui…
Saï… Subitement, une alarme se déclencha dans son cerveau. Absorbé par ses pensées, il réalisa seulement maintenant que son subalterne était parti depuis bien trop longtemps.
« Saï n'est pas encore revenu. C'est pas normal. » dit-il calmement, comme s'il exprimait une pensée à voix haute.
À son tour, Sasuke se remit debout.
« Je pars à sa recherche. »
« Non, attends. Pas question que je te laisse partir seul. On y va tous les deux. On ne sait pas à quoi s'attendre et s'il est dans le pétrin, on agira de concert pour l'en sortir. »
Sans plus attendre, Sasuke alla couper la bombonne de gaz et s'empara de son fusil d'assaut. Sous la seule discrète lumière du croissant de lune, les deux hommes déambulèrent furtivement à travers de dangereux sentiers escarpés et disparurent dans la nuit, tel deux fantômes sans ombre.
A suivre...
Bonjour ! :)
J'espère que vous avez apprécié votre lecture !
Plus bouleversé qu'il ne le voudrait notre Naruto ! Et Saï n'est pas là pour arranger les choses... Héhé... :P
Merci d'avoir lu !
A tout bientôt pour la suite...!
Votre dévouée,
TLIOM
