Titre : « Vivre »
Auteur : Mokoshna
Manga : Naruto
Crédits : Naruto est la propriété de Masashi Kishimoto et de Jump. Je ne reçois pas d'argent pour cette fic, je ne risque pas d'en donner à qui que ce soit (vu l'état de mes finances ça n'irait pas loin de toute façon).
Avertissements : Spoilers du manga jusqu'au volume 26, chapitre 233. Après ça n'a plus vraiment d'importance puisque la fic suit sa propre voie. Par conséquent l'histoire risque d'être un peu (beaucoup ?) AU. Du Yaoi avec du SasuNaru, du Het avec du NejiHina, du LeeSaku, mais aussi du Yuri à partir d'ici.
Commentaires artistiquement idiots de l'auteur : On arrive à un tournant dans l'histoire. Je voulais organiser le chapitre en l'introduction d'un combat qui aurait duré encore deux chapitres ; il en est finalement ressorti ça, et j'en suis assez satisfaite même si le contenu pourra paraître surprenant, voire frustrant pour certains.
XxXxXxXxXxX
Chapitre 12 : Dévoiler
XxXxXxXxXxX
Sakura n'avait pas besoin de jeter un coup d'oeil vers ses camarades pour avoir une idée de ce qui leur passait par la tête. N'importe quelle personne ordinaire aurait paniqué d'une manière ou d'une autre, dans ces conditions... mais ils n'avaient pas ce luxe, en tant que ninja de Konoha. Ils avaient une mission à remplir et perdre son sang-froid n'aurait rien arrangé. Néanmoins, elle essaya assez futilement de détourner le regard. Elle fut vite rattrapée par l'odeur ; envahissante, obsédante, elle les avait pris à la gorge depuis un moment et vaille que vaille, il avait fallu l'ignorer pour continuer à avancer. Ce fut sans surprise qu'ils trouvèrent le charnier.
D'ici quelques jours, tout le pays des Plaines apprendrait ce qu'ils avaient découvert, et pas seulement par les rumeurs colportées par les voyageurs qui auraient traversé cette région. Toute la plaine empesterait et serait recouverte de mouches et de charognards. L'étendue de terre, balayée de tous côtés par les vents, laissait circuler le moindre phénomène, son, odeur, secousse, flot de chakra à l'intensité inhabituelle. Si personne ne faisait rien, cette parcelle de territoire deviendrait rapidement insalubre. Le village le plus proche n'était, après tout, pas si éloigné...
La jeune fille sentit un frisson parcourir son corps. Ça ne pouvait être qu'eux. Qui d'autre avait un tel impact sur elle et sur ce qui l'entourait ? Elle avait le coeur au bord des lèvres, un peu par dégoût, beaucoup par abattement. Lee s'approcha d'elle, doucement, et lui mit la main sur l'épaule. Sakura la repoussa d'un geste vif ; elle n'avait pas le droit de se sentir dépassée et de ce fait, elle ne pouvait si facilement se laisser consoler. Son pied buta contre un morceau de chair envahi par la vermine. Elle l'envoya rouler au loin avec fureur, et tant pis pour sa sandale souillée ! Lee soupira et fit signe aux autres de la laisser seule.
Au départ de Suna, le groupe n'avait qu'une très vague idée de ce qu'il aurait pu trouver en arrivant. Le rapport succinct que leur avait fait Gai parlait uniquement de la présence éventuelle de Sasuke et de Naruto dans les parages ; jamais au grand jamais, ils ne s'étaient attendu à un tel spectacle, une telle boucherie...
— Comment cela a-t-il bien pu arriver ? demanda Lee sans attendre vraiment de réponse.
Il contemplait les bouts de chair déjà putrides disséminés aléatoirement autour d'eux tandis que le vent claquait sur ses joues. Il n'avait jamais vu un tel carnage. La créature qui avait été ainsi dépecée avec tant de sauvagerie avait dû faire plusieurs centaines de mètres de haut. Il était difficile d'estimer son espèce dans ces conditions ; un démon peut-être ? La veille, une clameur horrible avait résonné dans le pays, et les habitants du village dans lequel ils avaient passé la nuit s'étaient retranchés dans leurs maisons en tremblant, bafouillant à demi-mots des histoires mentionnant un Oni enfermé par un moine des siècles auparavant, d'une taille gigantesque frôlant le divin. Lee avait écouté leurs récits avec ferveur, s'imaginant déjà terrasser le démon pour rendre la paix aux braves gens qui les avaient accueillis... Bien sûr, il avait fondé ses exploits alors qu'il était bien confortablement installé chez l'habitant, dans une maison chaude et accueillante. La soupe bouillait dans la marmite et ils étaient attablés ensemble, discutant de tout et de rien, savourant au milieu de gens ordinaires leur bref instant de paix avant la bataille. À présent qu'il se retrouvait sur le terrain, en face de la carcasse disséminée du monstre, il se sentait considérablement moins fier.
— Elle devait être grosse, la bestiole qui s'est faite déchirer comme ça, fit Tenten, la main plaquée devant la bouche pour éviter de rendre ses repas des derniers jours. J'espère que le machin qui lui a fait ça n'est plus dans le coin.
— Au contraire, dit Sakura d'une voix sombre. Il faut qu'on le retrouve.
— Qui ?
— Naruto !
Les trois compagnons de Sakura la dévisagèrent d'un air surpris. Lee revit furtivement l'image de Naruto, avec ses yeux sauvages et ses mains griffues, porter un coup fatal à une araignée de la taille d'un immeuble. Il frissonna en repensant au flot anormal de chakra qui s'était échappé de son corps en volutes rouges, coulant dans son dos jusqu'à former une longue queue mouvante... Il aurait voulu oublier cette scène. Il l'avait sciemment occultée de sa mémoire jusque-là, à tel point qu'il avait presque cru à un cauchemar... même si l'état de Sakura et de ses deux compagnes d'infortune avait été bien réel. Hinata et Ino souffraient encore de ce qui leur était arrivé ce jour-là, mais il ne les avait presque plus revues et ne leur parlait guère. Seule Sakura comptait. Il la protégerait de sa vie s'il le fallait, il l'avait juré depuis bien longtemps. C'était ainsi qu'il avait décidé de vivre son Nindô, c'était avec cette idée en tête qu'il s'était entraîné jour et nuit pour affronter dans l'avenir les démons qui hantaient l'esprit de la jeune fille. Pour Sakura, Sasuke et Naruto étaient encore ses amis, les hommes de sa vie. Elle avait juré de les ramener ou de les tuer, et ce quel qu'en fût le prix.
Lee voulait seulement son bonheur à elle. Bien sûr, il aurait aussi voulu qu'elle le reconnaisse, il aurait voulu vivre avec elle pour le restant de ses jours, il aurait voulu qu'elle l'aime enfin. Il désirait tant de choses, et tant de choses lui manquaient pour atteindre son idéal. En considérant la scène qu'il avait sous les yeux, il sut que ses rêves ne resteraient, après tout, que des rêves. Quelquefois, même avec toute la volonté et les efforts du monde, certaines fins ne pouvaient être atteintes. Oh, bien sûr, il lutterait jusqu'à la mort si cela pouvait aider Sakura à atteindre son objectif ô combien noble. Mais croire dur comme fer qu'elle lèverait encore les yeux vers lui en présence de ses anciens camarades, feindre l'indifférence alors qu'elle souffrirait dans son coeur et dans sa chair face à eux, ne pouvait plus être envisagé.
Il scruta avec adoration le visage de sa bien-aimée. Belle, si belle, et si forte à sa façon... Sakura était son idéal féminin, celle en qui il voulait croire. Elle était son printemps.
La voix de Gai tonna dans l'air, impitoyable, et il sut qu'il ne pouvait plus échapper à ses craintes. Il attendit donc la suite, le coeur battant, priant pour que les révélations, si révélations il y avait, ne l'atteignent pas, tout en espérant en finir au plus vite.
— Tu es donc au courant ? dit son maître.
La jeune fille hocha gravement la tête.
— Tsunade me l'a dit, mais j'avais déjà plus ou moins deviné. J'étais là à Hotaru, je te rappelle. Et même s'il ne dit rien, je sais que Lee se doute aussi de quelque chose, n'est-ce-pas ?
Il répondit au regard incertain qu'elle lui lança par un sourire crispé teinté d'une pointe de reproche. Oui, il l'avait compris à l'instant. Seule, Tenten semblait confuse, ses yeux naviguant de l'un à l'autre sans trouver de réponse.
— De quoi vous parlez, enfin ? Je n'étais pas là-bas, moi, et vous n'avez jamais pris la peine de me raconter en détail !
Sakura lui fit un signe positif. Gai ne disait rien. C'en était inquiétant ; la suite de la mission s'annonçait donc si hasardeuse ? Finalement, il prit sa décision.
Plus question de reculer.
— On parle du Kyûbi, fit-il sans détour. Celui qui a failli dévaster Konoha il y a quinze ans. Celui qui est enfermé dans le corps de Naruto.
xxxxx
Tout en jouant avec un kunai qu'il faisait tenir en équilibre sur le bout de l'index, Hijiri reformulait dans sa tête les ordres qu'il avait reçus. Il était installé sur l'unique chaise de la pièce ; la table sur laquelle il était accoudé était un peu branlante et sautait légèrement à chaque instant. Il regarda tour à tour ses compagnons de route et sourit, satisfait.
Sai était assis par terre en tailleur et caressait les cheveux de Naruto du bout des doigts. Le garçon blond était resté inconscient depuis la fin de son impressionnante perte de contrôle. Lavé, pansé, il n'avait plus manifesté aucun signe de vie si ce n'est un souffle qui s'échappait de temps à autre de ses lèvres closes. Sai avait veillé à ce qu'il ne manque de rien : c'était lui qui l'avait allongé délicatement sur le sol, sur un tapis de feuilles moelleux préparé par ses soins, il avait changé ses vêtements, avait épongé son front brûlant lorsqu'une poussée de fièvre s'était incidemment manifestée au petit matin...
Sasuke avait été en état de choc et l'avait laissé faire sans un mot, les yeux encore emplis de la scène infernale à laquelle il avait assisté. La vision de Naruto semblait provoquer en lui des sursauts d'humeur mélancolique ; une prise de conscience tardive, peut-être ? En tout cas, cela n'affectait en rien le coéquipier de Hijiri qui continuait à s'occuper paisiblement de son bel endormi. Hijiri se lécha les lèvres en le voyant soupirer d'aise. Quel spectacle intéressant ! Sai avait le visage empreint d'une sérénité telle qu'il n'en avait vu qu'auprès des fous qui logeaient dans l'asile où il avait eu l'occasion de travailler, des années auparavant. Ceux qui avaient atteint leur nirvana personnel sombraient quelquefois dans cet état. Il y avait aussi les prisonniers de la section « Torture et Interrogatoire », ceux qui après des heures de séances privées intenses perdaient la tête et préféraient s'enfermer dans leur monde plutôt que de subir la souffrance de sentir (et de voir) leurs orteils arrachés un à un en commençant par les ongles, ou était-ce dû à la brûlure insoutenable de l'acide badigeonné avec délicatesse sur leur visage, petit à petit jusqu'à ce que la face du prisonnier ressemble à de la viande sur l'étal d'un boucher ?
Sasuke commença à s'agiter. Il était grand temps. Hijiri délaissa son kunai pour observer l'évolution de son comportement. Le garçon marchait de long en large, de large en long, dans la petite cabane dans laquelle ils avaient passé la nuit en attendant leurs « visiteurs ». Il avait laissé Hijiri le traîner, l'habiller, le nourrir comme la jolie poupée inerte qu'il était.
— Pourquoi cette attente ? dit-il soudain en se plantant devant Hijiri, le corps bouillant d'impatience. Je n'ai pas l'intention de revoir Sakura !
Il était enfin sorti de sa drôle de transe. Hijiri lui fit un sourire complice.
— Et pourquoi ça ?
— C'est inutile et dangereux ! Naruto n'est pas capable de les affronter tous, pas comme ça...
— C'est vrai qu'il y a aussi trois autres personnes à part notre jolie « Fleur de cerisier ».
Quel joli nom que celui-là ! Commun, mais si approprié à la jeune fille ! Hijiri l'avait déjà aperçue, aux côtés de Tsunade ou en terrain d'entraînement, ce joli brin de femme sérieuse qui ne pensait qu'à devenir plus forte pour ramener ses anciens camarades. Tout le monde à Konoha connaissait les grandes lignes de son histoire. Il avait hâte de voir si ses efforts avaient portés leurs fruits et si elle était effectivement digne d'être leur ennemie, ou si elle se flétrirait au vent comme les fleurs dont elle tirait son nom... Il aurait bien sûr pu l'éliminer d'une manière ou d'une autre lors de son séjour au village, mais où aurait été le divertissement ? Puis elle pouvait encore se montrer utile à leur cause. Après tout, le Maître n'avait-il pas dit de la laisser revoir l'enfant-Kyûbi ?
— Trois contre quatre, sans Naruto. Et nous devons le protéger, ils ne doivent pas mettre la main sur lui... dit alors Sasuke, pantelant bien qu'il ne remarquât rien.
Hijiri se gaussa en silence. Il avait veillé à ce que cette partie de leur mission se déroulât comme prévu. Sai pouvait bien accaparer Naruto à sa guise, c'était à lui qu'incombait la tâche de s'occuper de Sasuke. Si borné, si naïf... Hijiri l'aimait bien dans son genre, ce gamin capricieux qui avait maudit tout ce qui comptait dans sa vie pour une vengeance encore plus éphémère que ses sentiments. Le coeur sans cesse indécis, la volonté plus chancelante que ce qu'il voulait faire croire à tout le monde, y compris à lui-même... Ne se rendait-il pas compte qu'un seul geste de sa part, un seul mot calculé avec soin, aurait pu faire basculer leurs plans dans un autre sens ? C'était ce type de personnes qui remodelaient l'Histoire, pas les grands seigneurs qui aspiraient à une stabilité jamais atteinte, pas les soldats qui luttaient pour que leurs familles vivent un peu plus longtemps. Hijiri se demanda si les choses auraient été si différentes si Sasuke avait effectivement rejoint Orochimaru comme il l'avait prévu deux ans plus tôt.
Bah, probablement pas. Il était sans cesse en quête de l'impossible, ce Sasuke. C'était ainsi qu'il avait décidé de vivre sa vie et rien ne pouvait le détourner de cette voie, à présent qu'il l'avait embrassée avec la fougue d'un amant insatiable. Inaccompli, imparfait, il ne supportait pas ses propres faiblesses et les dénigrait en bloc alors qu'il était le premier à reprocher celle des autres. En un mot, un chieur jamais content.
Hijiri adorait ce type de personnes.
— Sai est capable de s'en occuper tout seul, fit-il sur un ton mielleux. Enfin, s'il lâche Naruto un jour, bien sûr.
Il partit d'un rire délibérément gras. Sasuke lui lança un regard noir, plein de haine et de promesses de douleur... Grand bien lui fasse ! Il l'avait vu des milliers de fois, cet air-là, auprès de ses victimes ou de ses collègues de travail. Ce n'était pas un gamin sans expérience qui aurait eu raison de sa bonne humeur.
— Quel gâchis, fit-il en se glissant près de Sasuke. Tu serais sûrement plus mignon à sourire qu'à faire cette tête d'enterrement.
Hijiri plaqua une main experte sous le kimono noir que Sasuke avait endossé suite au carnage causé sur ses anciens vêtements, tâtant du bout des doigts la peau étonnamment délicate. Sasuke éloigna sa main d'un geste rageur.
— Ne me touche pas !
— Quelle sainte-nitouche tu fais ! À croire que tu n'as jamais passé des heures excitantes en compagnie de ton petit ami !
— Naruto n'est pas mon petit ami.
— Au temps pour moi. Ton ami de couche. Ton esclave ? Oui, définitivement ton esclave, ou est-ce toi qui t'es fait son maître ?
Un sourire goguenard soigneusement planté sur les lèvres, Hijiri délaissa le jeune homme brun et se mit au centre de la pièce, le corps arqué comme en préparation d'une danse. Esquissant une série de mouvements grandiloquents que n'aurait pas déniés Gai, il allongea le bras, et, souriant, se mit à accomplir sa part de la mission.
— Ah, le doux sentiment de supériorité que l'on doit ressentir en sachant votre rival en votre pouvoir, en le voyant ramper devant vous avec obéissance, adoration même ! Que dirait cet exquis petit Naruto s'il apprenait que son cher et tendre Sasuke n'était en fait qu'un immonde fabulateur qui le manipule au gré de ses envies pour une obscure raison inavouable ? Que leur amour incommensurable n'était qu'une vaste et affligeante illusion conçue par une drogue et alimentée par les propos fallacieux de celui qu'il considérait comme son meilleur ami, non, comme son frère ? Ô douce ironie, ô tragédie du coeur, que tu es injuste, Amour !
Les yeux de Sasuke se couvrirent de rouge, les virgules naissantes dansant au rythme du tremblement rageur qui traversait son être. Il n'attaqua toutefois pas. Hijiri sentit l'odeur du sang émaner de la lèvre inférieure du garçon ; il se l'était mordue avec fureur. Chaud. Rassurant. Le sang était son quotidien, le grand amour de sa vie. Sai continuait à caresser, Naruto à somnoler. Hijiri cessa sa ronde moqueuse et admira la silhouette de Sasuke Uchiha.
Le garçon était comme paralysé. Les mots étaient puissance ; en cet instant, Sasuke sut à quel point cet adage était exact. La vérité lui bondit à la face, impitoyable, avec toute la violence des années de silence qu'il s'était imposé... Autant connaître sa situation ne lui posait aucun problème de conscience (il tâchait de vivre chaque jour sans regret et sans arrière-pensée démoralisante), autant se l'entendre dire de la bouche d'une personne extérieure lui causait une souffrance insolite qu'il n'arrivait pas à canaliser. Le rire strident de Hijiri lui était intolérable ; le visage neutre de Sai l'accusait en silence. Naruto n'était pas inconscient mais bel et bien en train de le juger par son mutisme et son immobilité. Il se tourna vers Hijiri et jura.
— Qu'est-ce que tu m'as fait ?
Hijiri baissa la tête sur le côté, d'un air espiègle qui l'alarma.
— Tu n'es pas sans savoir que j'ai reçu des ordres de mon maître.
— Quoi ?
Depuis quand se trouvait-il dans un aquarium de lumière ? Il était définitivement en train de perdre l'équilibre. La cabane bondit devant lui, les formes des autres hommes se superposaient et il crut voir Naruto lui sourire dans son délire, allonger les bras en sa direction pour les passer autour de son cou et serrer, serrer...
Il poussa un cri déchirant. Hijiri n'avait jamais cessé de sourire.
xxxxx
— Plus ça va, et plus j'ai l'impression qu'on est dans un mauvais rêve. Le genre de ceux où on se réveille en hurlant. Si on se réveille.
Gai regarda en direction de Tenten. La jeune fille avait dit ces mots du même ton qu'elle aurait annoncé la mort d'un de ses camarades à la famille de celui-ci. Pour être honnête, il n'était pas loin de penser comme elle. Ils allaient de surprise en surprise, chacune s'annonçant aussi désastreuse pour la suite que les autres...
Ils avaient passé la dernière heure à suivre la piste qu'ils avaient trouvée dans la plaine, clairement tracée dans la terre et le sang. Elle les avait menés dans une forêt dense, une curiosité dans ce pays plat sans accident sur le terrain. Tenten avait consulté la carte qu'elle avait emporté avec elle : officiellement, cette forêt n'existait pas. Par quel miracle avait-elle pu pousser en si peu de temps pour que les habitants ne le signalent pas sur une carte vieille de moins d'un an ? Gai n'était pas sans savoir que certaines techniques de genjutsu pouvaient faire croire à n'importe quoi ou presque, mais là c'était un peu trop...
— Ce n'est pas du genjutsu, avait répliqué Tenten. C'est une vraie forêt.
— Tu en es sûre ?
— Certaine. La famille du côté de ma mère est experte en mokuton.
— Et alors ? fit Sakura, inquiète. Tu es capable de dire s'il s'agit d'une illusion ou pas ?
— C'est du vrai bois, mais il a été créé par une technique spéciale.
— Quelqu'un serait donc assez puissant pour faire surgir une forêt entière ? intervint Lee. C'est de la folie !
Tenten secoua la tête.
— En principe, ça demande beaucoup de chakra, trop pour un seul homme. Je ne sais pas. Ça me fous les jetons, tout ça. Vous croyez que c'est Naruto ?
— Restons sur nos gardes, répliqua Gai. C'est tout qu'il y a à faire pour l'instant. Si cet endroit est artificiel, nous le saurons bien assez tôt.
Sakura remit ses gants en place ; en observant les alentours, elle avait fini par remarquer qu'aucun bruit ne se faisait entendre, comme il y en avait habituellement dans une forêt. Pas de cris d'animaux, pas de bruissement de vent dans les feuilles, pas de branche qui craque ou de chuchotement craintif. Le silence dans toute sa splendeur, si on exceptait les quatre compagnons d'armes qui avaient pénétré dans cet espace.
— Tu penses à une embuscade ? Il n'y a aucun bruit, c'est suspect.
— Ça ne fait aucun doute, dit Gai d'une voix joviale. Il s'agit d'un magnifique piège à notre intention.
— Peu importe, fit Lee en se mettant en garde. Je les attends. Si c'est bien Naruto et Sasuke, on va leur botter les fesses pour nous avoir réservé un accueil aussi peu amical.
— Et les ramener par la peau du cul, ces deux neuneus déserteurs ! intervint à son tour Tenten. Rien que pour leur apprendre à vivre ! J'ai hâte de leur faire tâter de mes kunai.
Sakura se mit à rire. Elle savait que ses amis n'étaient pas aussi assurés qu'il le faisaient croire par leurs paroles effrontées ; pourtant, voir Lee effectuer des mouvements inutiles des bras et du torse et Tenten brandir ses kunai avec défi en direction des arbres la rassura un peu et calma sa nervosité. Elle était sur le point de revoir Sasuke et Naruto, elle en était intimement persuadée. Laisser le trouble l'envahir ne lui servirait à rien. Elle devait se montrer forte si elle voulait avoir une chance de les ramener.
Gai leur fit signe de se calmer et d'avancer. Elle desserra les poings et suivit son maître, le corps tendu par la concentration.
xxxxx
Hinata ouvrit les yeux sur la forme tremblante de Tsunade. Faible, si faible... La femme blonde lui fit boire à petite gorgées une tisane tiède fortifiante. Elle esquissa un mouvement pour se lever mais son coude glissa contre le sol et elle retomba lourdement sur son futon. Tsunade se précipita pour la remettre plus à l'aise.
— Là, là, tu n'es pas encore en état, ma petite.
— Naruto...
— Il est arrivé quelque chose ?
— C'est fini. Je ne le sens plus. Il m'a échappé.
Tsunade sentit un frisson parcourir son corps. Ce n'était pas possible. Pas si tôt. Cela voulait donc dire que ce qu'elle redoutait était déjà en marche ? Ils n'étaient pas prêts ! Konoha ne pourrait pas combattre de cette manière, avec si peu de chances de son côté !
— Que veux-tu dire ? déglutit-elle.
— J'ai essayé, pourtant, j'ai tout fait pour garder le contact ! Mais il m'a échappé, Hokage, ils l'ont pris !
Elle se débattait avec douleur, essayant tant bien que mal de reprendre le contrôle, de garder ce lien rompu...
— Qui ça ? Qui a pris Naruto ? Calme-toi !
— C'est lui ! hurla-t-elle, des larmes amères coulant le long de ses joues. Je l'ai senti, lorsque le lien s'est brisé ! C'est de sa faute... le Quatrième ! C'est le Yondaime Hokage !
xxxxx
Ino défit ses cheveux et les lissa avec amour, mèche par mèche. Son miroir renvoyait l'image d'une adolescente coquette au physique avantageux, pas encore tout à fait une femme, mais pas loin de le devenir. Elle sourit à son reflet. Jolie. Elle se sentait affreusement aigrie par son existence. Cette beauté n'était qu'apparence, une illusion éphémère qui se fanerait trop facilement avec l'âge ; et d'ailleurs, que lui avait-elle apporté jusque-là ? Sa force, elle ne la devait pas à ce corps déficient qui lui avait fait défaut. Elle la prendrait ailleurs. Elle attacha ses cheveux en une natte serrée qui lui descendait jusqu'aux reins.
— Tu es prête ? fit une voix dans son dos.
Comme elle la connaissait bien à présent, cette voix ! Elle repensa au baiser échangé avec Temari, au sourire doux et triste de son père, aux adieux de Sakura alors qu'elle allait à la rencontre de son destin. Elle revit le visage tordu de douleur de Hinata et l'expression décidée de Tsunade. Elle avait trouvé la gêne de Kiba tentant une approche de séduction sur Iruka adorable, la nervosité de Chôji l'avait amusée, lorsqu'il l'avait invitée cet après-midi même à prendre le thé avec lui. La chaleur de Kurenai flottait encore sur sa peau.
— Oui, fit-elle doucement en se retournant, un sourire aux lèvres. Je suis prête à partir.
xxxxx
Shino s'essuya les mains sur une serviette tachée qui en en avait vu d'autres. L'odeur âcre qui s'en dégageait, la teinte écoeurante qu'elle avait prise, en disait long sur ce qu'elle avait servi à enlever... L'acclimatation de leur dernière prisonnière avait pris plus longtemps qu'il ne l'avait cru. Pourtant, il était assez satisfait du résultat. Cette jeune fille, Kana, ferait une reine-mère excellente une fois que son organisme aurait pleinement accepté les insectes qui y avaient élu domicile. Ce n'était qu'une question de temps, vraiment.
Le temps était peut-être un luxe que le clan Aburame ne pouvait plus se permettre.
— Vous désirez, professeur Iruka ? dit-il doucement à l'intention du nouveau personnage qui était apparu sur le seuil de la pièce.
Iruka lui envoya un sourire rempli de fiel. Shino pouvait sentir sur lui l'odeur entêtante du sexe.
— Voyons, ce n'est plus la peine de me vouvoyer, Shino ! dit le chûnin sur un ton joyeux. Nous nous connaissons bien assez !
— Vraiment ?
Son vis-à-vis partit d'un rire hystérique qui résonna autour d'eux de manière assez assourdissante. Shino ne broncha pas et attendit patiemment qu'Iruka ait fini.
— Je t'aime bien, tu sais. Mais tutoies-moi, veux-tu ?
— On m'a toujours dit de me montrer poli envers les étrangers.
Iruka fit une grimace amusée.
— Fais comme tu veux. Mais je crois que nous avons à parler, toi et moi.
— Vraiment ?
Shino jeta sa serviette dans un coin et l'oublia.
— Cela doit faire la deuxième fois qu'un étranger non invité pénètre en ces lieux. Pas mal pour un simple chûnin sans grands pouvoirs.
— N'est-ce pas ? fit l'autre homme en souriant.
Rien dans la pose d'Iruka ne paraissait faux ou déplacé. Il avait repris à l'instant le même sourire chaleureux qu'il réservait aux gens de Konoha, sa tenue réglementaire de chûnin était aussi nette qu'à l'ordinaire. Il paraissait assez décontracté quoiqu'un peu embarrassé, mais il se montrait tout le temps un rien gauche en présence de ses anciens élèves, c'était dans la norme.
En tant que shinobi, Shino savait bien que des notions telles que la norme ou les apparences n'étaient pas toujours les meilleurs critères pour considérer l'un de ses pairs. Surtout lorsqu'il s'appelait Iruka Umino.
— Vous ne me demandez pas qui était l'autre personne ? fit-il de la même voix neutre qui caractérisait chacune de ses interactions avec le monde.
— Inutile. Je le sais déjà. D'ailleurs, il envoie le bonjour à ton père.
Pour la peine, Shino faillit en sursauter de surprise.
— C'était donc ça, fit-il en remettant calmement ses lunettes en place. Et comment va le Quatrième ?
xxxxx
Kiba gratta à la porte de l'appartement d'Iruka, le coeur battant. Il tripota du bout des doigts le bouquet défraîchi qu'il avait réussi à sauver de la foule. Maudite soit Ino et sa langue trop pendue ! Il s'était sauvé sans demander son reste en s'apercevant qu'une bonne partie de la rue était sur le point de lui tomber dessus pour savoir si ce qu'ils avaient entendu était effectivement exact. Ils devaient sûrement lui en vouloir ; Iruka était l'ami de tout le monde, tandis que lui n'était qu'un sale gosse certes un peu doué, mais à peine plus malin que le gros chien qui lui servait de familier. Il savait pertinemment ce qui se disait de sa famille et de ses drôles de moeurs et ne s'en souciait guère, pas plus que sa mère ou sa soeur d'ailleurs. Qu'ils jasent donc tant qu'ils veulent, cela ne changerait en rien son opinion sur Iruka.
Il poussa un soupir épuisé en voyant que personne ne venait lui ouvrir. Il était pourtant sûr que son ancien professeur était resté se reposer ! Il ne lui restait plus qu'à partir. Il fixa bêtement le joli bouquet qu'il avait pris tant de mal à acquérir.
La porte s'ouvrit légèrement en grinçant. Curieux, Kiba la poussa du bout du pied, les sens en alerte. Il reçut un choc en percevant l'odeur avant même de voir l'état de la pièce. Sang. Sperme. On s'était battu et on avait copulé avec violence. Cela lui rappelait les pires séances des familiers de son clan, lorsque la saison des amours arrivait et qu'ils ne trouvaient un partenaire que sur le tard. Il entra et huma l'air de la pièce malgré la sensation de malaise qu'elle lui donnait. Relents de haine, reflets troublants de malice non dissimulée. Il fut stoppé net par le toucher froid d'un kunai, juste sous sa gorge. Une main ferme se plaqua sur sa nuque.
— Il n'est plus là, dit calmement Kakashi.
Kiba se força à le regarder. Il fut frappé par la pâleur inhumaine du jônin, pâleur qui renvoyait d'autant plus crûment les marques sur son corps. À moitié nu, le corps zébré de cicatrices fraîches, Kakashi lui faisait l'effet d'un cadavre souillé et battu. Le jeune garçon contempla avec fascination le visage de son supérieur : lisse quoique semé de bleus, il était aussi beau que celui d'une statue de dieu. Rien du bec-de-lièvre dont on lui avait parlé, juste un homme séduisant drapé dans une couverture sale. Il détourna le regard. Son coeur lui faisait mal.
— Il est parti faire une course ? fit-il en essayant d'ignorer que l'odeur d'Iruka recouvrait entièrement la peau de Kakashi.
Le jônin lui fit un sourire étrange.
xxxxx
Hijiri sortit en fermant doucement la porte. Sai était déjà loin, emportant avec lui un Naruto toujours inconscient, ignorant des mouvements qui s'amorçaient çà et là. Il le mènerait auprès de leur maître ; de là, ils passeraient à la prochaine étape de leur plan. Il avait attendu ce jour depuis si longtemps, leur maître ! Quinze ans. Quinze longues années à rester dans l'ombre alors que le monde continuait d'avancer sans lui. Quinze ans à regarder sans pouvoir agir, quinze ans à tisser dans l'ombre, petit à petit et avec un soin extrême, les fils qui lui serviraient à diriger sa petite armée de marionnettes. Hijiri risqua un dernier regard en direction de la cabane et partit.
C'était l'heure.
A suivre...
XxXxXxXxXxX
Ce chapitre clôt l'introduction de « Vivre ». Oui je sais, douze chapitres c'est long pour une introduction... Mais sérieusement, les choses sérieuses commenceront au treizième. Je ne me suis pas encore occupé de tout le monde, ça viendra.
J'espère sincèrement que ça vous a plu et si possible, j'aimerais avoir vos avis.
Merci encore et à bientôt !
