La légende

Je m'appelle Swann, je suis un enfant du chagrin. Guerrière de la Déesse de la Lune, enfant sacré de la Lune d'Argent.

Chevalier placé pour la protection de la Déesse Athéna et disciple du chevalier d'or du Bélier, Mû…

C'est un peu pompeux comme titre et je devine ton étonnement, Lecteur inconnu.

Tu n'as jamais entendu parler de moi, n'est-ce pas ?

Les enfants sacrés ne sont pas mentionnés dans les archives du sanctuaire, la raison est simple et je te l'expliquerais plus tard, au fil de mon récit. Nous y étions mentionnés… avant. Les rares archives mentionnant notre existence au sein de la chevalerie ont été détruits il y de cela quelques semaines seulement. Et j'imagine sans peine les fines mains de Saori détruisant dans un élan de rage les quelques reliques parlant de mystérieux guerriers venu d'un sanctuaire oublié par le genre humain.

Véritable autodafé de notre existence.

Une âme peut-elle continuer prétendre à son existence lorsqu'elle se retrouve rayée de la surface du monde ? Comment exister si on ne possède rien d'autre que son cœur et sa voix pour crier une vie qui fait injure ? C'est un geste si facile, si anodin. Une feuille de papier qui brûle, un nom qui disparait… J'en aurais pleuré de rage, pleuré d'humiliation. Pleuré… si je n'avais pas prévu son geste…

Quand bien même… Un tel rejet de la part d'une personne à laquelle on voue sa vie… ça fait mal. Ca fait très mal.

Mais je le savais, je le savais avant même qu'elle ne le sache elle-même.

Alors patiemment, en secret, nuits après nuits, et pages après pages, je nous ai fait renaître à la vie avant même de disparaître.

J'ai divisé un souvenir en trois parties. Trois manuscrits.

Le premier caché dans l'immense bibliothèque du troisième étage de la demeure de Jamir, la maison de mon maître.

Le deuxième dissimulé parmi les ouvrages d'une bibliothèque plus modeste dans une isba perdue au fin fond de la Sibérie. Quelques pages reliés d'un cordon de cuir que j'ai glissé dans un recueil de Rimbaud, clin d'œil complice au chevalier du Verseaux. Je sais que cela le fera sourire. Camus est un homme pour lequel j'ai toujours eut une tendresse particulière… en tout bien tout honneur.

Le troisième… tu le tiens entre tes mains Lecteur inconnu.

Pardonnes-moi ! Mais dans cette histoire incroyable… tu vas avoir un rôle à jouer. Un rôle que je vais t'attribuer.

C'est de la vieille magie. Vieille comme le monde.

La magie des légendes !

Les légendes, vois-tu, ont toujours un fond de vérité. Et pour qu'elles perdurent… il faut que tu y croies. C'est ça : la magie.

Alors crois-le, je t'en supplie !

Tu connais cette étincelle, petite flamme éternelle qui existe dans le fond de ton âme. Cette parcelle d'enfant que tu gardes si précieusement aux tréfonds de ton cœur… cette petite lueur qui te fait sourire quand approche le jour de Noël, parce que dans le fond, tu attends toi aussi impatiemment la venue d'un gros homme habillé de rouge… même si tu sais pertinemment bien qu'il n'existe pas. On peut être chevalier et connaître des classiques !

C'est à cette parcelle d'enfant que je te demande de faire appel.

Les Dieux ne se nourrissent pas d'ambroisie comme le veut la mythologie, ce qui les maintient en vie… c'est cette fantastique croyance qu'ils ne trouvent que dans le cœur de l'être humain.

Cet incroyable pouvoir qui fait renaître Achilles et Hector et les fera combattre à jamais sur les rives du Styx. Cette fantastique croyance qui fait voyager Ulysse éternellement, son bateau sans cesse ballotté au gré de Poséidon. Cette parcelle d'enfant qui t'a tant fait rêver et qui le soir venu te faisait imaginer mille et une aventures mettant en scène une guerre, des Dieux et de puissants chevaliers. C'est cette même magie qui maintient vivante la légende d'Athéna et de ses chevaliers.

Et c'est de cette même croyance que je te demande d'user pour maintenir, à leur tour, en vie les enfants sacrés.

C'est l'essence même d'une légende : la croyance pour la vie.

C'est la mission que je veux te confier, Lecteur inconnu. Crois-en-moi, je t'en prie. Lis mon histoire, raconte-la. Fais-la vivre ! Fais-la perdurer !

Si tu y crois, alors… nous renaitrons à la vie.

Si tu y crois, Lecteur inconnu… je ne serais pas morte en vain.

Les enfants sacrés… laisse-moi te narrer la légende des enfants sacrés.

Elle prend vie au commencement du monde, à l'époque où les Dieux se mêlaient à la vie terrestre…

Il était une fois Séléné ! Déesse de la Lune. Ma Déesse !

Séléné, fille des Titans Hypérion et Théia, sœur d'Hélios, le soleil, son frère maudit.

Le commencement de notre légende ? Une histoire d'amour… une tragédie… un nom : Endymion.

Jeune berger à la beauté incroyable, il conquit le cœur de l'astre de la nuit sans même le savoir. Il n'avait rien fait pour cela, il était juste présent. Chaque nuit, alors qu'il dormait à même les prés, la Déesse de la Lune se glissait à ses côtés, silencieuse, contemplant durant tout le temps de son règne son bel amour endormi, sans jamais oser le réveiller. Combien elle maudissait alors son frère lorsque reprenant ses droits sur un ciel partagé, il la chassait sans ménagement. Lui pouvait contempler le bel éphèbe en pleine lumière et surtout se targuer d'apercevoir son regard lorsqu'il tournait dans sa direction des yeux éblouis. Jamais la Lune ne put ne serait-ce que connaître la couleur de ses yeux. Pour elle, son amour était aveugle. Alors par amour, par jalousie peut-être, pour ne jamais le perdre, la Déesse de la Lune le fit tomber dans un profond sommeil afin que sa beauté ne soit jamais fanée.

Endymion ne sut jamais la proie que sa beauté avait faite, et le jour où la Déesse se coucha à ses côtés, plongeant celui dont elle s'était éprise en secret dans une léthargie sans fin, elle osa pour la première fois le serrer contre elle. Son cœur se lamenta sur cet amour impossible, lui mortel et elle divine, et deux larmes coulèrent de ses yeux. Deux larmes qui vinrent se perdre sur ces lèvres tant désirées. Deux larmes auxquelles la Déesse accorda le don de la vie.

Les enfants de la Lune étaient nés.

Mi humains, mi divins. Des âmes immortelles dans des corps fait de chair et de sang.

Les deux visages de la Lune. Argent et bronze.

Et si tu contemple la Lune un soir, Lecteur inconnu, tu découvriras que ce sont les deux couleurs que la Déesse offre au monde. Tantôt teintée de reflets d'Argent, tantôt teintée de reflets de bronze.

Images vivantes d'un mélange d'elle et de son amant, la Lune aimait tendrement ses enfants.

Mais ce fut sans compter sur la colère du Dieu des Dieux.

Zeus, furieux de voir une titanide avoir une descendance et craignant pour la légitimité de son pouvoir, menaça de renvoyer les deux âmes au néant. Il les bannit du ciel.

Craignant de voir ses enfants détruits, la Déesse de la Lune, forte de son allégeance aux Dieux de l'Olympe, proposa d'en faire des combattants, des guerriers à la puissance inouïe et, en hommage à son amour mortel, fit présent de sa descendance à la Déesse protectrice des Hommes : la Déesse Athéna. Elle se résigna ainsi, dans un douloureux déchirement, à voir ses enfants grandir et vivre sans elle.

C'est ainsi qu'à chaque résurrection, lorsqu'Athéna revient sur Terre, les enfants sacrés renaissent également. Pour la protéger, pour la servir.

Guerriers puissants au service de deux Déesses.

Car s'ils servent et protègent Athéna, les enfants sacrés restent avant tout les enfants de la Lune, leurs cœurs à jamais fidèles à leur mère.

Enfants sacrés, enfants du chagrin. Ils se nomment également ainsi car ils portent en leur cœur, une partie de la douleur humaine. La douleur d'un enfant arraché trop tôt à l'étreinte protectrice des bras de sa mère. Trop tôt et trop violement. C'est une douleur qui vous déchire le cœur, c'est une douleur qui vous partage l'âme en deux.

Punition d'un Dieu rancunier, la Déesse de la Lune, également appelé « l'Astre des Soupirs », fut condamnée à accueillir en son cœur la douleur humaine et à la partager avec ses enfants. Lorsqu'un mortel soupire de douleur, les yeux levés vers le ciel, elle l'étreint en son âme, le berce tendrement.

N'as-tu jamais remarqué, Lecteur inconnu, l'effet consolateur que la Lune exerce sur les cœurs meurtris ? A lever les yeux au ciel, à contempler l'astre de la nuit, on se laisse aller à d'intimes confidences, à de douces prières. Et soudain, on se sent le cœur adouci comme un peu plus léger.

Ma Déesse caresse ton cœur et prélève une partie de ta douleur. C'est cette douleur qui va se placer dans le cœur de ses enfants.

Une partie de la douleur humaine divisée dans des cœurs meurtris.

A chaque soupir, un déchirement supplémentaire.

Mais le soulagement des cœurs humains a un prix. Nos yeux ! Les enfants de la Lune ne peuvent ouvrir leurs yeux au monde. Trop de douleur, trop de puissance.

Notre arme la plus mortelle : notre regard. Même si nous n'en usons jamais. Le pouvoir est trop dévastateur.

Aveugles à l'image d'Endymion, c'est les yeux fermés que nous nous présentons à la face du monde.

Voila donc la légende des enfants sacrés. Pour le moment, confuse, je te l'accorde.

Patience, tu comprendras bien assez tôt.

Aussi loin que mes souvenirs me le permettent, je suis pourtant née avec les yeux ouverts et rien de mon enfance, ne me laissait présager mon destin.

La première partie de mon enfance est, j'imagine, commune à bien des âmes destinées à servir les Dieux. De la joie, de l'amour, une famille, et puis ? Et puis plus rien… Si, un jour, une tragédie. Une vie décimée en quelques secondes par les flammes d'un incendie. Une enfant livrée à elle-même qui regarde, terrorisée, la vision de ses parents transformés en torche humaine et qui hurle dans la nuit le prénom de son frère.

La vision m'est restée si nette, même après tant d'années.

Pour être guerrier, il faut n'avoir rien à perdre. Alors… on perd tout, c'est inévitable. Car c'est ainsi que les Dieux l'ont décidé. Aucunes attaches. Le cœur sec. J'ai appris très vite que ce n'était jamais vrai. Ca ne pourra jamais être vrai.

J'ai occulté en moi le souvenir d'une époque passée. Retranché le moindre souvenir de ma vie avant mes sept ans. Jusqu'à ce jour… ce jour où un parfait inconnu est venu me chercher. La main tendue, il n'a pas prononcé la moindre parole. Je l'ai suivi. Plus qu'un homme, c'était mon destin et je le savais. En toute confiance je l'ai suivi. Je n'ai jamais regretté ma décision.

Je l'ai suivi jusqu'au sanctuaire de la Lune : « le Paradis Blanc ».

Cet homme devint mon maître. Ce sanctuaire devint ma maison. Et les trois autres apprentis de mon âge que j'y rencontrais devinrent mes frères.

D'eux, je n'en mentionnerais qu'un pour le moment : Sorrente. Futur enfant sacré de la Lune de Bronze. Il venait de Russie, et son histoire, pour le peu qu'il m'en raconta, ressemblait à la mienne.

En sept années, nous avons appris la légende de la Lune. En sept années nous avons appris à nous reconnaître dans ses âmes immortelles et meurtries et à travers ce fantastique amour pour la Déesse de la Lune que, dans le fond et à bien y réfléchir, nous avions toujours senti dans nos cœurs.

Je me rappelle la première fois que j'ai pénétrée dans le temple principal du sanctuaire. Il y avait dans le fond, un jardin magnifique et une immense statue de Séléné.

C'était la nuit et je venais d'arriver. L'Astre des soupirs illuminant son alter égo de marbre, je me suis sentie le cœur en fête, comme réchauffé par des retrouvailles après une éternité. D'un seul élan, je me suis jetée au pied de la statue représentant ma Déesse. Les yeux remplis de larmes. J'y suis restée toute la nuit et les prêtres m'ont trouvé endormi sur l'herbe au petit jour.

Si j'ose affronter la colère des Dieux en te racontant mon histoire, Lecteur inconnu, je ne trahirais pas ma Déesse. Le Paradis Blanc est un lieu sacré et je n'ai pas le droit de te raconter mon entraînement. Nulles confidences à ce sujet n'a jamais franchi nos lèvres, et jamais ne franchira. Personne, pas même les chevaliers d'Athéna qui des années plus tard devinrent mes frères d'armes, n'a su ce qui s'était passé durant ces sept années.

Sache simplement que le sanctuaire de la Lune est régi par des prêtres. Il n'y avait que quatre apprentis qui devinrent de redoutables guerriers et un maître. Quatre guerriers, uniques défenseurs de la Déesse de la Lune, de son Paradis Blanc et de ses serviteurs.

En sept ans, notre maître nous fit découvrir notre cosmos, et le développa à son summum. Nous avons appris à combattre, nous avons appris les techniques de la Lune, attaques et défenses.

L'entraînement était dur, nos corps douloureux. Mais le résultat fut là et sept ans après, il ne restait rien des enfants craintifs et chétifs qui étaient arrivés. Nous étions devenus des guerriers puissants et redoutés. Craints et respectés.

Ce fut un jour, alors que j'avais quatorze ans, que je fus, en même temps que mes frères, introduite dans le dernier temple pour y devenir l'Enfant sacré de la Lune d'Argent par une cérémonie.

De nuit, évidemment, tous les prêtres étaient présent, le cœur gonflé de fierté. Durant ces quelques années, ils nous avaient tous considérés comme leurs enfants.

Les enfants sacrés ne portent pas d'amures, nos corps et notre cosmos seul doit faire barrage à nos ennemis. Les armures étant réservés à Athéna et à ses chevaliers tout comme les écailles aux Marinas et les surplis aux spectres.

L'intronisation de cette nuit devait faire de nous les enfants de la Lune reconnus des Dieux.

L'épreuve était simple, nous devions recevoir en nos cœurs la douleur humaine et fermer nos yeux à jamais.

Notre maître nous avait appris à évoluer dans un monde de ténèbres, guidant nos pas uniquement avec nos cosmos.

Je sus quelque temps plus tard, qu'il existait un chevalier qui usait du même procédé, fermant volontairement ses yeux pour accroître ses sens et pour pouvoir mieux méditer. Mais si le regard du chevalier de la Vierge n'est pas mortel, il n'en est pas de même du notre.

Nous ne nous guidons que grâce à notre cosmos. Nous ne sommes pas aveugles pour autant, ayant appris à remplacer nos yeux par notre énergie. Cependant, il nous quasiment impossible de dissimuler notre cosmos. Nous l'utilisons constamment et de ce fait, nous ne pouvons l'interrompre sous peine d'être frappé d'une cécité totale. Le revers de la médaille.

Pour être tout à fait honnête avec toi, Lecteur inconnu, il nous était permis d'ouvrir nos yeux. Mais en de très rares occasions, et pour un laps de temps d'à peine quelques secondes. Insuffisant pour s'orienter, suffisant pour planter le regard dans les yeux d'un autre sans le tuer. Mais cela demande une concentration et beaucoup de force mentale pour contenir la puissance dévastatrice de nos regards.

L'épreuve commença.

Je me souviens avoir sentie mon cœur devenir de plus en plus lourd. Je revivais dans mon âme le souvenir d'un adieu déchirant à l'étreinte d'une mère divine.

Mes frères et moi avions gardés les yeux rivés sur l'image de la pleine Lune, tant que nous pouvions les garder ouverts, cherchant à graver dans nos mémoires la beauté de ce Diamant nocturne que nous ne pourrions plus admirer avant longtemps.

Pour le reste, je crois avoir perdue connaissance face à une douleur telle qu'elle me fit tomber à genoux, les mains croisées sur ma poitrine, les yeux fermés par reflex, insensible à tout ce qui se passait autour de moi.

Je repris conscience le lendemain. Je constatais que j'étais couchée dans un lit, Sorrente et mes deux autres frères, terrassés eux aussi par l'épreuve, allongés à mes côtés.

La douleur était toujours présente, forte, déchirante. Et même si avec le temps, j'ai finis par m'y habituer, ce ne fut jamais au point de l'oublier, même pour quelques secondes de répit.

Une page s'est tournée ce jour-là. J'étais devenue l'Enfant Sacré de la Lune d'Argent. Prête à me dévouer corps et âme pour la Lune et à servir Athéna.

Je partis quelques jours plus tard, le cœur lourd, si plus lourd il pouvait être de quitter le Paradis Blanc, en compagnie de Sorrente. Nous nous préparions à devenir des chevaliers d'Athéna.

Nous partîmes pour le sanctuaire de Grèce à la rencontre de nos futurs maîtres.