Leçon
La nouvelle du combat entre le chevalier d'or du Cancer et un enfant sacré fit rapidement le tour du sanctuaire et ce fut le coup d'envoi. Nous étions forts, disait la rumeur, nous étions puissants mais les chevaliers d 'or ne sont pas du genre à prêter attention aux rumeurs sans avoir vérifié par eux-mêmes. Milo se jeta sur mon frère à la première occasion.
- Ta sœur a vaincu le chevalier d'or du Cancer, seras-tu capable de vaincre celui du Scorpion, apprenti ?
Milo avait usé et volontairement accentué le mot « apprenti » dans sa question pour vexer mon frère. Apparemment lui et Masque de Mort usaient de la même tactique pour défier un adversaire. Sorente ne répondit pas mais se contenta de sourire, invitant d'un geste de la main le Scorpion à le suivre dans l'arène. Lui-même mourrait d'envie de se mesurer au grec depuis que nous étions arrivés. Mais ne pouvant décemment pas défier un chevalier par lui-même avec son statut de disciple, il se précipita, tête la première et avec joie, dans l'opportunité offerte.
Amusée, je suivis les autres chevaliers pour aller m'assoir à leur côté sur les marches des arènes. En tant qu'apprenti, ma place ne me permettait pas de m'assoir à leur côté mais plus loin en signe de respect. Je ne faisais pas encore partie de la garde dorée. Mais peu m'importais, je le savais et je le fis exprès. Je ne me considérais en rien inférieur à ces hommes. Ce n'est pas parce que je ne maîtrisais pas encore toutes les techniques du Bélier que j'en étais moins puissante qu'eux, et je comptais bien le leur faire comprendre au plus vite. Même si quelques regards avaient changé depuis ma confrontation avec le Cancer, je pouvais sentir leur réticence encore bien présente.
Je dois avouer que c'est une réticence que je comprenais. Ces hommes se connaissaient depuis leur plus tendre enfance, ils avaient lutté ensemble pour obtenir leurs armures, ils avaient fait front commun lors des guerres, s'épaulant les uns les autres, se combattant pour finalement mourir tous ensemble et renaître, réunis à nouveau. Ces hommes avaient des années et des années de souvenirs communs. Une grande fraternité s'était crée entre eux, même avec les anciens parias. Des souvenirs partagés, des batailles, des rires, des confidences. Le même devoir et la même Déesse. Un passé forgé dans le sang et la souffrance et même si à une époque, ils n'avaient pas conscience les uns des autres, il n'en ressortait par moins une grande et belle fraternité qui les unissaient. Et je comprenais et respectais ce temps imparti d'autant plus que leurs histoires ressemblaient à la mienne.
Si je voulais me faire accepter, je devais leur laisser le temps de s'habituer à notre présence. Et me laisser le temps à moi aussi. Au Paradis Blanc, nous n'étions que quatre. Notre petite communauté de guerriers protecteur du sanctuaire de la Lune se résumait à quatre âmes. On faisait vite le tour. Alors se retrouver d'un coup confronté à treize autres guerriers… De mes trois frères d'âmes, je me retrouvais propulser à seize frères d'armes. Il me fallut un peu de temps pour digérer le nombre. Je n'ai jamais été spécialement sociale.
Je m'assis donc, toutefois un peu en retrait, et me mis à détailler les autres chevaliers. Ils étaient assis par petit groupe, sans doute par affinité, et discutaient attendant que les adversaires au milieu de l'arène finissent de se tourner autour et engagent le combat.
Je pus voir Shaka, debout sur la première marche, attendant de connaître l'issus du combat, son visage impassible. Mon maître, assis avec le chevalier du Taureau, les yeux rivés sur l'arène, échangeant quelques paroles. Les jumeaux discutaient avec le Lion, le Sagittaire et le Capricorne. Shion et Dokho, légèrement en retrait. Et à nouveau, debout sur la dernière marche, le Verseau, solitaire. Pourtant, cette fois-ci, son regard, bien qu'impassible comme la dernière fois, ne se concentrait pas sur un enfant sacré.
Je me surpris à garder mon regard fixé sur lui, et perdue dans ma contemplation, je ne pris même pas la peine de chercher à comprendre d'où pouvait bien me venir cette fascination que Camus exerçait sur moi. Car oui, ce chevalier me fascinait, je dois l'admettre. Pour un regard de sa part, je m'étais fait un devoir de faire cracher le sang au Cancer. C'est stupide, je le sais bien. Mais à ce moment là, c'était important.
Soudain, je sentis une main venir se poser sur mon épaule et je me retournais violement, honteuse de m'être fait prendre dans un moment de pur contemplation peu en adéquation avec l'image détachée que je m'efforçais de donner de moi-même. Aphrodite me sourit, bienveillant, et vint prendre place à mes côtés. S'il surprit l'objet de ma contemplation, il n'en laissa rien paraître. Je lui en fus reconnaissante. Il avait forcément comprit vers qui mon esprit s'était tourné étant donné que pour pouvoir l'observer, lui qui était derrière moi et plus haut sur les marches, c'était mon corps entier qui était tourné dans sa direction. Mais le Poisson ne fit pas le moindre commentaire à ce sujet. Il s'assit, tourna la tête en direction des arènes, et commença à me détailler les techniques du Scorpion. Analysant et expliquant chaque geste de Milo. Le pourquoi de son regard, le pourquoi de son sourire. Je dois avouer que je fus surprise, Aphrodite était un fin psychologue. Il savait parfaitement retranscrire les gestes de son frère d'arme en quelques mots et me dépeignait un tableau vivant du caractère du Scorpion.
Je dois avouer que ce jour là, je me sentis honteuse lorsque je me rendis compte que d'Aphrodite et de notre première rencontre, je n'avais retenu qu'un mot, un seul : « beau ». Il me prouva de la manière la plus brillante qu'il soit que, moi aussi, j'avais cataloguée avant même de connaître. Et moi qui râlais sur ces chevaliers qui ne voyaient en moi qu'une femme… je m'aperçus que je ne valais pas mieux.
La voix du Poisson me parvenait distinctement, parlant, détaillant, expliquant. Chaque geste, chaque attaque. Le premier coup fendit l'air et une tête partie violement en arrière. Le combat était engagé. Les adversaires étaient partis dans leur monde.
A mes côtés, la voix d'Aphrodite avait prit des allures de prophétie. Le Poisson en fin connaisseur et parfait observateur de ces compagnons annonçait à l'avance les coups que le Scorpion allait porter, se basant uniquement sur les mimiques et gestes de celui-ci. Fascinée, je l'écoutais les yeux rivés sur le combat. J'étais fière de voir mon frère rendre coup pour coup les attaques subit sans jamais fléchir. Et je me mordais les lèvres pour me retenir de demander à Aphrodite ses pronostics sur le vainqueur. Mais cette seule question m'aurait forcé à avouer mes doutes quant à la victoire de Sorrente. Et même si j'avais une parfaite confiance en la puissance de ce dernier, je dois avouer que Milo était loin d'être mauvais. Le sang coulait au fur et à mesure que leurs sourires s'agrandissaient. Ces deux là savouraient leur combat à sa juste mesure, heureux de trouver un adversaire à leur hauteur.
Le combat durait depuis une bonne heure, lorsque soudain, à la surprise générale, les deux adversaires cessèrent leur combat et restèrent un moment à se juger du regard. Regard flamboyant contre regard clos. Le souffle court, et les corps légèrement crispés en avant sous divers points douloureux. Puis sans prévenir, ils partirent ensemble dans un éclat de rire, s'approchant l'un de l'autre pour se serrer la main. Match nul. Pas de vainqueur, pas de vaincu.
Aphrodite se leva avec les autres pour applaudir ce beau combat. Et moi, abasourdie par la réaction de mon frère, je me contentais de regarder le Poisson se lever et applaudir énergiquement, et je ne pus m'empêcher de pousser un soupir d'admiration que, bien heureusement pour moi, il n'entendit pas. Oui, vraiment Aphrodite était d'une beauté à couper le souffle. Ses cheveux longs et fins volaient librement autour de son visage, un visage parfait sur lequel s'étendait un magnifique sourire. Mais je compris au moment où il me tendit la main, m'incitant à me lever pour applaudir avec lui, que sa beauté lui venait également et surtout de son cœur. Et pour toutes ses raisons, le Poisson était vraiment un bel homme.
J'étais surprise de voir Sorrente s'incliner, refusant une victoire ou une défaite. Lui qui d'ordinaire ne concédait jamais rien, il prenait quelque que soit l'adversaire. Sa fierté était telle qu'il considérait une égalité comme un échec. Le Scorpion devait vraiment être un adversaire hors de commun pour qu'il accepte une telle concession.
- Bienvenu parmi les Chevaliers d'Or, mon frère de la Lune de Bronze.
La voix fusa et l'applaudissement me resta bloqué en suspend entre les mains en entendant les mots prononcés par le Scorpion. Et je ne vis plus rien. Je ne vis pas les autres chevaliers entrer dans l'arène pour féliciter Sorrente. Je ne vis pas les gardes et apprentis pousser des salves d'acclamations à grand renfort de gestuels. Je ne vis même pas le regard inquisiteur d'Aphrodite qui avait remarqué mon geste en suspend. Je ne voyais plus rien. Je n'entendais plus rien. Je sentais juste un terrible coup de poignard dans la poitrine pendant qu'un sentiment d'injustice se répandait dans mon esprit.
Moi, j'avais battu le Cancer. Je l'avais vaincu ! De peu, j'en conviens, mais je l'avais battu. Mon combat à moi ne s'était pas soldé par une égalité.
Je sais ce que tu dois être en train de te dire, Lecteur Inconnu, ce sentiment qui s'insinuait en moi… c'est de la jalousie, n'est-ce pas ? Oui, et de la jalousie à l'état pure. De celle qui vient te polluer le cœur, et te réduire la vision et la conscience. Je le sais bien, j'en suis consciente, aujourd'hui. Mais ce jour là, ce sentiment, je l'ai simplement appelé injustice, sans chercher à voir plus loin. Car, oui, je sentais injuste de voir que pour un combat non terminé, Sorrente, lui, avait gagné ses galons de pair. Et moi, moi j'avais juste hérité d'une reconnaissance. Non, décidemment, ce n'était pas juste.
Pourquoi ? Pourquoi lui … et pas moi ? Moi aussi j'avais pris des coups, moi aussi je m'étais relevée. Moi aussi j'avais senti dans ma bouche ce goût particulier qu'a le sang lorsqu'il remonte du fond du corps pour venir baigner les lèvres. Moi aussi j'avais eu mal. Mais moi, j'avais fini mon combat ! J'avais fini mon combat ! Alors pourquoi ? Pourquoi je n'avais pas eu, moi aussi, droit à cette place privilégiée au sein de la chevalerie.
Je serrais les poings de rage. Et perdue dans ma propre bêtise, je ne vis pas mon frère se tourner dans ma direction pour partager sa victoire. Je tournais froidement les talons et partis. Mais quelle idiote ! Si j'étais restée, j'aurais pu voir… mais je n'ai pas vu.
Non, ce jour là, je n'ai pas vu son visage heureux se changer en déception face à ma réaction puérile.
Je n'ai pas vu ses yeux s'assombrir sous la tristesse. Car ses yeux, bien que fermés, moi je pouvais toujours les voir, privilège de partager une seule et même âme.
Comme je le regrette aujourd'hui. J'aurais dû mettre ma fierté de côté et partager son allégresse. J'aurais dû aller vers lui, le visage fière, défiant tous ceux qui ne m'avaient pas permis cette même satisfaction, et être la première à le féliciter. Mais non, ce jour là, j'ai fais le mauvais choix… un parmi tant d'autres…. et j'ai choisi de tourner le dos à mon propre frère. Mettant ma fierté sur un piédestal, détrônant par la même une des parties de mon âme.
Mais que veux-tu, Lecteur Inconnu, cœur blessé n'a plus de raisonnement. Sourd à la logique, fermé aux bons sentiments.
Je n'en suis pas fière de ce jour là. Non, vraiment, je n'en suis pas fière. Comme une gamine, je me laissais emporter par un caprice.
Je tournais les talons et partis, le cœur saturé de rage. Je parcourus le sanctuaire de long en large sans but précis, marchant simplement pour calmer mon ressentiment. Sans m'en rendre compte, mes pas m'avaient porté devant cette petite falaise que j'avais repérée le premier jour de notre arrivée.
Comme elle était belle et paisible cette petite falaise. Ô Lecteur Inconnu, laisse-moi voler quelques lignes de ton temps pour te parler de ma petite falaise.
Elle était belle, si belle, ma petite falaise. Je l'avais remarqué dès la première nuit de notre arrivée au sanctuaire. Elle était située sur le bas des temples, légèrement en retrait. Une petite prairie menait directement à elle. Elle n'avait rien de spéciale, il y avait juste, planté à son bord escarpé, un arbre sans doute centenaire, dont les branches surplombant le vide, défiaient à chaque instant la force de gravité. Lorsqu'on s'approchait, on pouvait entendre les plaintes des vagues suicidaires qui venaient se jeter sur les rochers. Et la mer… la mer qui, à perte de vue, éblouissait les regards de sa couleur d'azure.
Combien je l'aimais ma petite falaise. Depuis ce jour où mes pas m'y on conduit, elle est devenue mon havre, mon petit coin de paradis. Elle m'a vue dans tous les états possibles, ma petite falaise. Elle a été le témoin muet de mes peurs, de mes doutes et de mes colères. Elle n'a jamais trahie le moindre des secrets que je lui ai murmuré. Amie sûre et fidèle. Sans doute la seule qui ne m'aie jamais jugée.
J'étais là, debout sur son bord, profitant du bruit des vagues pour me calmer. Je m'assis ruminer ma colère, le dos appuyer contre cet arbre, tellement perdue dans mes pensées que je ne l'entendis pas arriver.
- Swann, ça va ?
Une main posée sur mon épaule, son visage souriant et compréhensif penché vers moi. Il avait dû me suivre. Oui, décidemment Aphrodite était fin psychologue. J'esquissais une grimace de sourire.
Il s'assit à mes côtés.
- Tu sais, moi lorsque je suis arrivé au Sanctuaire, j'avais sept ans, comme tous les autres apprentis. J'ai suivi le même entrainement et mon maître n'était pas spécialement la clémence incarnée.
Il sourit à sa propre remarque, les yeux vagues perdus dans ses propres souvenirs. Je tournais la tête dans sa direction, intriguée de ses confidences, touchée de la confiance qu'il semblait m'accorder. Il continua son récit.
- J'en ai essuyé des remarques, des insultes et même des coups. Mais ça m'a rendu plus fort.
Il me sourit franchement et posa sa main sur mon bras. Je sentis une légère pression.
- Tu sais, je crois que toi et moi, on se ressemble plus que tu ne le crois. Notre apparence ne joue pas en notre faveur, surtout pour des guerriers. J'ai longtemps maudis cette beauté dont les Dieux m'ont fait cadeau. Et puis j'ai appris à jouer avec. A la faire jouer en ma faveur. Toi aussi, tu en joues. Toi aussi, je l'ai vu, tu te délectes de cette impression de faiblesse que tes adversaires croient déceler en toi. Et c'est encore meilleur lorsque tu vois dans leurs yeux ce moment délicieux où ils se rendent compte s'être trompé.
Sourires complices échangés au bord d'une falaise et ce fut le début d'une grande amitié. Le Poisson fut le premier, au Sanctuaire, à me tendre une main amicale.
- J'en ai donné des coups avant de me faire accepter vraiment. J'ai dû faire oublier ma beauté sous des amas de sangs et de cicatrices. Mais j'y suis arrivé.
Il marqua une pause, revivant dans sa mémoire les humiliations subies étant apprenti. Ses yeux étaient à présent rivés sur les écumes de la mer. Perdus dans le lointain. Puis soudain, il se tourna vivement vers moi.
- Moi aussi j'ai combattu le Cancer avant de me faire respecter par lui. Plusieurs fois même. Mais au final, j'ai réussi à lui arracher son respect. Tu n'as pas moins de mérite que Sorrente, Swann. Tu n'as simplement pas eu le même adversaire. Milo est loyal et il sait reconnaître la valeur de son adversaire. Masque de Mort est fier, il aura du mal à féliciter son vainqueur, surtout si celui-ci est une femme. Mais ce jour-là, tu as gagné le respect de bien plus de chevaliers que tu ne le crois.
Et dans un sourire malicieux, il ajouta :
- Même si certain sont restés de glace… en apparence.
Un clin d'œil et je me sentis gênée. Oui, décidemment Aphrodite était vraiment bon observateur. Je ne le connaissais que de réputation et j'avoue avoir eut beaucoup de mal de m'imaginer que le Poisson pouvait être à l'image de cet assassin froid et calculateur que la rumeur se plaisait à lui donner.
Je rougis et baissais la tête comme un enfant prit en faute. D'un doigt placé sous mon menton, Aphrodite me fit relever le visage vers lui.
- Relève la tête, petit sœur. Relève la tête et montres que personne ne peut te faire courber le front.
Je lui offris un véritable sourire sous l'appellation qu'il m'avait donné. Un sourire comme je n'en n'avais pas fait depuis longtemps. Il me le rendit. Aphrodite avait trouvé le mot juste pour me toucher.
- Merci.
Il renforça son sourire. Il se leva pour partir. Je me levais avec lui. Alors qu'il s'apprêtait à reprendre son chemin, je le retins par le bras. Je n'étais pas quelqu'un de tactile, mais pour un tel homme, je pouvais faire une exception. Je lui pris le visage entre les mains et collais mon front contre le sien. Je lui murmurais :
- Tu es vraiment beau, Aphrodite, noble chevalier d'or des Poissons. D'une beauté intérieure que nul ne serait égaler.
Le compliment le toucha et il me prit dans ses bras et me serra contre lui. Même si son geste me surprit, je lui rendis son accolade avec toute la tendresse et la reconnaissance dont j'étais capable.
Je restais là, tandis qu'il s'éloignait. Mes pensées dévièrent vers mon frère et je sus qu'il y avait une chose que je devais faire, impérativement.
Je courus vers notre petite cabane et le trouvait, assis en tailleur devant la maison, le dos reposant contre la façade de pierre. A le voir là, assis seul, je sentis un sentiment de culpabilité me monter au cœur et le souvenir des sages paroles de mon nouvel ami eurent raison de ma rancœur. Je m'approchais doucement. Son visage s'illumina à ma vue et mon cœur se serra davantage.
Il me sourit et tapota la terre à ses côtés, m'invitant à m'assoir à ses côtés. Je m'exécutais. Je m'assis et lui prit la main dans la mienne. Ce geste le surprit. Je l'ai déjà dit, je ne suis pas habituellement quelqu'un de tactile.
- Hey, petite âme d'argent…
C'était la manière qu'il avait pour me nommer. Un petit surnom tendre entre frère et sœur.
- Hey petit âme de bronze…
Je baissais la tête et ma voix n'était plus qu'un murmure. Je n'avais pas la force de crier mon mea culpa.
- Je suis désolée d'être partie si brutalement.
Il me sourit.
- Je comprends les raisons de ta colère. Ne t'inquiète pas.
- Non, justement. Tu n'avais pas à la subir. J'ai agis de manière stupide et irréfléchie. J'ai laissé la jalousie prendre le pas sur mon amour pour toi. Je n'aurais jamais dû. Pardonnes-moi.
Je soupirais. Autant vider mon sac une fois pour toute.
- C'est juste que ça m'a fait mal. Mal de voir que toi tu avais réussis là où moi, j'avais échoué. J'aurais tant voulu entendre ces mêmes mots à la fin de mon combat. J'aurais tant aimé avoir l'acception que toi tu as eu. Alors, oui, j'étais jalouse. Je suis désolée. C'était stupide.
Un ange passa. Je gardais obstinément le visage rivé vers le sol, fascinée par la texture de la terre, gênée de ma propre stupidité.
Soudain, Sorrente éclata d'un rire franc et spontané. Ce genre de rire dont lui seul avait le secret. Pas un rire moqueur, mais un rire amusé, un rire qui réchauffait le cœur. D'un bond, il se releva et me fit face, un réel sourire attendri sur les lèvres.
- Pourquoi veux-tu toujours anticiper sur le futur, petite âme d'argent ? Tu l'auras ta victoire, laisses-toi le temps. Elle sera belle, elle sera franche. Tu l'auras, je le sais. Tu n'as jamais failli.
Il tendit sa main pour me relever. Et se recula de quelques pas en tendant les bras autour de lui. Il me faisait penser à un enfant en train de jouer. Si jeune, si gai, si beau. Il parlait et riait en même temps.
- Pourquoi vouloir attraper le futur ? Il est tellement plus beau de le laisser venir à soi. On ne sait pas de quoi demain sera fait et c'est ça, petite âme, c'est ça qui est magnifique. Ne vois-tu pas que notre Déesse nous a fait à l'image même de la vie ? Aveugles. On ne peut savoir où on met les pieds. Les coups sont portés au hasard et parfois il arrive que sans le vouloir, on blesse les autres ou pire, on se blesse soi même. On court tous derrière un avenir hypothétique qu'on n'arrivera jamais à attraper. Mais on court quand même. Parce que c'est le seul moyen, en tant qu'être humain, qu'on a trouvé pour rester vivant.
Il partit dans un rire enfantin. Sa voix était joyeuse et pourtant, il était en train de m'énoncer une réelle leçon de vie. Insouciant. Vivant, tellement vivant. Fidèle à lui-même. Il tendit sa main dans ma direction et partit dans un éclat de rire, comme on invite quelqu'un à se joindre à un jeu. Il commença à courir, sa main toujours tendue dans ma direction, derrière lui.
- Imagines, petite âme. Imagines que je suis ce futur incompréhensible qui s'obstine à te fuir, et rattrapes-moi. Je te parie que j'arrive avant toi jusqu'aux arènes.
Je le regardais courir, me demandant comment on pouvait donner une telle leçon en riant et jouant. Sorrente était vraiment un être exceptionnel.
Je me mis à rire sous l'invitation et commençais à courir derrière lui. Cherchant à rattraper ce futur incertain qu'il se plaisait à personnifier. Je me mis à rire comme une enfant et courir derrière lui. Oui je me mis à courir. Derrière mon frère. Derrière sa leçon la plus importante. Derrière mon futur utopique. Heureuse et infatigable, je me suis mise à courir. Je crois en vérité, que je n'ai jamais cessé de courir depuis ce jour-là… Je crois que je cours encore… Je crois que je ne me suis jamais arrêtée...
