La Déesse et l'enfant.
Un matin alors que je m'apprêtais à rejoindre mon maître aux arènes pour une nouvelle journée d'entraînement, je reçus un message télépathique me demandant de le rejoindre à son temple. Mon maître voulait me présenter une personne d'importance pour lui. Curieuse, je m'empressais de lui obéir et changeais de direction pour me rendre, ainsi que demandé, au premier des temples du sanctuaire. Secret, mon maître ne mentionnait que peu les personnes qui lui étaient chères, hormis une affection particulière pour quelques chevaliers ainsi que son propre maître.
Je connaissais son amitié pour le chevalier du Taureau, Aldébaran ayant été son premier ami à son arrivée au sanctuaire… mais cette confidence, c'est au chevalier du deuxième temple que je la dois. Joviale, et toujours disposé à raconter des anecdotes d'enfance, le Taureau m'apprit à connaître le chevalier du Bélier sous un angle que mon statut de disciple ne m'aurait normalement pas permis. Et je dois avouer que pour certaines de ces histoires, je ne pus m'empêcher de douter de la parole du colosse brésilien, me demandant s'il n'exagérait pas certaines situations particulièrement cocasses. Je n'aurais jamais imaginé Mû, fière et sérieux chevalier d'or du Bélier, se faufilant dans les cuisines du Pope pour aller voler des friandises… Il fallait bien que jeunesse se passe, me philosophait Aldébaran en riant.
Et d'autres anecdotes encore dont j'ai ri aux larmes en entendant les récits.
J'aime cette vision différente de mon maître que le Taureau me donnait et j'en remercie Aldébaran de m'en avoir fait présent.
En plus du Taureau, je connaissais aussi son amitié pour d'autres chevaliers tels que Shaka, Camus , Aphrodite ou Milo…
Mais ce jour-là, et dans ce message, il y avait dans sa voix comme une sorte d'excitation. Comme lorsqu'on se découvre impatient de présenter un être cher.
Curieuse, je me hâtais donc à son temple. Je me hâtais, sans me douter un seul instant que j'allais faire là une rencontre qui allait faire naître en moi un sentiment que je n'aurais jamais cru possible…
J'arrivais à son temple et je le vis, un léger sourire sur les lèvres et à ses côtés… un enfant qu'il tenait par la main.
Mû avait le visage tourné vers le petit garçon, ses yeux exprimant une tendresse infinie que le regard de l'enfant lui rendait bien.
Kiki…
En un mois de vie au sanctuaire, j'avais déjà entendu parler de l'apprenti en titre du chevalier du Bélier, mais je n'avais pas encore eut la possibilité de le rencontrer. Kiki passait la majeure partie de son temps à se perfectionner, combat et connaissance, dans le temple de Jamir, et de ce fait, il était rarement au sanctuaire. J'avais entendu parler de lui de la bouche de mon maître et de celle des autres chevaliers. L'enfant était souvent décrit comme étant espiègle, joueur, malin mais surtout très courageux. Personne n'oubliait la valeur exemplaire qu'il avait montrée lors de la bataille de Poséidon, transportant l'armure de la Balance de pilier en pilier, suppléant efficacement les chevaliers de bronze.
Je m'approchais donc pour aller saluer mon maître et rencontrer son jeune apprenti. Les deux béliers discutaient tranquillement, leurs regards, à mon sens, parlant bien plus que tous les mots qu'ils avaient pus échanger. Dans celui du maître, c'était une tendresse et une fierté sans borne qui pouvait se lire. Dans celui du disciple, c'était un amour inconditionnel et une admiration infinie.
Mon maître détacha son regard pour le lever dans ma direction. Il me fit signe d'approcher. Je posais un genou à terre comme j'avais coutume de le faire pour saluer mon maître. Il me répondit d'une inclination de la tête et avança la main devant lui, poussant doucement le garçon sur le devant.
- Killian, je te présente Swann, guerrier de la Lune et futur chevalier de la Lune d'Argent.
Je restais à genoux pour être à la hauteur de l'enfant.
Killian était âgé d'un peu moins de dix ans. On pouvait sentir s'émaner de sa petite personne, un cosmos déjà bien développé. Il avait un visage joyeux tranchant curieusement sur des yeux graves. A dix ans, on pouvait lire dans son regard la douleur d'un enfant qui a trop vite grandi : une intolérable compréhension du monde et de ses règles. Une compréhension qui ne devrait pas se lire dans les yeux d'un enfant. A dix ans, Kiki avait vécut et souffert des batailles. Il avait combattu à sa manière et avait fait honneur à son signe. Il connaissait la signification de la mort ayant déjà pleuré la perte de son maître, même si celui-ci lui avait été rendu par la suite.
L'enfant avait un regard grave, dur… le même que j'avais eu moi aussi à son âge, à l'instar de tous les chevaliers… un regard d'adulte dans des yeux d'enfant. Un regard meurtri par les épreuves de la vie. Un regard que je connaissais bien et qui pourtant… me blessa le cœur dans ses yeux à lui. Et je me rendis compte combien il fallait perdre dans la vie pour avoir l'honneur de servir les Dieux.
Je tendis la main devant moi et lui sourit.
- Bonjour Killian. Je suis heureuse de te rencontrer, j'ai beaucoup entendu parler de toi.
L'enfant se recula doucement vers son maître et lui tira la main vers le bas. Mû s'agenouilla devant lui.
- Est-ce que c'est un ange ?
La question avait été formulée avec tant d'innocence que je me mordis la lèvre pour ne pas rire. Mû, au contraire, ne s'en priva pas, attendri. Et je remerciais le ciel d'avoir laissé dans son cœur d'enfant, au moins une petite parcelle d'innocence. Une petite part de magie qui seule, permet à un enfant, de croire en l'existence de créatures féeriques.
Mû me jeta un regard indéchiffrable, son sourire toujours en place sur son visage.
- Oui, c'est un ange.
Avant même que je ne puisse avoir le temps de m'étonner de cette réponse, Kiki s'avançait vers moi, les yeux brillants d'émerveillement… et je perdis le courage de le détromper. La petite main de l'enfant me caressait craintivement le visage, ses yeux incroyablement ouverts et beaux détaillant chaque partie de ma figure.
Je compris à cet instant pourquoi Mû avait menti. Pieu mensonge, mais mensonge quand même. Je compris lorsque je vis que c'était des yeux d'enfants qui me détaillaient. Plus ces yeux adultes que j'avais déplorés quelques secondes auparavant, mais un véritable regard émerveillé. Un véritable regard d'enfant !
Pour un regard pareille, pour le garder intact… je me serais presque transformée en ange, si j'en avais eu le pouvoir…
- C'est la première fois que je vois un ange…
Pour moi aussi, c'était la première fois et j'en avais un devant les yeux.
Je lui pris la main et lui souris tendrement, bien plus émue que je n'aurais voulu l'avouer.
Ce fut ma première rencontre avec le futur Bélier…
Je m'étais attendu à voir l'enfant se comporter de façon jalouse envers moi… après tout, il lui fallait désormais partager son maître avec une étrangère, mais il n'en fit rien. Kiki m'adopta immédiatement, fière de crier dans tout le sanctuaire qu'il connaissait un ange. Et à ma grande surprise, les chevaliers jouèrent le jeu.
Je compris vite que Kiki était considéré par tous comme un petit frère et que ses rares venues étaient synonymes de fêtes.
… Killian ! Je garderais jusqu'à mon dernier souffle une tendresse particulière pour cet enfant.
C'est vers moi qu'il courait lorsqu'il se blessait à un entraînement, ne voulant pas que son maître le voit pleurer. C'est vers moi qu'il venait lors de ses moments de récréation. Et c'est pour lui que j'ai dévalisé la bibliothèque de Camus cherchant des contes des frères Grimm, des histoires de Perrault et des fables de La Fontaine; toutes ces histoires qui s'étaient estompées dans ma mémoire. Je les connaissais autrefois, dans une autre vie… Je crois que mon frère, mon vrai frère !, me les avait racontés lorsque j'étais enfant, et à présent je les racontais à mon tour.
Plusieurs fois, Kiki supplia son maître la permission que je le mette au lit pour lui raconter une histoire, et Mû cédait bien volontiers. Je m'asseyais alors sur son lit, sa petite main dans la mienne pendant que je lui racontais les « Milles et une nuit ». A chaque fois, j'avais conscience de la présence de Mû, adossé contre la porte, écoutant les récits avec un petit sourire sur les lèvres, une tendresse presque paternelle dans les yeux…
Combien je pouvais aimer ces moments là ! J'en chéri le souvenir de tout mon cœur…
Et même si j'avais conscience de ne pas forcément adopter la meilleure attitude vis-à-vis de Kiki… dans ces moments là, j'avais l'impression de lui offrir un cadeau précieux… peut-être une illusion de famille.
Camus me mit en garde, plusieurs fois : il n'était pas bon de m'attacher autant à l'enfant.
Le verseau avait raison. Je le savais, mais je ne pouvais m'en empêcher.
- Kiki finiras par ne plus te considérer comme un chevalier, mais comme sa mère.
La voix du Verseau retentissait de vérité, mais je ne faisais qu'en rire tant l'idée me paraissait incongrue. Improbable même … jusqu'à cette nuit. Cette merveilleuse nuit où, prit d'un violent accès de fièvre, l'enfant me tendit les bras en murmurant :
- Maman !
Je l'ai alors serré contre moi en le berçant toute la nuit, et instinctivement, sans même y réfléchir, la réponse me sortie tout droit du cœur…
- Je suis là…
Mais ceci est une autre histoire…
...
Il devait être écrit quelque part que la semaine de ma rencontre avec Kiki devait avoir quelque chose de spéciale… car je fis une deuxième rencontre, décisive elle aussi, cette semaine là.
Un matin, après notre entrainement, alors que nous allions dans notre petite maison Sorrente et moi afin de prendre une douche plus que nécessaire et amplement justifiée, nous vîmes arriver Kiki en courant dans notre direction. L'enfant avait sur le visage le plus beau des sourires, visiblement porteur d'une nouvelle qu'il avait hâte de nous annoncer. Il courait, balançant les bras devant lui et attirant notre attention à grands renforts de cris.
- Swann ! Sorrente ! Le Grand Pope vous réclame au plus vite. Saori va rentrer du Japon. Saori arrive au sanctuaire…
Saori… l'enveloppe charnelle de la Déesse. Athéna était donc de retour au sanctuaire !
Le Pope nous expliqua les détails de notre intronisation :
N'étant pas encore officiellement des chevaliers d'Athéna, la Déesse devait donc nous rencontrer une première fois en tant que représentants du Paradis Blanc. Des émissaires de la bienveillance des rapports d'amitié entre Athéna et Séléné. Protocole oblige !
Les chevaliers se posteraient le lendemain, au garde à vous et en armure, dans les arènes afin de recevoir la divinité. Les chevaliers d'or quant à eux, attendraient Athéna à l'entrée de leur temple respectif, pour saluer et honorer sa présence, puis l'escorteraient dans la montée des marches. Nous ne devions en aucun cas être présents durant cette première cérémonie ! Pour notre part, nous serions déjà postés au treizième temple, attendant dans une salle adjacente que la Déesse nous reçoive.
Et nous avons attendu là, impatients et curieux. Sion, ne connaissant pas l'heure exacte d'arrivée de la Déesse, nous avait enfermés dans la petite chambre dès l'aube. N'ayant pas d'armure et étant des représentants officiels de Séléné, nous étions vêtus d'une tunique en lin, de couleur bleu nuit, bordée avec le symbole de la Déesse de la Lune.
Je commençais, je dois bien l'avouer, à m'ennuyer fermement. Cela faisait des heures que nous étions dans l'expectative sans rien voir se profiler à l'horizon, lorsque soudain je ressentis un incroyable cosmos se propager dans tout le sanctuaire. Un cosmos de force, de puissance mais aussi rempli de bonté et d'amour… Athéna était arrivée !
Je pouvais la sentir se déplacer dans le sanctuaire et commencer à gravir les marches. Jamais encore, je n'avais été confronté à une telle aura… et je me rendis soudainement compte que j'allais être mise en présence d'une divinité pour la première fois. Une divinité faite de chair et d'os ! Une divinité humaine !
La Lune, bien que constamment présente au Paradis Blanc ne m'était jamais apparue. Jamais encore je n'avais eu la chance d'admirer son visage. Elle n'était qu'une présence, divine et enchanteresse, cela va de soi, mais devinée, et non consistante.
Oui, c'était la première fois que j'allais être en présence d'une divinité dans sa forme humaine. Et pour dire la vérité : je me mis à angoisser ! J'avais peur de faire quelque chose de mal, un pas de travers, une quelconque maladresse… Et plus je la sentais se rapprocher, plus l'étau se resserrait autour de mon cœur à mesure que le cosmos augmentait.
Je tentai de me calmer et me concentrai sur la Déesse de la Lune, lui priant de me venir en aide. Et je sentis alors mon cœur s'apaiser doucement… la Lune avait entendu ma peur et elle me rassurait ! Elle serait à nos côtés et guiderait nos pas. Nous ne serions pas deux à être introduits dans la salle du trône, nous serions trois…
Le garde ouvrit la porte, et c'est sans hésitation que nous avons marché droit vers le trône. Les chevaliers d'or formaient une haie respectueuse tout le long de notre chemin et nos maîtres fermaient le cortège, placés juste devant la Déesse, Sion à ses côtés.
Nous nous sommes arrêtés devant la première marche du trône. Un genou posé à terre, la main droite sur le cœur, le front courbé, nous avons présentés nos respects à Athéna.
- Enfant sacré de la Lune de Bronze, enfant sacré de la Lune d'Argent, c'est une joie pour moi que de vous accueillir dans mon sanctuaire. Relevez-vous !
Nous avons obéis. Je me relevai, relevai la tête et… restai coi face à la vision qui s'offrit alors devant mes yeux clos.
Assise sur son trône, une main gracieusement posée sur un accoudoir et l'autre tenant un sceptre, Athéna nous regardait avec bienveillance.
Par tous les Dieux, qu'elle était belle !
Un visage empli de douceur, des yeux malicieux et rieurs, des lèvres entrouvertes dans un sourire radieux.
Non, décidemment, elle n'était pas humaine… elle était divine ! Je pouvais voir, auréoler autour d'elle, l'amour qu'elle portait à chacun de ses chevaliers et qui à présent, venait nous entourer dans une douce étreinte.
Et je compris ! Je compris les guerres, je compris le dévouement sans borne que lui portaient ses chevaliers. Il irradiait de toute sa personne une telle aura… force, altruisme, sagesse… et tellement d'amour. D'un simple regard, je compris immédiatement pourquoi les chevaliers s'étaient lancés dans des guerres dévastatrices en son seul nom. Je compris pourquoi ils n'avaient pas hésité un seul instant à lui offrir leur vie. Et pour cette Déesse, pour cet amour que je ressentis, ce jour-là… je lui offris la mienne, sans la moindre hésitation.
Athéna se leva et vint se placer devant nous. Immédiatement et d'un même geste, nous avons reposé un genou à terre. Je sentis sa main se poser son mon front, et je sentis pénétrer dans chaque parcelle de mon cœur une douceur incroyable. Sans un mot, Athéna me parlait, son cosmos caressant le mien.
Elle me demandait fidélité. Je la lui donnais.
Elle me rassurait, me comprenait, après tout, n'était-elle pas, elle aussi, femme dans un univers masculin ? Je sentis une douce complicité nous unir, et j'osais me permettre un point commun avec la Déesse guerrière. Je relevais la tête, reconnaissante et heureuse.
- Bienvenus mes enfants ! Bienvenus enfants sacrés de la Lune. Puisse Séléné vous guider dans chacun de vos pas et puissent les Dieux vous garder. Bienvenus parmi vos frères, futurs chevaliers d'Athéna !
Nous nous sommes relevés sous les acclamations de la salle. Fiers et orgueilleux d'avoir été accepté par Athéna.
Athéna ! La première fois que je l'ai rencontré… je m'en souviens si bien.
Ce jour là, un genou à terre, le front courbé, ce jour-là, je me suis jurée de lui être fidèle à jamais.
Athéna !... Ce jour-là, tu aurais pu me prendre la main et m'emmener au plus profond des Enfers… que je t'aurais suivi…
Et d'une certaine manière, c'est exactement ce que tu as fait… !
