Saison en enfer
Athéna !... Ce jour-là, tu aurais pu me prendre la main et m'emmener au plus profond des Enfers… que je t'aurais suivi…
Et d'une certaine manière, c'est exactement ce que tu as fait… !
Ma première rencontre avec la Déesse me laissa un goût de douceur dans le creux de l'âme. Athéna avait su lire en moi comme dans un livre ouvert. De cosmos à cosmos, nous nous étions comprise sans mots échangés.
A dater de ce jour, je ne la revis que rarement, ses visites au Sanctuaire devenant de plus en plus espacées, jusqu'au jour où… je ne la revis plus du tout…
Assise sous un arbre, profitant d'un instant de détente gracieusement accordé par mon maître, j'étais plongée avec délice dans les rebondissements de la révolution française sans porter la moindre attention au monde environnant. J'avais déniché ce livre dans une librairie d'Athènes lors d'une sortie. Les déboires de la dernière reine de France me fascinaient et je dévorais sa vie d'une lecture impatiente.
J'avoue, que bien qu'inconsciente du monde extérieur, je me doutais cependant du curieux spectacle que je devais offrir aux passants du sanctuaire, assise à lire passionnément un livre avec les yeux clos… cependant, lorsqu'un cosmos se manifesta à moi pour me signaler sa présence, ce n'est pas face à des yeux moqueurs que je me retrouvais… mais face à deux iris de glace qui ne trahissaient tout au plus qu'une légère étincelle amusée.
Je me relevais, lui signifiant ainsi qu'il ne me dérangeait pas.
- Seigneur du Verseau.
Le salut m'avait échappé des lèvres avant même que je ne réalise qu'il était ridicule de ma part de saluer avec autant de protocole un homme que je me devais désormais de considérer comme un frère d'arme.
Il releva son regard dans ma direction, et je m'aperçus à cet instant que son amusement n'était pas dû à mes yeux clos, mais au livre que je tenais à la main.
Il releva les yeux et je déglutis… ce regard… son regard avait décidemment quelque chose d'envoutant. Froid, glacial même, mais fascinant. Si humain, mais si froid… paradoxe que seul le Verseau était capable de rendre possible. On sentait l'humanité se cacher désespérément derrière ces barrière de glace soigneusement érigées avec tant de patience et c'est cela même qui, à mes yeux, rendait le Verseau si humain, si fragile… bien que je ne lui aurais jamais avoué de vive voix.
Nous restâmes un instant, face à face, sans esquisser le moindre geste, à nous dévisager mutuellement sans aucune retenue.
Il me semblait à cette seconde que je n'aurais pas assez du temps d'une vie pour parvenir à déchiffrer la totalité des émotions que je sentais le Verseau combattre de toutes ses forces, et pour garder ce regard ancré dans le mien encore une seconde de plus, je me serais livrée une nouvelle fois à la violence des poings du Cancer. Mais il brisa l'enchantement d'un rapide mouvement de tête, échappant ainsi à mon analyse inquisitrice.
- Camus…
Je vis un léger sourire se dessiner sur ses lèvres.
- Je m'appelle Camus.
Je lui souris à mon tour et hochais la tête pour le remercier. D'un simple mot, le français venait de me hisser à son niveau, m'autorisant tacitement à l'appeler par son prénom, comme un égal.
Il laissa son regard dévier vers ma main.
- Si cette partie de notre histoire t'intéresse, j'ai d'autres livres sur le sujet à mon temple.
Puis il tourna les talons et partit en me saluant d'un hochement de tête.
Restée seule, je m'interrogeais. Je connaissais la réputation du chevalier d'or du Verseau. Je le savais froid, distant, et peu sociable. Bien qu'il se soit considérablement rapproché de ses frères après la guerre, il n'en restait pas moins un homme taciturne et solitaire. Il ne se rapprochait pas facilement des inconnus, et malgré le fait que nous étions, mon frère et moi, au sanctuaire depuis quelques temps déjà, nous restions des inconnus à ses yeux. Jamais il n'avait esquissé la moindre approche envers Sorrente, et pourtant la Lune de Bronze attirait indéniablement la sympathie avec bien plus de facilité que moi.
Je n'avais pas manqué de remarquer que sa dernière phrase avait été prononcé au pluriel : « notre histoire », et non pas l'histoire de France. Camus avait volontairement usé le possessif. Et venant d'un homme tel que lui, ce n'était pas là un mot anodin… Le reste de sa phrase était clairement une invitation… la même qu'il m'avait déjà lancé lors de notre première rencontre et que je n'avais jamais eu le courage d'honorer. Le Verseau était venu me voir pour renouveler son invitation… Non ! Ce n'était pas le Verseau, cet homme qui venait à l'instant à de me parler… ce n'était pas le chevalier des glaces. C'était Camus… juste Camus… Je ne pus empêcher un sourire naître sur mon visage…
Je traversais les temples les uns après les autres, découvrant ou redécouvrant par la même occasion leur propriétaire.
Mon maître, lorsque je lui demandai la permission de me rendre au onzième temple, avait accepté avec un léger sourire, laissant entendre qu'il était ravi que Camus décide à se sociabiliser un peu.
Aldébaran, en parfait hôte qu'il était, m'invita à prendre le café dans son salon. Invitation que je déclinais avec beaucoup de regrets. J'avais, avec le temps, nouer une amitié sincère avec gardien du second temple. Il fait dire que sa simplicité et ses manières tendres – en grandes contradictions avec son physique – auraient touché n'importe qui.
Au troisième temple, les jumeaux maudits m'accueillirent avec beaucoup de chaleur. Saga plus réservé, tentait tant bien que mal de retenir son frère, l'ex Dragon des mers s'étant mis en tête de me faire avouer que je montais dans l'optique d'un rendez-vous galant… ce qui me fit sourire malgré moi. Je voyais mal Camus dans le rôle de l'amoureux transis.
Au quatrième temple, ce fut une guerre froide entre un Cancer vexé, qui ne pouvait décemment pas me refuser l'accès pour traverser son temple, et moi qui avait du mal à digérer son attitude hautaine. J'avoue qu'un élan de rancœur me traversa l''esprit pour ces quelques mots que Milo avait prononcé… et le Cancer, non.
Aiolia quant à lui, me laissa passer sans aucune difficulté. Se contentant d'une banale discussion sur la pluie et le beau temps.
Au temple de la Vierge, bien que cela fasse un peu cliché avec ce que tu as dû déjà entendre, Lecteur inconnu, Shaka méditait. Il me laissa traverser sa demeure sans aucune difficulté.
Le temple de la Balance, à ma grande surprise, n'était pas vide, et je découvris Dokho, chevalier de la Balance, occupé à classer ses livres dans une bibliothèque des plus archaïques. Je dû batailler longtemps avant que le chevalier de la Balance ne consente à me laisser partir. Dokho ne cherchait pas à m'arrêter, mais curieux à mon encontre, j'eus droit à des centaines de questions avant de pouvoir avancer.
Pour ce qui est de la maison du Scorpion, je dois avouer que c'est celle qui me posa le plus de problème. Milo, avec son entrain habituel, cherchait à savoir le pourquoi du comment, mais lorsque je vis la flamme qui s'alluma aussitôt dans ses yeux à la seule évocation du Verseau, je ne fus pas dupe… et me remémorant le regard du français lors de l'affrontement entre le Scorpion et la Lune de bronze, je me dis que Milo avait sans doute le droit de connaître mes raisons de monter au onzième temple… Et c'est accompagnée d'un regard des plus suspicieux que je franchis le seuil de sa maison.
Aioros, quant à lui, m'accueillit très chaleureusement, se contentant, à l'instar de son frère, d'une banale discussion en m'accompagnant jusqu'à la sortie de son temple.
Et pour finir, Shura. Le Capricorne ne fit pas de difficultés particulières, mais sa dévotion était telle qu'il me posa mille et une questions sur ma rencontre avec la Déesse, voulant connaître jusqu'aux moindres détails sur mes sentiments ressentis à ce moment là.
Onzième temple, en montant les interminables marches, j'eus presque des regrets de ne pas passer par le temple des Poissons, Aphrodite ayant sans doute été de bons conseils.
J'arrivais en vue du temple du Verseau… et je bloquais soudain ma marche. Les yeux rivés sur le onzième temple, je me sentais incapable de continuer dans ma lancée. Je me sentais comme hypnotisée.
Juste quelques marches…
Rien que quelques marches…
A peine quelques mètres…
J'étais incapable de les parcourir. Je sentais une boule d'angoisse me monter dans la gorge. Pourquoi ?
Je ne sais pas.
Pile ou face…
Irais-je ou n'irais-je pas …
Cet homme exerçait sur moi une fascination bien trop forte pour être normale.
… Je me revois à cet instant là, haletant, hésitant, indécise… Le regard bloqué sur les dernières marches qu'il me restait à franchir… incapable de faire le moindre pas.
Je me revois… et je revis ce tourment intérieur qui s'empara de moi. Une peur panique. Une simple et irraisonnée peur panique. Sans fondement… sans aucune explication logique…
C'est comme si à cet instant, j'avais pu voir deux chemins s'ouvrir face à moi. D'un côté, Camus, de l'autre… je ne sais pas… je n'ai jamais su. Je n'ai pas choisi ce chemin là.
Je savais que tôt ou tard, le Verseau changerait ma vie. Je savais qu'un jour ou l'autre, il prendrait une place privilégiée, mais l'inconnu a quelque chose d'effrayant.
Pile ou face…
La pièce est lancée…
J'ai senti comme une poussée dans le dos. Je ne me suis pas retournée. J'ai avancé, juste avancé. Dans un état second et le souffle court… j'ai gravi presqu'en courant les marches qui me restaient à franchir.
Plus que quelques marches…
Rien que quelques marches…
Je les ai montés en courant.
Pile ou face… je n'ai jamais su le résultat.
Je me suis mise à courir avant de voir la pièce atterrir. Pas peur peut-être, par peur de la voir atterrir du mauvais côté.
Arrivée devant l'entrée, je gonflais mon cosmos pour signaler ma présence, et j'attendis.
Pas la moindre réaction.
Je commençais à me sentir franchement bête. Avoir hésité pendant un long moment pour finalement découvrir que le Verseau n'était pas dans son temple…
Je persistais pourtant, gonflais mon cosmos plus fort. Et j'attendis, les yeux rivés sur les colonnes de l'entrée, appréhendant le moment où je verrais sa fine silhouette se dessiner dans la pénombre.
Une boule dans la gorge, je me passais toutes les introductions possibles pour une banale discussion…
« Bonjour Camus… »
Bien, voila déjà un bon début. Et ensuite ?
« Je suis venue voir tes livres… » ? Un peu froid comme approche…
« Comment vas-tu ? » ? Trop banale, mais je décidais de le garder en cas de blanc total de la part de mes neurones.
« Je réponds à ton invitation » ? Non, trop empressé…
J'étais sur le point de me taper la tête contre une de ces colonnes de marbres pour faire jaillir de mon esprit un semblant de conversation intéressante lorsqu'un discret raclement de gorge se fit entendre dans mon dos… et je me figeais, me maudissant intérieurement d'avoir toujours été si gestuelle.
Fort heureusement que mon compatriote n'avait pas hérité du don de voir à travers un dos tourné, sans quoi, il m'eut sans doute vu piqué un monstre fard comme rarement dans ma vie.
- Swann.
La même voix, toujours froide, dénuée du moindre sentiment.
Je me retournais, priant tous les Dieux de l'Olympe pour que mon visage ai retrouvé sa couleur naturelle.
- Camus.
Il s'avança, m'invitant d'un geste de la main à le suivre.
Fort heureusement pour moi, la seule vue sur la bibliothèque du Verseau me dispensa de chercher plus loin un sujet de conversation et je restais émerveillée face aux chefs d'œuvres littéraires que comportaient ces quelques étagères en bois. De Balzac à Camus en passant par Molière, tous les grands auteurs français avaient leur place au Panthéon de cette littérature. Plusieurs auteurs étrangers également, Sweig, Platon et les grands auteurs de tragédies grecques. Aucun ordre, aucun classement particulier. La comédie et le drame se tutoyait joyeusement, côtoyant le théâtre et même quelques livres policiers. J'aurais sans doute dû être étonnée qu'un homme supposé méticuleux comme lui ne classe pas ses livres, mais cela ne me choqua pas. Je faisais de même, appréciant le fait de passer des heures à chercher le livre désiré et redécouvrant par la même tous ces vieux amis qui nous ont fait partager des heures de rêves sublimes. C'était là un petit plaisir que le Verseau visiblement s'accordait lui aussi.
Sans un mot, je me dirigeais directement vers les vieilles étagères de bois. Camus me laissa faire. Nous n'avions pas échangé une parole. Je l'entendis se déplacer dans la pièce sans y prêter attention.
Je découvrais avec un plaisir certain, des livres que je possédais également, comme s'il eut s'agit de vieux amis que j'aurais rencontrés par hasard chez une nouvelle connaissance. Des titres nouveaux également qui attiraient mon attention. Je prenais un livre, l'effleurais du doigt, lisais le résumé et le reposais, notant mentalement les livres que je souhaitais emprunter, lorsque tout à coup, un titre, un livre mis un peu à l'écart attira mon attention. Il avait été rangé du côté opposé aux autres, comme volontairement exilé.
« Une saison en enfer », Arthur Rimbaud.
Je le pris les mains légèrement tremblantes, et caressais tendrement sa couverture.
Rimbaud…
Je me retournais pour faire face à Camus qui revenait de la cuisine, une bouteille de vin dans une main, deux coupes dans l'autre.
Mon cœur avait fait un bon en voyant ce livre… je le connaissais déjà et pourtant je découvrais son titre et son auteur pour la première fois. C'était la couverture… cette couverture que je connaissais déjà. Une simple couverture blanche avec des lettres noires. Une simple couverture blanche qui affichait la photo d'un garçon en noir et blanc, jeune, si jeune… il avait le regard lointain, il avait le regard triste et les cheveux en bataille. Je connaissais par cœur ce livre bien que je ne l'ai jamais lu. Je connaissais ce garçon avant même de connaitre son nom…
Arthur Rimbaud ? Enchantée. Cela fait des années sans avoir pensé à toi.
A cet instant, le temps remonta sa course, et je revis une petite fille tenant cette même édition entre ses petites mains et fixant tendrement la photo…
- Il a l'air si triste… avais-je dis en tendant le livre à ma mère.
- Tous les poètes ont dans l'âme une petite parcelle de nostalgie…
Et elle avait prit le livre, et elle avait lu des poèmes comme elle le faisait souvent… Et je m'étais assise à l'écouter au côté de mon frère, comme à chaque fois.
Je ne comprenais pas les mots, mais ce garçon sur la photo était devenu mon ami et dans mes rêves d'enfant, je m'évertuais à le faire sourire… et dans mes rêves d'enfant, son sourire était si beau…
Je me retournais pour faire face à Camus. Il avait figé son regard sur le recueil. Je baissais les yeux sur la photo et la caressais tendrement du pouce.
- Je connais ce livre.
Un sourire nostalgique naquit sur mes lèvres alors qu'une douce euphorie s'emparait de mon cœur. C'était comme revoir un ami de longue date. C'était comme si je tenais entre mes mains, une petite parcelle de mon enfance.
- Quel est ton poème préféré ?
La voix de Camus me sortit de ma contemplation. Je relevais la tête.
Mon poème préféré ? Je n'en n'avais pas. Dans mes rêves d'enfant, le garçon riait, il ne rimait pas. D'ailleurs je ne savais pas lire à cette époque. Et même avec les années passées, je ne crois pas avoir déjà lu un poème de Rimbaud.
Camus eu un regard attendrit lorsque je le lui expliquais. Doucement, il me prit le livre des mains, s'assit dans un fauteuil et commença à lire… à lire à voix haute.
- C'est un trou de verdure où chante une rivière
Accrochant follement aux herbes des haillons
D'argent où le soleil, de la montagne fière,
Luit : c'est un petit val qui mousse de rayons.
Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue,
Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,
Dort il est étendu dans l'herbe, sous la nue,
Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.
Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme
Sourirait un enfant malade, il fait un somme:
Nature, berce-le chaudement : il a froid.
Les parfums ne font pas frissonner sa narine;
Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine
Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.
Bercée par le son de sa voix, je m'approchais de la fenêtre. Peut-être pour mieux cacher mon émotion. Peut-être aussi pour que le Verseau ne voit pas cette larme, cette petite larme de nostalgie qui coula sur ma joue.
Je reconnaissais ce poème… je l'avais aimé étant enfant bien que je n'avais jamais compris sa signification. Ma mère nous l'avait lu plusieurs fois.
Perdue dans mes pensées, je réalisais soudain que je ne regardais plus le paysage… mais le reflet de Camus dans la vitre. Et je fus d'autant plus surprise en me rendant compte que le Verseau avait cessé de lire… il récitait à présent. Il récitait le livre posé sur ses genoux, les yeux rivés sur mon propre reflet.
- On n'est pas sérieux, quand on a dix-sept ans.
Un beau soir, foin des bocks et de la limonade,
Des cafés tapageurs aux lustres éclatants !
On va sous les tilleuls verts de la promenade…
Tous ces poèmes avaient des airs de déjà-vu dans ma mémoire. Mais pour la première fois, je comprenais… je comprenais ces mots couchés sur papier. Oui, mon ami d'enfance avait l'âme décidemment bien nostalgique. Cette même nostalgie qui vient parfois se poser sur un cœur, ou sur un regard… un regard qu'on croise par inadvertance à travers le reflet d'une fenêtre…
Je me mordis la lèvre et serrais les paupières. Derrière moi, Camus s'était levé, continuant à réciter. Je le fixais des yeux, mais comment aurait-il pu le savoir ?
Je le vis s'avancer dans ma direction, doucement, si doucement. Je ne bougeais pas.
Quelques pas… juste quelques pas…
Il s'immobilisa, et tendit la main.
A quelques centimètres de mon épaule, je sentais déjà sa chaleur.
Quelques centimètres… si proche, si lointain à la fois.
Quelques centimètres… si difficile à combler.
Je sentais mon cœur battre la chamade dans ma poitrine. La situation devenait trop étrange. La situation m'échappait. En proie à des sentiments contradictoires, je décidais que je ne voulais pas de ce contact.
Je relevais brusquement la tête et dans un éclair de mémoire, terminait le poème en me retournant pour lui faire face.
- On n'est pas sérieux, quand on a dix-sept ans
Et qu'on a des tilleuls verts sur la promenade.
Il retira vivement sa main et je ne fis aucune remarque. Je lui souris.
- Je me souviens de ce poème…
Nous restâmes un instant encore sans mot prononcé, nous dévisageant mutuellement. Son visage avait reprit sa froideur habituelle. Mes yeux étaient redevenus secs.
Il prit le livre et le déposa entre mes mains.
- Lit-le. Tu me le rendras plus tard.
Je le remerciais d'un hochement de tête et sortit de son temple le cœur toujours battant.
Je n'ai pas compris ce qu'y avait faillit se passer dans l'intimité de ce temple, mais une chose est sûre… je regrettais déjà. Je n'avais pas voulu de ce contact… je n'avais pas su définir ce contact… et pourtant… j'aurais presque voulu qu'il transpasse mon refus silencieux.
Inconsciemment, alors que je descendais les marches de la onzième maison, le recueil serré contre mon cœur, je tournais la tête… et je le vis, debout à sa fenêtre. Et je souris.
Je ne sais pas le pourquoi de ce geste si surprenant, mais une chose était sûre, le Verseau venait de me prendre sous son aile. Je redescendis les marches, mon sourire aux lèvres… le livre contre moi.
Peut-être dans le fond, n'est-on pas sérieux non plus quand on est chevalier…
Et qu'on lance un clin d'œil complice
Avec le cœur rempli de gaité
A la Lune protectrice…
