La blessure d'un frère
Sans aucune semonce, le coup était parti, violent, rageur, fort. Je tentais de l'esquiver mais pas assez vite, le poing de mon adversaire m'atteignit douloureusement à la hanche et je me courbais sous l'impact. J'y étais pourtant préparée, dans ce genre de combat, on ne prévient pas à l'avance lorsqu'on se prépare à frapper. Pour que l'attaque réussisse, elle doit prendre l'ennemi par surprise… et c'était bien un combat dans lequel je me trouvais engagée en ce moment, pas un banal entraînement. Les poings de mon adversaire, bien qu'il soit dépourvu d'armure, ne s'élançait pas contre mon corps dans le but d'un quelconque exercice, mais dans la seule optique de faire mal, de blesser… j'aurais voulu ne pas en arriver là, mais il ne me laissait décidément pas le choix.
Je relevais la tête, relevais le corps. J'étais décidée à ne pas attaquer à mon tour, tous mes sens mis en alertes uniquement pour la défense. Je savais que de cette manière, j'allais le vexer.
Je relevais la tête, et le toisais fièrement, demandant d'une voix narquoise :
- Quoi ? C'est donc là tout ce que tu sais faire ? Il en faut plus pour faire tomber un enfant sacré.
Un sourire sadique naquit sur ses lèvres.
- Ce n'est qu'un échauffement.
Et les coups redoublèrent, plus forts, plus violents. Les coups d'un homme jaloux, les attaques d'un cœur blessé. Je parais, esquivais, ou me protégeais simplement lorsque je ne pouvais faire autrement. Et cela l'agaçait, le vexait. Il tentait par tous les moyens de me faire sortir de mes gonds.
- Les enfants sacrés ne seraient-ils bon qu'à se défendre ? Belle garde pour Athéna en vérité ! Que pourrait bien faire une Déesse d'un chevalier incapable de porter le moindre coup ?
Je le laissais parler. Je le laissais déverser sa haine et sa rancune sachant que cela lui faisait du bien. Il en avait besoin. Besoin de me blesser, besoin de me faire du mal… tout comme moi, involontairement je l'avais blessé.
C'était sans le vouloir. C'était sans même m'en rendre compte. Mais je l'avais blessé plus surement que si je lui avais porté un coup mortel.
Tout avait commencé avec des regards suspicieux, le premier alors que je traversais son temple pour me rendre plus haut, le deuxième alors que je redescendais, le visage rêveur et un recueil de poème fermement serré contre ma poitrine. Dès lors, mes allées et venues se firent plus fréquentes, et un vent de franche hostilité s'installa à chacune de mes traversées. Je compris bien vite d'où venait ce climat. Je compris à voir son regard s'assombrir lorsqu'il me voyait monter sachant très bien qu'elle était ma destination… je compris en voyant ses poings se crisper alors qu'il nous voyait discuter ensemble… je compris lorsqu'il détourna les yeux la première fois que cette main vint se poser sur mon épaule et que cette voix me parla doucement avec des intonations étrangères…
Il me craignait…
Les coups pleuvaient sans la moindre retenue me frappant tantôt au visage, tantôt au ventre, alors que les insultes fusaient. Et je parais, je ne faisais que parer, acceptant tacitement sa colère, compatissant secrètement aux larmes que je voyais couler dans son cœur.
Il ne se servait que de ses poings. Pas de cosmos. Il ne frappait qu'aux endroits ne laissant pas de marques, ou pouvant facilement se dissimuler.
Nous n'étions pas dans les arènes. Pas de témoins, pas de spectateurs…
Il était venu me trouver directement au bord de ma falaise, me sortant de ma rêverie alors que je contemplais sagement l'horizon, perdue dans mes pensées.
C'était bien le premier adversaire à n'avoir aucune retenue face à mon corps de femme. Il me connaissait, il me connaissait pour m'avoir déjà vu combattre. Il savait que je n'étais pas du genre fragile.
J'aurais aisément pu le mettre à mal en gonflant légèrement mon cosmos, en lançant un appel télépathique à Sorrente, à Mû, voir même à Camus… mais il avait lancé la règle en n'attaquant que par des coups. Pas de témoins ! Pas de cosmos ! C'était une affaire entre lui et moi. Et j'étais décidée à respecter cette règle.
Il était aveuglé par la haine et j'espérais que ce combat lui permette de se calmer un peu. Il n'était pas en état de discuter, d'écouter mes explications. Il frappait, fou de sa douleur, sourd à toute raison. Il avait frappé le premier car il me craignait…
Oui, Milo me craignait. Mais il ne craignait pas ma force, ni mes poings. Non, cela je l'avais réalisé bien avant.
Ce que Milo craignait…
C'était l'accent rauque de ma voix alors que je parlais, cet accent porté sur les « r »… le même accent que Camus.
C'était la pâleur de ma peau, une peau peu habituée aux assauts du soleil, une peau blanche… d'une blancheur égale à celle du Verseau.
Ce que Milo craignait, c'était ma langue natale, c'était ma nationalité…
C'était tous ces points communs qui m'avaient attiré l'attention du chevalier des glaces…
Dès que je l'aperçus, je sus instinctivement que Milo ne venait pas pour parler… et pourtant, j'aurais voulu… le rassurer.
Camus me voyait davantage comme une petite sœur, son regard, lorsqu'il me regardait moi, ne ressemblait en rien au regard que j'avais quelques fois surpris dans ses yeux alors qu'il les avait rivés sur le grec.
Moi, je lui rappelais son pays, sa terre natale, une partie de son enfance peut-être… Et moi, je me raccrochais au Verseau par nostalgie. Il sentait la France… ma France ! Celle que j'avais abandonnée auparavant mais que je n'avais jamais pu oublier. Et c'était là une chose que Milo, grec dans son propre pays, ne pouvait sans doute pas comprendre. Non pas que Camus ou moi soyons chauvin ou patriotique à l'extrême, mais pour cette même raison qui poussait Masque de Mort à se rapprocher de Shina, ou Sorrente de Hyoga…
Parce que malgré tout, nous restons tous humains, et se rapprocher d'un compatriote… c'est se sentir comme un oiseau qui après des milliers de kilomètres parcourus croisent un autre oiseau qui a connu son nid… C'est une bouffée de chaleur, c'est une joie nostalgique…
Même si Camus et moi ne parlions jamais de la France… toujours en français lorsque nous étions seuls, soit, mais jamais de cette contrée qui nous avait vu naître. C'était une sorte d'accord tacite entre nous, un non-dit mutuellement respecté. Parler de la France… impliquait parler de notre enfance, et ni lui ni moi n'étions prêt à nous dévoiler à ce point. Je ne connaissais même pas sa région d'origine, tout comme il ne connaissait pas la mienne… nous savoir originaire du même pays était bien suffisant.
Et c'est cela même que j'aurais voulu expliquer au Scorpion. Mais il ne m'en laissa pas le temps.
A la longue, et lassé face à mon refus de combattre, Milo sembla perdre patience. Il commença à gonfler à son cosmos.
Face à cette réaction, je m'inquiétais, je voulus le prévenir. S'il gonflait son cosmos, alors il alerterait surement les autres chevaliers. Je voulus le prévenir, mais trop tard… perdu dans sa folie vengeresse, je vis son index se tendre et son ongle s'allonger… l'aiguille écarlate ! Milo se préparait à me lancer sa plus terrible attaque.
Je n'eus d'autres choix que de gonfler mon cosmos à mon tour pour me défendre. Je gonflais mon cosmos, me préparais et attendis que le premier coup vienne à ma rencontre… mais il ne vint jamais. Alors que l'attaque fut lancée, alors qu'elle courrait droit vers moi, un mur de glace vint stopper sa course.
- Milo ! As-tu perdu la tête ?
Nous ne l'avions pas vu arriver, tous deux pris dans notre combat.
Alerté par la soudaine gonflée de nos cosmos, Camus n'avait pas mit longtemps avant de comprendre se qui se passait sous ses yeux. Il arborait un visage furieux.
- Camus, ne t'en mêle pas !
Je voulus prendre la défense du Scorpion, parfaitement consciente que l'arrivée du Verseau et le fait qu'il ait voulu me protéger ne ferait qu'envenimer les choses. Mais les mots moururent sur mes lèvres… et je me m'écroulais.
Un trou noir vint prendre possession de mon esprit et je tombais à genoux, les mains sur mon ventre, haletante. Il me fallut quelques secondes pour reprendre mes esprits et lorsque je levais les mains devant moi, je les vis alors couvertes de sang. Je baissais les yeux et découvris une profonde blessure au niveau de mon abdomen. J'étais blessée… mais cette blessure n'était pas dû à l'aiguille écarlate ni à aucune autre venant du Scorpion.
Camus et Milo se précipitèrent vers moi, stupéfaits. Je tentais de me relever, je titubais sous la douleur.
Je savais… je savais d'où me venait cette blessure. Je gonflais mon cosmos de toutes mes forces dans un geste de défense et le fis converger vers un point étranger. Camus et Milo me regardaient, ne comprenant pas.
Sorrente arriva soudain en courant vers moi, attiré par mon appel muet. Je lui agrippais violement le bras, suffocant sous ma blessure, je l'attirais vers moi et lui murmurais :
- Tristan !
Il acquiesça sans un mot et disparu en courant. Je savais qu'il courait jusqu'au limite du sanctuaire pour pouvoir se téléporter.
Je retombais à genoux, sourde aux appels de Camus, insensible aux bras de Milo qui voulait me porter. Toutes mes forces concentrées en un point éloigné. Une seule idée en tête: protéger, aider, soutenir celui qui en ce moment même devait livrer un combat sans doute mortel.
Rapidement, mon maître arriva à son tour, accompagné de Shion. Ils me couchèrent à même le sol, Mû prenant mes mains entre les siennes pour m'empêcher de cacher ma blessure. Très vite, ils durent se rendre à l'évidence, la blessure n'avait pas été provoquée par l'aiguille écarlate. Elle semblait tranchante, comme la morsure d'une lame. Shion tenta de refermer la plaie par le biais de son cosmos, sans succès. Quoi qu'il fasse, je savais que rien de ce qu'ils tenteraient ne pouvait me guérir.
Dans le petit groupe qui s'était formé autour de moi, c'était l'incompréhension totale. Rien ne semblait venir à bout de l'hémorragie. Ils tentèrent de m'interroger, de savoir qui était l'ennemi invisible, mais je gardais les lèvres closes. Je ne les entendais même pas, tous mes sens en alerte pour soutenir celui qui se battait. Mon cosmos brulait, violent, ma colère, ma rage ressortait dans toute sa splendeur. Je ne sais pas combien de temps je suis restée dans cet état. J'ai juste senti des bras qui me portaient, qui m'emmenaient. Totalement concentrée sur ma tache, j'en avais perdu la notion de la réalité. Je sentis qu'on me couchait sur un lit… j'entendais qu'on me parlait… mais je ne répondais pas.
Soudain, ce fut comme le signal, je me calmais brusquement, et réalisais qu'on m'avait couché sur mon propre lit. Je vis alors penchés sur moi, les visages inquiets des chevaliers.
La douleur s'était estompée. Sorrente entra soudain dans la chambre, portant sur lui des traces de combat. Sans un mot, il s'approcha de moi, se pencha et me souleva dans ses bras.
- Je l'emmène au Paradis Blanc.
Ce fut la seule explication qu'il daigna adresser aux regards d'interrogation de mon maître. Il franchit le seuil, marcha jusqu'aux limites du sanctuaire et nous téléporta.
Je crois que je m'évanouis durant le trajet…
A mon réveil, plus aucune douleur ne me traversait le corps. J'étais allongée sur un lit de bois dur, un visage bien familier penché sur moi. Un prêtre, un des prêtres du sanctuaire de la Lune me veillait.
- Comment te sens-tu mon enfant ?
Je lui offris un faible sourire et hochais la tête pour le rassurer.
- La blessure n'était pas belle à voir, mais je crois que vous n'avez plus rien à craindre tous les deux.
Puis il me serra brièvement le bras et me sourit, connaissant d'avance quelle serait ma question.
- Il s'est réveillé un peu avant toi. Ils se trouvent tous les trois dans la cour du haut.
Je le remerciais et me levais.
Revenir dans cet endroit béni me gonfla le cœur d'une joie infinie. Je savourais chaque pas que je faisais dans ces lieux de mon premier apprentissage. Le Paradis Blanc… mon sanctuaire ! Quelle joie de m'y trouver à nouveau même dans de telles circonstances. J'aimais ce lieu, je l'aimais plus que je ne saurais l'exprimer. Et m'y retrouver à nouveau après des mois d'absence… c'était comme un retour aux sources. Je gravissais doucement les marches, m'imprégnant de la douceur de ce lieu, répondant d'un signe de tête à chaque salut respectueux que les prêtres que je croisais avaient pour moi. Au Paradis Blanc, nous étions considérer comme des seigneurs, les maîtres de ce lieu sacré. Nous étions les seuls défenseurs de la Lune et ses enfants, de ce fait, cela faisait de nous les princes de ce domaine.
Je gravissais les marches, voyant se dessiner devant mes yeux émerveillés la statue de la Déesse de la Lune, plus nette et plus belle à mesure que je montais. Je stoppais mes pas sur la dernière marche et contemplais les jardins sacrés. Ces jardins qui m'avaient accueilli étant enfant, cette même statue aux pieds de laquelle je m'étais endormie le premier jour de mon arrivée. Tout était exactement pareil, rien n'avait changé.
Aux pieds de la statue, je les aperçus soudain. Ils discutaient tranquillement.
L'un d'eux releva la tête à mon arrivée et se précipita vers moi. Heureuse, je lui ouvris les bras. Il m'avait tellement manqué… Il me prit dans ses bras et je m'y blottis avec bonheur. Il n'y avait qu'avec lui que je me permettais cela.
Il se dégagea de mon étreinte pour pouvoir mieux me dévisager.
- Swann !
Sa voix était emprunte d'émotion. Il baissa la tête et me déposa un tendre baiser sur le front.
- Tristan !
Je me haussais sur la pointe des pieds et lui baisais le front à mon tour.
Je me blottis à nouveau dans ses bras… les bras de mon frère.
Au loin, je voyais Sorrente, le bras passé autour des épaules de notre quatrième frère, Virgo.
Dans le ciel, la Déesse de la Lune dardait ses premiers rayons victorieux, fière et heureuse de voir à nouveau ses quatre enfants réunis dans son sanctuaire.
