Le secret des enfants sacrés.

Les quatre enfants sacrés étaient à nouveau réunis sous le même ciel, bénis par les rayons aimants d'une mère divine heureuse de revoir sa famille au complet.

Nous étions tous là, les mains dans les mains, saluant avec émotion la montée de l'astre triomphant. Les quatre enfants sacrés… les quatre enfants du chagrin… ensemble, appréciant juste le fait d'être ensemble.

Peut-être le moment est-il venu pour moi de te parler des quatre enfants sacrés Lecteur inconnu.

Je ne t'ai jamais caché avoir deux autres frères mais je ne crois pas te les avoir déjà nommés. Je les ai passé sous silence durant toute cette partie de mon récit, mais ils auront un rôle déterminant à jouer par la suite… aussi est-il juste que je te les présente.

Mais avant, une petite explication… je devine que tu te poses des questions. S'il n'y a eut, la nuit de la mort d'Endymion, que deux larmes de versées, alors pourquoi quatre enfants ? La vérité vois-tu, c'est que la légende a légèrement édulcorée la colère de Zeus lors de l'annonce de la soudaine maternité de Séléné. Le Dieu des Dieux est entré dans une colère folle et prenant sa foudre de sa main, il foudroya les enfants… partageant involontairement leurs âmes en deux. Ainsi, il n'y eut plus deux enfants… mais quatre. A la base, une seule douleur, deux larmes, deux âmes et au final… quatre enfants. Une seule et même âme partagée en deux corps différents.

Pour la première âme, deux hommes : Sorrente et Virgo.

Pour la deuxième âme, un homme et une femme : Tristan et moi.

Même âge, même date de naissance, même caractéristique physique. Si Sorrente ne me ressemblait en rien, Tristan au contraire était mon parfait sosie, mon frère jumeau. Parfaitement identique, à la seule exception du sexe. Pour Sorrente et Virgo par contre, la ressemblance était parfaite, identique en tous points, seuls Tristan et moi étions capable de les différencier, et cela par le biais de leur cosmos uniquement.

Imagines-tu notre surprise, Lecteur inconnu, lorsque nous nous sommes tous rencontrés pour la première fois ? Moi qui m'étais insurgée contre l'idée d'avoir d'autres frères, voila qu'on me présentait mon parfait sosie masculin… même mon véritable frère, pour le peu que je m'en souvienne, ne me ressemblait pas à ce point. Pourtant Tristan n'était pas mon jumeau, nous n'étions pas du même sang, ni de la même nationalité. Tristan venait de Norvège. Virgo venait d'Italie.

Très vite, une grande complicité se noua entre chacune des âmes…

Tristan… la deuxième moitié de mon âme… la parfaite incarnation du mythe d'Aristophane.

Je ne me suis jamais vraiment sentie complète qu'en sa présence, je ne respire vraiment que lorsqu'il est prêt de moi.

Avec le temps, cette tendre complicité fraternelle se développa. Nos âmes apprirent à communiquer sans la moindre parole, sans même avoir besoin de notre cosmos. Je suis capable de ressentir ses émotions, de ressentir sa peine ou sa joie et même, comme je viens de te le démontrer, Lecteur inconnu, de partager sa douleur aussi bien physique que morale.

Le lien fraternel de nos âmes… le plus grand secret des enfants sacrés.

Nos frères… notre plus grande force… mais aussi notre plus grande faiblesse.

Je t'en ai déjà parlé, rappelle-toi Lecteur inconnu !

Je t'ai déjà parlé de ce lien extraordinaire qui relie les enfants sacrés. Brièvement, à peine quelques lignes en début de ces mémoires, mais c'est parce que le temps des explications n'était pas encore venu… il est là à présent, et je vais t'expliquer.

Le lien fraternel est la clé de notre puissance. Nous sommes forts, nous sommes puissants. La puissance d'un enfant sacré peut dépasser celle d'un chevalier d'or. La vérité, Lecteur inconnu, est assez simple. La vérité, c'est que quelque que soit l'adversaire, il ne combat jamais un enfant sacré… sans le savoir, il en combat deux.

Nous nous prêtons notre force, nous combattons toujours ensemble. Lors d'un combat- un véritable combat, pas un entraînement- nous faisons appel au lien qui nous unis à la moitié de notre âme. Connectés en permanence, il nous est facile de solliciter de l'aide. Nous sommes l'ombre de nos frères, toujours présent à leurs côtés. Invisibles, mais indissociables.

La connexion entre les âmes jumelles est l'arme la plus forte dont nous disposons pour combattre nos ennemis. Jamais, non, jamais nous ne sommes seuls, nous sommes toujours deux quoi qu'il arrive.

Pourtant cette connexion n'a jamais été eu une évidence sans quoi, il nous aurait à tous, manqué une partie de nous même lors de notre première vie… et ce ne fut pas le cas.

Pour ma part, en tout cas, je n'ai jamais ressenti le vide de Tristan… du moins pas avant de l'avoir connu. Enfant, j'avais ma famille… j'avais mon frère… et cela m'était bien plus que suffisant, pas besoin d'autres choses à mon bonheur, un bonheur parfait.

Je me souviens la première fois que Tristan s'est présenté devant mes yeux, rouges et gonflés de larmes… les yeux d'une enfant terrorisée… je me souviens avoir eu un hoquet de surprise. Je me souviens de m'être frotté violement les yeux. Je me souviens avoir caressé son visage d'enfant avec ma main, juste pour être sûre que je n'étais en train de rêver, d'halluciner, ou de devenir folle… Ma main a tremblé durant tout le trajet avant d'atteindre sa peau, et encore, je n'osais pas le toucher, c'est lui qui a avancé le visage, qui m'a prit la main et qui l'a posé sur sa joue. La même lueur d'incompréhension que j'avais dans les yeux, je l'ai vu se refléter dans ses yeux à lui… exactement la même.

Au début, je n'ai pas compris. Qui était-il ? Et pourquoi me ressemblait-il à ce point ? Mon cerveau, marchant à toute vitesse dans ma tête, avait déjà échafaudé toutes les possibilités, allant même jusqu'à supposer qu'il était mon jumeau et que nous avions été séparés à la naissance… A la première parole échangée, la barrière des langues allait très vite faire s'effondrer cette supposition. Venant à peine d'arriver au Paradis Blanc, et ne parlant pas encore le grec, nous n'avons pas été capables de nous comprendre, lui et moi. Lui, parlant norvégien, et moi parlant français.

Tu n'imagines pas à quel point cela peut être déroutant, Lecteur inconnu, de se retrouver face à son parfait sosie, surtout… surtout lorsqu'on a sept ans, et qu'on vient de nous sortir de l'enfer.

Avec le temps, nous avons appris à nous connaître et à communiquer. Avec le temps, et sans nous en rendre compte, le lien était en train de s'activer pour ne jamais se refermer.

Un jour, la conversation dévia sur nos enfances, aussi curieux l'un de l'autre, nous voulions apprendre à nous connaître mieux… mais cela faisait mal, tellement mal de parler de ce temps là… les mots de Tristan restaient bloqués en travers de sa gorge, il ne parvenait pas à formuler la moindre phrase alors, à court d'idée, il me prit le visage entre ses mains et posa son front contre le mien. Il ouvrit son cosmos qui commençait à naître. C'est alors que j'ai vu… une image se former, des sensations étranges qui n'étaient pas les miennes, des voix venues de son passé et qui hurlaient... Un flash : une nuit, un petit village à la pointe du pays près de Kristiansand, un petit village de pécheur… un enfant terrorisé qui se cache sous un lit, là où sa mère lui a supplié de ne pas sortir… il regarde… il regarde en pleurant des hommes visiblement ivres saccager sa maison et battre à mort ses parents… Je sentais sa douleur aussi bien que si je l'avais vécue moi-même, et tous ces cris qu'il gardait au fond de la gorge car il sait, il sait que un seul bruit… et il sera découvert… et il sera tué. Alors il serre les poings, il tremble, il pleure, il se mord les lèvres mais, il obéit à sa mère, il ne sort pas, il ne fait pas de bruits…

J'ai reculé violement la tête. Tristan avait l'air aussi perdu que moi. Ce sont ses souvenirs que je venais de voir, une partie de son passé. Sans un mot, il s'est levé, il a tourné les talons et il est parti. Je suis restée sans comprendre. Je crois qu'il voulait me faire comprendre, mais ne s'attendait visiblement pas à m'en dévoiler autant… Je me sentais redevable, alors le soir même, je suis allée le rejoindre, d'un même geste, je lui ai prit le visage entre les mains, j'ai posé mon front sur le sien et je lui ai montré…

Un château en Bourgogne, mon père possédait un domaine viticole. Bohème et de mœurs légères, il y vivait avec ses deux enfants, et ses deux femmes… deux sœurs qui lui avaient chacune donné un enfant, un garçon et une fille à qui elles s'étaient amusées à donner le même prénom. Famille d'artistes, famille de bohèmes, mon père vivait de ses rentes. Mais la vie était facile, joyeuse, comme une délicieuse kermesse sans fin. Mais une nuit, le feu, un incendie… je n'ai jamais compris comment je me suis retrouvée dehors, devant la petite porte de derrière, celle qui menait aux vignobles. Je crois… aussi fou que cela puisse paraître, je crois que sans m'en rendre compte, je me suis téléportée pour la première fois de ma vie… L'adrénaline nous fait faire des choses étranges qu'on ne saurait expliquer. Je regardais le château brûler avec, à l'intérieur, les gens que j'aimais et je hurlais le prénom de mon frère dans la nuit, mon propre prénom… celui que je n'ai jamais plus prononcé.

C'est ainsi que nous découvrîmes une partie du lien qui nous liait les uns aux autres. Ce fut notre manière de communiquer durant des années. Il est tellement plus simple de montrer, plutôt que de chercher à faire comprendre par des mots. De cette manière, nous pouvions tout voir, tout ressentir, images et sentiments.

Le lien, nous nous en aperçûmes très vite, ne se résumait pas à faire passer des informations. Tout cela était tellement plus fort. Nous étions capables de ressentir, sans le moindre contact visuel, chaque émotion de notre « jumeau » : la peur, la douleur, la tristesse, la joie, la colère… et très vite, nous nous sommes rendus compte, que non seulement nous étions à même de décrire les émotions de nos doubles, mais également de pouvoir diagnostiquer leur état physique. Au début, sans le ressentir moi-même, je pouvais dire à quel instant Tristan souffrait et à quel endroit sur son corps.

Au début, aidés par notre maître et par le savoir des prêtres, nous avons construit patiemment, et pas à pas ce qui devait aboutir au lien que nous partageons aujourd'hui. Dans les premiers temps, le contact physique était nécessaire, les mains placés autours du visage et front contre front, pour faire parvenir un souvenir, une idée ou un sentiment. Par la suite, nous avons réussis à transmettre nos émotions par la seule pensée, puis vint la douleur, sans la ressentir physiquement, jusqu'au jour où nous fûmes capables de faire ce que nous faisons aujourd'hui, c'est-à-dire, de partager nos âmes avec nos jumeaux pour booster notre force, ou pour nous éviter d'être trop blessés mortellement.

C'est un peu complexe, et j'ai peur que tu ne me comprennes pas Lecteur inconnu, aussi vais-je essayer de te simplifier la chose.

Avec nos jumeaux, et uniquement avec nos jumeaux, nous sommes capables de connecter nos cosmos au point de ne faire qu'un. C'est très pratique lors des combats car cela décuple notre puissance. L'adversaire, au lieu de combattre un seul ennemi, sans le savoir, en combat deux. De la même manière, l'ennemi aura bien plus de mal à nous blesser car c'est comme si nous possédions, grâce à la force prêtée, une carapace presque invincible.

Mais toute médaille possède son revers… ainsi si l'un de nous deux est blessé, lors l'autre le sera aussi. C'est ainsi que Tristan combattant un ennemi, quelques heures auparavant, s'est vu affliger une blessure tranchante au niveau du ventre qui m'affecta moi aussi. Par chance, nous pouvons, dans ces moments là, transmettre le gros de la blessure au jumeau, et ainsi continuer le combat. C'est donc Tristan qui fut blessé, mais c'est moi qui m'écroulai. C'est également la raison pour laquelle Shion ne put pas me soigner. La blessure ne venant pas de mon corps directement, pour me soigner, il fallait d'abord soigner Tristan.

Par contre, et de même qu'on ne combat pas un seul adversaire, l'ennemi qui aura raison de ma vie, pourrait également achever celle de mon jumeau… je l'ai dit, toute médaille à son revers. Si un ennemi est assez puissant, il peut faire d'une pierre deux coups. Tuer deux enfants sacrés en ne portant qu'un seul coup mortel… nous vivons en permanence avec cette épée de Damoclès.

J'espère que cette petite explication t'aura permis de mieux comprendre, Lecteur inconnu.

Par la suite, et pour faire court, comme tu le sais déjà, seul Sorrente et moi fûmes envoyés au sanctuaire d'Athéna. Tristan et Virgo, pour leur part, étaient destinés à suivre une autre route…

Une chose avant tout que tu dois impérativement comprendre Lecteur inconnu : la Déesse de la Lune, n'est pas une Déesse du bien… ni du mal. C'est une balance, une balance entre le bien et le mal, entre le noir et le blanc, entre la vie et la mort. Et à ce titre, si elle envoya deux de ses enfants servir la Déesse des Hommes, la Déesse de la vie… les deux autres enfants eux, furent envoyés pour servir le Dieu de la Mort.

Tristan et Virgo partirent donc pour entrer au service d'Hadès.

Chacun, tout comme nous, disciple d'un spectre pour devenir à leur tour, la garde dorée du Dieu des enfers. Tristan eut comme maître Minos du Griffon. Quant à Virgo, son éducation fut confiée à Eaque de Garuda. Ce qui fut de leur entrainement, je ne le sus jamais, tout comme eux ne surent pas quel fut le notre au sein de la chevalerie d'Athéna. Je te l'ai dit, il y a des règles à respecter entre enfants sacrés et le secret de nos vies dans notre nouvelle affectation en faisait partie.

S'il nous était interdit de dévoiler aux chevaliers d'Athéna (et la vérité fut la même pour les spectres d'Hadès) nos techniques de combats d'enfants sacrés, il en était de même lorsque nous étions entre nous. Nous n'utilisions jamais les techniques de la Lune avec les chevaliers tout comme nous n'utilisions jamais les techniques du sanctuaire d'Athéna avec nos autres frères.

Ainsi va notre destinée Lecteur inconnu, condamnés à servir des Dieux rivaux pour, peut-être un jour, nous retrouver face à face dans un champ de bataille… cela est déjà arrivé par le passé.

Mais il va de soi que les Dieux ignorent l'existence de nos jumeaux. Athéna et Hadès ne savent pas la vérité à notre sujet, et voyant le peu de communication qu'il y a entre ces deux là, il y a peu de chance pour qu'ils l'apprennent un jour.

Mais pour le moment, nous savourions juste le fait d'être ensemble, à nouveau réunis au pied de la statue géante des jardins du palais principal. Juste un petit moment de répit pour oublier que le lendemain, il nous faudrait à nouveau nous séparer, et repartir chacun de son côté… à servir des Dieux ennemis depuis la nuit des temps.

Nous avons passé la nuit à rire, à nous remémorer nos souvenirs communs, du temps où nous n'étions que des apprentis de la Lune, conscients que ce n'était là qu'une parenthèse et que nous ne reverrions probablement plus avant bien des mois. Sous le regard tendrement complice de notre mère divine, c'était notre grand moment, celui de nos retrouvailles… on l'a fait durer le plus longtemps possible… jusqu'à cet instant, cet instant où, juste avant que le jour ne se lève, je me suis tournée vers Tristan, une interrogation dans le regard. Il savait que, tôt ou tard, j'allais lui poser la question.

- Qui t'a fait ça ?

Il soupira. Il me prit le visage entre ses mains et posa son front contre le mien… et alors je les vis. Ces ennemis, ces adversaires, ce traquenard. Une colère froide me prit le cœur.

Fous !

Fous qu'ils étaient. Je ne sais pas comment ils s'appelaient, ni qui ils étaient et cela n'a pas la moindre importance. Mes frères n'avaient fait que les chasser, les laisser blessés dans un endroit retranché. Ils savaient que je voulais participer à la vengeance….

Et l'aube se leva alors, meurtrière et menaçante… l'aube se leva sur la colère des enfants sacrés. Tristan et Virgo savait qui étaient ces hommes, ils les connaissaient. Sorrente et moi ne posâmes aucune question. Ils moururent en cet aube, ils moururent tous de nos mains ! Ils n'eurent que le temps de voir quatre silhouettes se découper dans les premiers rayons du soleil, et ils moururent, les uns après les autres… Mais je le jure, nous ne sommes pas des lâches et aucun ne mourut d'une blessure dans le dos, tous de face et les yeux grands ouverts.

Il n'y eut pas de pitié ce jour là. Pas de pitié pour des hommes qui se mettent à plusieurs pour en attaquer un seul. Ces hommes étaient des guerriers, ils possédaient un cosmos puissant. Je n'ai jamais su quel Dieu il servait. Un simple regard sur mon jumeau et la colère l'emporta.

L'aube fut sanglante ! A l'image des Érinyes, notre vengeance fut à la hauteur de notre colère.

Personne ne touche à un enfant sacré sans en payer le prix, et crois-moi, Lecteur inconnu, il est très cher… vraiment très cher !