De femme à femme (1)

Sur ce, je tournais les talons et tandis que je m'éloignais, j'entendis sa voix me parvenir dans un élan de colère.

- Et pourtant, je saurais bien t'y forcer !

Et tandis que je haussais les épaules, j'entendis derrière moi le son cristallin d'un rire amusé, un rire de femme… un rire qui n'était pas étouffé par un masque. Je me retournais pour voir une femme, tenue légèrement en retrait sur le côté et dont le regard méprisant m'était clairement destiné… Athéna !

Je suis restée immobile, interdite… blessée. J'en aurais ouvert les yeux de stupeur.

Coup de poignard en plein cœur… ça fait mal ! Par tous les Dieux… que ça fait mal, tellement mal.

As-tu déjà ressenti cette sensation Lecteur inconnu, cette sensation de douleur… cette sensation où tu as l'impression que ton cœur se déchire en deux ? Je crois qu'une partie du mien s'est définitivement brisé ce soir là… je crois que rien ni personne n'a jamais pu le reconstruire. C'est fou comme un simple rire, juste un rire peut avoir ce pouvoir là sur un cœur pourtant déjà habitué aux épreuves de la vie. Mon cœur n'accueille-t-il pas une partie de la douleur humaine ? On l'aurait presque oublié n'est-ce pas ? Je l'aurais presque oublié moi-même. Presque… c'est là un petit mot qui fait toute la différence. Non, je ne l'ai jamais complètement oublié cette douleur, héritage de ma mère divine et pour dire la vérité, Lecteur inconnu, je n'avais vraiment pas besoin d'une douleur supplémentaire pour venir me rappeler brutalement ce serrement qui me compresse le cœur jour et nuit. Ajouter sa propre douleur mêlée à l'incompréhension face à une réaction sans aucun fondement apparent…

Un mot, un seul : Pourquoi ? Athéna, par tous les Dieux pourquoi ?

Pourquoi es-tu venu me rire au visage ce jour là ? Pourquoi à visage découvert ? Pourquoi ne t'es-tu pas contenté de ricaner dans ton coin cachée par le paysage… sans que mon cœur ne te reconnaisse ?

Etrange triangle de haine et de rancœur que nous formions ce soir là.

Pour Shaina, c'était différent. Je ne me suis même pas posé la question. La vérité était tellement évidente… Impulsive, hautaine… je l'ai détestée dès le premier regard.

Shaina me ressemblait. Nous étions taillées dans le même bois elle et moi. Dans ces écorces mûres et dures qui résistent à tout, ce bois dont un bucheron va se casser le dos avant d'en venir à bout… mais de ces écorces qui, si on prend la peine de les gratter un peu, juste un peu avec le bout de l'ongle, on peut alors provoquer une véritable entaille, les fendre dans toute la largeur, les fragiliser… mais sans les rompre pour autant. Shaina était ainsi. Je suis ainsi. Et c'est pour cela que, moi aussi, je l'ai haï dès le premier regard. Elle dégageait cette sensation de force, de courage et de volonté forte… si forte. Oui, je l'ai haï dès le premier regard, et comme moi, elle n'a rien fait pour se faire aimer. Shaina, c'était cet adversaire que l'on abhorre d'emblée et sans compromis mais que l'on ne peut s'empêcher de… respecter ? Non, je ne lui ferais pas la faveur de lui offrir ce que, elle, elle m'a refusé. Non, je me contenterais de la reconnaitre comme une adversaire… juste une adversaire. Le sanctuaire était son territoire, ou du moins le considérait-elle ainsi. Elle n'a pas supporté la vue d'une rivale.

C'est curieux comme l'être humain- homme ou femme- à cette incroyable capacité de se comporter en parfait animal lorsqu'il décèle un étranger sur son territoire. Moi aussi, j'ai usé de cette stupide capacité, et j'ai montré les crocs avant de tendre la main…

…..

Le souvenir de cet épisode me fait ressentir un besoin que jamais encore je n'avais ressenti… Une chose qu'hier encore me semblait tellement improbable…

Pour une fois dans ma vie… pour la première fois de ma vie... c'est à une femme que je veux parler.

C'est à une femme que j'ai besoin de me confier…

De femme à femme…

Oui, j'avoue, Lecteur inconnu, perdue dans mon univers masculin, c'est en tant que homme que je t'ai toujours imaginé. Ce sont des mains grandes et des doigts rugueux que j'ai toujours vu prendre ce manuscrit… et si ce n'était pas vrai ? C'est fou mais à présent, je ne peux m'empêcher de me poser une question…

Et si c'était à une femme à laquelle je m'adressais ?

Les femmes ne m'ont jamais réussi. Tu le sais n'est-ce pas ? N'en prends pas offense, ça n'a rien de personnel.

J'ai passé tant de temps à combattre comme un homme, à parler et agir comme un homme que certaines fois, j'en suis presque arrivée à oublier que ce n'est pas d'un corps d'homme que la nature m'a doté… et ce n'est que le soir, à me voir par accident devant mon miroir que la cruelle vérité me revient alors en plein visage. Je baisse les yeux sur les courbes bombées de mon torse et sur le galbe de mes hanches… le doute n'est décidément pas permis.

Et pourtant…

Je ne suis pas un homme… je n'ai pas le droit d'être une femme… Je suis un guerrier , un chevalier !

Une âme à moitié divine dans un spécimen humain forgée, façonnée, modelée pour combattre, abattre, protéger. Un mot, un seul : tuer !

J'aurais aimé pourtant… oui, j'aurais aimé…

La vie m'a donné tant de frères… j'aurais aimé avoir une sœur.

Une sœur avec qui partager ces inquiétudes si anodines et qui malgré tout font le quotidien d'une femme quelle qu'elle soit dans le monde. Tu sais de quoi je parle, n'est-ce pas, ma Sœur imaginaire ? Je t'imagine sans peine sourire face à tous ces petits soucis féminins et qui pourtant moi, m'ont paniqué la première fois que j'ai dû y être confronté.

Ris ma sœur !

Ris de bon cœur en imaginant que c'est un des prêtres du Paradis blanc, rouge de confusion, qui me les a expliqués. Oui, ris ma sœur imaginaire… j'aurais tant voulu en rire de concert avec toi.

Laisse-moi rêver, Ô vie cruelle, laisse-moi rêver que dans les dernières heures de ma vie, et même si elle n'est qu'une illusion de mon esprit malade, je puisse avoir une sœur avec qui partager mes secrets et mes peurs.

J'ai aimé, ma Sœur, et j'aime encore… j'aimerais toujours. Laisse-moi te le crier comme une évidence, comme un cœur amoureux hurle son bonheur à la face du monde entier.

J'aime ! ma sœur.

Oui, désespérément, aveuglément, traitreusement même… j'aime. Et tu ne sais pas à quel point ce sentiment a déclenché en moi un vent de panique. Combien aurais-je donné pour pouvoir te prendre la main, à ce moment là, la première fois que j'ai senti mon cœur battre et t'emmener en secret sur ma falaise pour te dévoiler une partie de mon émoi. Tes conseils m'auraient été précieux. Ton soutien aussi…

J'écris et je me rends compte… je me rends compte à présent combien ta présence a manqué à ma vie. Lis-moi, ma Sœur ! Lis-moi et imagine les divagations d'une petite sœur. Combien je donnerais cher pour voir un sourire presque maternel illuminer ton visage face aux tribulations de mon cœur adolescent de tout…

Mon sourire à moi s'est effacé… je suppose qu'on ne peut avoir de sœur lorsqu'on est chevalier. C'est là un luxe que les Dieux ne m'ont pas accordé… c'est là un luxe, qu'en rejetant le défi de Shaina, je me suis moi-même, peut-être, privée.

On m'a construite comme un homme, mais la nature est décidément cruelle, et c'est un cœur de femme qu'elle m'a donné.

Même si je n'ai jamais été fière de ma nature, je dois me rendre à l'évidence. Je suis une âme masculine échouée dans un corps féminin.

Etrangère !

Quel est donc mirage ?

Que me renvoie ce mur de verre

Ce corps féminin et ce doux visage ?

Etrangère à mes propres yeux… je ne me reconnais pas. Je regarde l'image dans le tain du miroir me renvoyer ce même regard perdu que moi je dois avoir dans le fond des yeux.

Etrangère ! Je ne suis qu'une étrangère à mes propres yeux.

Je n'ai jamais été élevée en tant que femme, mais j'ai appris à le devenir.

Oui, même si cet aveu me coûte, j'avoue. J'ai appris à devenir femme…

J'ai appris à devenir femme en serrant Killian dans mes bras… L'instinct maternel dont je m'étais toujours cru dépourvue repris ses droits en une seconde… il ne lui a fallut qu'une seconde… la première fois que j'ai serré l'enfant dans mes bras.

« Maman ». Dans nos instants de tendresse, cachés de la vue des autres, Kiki n'a jamais cessé de m'appeler comme ça.

J'ai appris à devenir femme en devenant la sœur de tous les chevaliers.

« La petite sœur du sanctuaire »… Milo me surnommait ainsi… Aphrodite me surnommait ainsi…

J'ai appris à devenir femme dans les bras des hommes. Pas dans leur regard, ni dans leurs paroles… mais dans leurs bras, à travers des caresses que mon corps ne connaissait pas.

Comme la vie est ironique, n'est-ce pas ?

On m'a toujours apprit à agir en homme, en guerrier puis en chevalier…

La vie, elle, m'a apprit à devenir mère, sœur et amante… femme !

Amante… comme j'eusse voulue que tu viennes ma Sœur imaginaire… que tu me prennes par la main et que tu m'enseignes ces codes, ces jeux de la vie amoureuse. Parce que moi, au début, je n'ai pas compris… Je ne savais pas… comment aurais-je su ? Qui aurait pu m'expliquer ?

Un homme et une femme… c'est la nature il parait. Mais moi, je ne savais pas.

Deux hommes… deux hommes m'ont appris à être femme sous leurs étreintes… par la tendresse, par le plaisir…

Deux hommes… et une femme.

J'imagine que je dois te choquer Lectrice inconnue. Oui, une femme m'a appris à devenir femme à mon tour dans ses bras. Une femme dont je n'ai pas encore parlé…

….

Shaina aurait peut-être pu devenir cette sœur dont aujourd'hui je me surprends à rêver… peut-être… si je lui en avais donné l'occasion. Pas une grande sœur ! Je ne la crois pas capable d'un quelconque instinct maternel et protecteur. Une jumelle peut-être. Une complice.

Qui sait ? C'est là une chose que je ne saurais jamais.

Mais je tiens cependant à défendre mon honneur et mon caractère… que les choses soient claires : je n'ai pas refusé une main tendue ! Sa main, si elle me l'a tendue, c'était dans l'unique optique de me la mettre en travers le visage. Je ne suis pas toute blanche… elle non plus.

Mais je l'ai vexé. Ca oui, je le reconnais, je l'ai vexé. En refusant son défi, en la rabaissant, en la remettant à sa place tout simplement. Son caractère n'ayant rien à envier au mien, son orgueil demandait réparation.

Mais remettons les choses dans leur contexte, nous sommes au sein de la chevalerie et il y a des règles à respecter, la hiérarchie en est une. Si Shaina s'était permis de venir me défier ouvertement pour un combat, le défi était oral et sans témoins. Elle ne pouvait décemment pas venir directement me provoquer dans les arènes. J'étais un apprenti, soit. Elle était un chevalier d'argent, d'accord. Mais je n'en restais pas moins l'apprenti d'un chevalier d'or et mon maître n'aurait sans doute pas accepté ce manque de respect envers moi. Si j'avais accepté son défi, ce jour là, nous serions allées dans les arènes pour nous combattre mais personne n'aurait su de qui venait le défi. Etant d'un rang supérieur au sien, je pouvais moi la défier en tant qu'apprenti en toute impunité. Mais je me contentais de l'ignorer royalement et je savais que cela l'énervait, la vexait. Elle était impuissante face à mon refus. Elle ne pouvait pas, à l'image du Cancer, venir me chercher, ou pire encore s'en prendre à mon maître pour me faire sortir de mes gonds. Tu imagines, Lectrice inconnue, un chevalier d'argent se moquant ouvertement d'un chevalier d'or pour provoquer son disciple ? La sanction de Shion aurait été immédiate. Je n'aurais même pas eu besoin de m'en mêler.

Mais non, Shaina avait beau m'être des plus antipathiques, elle n'en n'était pas stupide pour autant. Pire, alliée à présent à la réincarnation divine… pour ma perte et leur amusement, je l'ai découverte sournoise.

...

Il n'était pas rare qu'Athéna envoie ses chevaliers à travers le monde pour diverses missions, plus diplomatiques à présent que nous étions en temps de paix. En tant qu'apprentis des chevaliers d'or, Shion faisait appel à nous de temps en temps pour certaines missions sans trop d'importance. Cette fois là, je fus appelé au Palais du Pope un jour de bon matin. Les dirigeants des plus grandes entreprises mondiales devaient se réunir bientôt à Athènes et le sanctuaire se devait d'être présent par mesure de sécurité.

Un congrès mondial sur l'économie et le patronat. Un salon de l'entreprise.

Cette réunion n'était pas déterminante, il n'y avait aucune intervention majeure à faire. Il fallait simplement se contenter d'être présent et écouter afin de fournir au Pope un rapport détaillé sur ces entrepreneurs, certains faisant du commerce d'armement. Le sanctuaire avait des accords secrets avec le gouvernement grec et notre présence avait été requise pour assurer la sécurité et vérifier que ce congrès ne serait pas le théâtre d'accord secret et malveillant.

Un travail d'espionnage en quelque sorte.

- Mais qui demande tout de même que le sanctuaire soit représenté par des chevaliers possédant une certaine prestance publique.

Shion me dévisageait en prononçant ses mots. A mes côtés, je sentis mon maître se raidir. Il n'aimait pas l'idée de me voir transformée en espionne. Surtout, et je le sus plus tard, que dans ce cas précis, le rôle d'espionne qui m'était dévoué, consistait à détourner les regards des dirigeants pour permettre à mon partenaire de fouiller dans les dossiers secrets en toute impunité. Et dire que j'avais subi des années d'entrainements intensifs et sans pitié pour me voir réduite à… ça ! On avait passé des années à me faire oublier mon corps féminin, me rabattant sans relâche que j'étais un guerrier, presqu'une machine de guerre, pour me demander soudainement de venir faire… le joli cœur ! La belle idiote ! Mû en était estomaqué.

- Maître ! Swann est un guerrier de la Lune, l'égale d'un chevalier d'or en puissance et même si elle n'est pas encore sacrée chevalier, c'est une injustice que de la confiner dans un rôle aussi réducteur.

La main de mon maître était venue se poser sur mon épaule dans un geste défenseur. Un pas devant moi, Mû tentait de plaider ma cause devant un Shion visiblement désolé de me confier une telle mascarade.

- Mû, les ordres d'Athéna sont stricts et je ne peux passer outre un ordre divin.

Mais mon Maître, lui, le pouvait. D'un mot, un seul, il avait ce formidable pouvoir d'outrepasser un ordre de la Déesse. Il lui suffisait simplement de m'interdire de participer à cette mission. Deuxième dans l'ordre de ma hiérarchie… directement derrière la Déesse de la Lune et devant Athéna. Il avait ce pouvoir. Et je pus voir dans le regard désolé qu'il me jeta ce jour là qu'il lui en coûta beaucoup de ne pas user de ce pouvoir.

- De plus, l'étiquette exige d'envoyer sur place un homme et une femme et Swann est la seule femme du sanctuaire à pouvoir se présenter aux yeux du monde sans masque.

Shion se justifiait ! Le maître se justifiait face à son disciple en colère. Le grand Pope se justifiait face à l'un de ses chevaliers. C'était bien là la preuve que Shion ne partageait pas l'avis de sa Déesse mais qu'il était pieds et poings liés.

D'un soupir Mû se résigna.

- Qui Athéna a-t-elle désigné pour l'accompagner ?

- Camus du verseau.

Je faillis pousser un soupir de soulagement. Avec Camus, cette mission me semblerait moins ridicule. Lui, au moins, ne ferait pas de commentaire sur ma « participation ». C'était logique après tout, Camus était l'espion du sanctuaire et passait pour avoir les manières d'un homme du monde. Mon maître également paraissait soulagé.

Sur ce, le Pope tourna les talons et nous prîmes congés. L'entretien était clos, la discussion aussi. J'allais aller à ce congrès bon gré, mal gré.

Une semaine de préparation me fut nécessaire pour apprendre les manières du monde et surtout, pour m'apprendre à évoluer en tant que femme en société.

Finalement, après une semaine, plus dure à mes yeux que toutes mes années d'entrainement réunies, je fis ma sortie du sanctuaire.

Rien n'avait été laissé au hasard… à mon plus grand malheur. Juchée sur des talons hauts, une robe de cocktail moulante, les cheveux attachés en un élégant chignon et des lunettes de soleil pour masquer mes yeux clos, je sortis du temple du Bélier. Et pour comble du comble… un sac à main ! Le plus discrètement possible, je me hâtais au seuil du sanctuaire où m'attendait Camus, accompagnée par un Sorrente hilare qui se voulait « garde du corps » comme il s'était lui-même attitré.

Devant une grande voiture noire, je restais bouche bée face à un Verseau sur son trente-et-un. Dans un impeccable costume beige, les cheveux retenu par une queue de cheval en arrière, Camus était l'archétype même de l'aristocrate parfait. Son air glacial habituel ne faisait que raffermir cette impression de noblesse qui se dégageait habituellement de lui. Je n'avais jamais eu l'occasion de voir le Verseau autrement que dans sa tunique d'entraînement ou dans son armure, et à ce moment là, j'eus la vision d'un autre homme.

Un regard d'approbation de la part de Shion, quelques dernières recommandations, et galamment, Camus m'ouvrit la portière de la voiture, me proposa son bras pour m'aider à prendre place sur le siège arrière où il s'engouffra à ma suite. Le chauffeur démarra. Un regard en arrière et j'eus l'impression de laisser derrière moi le guerrier de la Lune d'Argent pour aller me perdre pendant deux jours dans un monde que je ne connaissais pas.

Je ne m'attarderais pas sur cet ennuyeux congrès.

Conférences. Cocktails. Diners. Poignées de mains et sourires à tout bout de champs. Agir en parfaite jeune fille du monde bien élevée. Distraire les invités par des sourires et une conversation mondaine et politique tandis que Camus se faufilait dans les chambres des dirigeants pour y fouiller et chercher des informations intéressantes. Pour un apprenti d'un chevalier d'or, je peux dire que j'étais tombée bien bas. Mais je dois avouer, que pour le moins, la présence de Camus me remonta le moral. Il était parfait dans son rôle. Distingué, élégant, il m'évita plus d'une fois un faux pas. Nous étions présentés comme les représentants d'une société française spécialisée dans l'exportation de vin. Lorsque l'on se souvient que dans une autre vie, mon père possédait un vignoble sur les côtes de la Bourgogne, je me demandais soudain si Shion ne connaissait pas ma vie, bien mieux qu'il ne le prétendait. Ironie du sort, je suppose.

Fort heureusement, le congrès comptait beaucoup de jeunes entreprises et personne ne s'étonna de notre jeunesse. J'ai toujours paru plus que mon âge, mais tout de même…

La première journée se passa sans encombre. L'heure du diner étant arrivée, nous avions regagné nos chambres respectives pour nous préparer. Force m'est d'avouer que le Verseau était la galanterie incarnée. Il m'attendit sur le pas de ma porte, m'offrant son bras pour m'accompagner au restaurant. Jamais encore, il ne m'avait été donné de voir cet aspect de mon compagnon d'arme. Il était un tout autre homme. Sûr de lui en évoluant avec aisance dans cet univers mondain. A la fin du repas, délicieux cela dit en passant, nous nous dirigions de nouveau vers l'étage afin de regagner nos chambres. Nous étions sur le point de sortir de la salle de restaurant lorsque nous nous retrouvâmes nez à nez avec… Athéna. Me prenant par le bras juste à temps, Camus m'évita de griller notre couverture en m'agenouillant face à la réincarnation de la Déesse… la force de l'habitude. Elle nous sourit avec grâce et se dirigea vers nous.

- Princesse, salua discrètement Camus en s'inclinant. Je l'imitais sur le champ, rouge de confusion.

Shion ne nous avait pas prévenus de sa présence. Elle n'était pas censée être là, sans escorte, sans chevaliers pour la garder. Mais il était de notoriété publique que la demoiselle n'en faisait qu'à sa tête, rendant le Pope fou.

Elle était venue au congrès en tant que représentante de la fondation Graad. Elle n'était pas au congrès en tant que Déesse Athéna mais en tant que Saori Kido, riche héritière d'un empire japonais.

Etait-ce la présence de Camus ? Athéna était totalement différente de la dernière fois que je l'avais vu. La dernière fois… j'avais encore sur le cœur le rire moqueur et le regard méprisant. Pourtant cette fois-ci, elle nous salua chaleureusement, discuta quelques minutes avec nous, allant même jusqu'à nous proposer un verre. La gentillesse incarnée. Elle était parfaite, elle aussi, dans son rôle d'héritière japonaise. Si parfaite que personne n'aurait pu soupçonner, derrière son sourire de mise, la réincarnation d'une divinité antique et la formidable puissance qu'elle dissimulait.

Le cocktail en main, elle prit soin d'entrechoquer son verre contre le mien avec un charmant sourire.

- Tchin !

Je lui souris en retour, me persuadant que la fois passée n'avait été qu'un mauvais rêve, un simple malentendu. Elle s'excusa, nous laissant siroter notre verre pour aller faire un tour de salle.

…..

Je repense à ce moment là ma Sœur imaginaire et je me dis que j'aurais dû me méfier. La soirée avait pourtant si bien commencé. Cela devait être une magnifique soirée… cela aurait dû être une magnifique soirée… Ma Déesse qui me souriait, complice face à une mission qu'elle nous avait elle-même confié. Un sourire… juste un sourire… et j'ai tout oublié. Le regard méprisant, la moquerie… plus rien. J'étais pardonnée, je venais de retrouver ma Déesse. Et pourtant, la soirée n'était pas terminée…