La claque

Un rayon de lumière vint éclairer une chambre dont les vêtements éparpillés ne laissaient guère la place à l'imagination sur ce qui s'y était passé quelques heures auparavant. Je me suis réveillée dans le creux de ses bras. C'est curieux que je sois restée toute la nuit collée contre son corps… Moi qui n'ai pourtant pas l'habitude de dormir à deux, j'aurais plutôt imaginé que, inconsciemment, j'aurais fui sa présence durant la nuit. Mais il n'en n'était rien et mon bras était posé contre sa poitrine, ma tête sur son torse et son bras à lui passé autour de moi. Jolie image d'un petit couple tranquille nous devions alors offrir au soleil naissant de ce nouveau jour. Nouveau jour… la folie de la nuit passée s'était évaporée…

Je ne me perdrai pas dans l'évocation des souvenirs gênants de nos regards qui se croisent… Cela dit, non, je n'ai pas sauté du lit, affolée et paniquée en me recouvrant le corps d'un drap. C'était plus une gêne d'adolescent, de ma part surtout. Une rougeur sur les joues… une rougeur que l'obscurité nocturne et complice de la nuit passée avait sans doute dissimulée de sa vue… et de la mienne.

Conscients, par tous les Dieux, tellement conscients tous deux que la nuit dernière avait été une pure folie. Conscient lui surtout, que cette petite larme qui perla à un moment de mes yeux était un discret adieu à ma dernière part d'innocence… un simple regard sur une tache rouge, une tache qui était venu se nicher sur les draps, entre mes jambes… ma dernière part d'innocence enfantine qu'il m'avait dérobé… mon doux voleur… Il me prit le visage entre les mains et déposa un dernier baiser sur mes lèvres. Un tendre baiser… presque un pardon. Mais je n'ai jamais regretté cette nuit là, même plus tard… lorsque j'ai su ce que je ne savais pas encore. Puis un autre baiser, un autre, sur le front celui-là. Je fuyais son regard même s'il ne le voyait pas. Je tournais la tête, je tachais de dissimuler le tremblement de mes mains et la soudaine douleur que je sentais poindre dans le bas de mon ventre. Gênée, terriblement gênée de cette maudite tache rouge, je rassemblais les draps sur mon corps. Il me sourit. Me caressa le visage.

Ô Camus ! De l'amant, tu es passé au grand frère, me prenant dans tes bras, portant mon corps engourdi incapable de se tenir sur ses jambes jusqu'à la salle de bain… me déposant dans la baignoire pour faire couler de l'eau chaude sur mon corps endolori d'une nuit délicieuse. Alors… alors plus de gêne, plus de malaise… d'un sourire, d'un de tes rares et si beaux sourires, tu as chassé tout malaise en moi. Tu avais des gestes protecteurs. Un regard discret. Des mains respectueuses. Tu m'as enveloppé dans une grande serviette, tu m'as caressé le visage et moi, dans un geste que je n'ai pas su retenir, je t'ai pris les mains et je les ai portés à mes lèvres. Je crois que ce geste t'a ému bien plus que tu n'aurais voulu le laisser paraitre. Tu étais devenu mon maître cette nuit là, juste pour une nuit… mon maître pour m'apprendre une chose que Mû n'aurait pas pu… et le souvenir de cette nuit m'incite à penser que je n'ai pas dû être une mauvaise élève…

Oui, même aujourd'hui que je retrace ces moments d'une tendresse absolue, je suis sûre d'une chose : ça ne pouvait être qu'avec toi et nul autre. Même aujourd'hui que je sais… Peut-être dans le fond était-ce inévitable ? Il était écrit quelque part que ce devait être toi.

Quelques heures plus tard, la voiture repris la trajectoire dans le sens inverse, nous retournions au sanctuaire. Je savais que je n'y serais plus jamais la même que celle que j'avais laissé. Nous retournions au sanctuaire avec un secret dans le cœur. Un de ces secrets qu'on ne dévoile jamais… à personne.

J'ai retrouvé mon frère, mon maître, ma falaise et mon quotidien. Il a retrouvé Milo, son temple et ses devoirs. De retour chez moi, je n'ai pas pu m'empêcher, une fois ma tenue d'entrainement passée, de me regarder dans le miroir, curieuse de voir si j'avais changé. Mais non, mon corps restait le même, le changement n'était pas visible. Seulement dans ma tête… là où les autres ne pouvaient le voir.

A nouveau les jours se succédèrent, pareilles les uns aux autres. Nous nous croisions souvent, surtout dans les arènes. Je ne louerais jamais assez les Dieux de m'avoir donné ce caractère si froid qui me permis de ne jamais rien laisser paraître lorsque mon regard croisait le sien. C'était un secret. Juste un secret entre lui et moi… un secret que nos frères n'ont jamais su.

La fin de mon année d'apprentissage s'approchait à grand pas. Un an ! Un an déjà que Sorrente et moi étions arrivés au sanctuaire. Un an que nous avions rencontré pour la première fois nos maîtres et nos futurs pairs. Encore quelques semaines et nous allions devenir des chevaliers d'Athéna, part entière de la garde dorée, puissants parmi les puissants.

Je recroisais Shaina plusieurs fois en quelques jours d'intervalles, mais celle-ci m'ignorait royalement, semblant avoir rangé sa rancune au plus profond d'elle-même. Je n'en fus que soulagée. Je n'ignorais pas qu'une femme telle qu'elle aurait pu m'attirer bien des problèmes. Et j'avoue aujourd'hui que je n'étais pas loin du compte… comme un futur proche allait me le prouver.

Au sein du Sanctuaire, comme tu t'en doutes, Lecteur Inconnu, les anniversaires étaient choses courantes. A compter presque 90 chevaliers d'Athéna, cela fait bien plus d'un anniversaire par mois. La plupart des chevaliers, qu'ils soient de bronze, d'argent ou d'or, se contentaient de le fêter – lorsqu'ils le fêtaient – avec leurs amis proches. On ne peut pas, en toute honnêteté, retenir les anniversaires de tout le monde. Pour ma part, je m'étais fait un devoir de retenir les dates des ors, de Sorrente, et de quelques uns des bronzes divins avec lesquels j'étais amie. Et je me contentais de les féliciter le jour J. Mais ce soir était un soir particulier.

C'était une soirée, juste une petite soirée organisée dans le treizième temple en l'honneur de l'anniversaire de Shion. C'était là une soirée que je ne devais jamais oublier. Pour l'occasion, Athéna en personne avait fait le déplacement. Au milieu de toute la chevalerie au grand complet, la Déesse laissait son cosmos resplendir de force, baignant chacun des occupants d'une douce aura d'amour et de tendresse. Les chevaliers d'or, d'argent et de bronze se côtoyaient dans une ambiance chaleureuse et sereine. Ce soir là, exceptionnellement, pas d'armure. Chacun avait fait un effort pour paraître correctement habillé. Ce n'était pas une réunion, c'était une soirée d'anniversaire. Seule la présence des femmes chevaliers affublées de leur éternel masque rappelait que nous étions encore au sanctuaire et que nous étions tous des chevaliers au service d'une mythique Déesse grecque. La réception fut réussie. Mon maître, organisateur de cette soirée en l'honneur de son propre mentor, s'était fait un devoir de mettre les petits plats dans les grands, mais je continue à soupçonner la main d'Aldébaran d'avoir trempé dans cette petite surprise. Après tout, le Taureau était connu dans tout le sanctuaire pour être l'hôte parfait. Shion n'était pas connu pour être un fêtard invétéré. La soirée, je la qualifierais plutôt de réception que de fête. De petits groupes se formaient dans le grand hall parmi lesquels le Pope passait pour recevoir les traditionnels vœux de bonheur et félicitations. Un verre à la main, je discutais tranquillement avec Aphrodite et Aiolos. Je leur relatais, dans les grandes lignes, mon bref intermède dans le monde moderne – laissant certains passages sous silence, cela va de soi. Le reste de la chevalerie, je m'en aperçue très vite au cours de la semaine suivante, n'était pas au courant de la petite escapade de notre Déesse à Athènes ce soir là.

Je discutais donc, sereine et ravie de participer à cette soirée, avec mes deux pairs, lorsque Masque de Mort décida de se joindre à nous. Pour être totalement honnête, nous avions signé une sorte d'amnistie mutuelle, un pacte de non agression… un pacte de « je-ne-te-saute-pas-à-la-gorge » pour être précise, mais qui ne m'empêchait pas de lui dédicacer mon plus beau sourire ironique à chaque fois que je le croisais. Petite rancune oblige ! Cependant, ce soir là, par égard pour Aphrodite, je m'abstins.

- Elle va finir complètement bourrée !

C'est avec cette phrase d'introduction, pour le moins intrigante, que le Cancer se joignit à notre petit groupe. Un signe de la tête discret et il nous désigna : Athéna. L'alcool coulait à flot, mais par égard et par respect pour le grand Pope, les chevaliers de toutes les castes mélangées se retenaient de se donner en spectacle, même les plus débridés d'entre tous, parmi lesquels, un Cancer étonnamment sobre et maître de lui-même. Preuve que le Pope était vraiment aimé de ses chevaliers.

Mais ce soir là, c'était la Déesse en personne qui semblait avoir décidé d'abuser de ce breuvage que certain qualifie de « divin ». En fait de divin, c'était plutôt une « dé-divinisation » navrante qui s'opérait pas à pas sous nos yeux. J'ignore si les divinités réincarnées possèdent un étonnant pouvoir leur permettant de tenir l'alcool, mais une chose est sûre, c'était là un don que Saori ne possédait pas. Les verres de Champagne se succédaient à une vitesse folle entre ses mains et à chaque gorgée, c'était une part de cet incroyable amour divin qui quittait le cœur et l'âme des convives, nous laissant à chaque rasade un peu plus froid et abasourdi.

Elle riait à présent, riait, et chancelait sur ses jambes. Les yeux vitreux, le regard perdu, un sourire idiot sur le coin des lèvres… Je détournais mon regard de ce pitoyable spectacle d'anniversaire.

Le Pope, navré, tentait tant bien que mal, de la faire revenir à la raison. Mais dans le fond, comment raisonner une jeune femme de vingt ans qui cherche simplement à profiter de la vie et noyer sous des monceaux d'alcool, un divin destin que ,elle, sans doute plus que tous les chevaliers présents, n'avait jamais demandé ? En détournant les yeux, je remarquais toutefois la pernicieuse présence d'une femme chevalier à ses côtés qui, jouant innocemment le rôle de la confidente, tendait à la réincarnation avide une coupe toujours remplie. Shaina se délectait de l'ivresse de sa divine patronne. Avide de confidences et de potins, la Déesse humaine racontait à présent une histoire qui faisait tendre l'oreille des confidents… une histoire dont je perçus quelques bribes qu'elle criait entre deux éclats de rire alcoolisés :

- Je vais vous raconter l'histoire de deux personnes un peu coincées…

Intriguée et avec un curieux pincement au cœur, je me rapprochais innocemment du petit groupe qui s'était formé autour d'elle, tendant une oreille apeurée pour mieux saisir ces contes d'outres chevaleries. Mon cœur battait de plus en plus fort tandis que mon oreille percevait les mots : froids, clair de Lune, balcon, jeunes...

- … et je me suis amusée à droguer leurs verres pour les réchauffer un peu…

Elle faillit s'étrangler de rire.

Une douche froide ! Une claque !

J'avais déjà lu cette phrase dans un livre sans vraiment en comprendre sa signification…mais je te jure, Lecteur Inconnu, que ce soir là, à sentir cette sensation qui s'empara de mon corps tout entier, je l'ai comprise. Je sentais que le temps autours de moi s'était subitement arrêté, qu'il tournait au ralenti. J'ai senti que mon cœur se serrait douloureusement dans ma poitrine et au souvenir de cette soudaine chaleur qui s'était emparée de moi ce fameux soir là, je compris soudain que ce feu là n'avait rien de naturel…

Par tous les Dieux, comment n'avais-je pas compris avant ? Les confidences de Camus, lui qui d'ordinaire est si austère… Mon baiser, si soudain, si peu… moi ! pour un peu que l'on me connaisse… et cette nuit… cette nuit de pure folie… Tout cela n'avait été qu'un jeu !

Je levais un visage affolée et croisais alors le cosmos de Shaina ! Et je compris…

Vengeance !

Tout cela n'avait été qu'une sournoise vengeance. Tout ! L'apparition de Saori au moment du cocktail… son sourire charmeur… et même ce verre qu'elle avait traitreusement entrechoqué contre le mien avec un visage angélique…

J'avais perdu mon innocence pour satisfaire une sinistre vengeance !

Je restais interdite. Blessée. Laissant Shaina savourer pleinement sa victoire face à mon manque de réaction, mais franchement, Lecteur Inconnu, quelle réaction aurais-je pu avoir ? Saori n'avait pas eu le temps de révéler des noms que le Pope l'avait brusquement coupé, et une soudaine colère n'aurait pu que me dénoncer aux yeux des autres… me dénoncer moi et Camus… et ainsi courir le risque provoquer la colère de mon maître et la rancœur de Milo. Mais, j'avoue cependant, que ce n'est pas un brusque état de conscience qui me fit taire… Cœur blessé n'a pas de conscience, n'est-ce pas ? C'est juste que… ce ne fût rien d'autre qu'une incroyable douleur qui me déchira le cœur… et qui me fit perdre conscience des événements présents pendant quelques minutes. Je ne repris mes esprits que lorsque les rires déments de la Déesse me ramenèrent à la réalité alors que Shion tentait de la faire sortir de la salle avec un regard désolé qui, je le compris soudain… m'était adressé.

Et je ne vis plus une Déesse… je ne vis plus qu'une femme, juste une femme… une femme avec un formidable pouvoir que les Dieux avaient choisi…

Pardonnes-moi, Lecteur Inconnu… pardonnes-moi…

J'ai voulu donner à ces mémoires un style lyrique. J'ai voulu en racontant mon histoire, la raconter comme on raconte ces fabuleuses aventures médiévales… mais je ne suis pas Lancelot narrant sa vie auprès d'Arthur… J'essaie de toutes mes forces, crois-moi, de trouver pour chaque phrase, la meilleure tournure, les mots les plus justes et les plus poétiques autant de fois qu'il m'ait possible…

Mais merde à la fin !

C'est là un passage de ma vie que je me refuse à romancer… que je ne peux pas romancer ! J'ai écrit dix fois ce passage, avant de déchirer rageusement page après page. C'est là une chose que je n'arrive pas à raconter comme on raconte la déchéance et l'humiliation d'une héroïne inventée de toute pièce. C'est de ma vie dont il est question ! Ma vie ! Mon humiliation ! Alors, ce n'est plus une histoire que je veux raconter maintenant, pardon, mais c'est un coup de gueule que je veux pousser.

Je veux te dire Lecteur Inconnu, je veux te décrire cette douleur qui s'empara alors de ma poitrine et qui ne demandait à sortir que sous la forme d'un hurlement terrible et bestial. Plus de romance, j'ai eu mal… simplement mal… terriblement mal lorsque j'ai compris que c'était mon histoire que Saori racontait entre deux rasades. Et qu'elle en riait ! J'ai eu mal lorsque j'ai compris que tout cela n'avait été qu'un plan sordide dessiné par Shaina pour m'humilier, pour me faire payer un masque que je n'ai jamais porté et un combat que je lui ai refusé. J'ignore comment elle était parvenue à convaincre Saori de rentrer dans ce plan, j'ignore même laquelle des deux est l'instigatrice de cette manipulation. Je ne sais pas, et je ne veux pas savoir. Je regardais juste Shion alors qu'il tentait de faire sortir la réincarnation le plus discrètement possible, et je ne vis plus Athéna. Je ne vis que Saori. La réincarnation était parvenue à se défaire de l'emprise de la divinité. Athéna avait perdu son contrôle sur son enveloppe charnelle, laissant un fantastique pouvoir entre les mains d'une gamine capricieuse et écervelée.

Bénit soit le caractère froid et impassible dont les Dieux m'ont doté… j'ai simplement posé mon verre et je suis sortie du treizième temple… en marchant, juste en marchant. Tranquillement en apparence, alors que j'étais juste encore dans le brouillard de ces révélations. Je suis sortie, et j'ai marché jusqu'à ma falaise, je me suis laissée choir contre mon arbre. J'ai serré mon poing de toutes mes forces et je me le suis enfoncée dans la gorge pour étouffer ce cri de haine. Ça m'a fait du bien. J'ai crié, hurlé de toute ma rage pendant longtemps. J'ai senti le goût du sang sur ma langue, je pense que dans ma colère, je me suis mordue le poing à pleine dent.

Deux bras sont venus m'enrouler. Je ne cherchais même pas à tourner la tête.

- Pardonnes-moi…

Camus avait lui aussi entendu la petite « blague » de notre divine maitresse et je pense qu'il se sentait coupable. Mais que je le pardonne de quoi ? Lui aussi n'avait été qu'un pantin face à un verre d'apparente innocence.

Soudain, le brouillard s'est dissipé. C'est stupide, je le sais, mais ce n'est qu'en entendant la voix de Camus que j'ai vraiment percuté… que j'ai vraiment compris ce qui s'était passé. Alors, la colère, la haine, la rage… comme jamais je ne l'avais ressenti envers une femme. Je repoussais Camus, me levais d'un bond, prête à me battre, à me venger... et me retrouvais aussitôt à terre de nouveau. Le Verseau avait anticipé ma réaction. Oui, je sais. Je ne pouvais décemment pas aller droit vers Shaina pour lui envoyer la « starlight extinction » en pleine figure sans aucune raison valable. Je ne pouvais pas aller frapper à la porte de l'appartement de Saori pour lui mettre mon poing en plein ventre dès qu'elle aurait ouvert… Mais pourtant, les Dieux savent combien ça m'aurait soulagé. Et je crois, sincèrement, que je n'avais pas été la seule à y penser. Je retombais, vaincue entre les bras de mon français, incapable de retenir les larmes d'humiliations qui coulaient librement. Je ne regrettais pas cette nuit là, pourtant. Je ne cherchais pas à fuir la forte étreinte du maître des glaces car je ne ressentais envers lui aucune rancune, aucune colère, aucun dégoût même. Alors pourquoi cette haine ? Parce que j'avais été manipulée… parce que pour m'humilier, ces deux femmes n'avaient pas hésité à impliquer un chevalier que j'aimais et que j'estimais énormément, faisant royalement l'impasse sur ses propres sentiments. Je finis par me calmer et m'endormir même, bercée par un cosmos puissant et compatissant. Avant de sombrer, je me souviens avoir aperçue au loin sur la colline, une silhouette majestueuse… Shion ?

Je me réveillais le lendemain matin dans mon propre lit, le souvenir de la veille encore brûlant. D'un pas décidé, je me suis levée, habillée, et je suis sortie en direction des arènes. Il était encore tôt et peu de chevaliers étaient déjà à l'entrainement. Je me suis simplement assise sur les marches et j'ai attendu. Les arènes se remplissaient et moi j'attendais encore. Et elle est venue… Shaina. La tête haute, le cosmos radieux, elle semblait d'excellente humeur. Je me suis levée et j'ai marché droit vers elle. Elle me vit, je parie encore qu'elle souriait sous son masque.

- Bonjour Swann.

Je me plaçais face à elle, à trois mètres comme le veut la tradition de combat en entrainement. Elle comprit immédiatement que je la défiais. Elle enflamma son cosmos en échauffement.

- Un petit combat ? Tu as l'air d'avoir besoin de te défouler.

Elle avait dit cela dans un souffle, à ma seule attention. Ravie d'avoir enfin ce pour quoi elle avait manigancé. Mais c'était bien mal me connaître penser que j'allais lui donner une victoire non-méritée. Elle se voyait déjà en train de me battre. Elle en savourait le goût. Mais je me contentais de lui sourire. Je n'avais même pas pris la peine d'enflammer mon cosmos, ni de me mettre en position. Je lui souriais juste… juste assez longtemps pour qu'elle s'intrigue… juste assez longtemps pour qu'elle s'inquiète.

La nuit est bonne conseillère. Et si le soir d'avant j'avais juste envie de lui enfoncer le visage dans le sol et de la frapper de toutes mes forces… j'avais compris que c'était précisément ce qu'elle voulait : un combat. Alors non, navrée ma jolie… ce combat, je te l'ai déjà refusé, tu ne me forceras pas à te l'offrir.

Je souriais toujours. Elle a reculé. Juste un pas, un petit pas, mais suffisant pour que je comprenne qu'elle commençait à prendre peur face à mon manque de réaction. Alors j'ai avancé. J'ai avancé vers elle d'un pas ferme et décidé. Elle a reculé d'un autre pas et mon sourire s'est accentué. Arrivée à sa hauteur, j'ai posé la main sur son épaule et je l'ai caressé de mon pouce. C'était un geste presque tendre, rassurant. Elle était figée. Doucement, j'ai laissé ma main dévier vers son masque. J'avais soigneusement choisi mon emplacement. Nous étions légèrement en retrait du centre de l'arène, je faisais face à toute la cours, et elle, elle tournait le dos à tous. Personne ne pouvait la voir. Alors d'un geste, je lui ai arraché son masque… Elle avait un beau visage, je dois le reconnaitre, mais cet air idiot qu'elle affichait ne jouait pas en sa faveur, et ses yeux agrandis de stupeur ne rendaient pas hommages aux deux iris verts que je voyais briller de frayeur. A nouveau, je levais la main vers son visage et caressais sa joue. Elle eut un geste de recul. Alors ma main partit en arrière et la brusque gifle qu'elle reçut lui fit partir la tête sur le côté sous la violence du choc.

Il n'y a rien de plus humiliant qu'une gifle pour un chevalier. Et une gifle à même la peau… pour une femme chevalier. Et en public… Je me délectais de son air ahuri. Elle avait imaginé un combat pour sa victoire… œil pour œil, dent pour dent. Je n'allais pas la laisser gagner. Je lui souris à nouveau et jetais son masque à ses pieds. Je me détournais d'elle.

Notre petite scène n'était pas passée inaperçue. Je voyais en traversant les arènes, les regards d'interrogations des chevaliers… parmi eux, le clin d'œil invisible à tous que j'adressais à Camus et le discret sourire bienveillant de Shion qui, j'en étais sûre, ferait la sourde oreille si Shaina aurait le culot de se plaindre au Pope.