Chevalier

Les semaines passèrent, puis se transformèrent en mois. Jours après jours, entraînements après entraînements, ma première année au sanctuaire allait bientôt prendre fin. Un an ! Voila un an déjà que j'avais laissé derrière moi mon Paradis Blanc pour devenir l'apprenti d'un chevalier d'or. Un an déjà que je m'entraînais sans relâche pour maîtriser les techniques de combats et défenses du Bélier. Force m'est d'admettre que ce ne fut pas chose facile, loin de là. Tu le sais, Lecteur inconnu, j'ai passé bien des moments difficiles et douloureux à voir la force ambiante m'exploser en plein visage, mais à force de patience et de travail, je suis parvenue à l'amadouer.

Il n'était pas rare, en fin de journée, que de temps en temps, les chevaliers se réunissent au bord de la plage. Pour discuter, décompresser, boire quelques verres et s'amuser. Après tout, surhommes, demi-Dieux, ils n'en restaient pas moins des jeunes hommes entre vingt et trente ans. Sorrente et moi, commençant à être acceptés au sein du cercle doré, étions quelques fois conviés à ces soirées détentes. Et j'aimais m'y rendre. C'était là l'occasion de faire plus ample connaissance avec nos futurs frères dans une ambiance moins austère. C'est ainsi que je connus donc tour à tour Saga et Kanon, Aldébaran, Aioros et Aiolia… même Shaka venait lui aussi se rappeler sa propre humanité de temps en temps, mais toujours avec sagesse et réserve.

Assis au bord de la plage autour d'un feu énorme, la garde dorée se retrouvait, redevenant pour le temps d'une soirée de simples frères, de simples hommes… des amis, oui tout simplement des amis.

J'aimais ces moments là et j'en chéris tendrement le souvenir.

C'est lors d'une de ces soirées que j'enterrais la hache de guerre avec le Cancer.

…..

Le Poisson est définitivement un fin psychologue… Aphrodite possède cette particularité de toujours réussir à me surprendre. Quoi qu'il fasse, il trouve toujours le moyen de faire ce que je n'aurais jamais cru possible.

Une nuit, je le vis discuter à bâton rompu avec le Cancer, l'un et l'autre me jetant de temps à autre une œillade tantôt amicale pour l'un, tantôt assassine pour l'autre. Puis vint le moment, ce moment que je n'aurais jamais cru possible, où Masque de Mort se dirigea vers moi, de mauvaise grâce au début, il faut bien l'avouer, deux verres dans une main et une bouteille de Limoncello dans l'autre. Il versa l'alcool dans les deux verres et m'en tendit un que j'acceptais, avec réticence je dois bien l'admettre.

- Salute !

Œillade meurtrière contre sourire narquois, j'entrechoquais mon verre contre le sien. Cul sec ! Je me retins à grande peine pour ne pas tousser. Pour une fois mon orgueil me fut favorable…

Il me resservit illico, un large sourire sur les lèvres.

… Toute la bouteille y passa…

Déloyal ! Ce fut la première pensée qui me vint à l'esprit. C'était un alcool italien. J'aurais voulu voir la tête du Cancer si moi, je lui avais servi de la Gnole.

A la fin, je ne parvenais à garder un semblant d'esprit clair que grâce à une légère fraicheur ambiante qui me faisait frissonner doucement.

- A bien y réfléchir, et aujourd'hui avec l'esprit clair… je ne me souviens pas avoir vu le Cancer frissonner de la même manière. Notre petit jeu avait attiré l'attention de plusieurs de nos camarades et je me souviens maintenant… que c'était Camus qui était posté juste derrière moi… -

Par tous les Dieux… j'avais la tête qui tournait, le cœur qui se révulsait convulsivement dans ma poitrine et toutes les peines du monde à garder mon équilibre… et je souffrais par anticipation de la magnifique gueule de bois que j'allais, sans aucun doute, me payer le lendemain. Mais le jeu en valut la chandelle… Le Cancer, de toute évidence bien plus habitué que moi à cette sorte de débauche, sembla apprécier à sa juste valeur, le fait que je ne tombe pas ivre morte. Il me sourit ou plutôt, il partit dans un franc éclat de rire, et me donnant une grande tape sur le dos – tape qui par ailleurs, me fit atterrir directement et involontairement dans les bras d'Aphrodite – il salua ma résistance par une simple phrase :

- Elle tient le coup la petite sœur !

Et ce fut tout. Sept mots… juste sept mots prononcés par un Cancer magnanime et qui venaient de me hisser au rang d'égal d'un chevalier d'or. Ce n'était pas là la victoire dont j'avais rêvé, force m'est de l'admettre, mais c'était la victoire que le Cancer venait de m'offrir et au vu des circonstances, nul autre que lui n'aurait pu me l'offrir de manière si… particulière.

Et moi, dans les bras d'Aphrodite, je souriais béatement de ma victoire. Je refermais mon étreinte contre les bras du Poisson et lui murmurais un « merci » dans ma langue natale, étant pour l'heure, incapable d'aligner deux mots en grec.

J'avais seize ans… et ce fut ma première cuite ! Dieux merci, mon maître, à ce moment là parti à Jamir entrainer Kiki, ne sut jamais comment je m'étais réconciliée avec Masque de Mort.

- Angelo, me corrigea soudain Aphrodite, il s'appelle Angelo.

Et je compris alors combien l'alcool pouvait avoir des effets désastreux lorsque je me découvris incapable de réprimer le fou rire qui s'empara de moi en découvrant le véritable prénom du célèbre « assassin du sanctuaire ». De même qu'il peut se révéler bénéfique… Angelo ayant oublié cet incident le lendemain.

….

Cette anecdote me fait toujours sourire… aujourd'hui encore… Victoire par l'ivresse ! Quelle ironie n'est-il pas, Lecteur inconnu ? Ivresse… oui et je l'ai savouré cette ivresse, je l'ai savouré dans toute sa splendeur… Ivresse d'une victoire reconnue par un adversaire au caractère à nul autre pareil… Ivresse d'une ovation offerte par les chevaliers qui nous entouraient, heureux de nous voir enfin enterrer la hache de guerre – et qui curieusement ne soufflèrent jamais mot de cette soirée à mon maître ou au Pope -.

« La petite sœur du sanctuaire ! », s'écria Aphrodite tout en me soutenant de son mieux alors que j'offrais à une assistance hilare et condescendante le spectacle de mon sourire idiot…

Non… ce n'était décidemment pas là la victoire dont j'avais tant rêvé… Mais elle était là, elle m'était offerte et je l'ai étreinte de toutes mes forces… car c'était Ma victoire ne vous déplaise… Mon acceptation… officieusement, me voila devenue l'égale d'un chevalier d'or.

….

Un genou posé à terre, le front courbé en signe de soumission et de respect, les mains jointes devant moi… La main gauche – la main du cœur - me symbolise et mon poing est fermé, la main droite symbolisant la Déesse de la Lune est posée en protection, recouvrant entièrement la gauche, les pouces sont joints en égalité parfaite, symbole la parenté de mon âme avec celle de ma Mère Divine… Il fait nuit, la nuit précédent celle de la pleine Lune. Tout est calme. Je suis aux frontières extérieures du sanctuaire, juste à sa sortie… Pour ne pas heurter Athéna, je suis sortie de son sanctuaire… Je prie… Je prie une autre Déesse que celle de ce sanctuaire, alors par respect, je suis sortie de son domaine… Normalement je ne le fais pas. Normalement, je prie ma Mère Divine partout au sein même du sanctuaire… mais cette prière est particulière, cette nuit est particulière…

J'ai quelque chose à lui demander…

Un bruit de pas derrière moi et Sorrente vient s'agenouiller à mes côtés, calquant sa position sur la mienne.

- Je ne suis toujours pas sûr que ce soit une bonne idée…

Je ne bouge pas de ma position.

- Je sais… mais je dois tout de même demander.

Une tête qui se tourne dans ma direction, je sens un regard d'interrogation peser fort sur moi… Mais il ne pose aucune question, il ne demande pas d'explication. Il se contente de joindre ses mains, de courber le front à son tour.

- Alors, je demanderai avec toi.

Cette nuit était mon initiative. Sorrente n'avait aucune obligation de prendre part à cette requête que je savais osée… mais il le fit. Il avait comprit l'importance que cette demande revêtait à mes yeux. La Lune montait dans le ciel, splendide et magnifique. Des heures durant, nous avons prié, demandé, supplié. Des heures durant, les mains douloureuses à force de les serrer, j'ai tenté avec tout l'amour que j'avais au fond du cœur, de trouver les mots pour faire comprendre à ma Déesse l'importance de ma démarche. Je lui ai demandé s'il te plait, puis je lui ai demandé pardon d'oser émettre un tel souhait. J'ai ouvert mon cœur, je l'ai laissé puiser à l'intérieur la raison qu'elle jugerait valable… Quelques minutes avant le lever du soleil, j'ai senti une tendre et douce chaleur envahir tout mon être… La Lune acceptait ! Mon souhait était fou, mon souhait était illégal au regard des lois du Paradis Blanc et pourtant… la Lune acceptait ! J'étais folle de reconnaissance. Il me tardait tant d'être à la nuit prochaine…

Le jour se leva sur une promesse et déjà le crépuscule prochain me tardait.

Dernier jour en tant qu'apprentis, le lendemain, Sorrente et moi serions introduits auprès d'Athéna et du Pope pour y devenir officiellement les chevaliers de la Lune et recevoir nos armures. Mais auparavant, il nous restait une chose à faire… une chose qu'aucun enfant sacré n'avait encore jamais fait avant nous.

Je vécus la journée dans un état second, sans en avoir réellement conscience.

A la tombée de la nuit, je quittais ma petite cabane en compagnie de Sorrente, vêtus de nos tenues d'enfant sacré. Je me dirigeais en direction du premier temple tandis que Sorrente se dirigeait vers celui de la Vierge. Un regard complice et impatient, et je me rendis à la rencontre du Bélier.

Mû fut sans doute surpris de me voir à cette heure et ainsi vêtue, mais il ne souffla mot et se contenta de me suivre lorsque je l'en priais. Je le conduisis aux abords du sanctuaire. Une fois les limites franchies, je me retournais pour lui faire face et posais un genou à terre devant lui.

- Maître, demain sera un grand jour. Voila un an déjà que je suis arrivée. Un an que vous avez accepté d'être mon maître et de m'enseigner les secrets des attaques et défenses de votre signe. Vous avez été le meilleur des maîtres, à la fois compréhensif et patient.

Je marquais volontairement un temps de pause pour le laisser s'imprégner de mes paroles. Puis je me relevais et lui tendis la main.

- Je vous demande la permission de vous remercier à ma manière.

Surpris, il accepta ma main tendue. Je lui souris.

- Suivez-moi !

Et sans plus de discours, je nous téléportais hors du sanctuaire d'Athéna. Mû était un maître en télékinésie, et il n'eut aucune difficulté à me suivre. Normalement, il n'aurait pas été nécessaire d'un contact physique pour qu'un homme tel que le Bélier puisse suivre une téléportation, mais le lieu où je le conduisis était protégé par une barrière de protection et il était indispensable qu'il la passe avec moi pour pouvoir y entrer.

Nous arrivâmes dans un grand jardin magnifique. Je laissais quelques minutes à mon maître pour s'orienter. A la vue de l'immense statue majestueuse qui se dressait au fond du jardin, il comprit.

Je lui souris en voyant son air impressionné.

- Bienvenu, Maître…Soyez le bienvenu au Paradis Blanc !

Mû resta sans voix, les yeux rivés sur la statue de notre Déesse. Et je dois avouer, Lecteur inconnu, pour une fois, et toute modestie mise à part, que je ne suis pas peu fière du résultat de ma surprise.

Je lui pris à nouveau la main et je le conduisis au pied de ma Déesse.

Je posais un genou à terre.

- Ma mère… permets-moi de te présenter Mû, le chevalier d'or du Bélier… mon maître.

D'un geste, Mû posa un genou à terre et courba le front face à la Déesse de la Lune.

- Majesté ! …

Et je sentis les mots s'étrangler dans sa gorge. Mon maître était ému… De toute évidence, il n'était pas préparé à une telle rencontre. Je me relevais, il fit de même. Nous marchâmes à travers les temples, descendant pour nous rendre en un lieu précis. Les prêtres du Paradis Blanc éclairaient notre marche avec leur torche, se courbant à notre passage.

- Princesse !

- Seigneur du Bélier !

Les prêtres, avertis de notre visite, montraient à l'égard de Mû, la même déférence qu'à mon attention. Après tout, n'était-il pas le maître d'un de leur seigneur ?

Sans un mot, je conduisis mon maître aux arènes. S'il est vrai que j'ai enfreint – avec la permission de ma Déesse – une règle sacrée du Paradis Blanc, je n'ai pas proféré le moindre mot sur la vie au sein de cet endroit, ni à propos de Tristan ou Virgo.

Je conduisis donc mon maître aux arènes du Paradis Blanc où nous fûmes bientôt rejoints par Sorrente accompagné d'un Shaka tout aussi ému que mon maître.

Afin que tu comprennes mieux la suite des événements, Lecteur inconnu, permets-moi de t'expliquer une petite tradition que Sorrente et moi avions instaurée dès notre arrivée au sanctuaire d'Athéna. Comme tu le sais, nous étions déjà considérés comme des guerriers de la Lune confirmés lors de notre arrivée. Nous sommes venus pour apprendre les techniques de combats des chevaliers d'or. Mais tu le sais aussi, un chevalier – ou dans notre cas, un guerrier – même confirmé, ne cesse jamais de s'entrainer pour être toujours au maximum de ses capacités. A chaque pleine Lune, mon frère et moi en profitions donc pour nous entrainer durant une partie de la nuit sur les techniques apprises au Paradis Blanc. Nous nous éclipsions discrètement hors du sanctuaire pour nos entrainements nocturnes et clandestins. Nous avions trouvé à quelques kilomètres du sanctuaire, une petite prairie parfaite. Suffisamment éloignée pour que les chevaliers ne sentent pas notre cosmos, suffisamment près pour pouvoir revenir au plus vite en cas de nécessité. Et c'était des moments de pure liberté… nous donnions libre cours à notre cosmos dans toute sa puissance… tel que les chevaliers ne l'avaient jamais vu. Usant des techniques des enfants sacrés et uniquement de ces techniques là, nous honorions notre Déesse, mois après mois, par un entrainement soutenu et même violent.

Et c'est ce même entrainement, que pour la première fois depuis un an, nous allions reproduire au Paradis Blanc… Et c'est pour cela même que j'avais passé la nuit précédente à genoux à prier ma Mère Divine… Parce que pour la première fois dans l'histoire des enfants sacrés, des chevaliers d'Athéna allaient découvrir la véritable puissance et les techniques des enfants de la Lune. L'idée était mienne, je l'avoue. Je voulais honorer mon maître par quelque chose d'exceptionnel. Je voulais lui faire entrevoir ce qu'il n'avait jamais vu. Et sincèrement, je n'aurais jamais cru possible que la Déesse de la Lune accède à ma demande.

Nous nous sommes battus ce soir là… nous ne nous sommes pas entrainés…

Pour l'honneur de notre Déesse, pour l'honneur de nos maîtres… nous avons puisé dans toutes nos forces… et nous avons combattus. Un combat entre frère et sœur, nos liens déconnectés pour ne pas alerter nos jumeaux… Un combat entre enfants sacrés… Sous le regard de nos maîtres, sous la protection et la complicité de notre Mère Divine, sous les yeux remplis de fierté des prêtres… nous avons combattus à nous en faire mal…

Et crois-moi Lecteur inconnu, la terre a tremblée, les cieux se sont déchirés sous la puissance de nos attaques… Notre cosmos poussé au paroxysme de sa splendeur défiait même les Dieux en secret…

Oui l'idée était mienne… je ne sais pas pourquoi Sorrente m'a suivi… Peut-être voulait-il honorer lui aussi le chevalier de la Vierge… Peut-être a-t-il comprit à quel point cela comptait pour moi… Peut-être simplement par fraternité… Je ne le saurais jamais.

Mais je sais une chose… je voulais ce combat plus que tout… Pour faire honneur à mon maître.

Je n'ai pas vraiment le souvenir de mes anciennes réincarnations, mais je sais une chose… je suis sûre d'une chose… cette vie là a quelque chose de particulier !

A travers mes yeux de femme, j'ai découvert un monde nouveau. A travers mes yeux de femme, j'ai découvert une Mère Divine que je comprends mieux, une Déesse des hommes que je me surprends à vouloir mieux connaitre aussi… Car après tout, pour mieux servir, pour mieux comprendre une Déesse, ne faut-il pas être femme soi-même ?

A travers mes yeux de femme, j'ai découvert un homme exceptionnel… A travers mes yeux de disciple, j'ai rencontré le meilleur des maîtres. Pour son honneur… pour sa gloire… pour lui, juste pour lui… pour le remercier…

J'avoue toutefois que je n'ai pas terminé le combat sur mes deux pieds. Je l'ai terminé sur les genoux, pliée en deux sous le dernier coup de Sorrente, la tête posée sur mes jambes, les mains crispées sur mon ventre… Sorrente a eut la délicatesse de se laisser tomber à mes côtés… alors que je savais très bien qu'il aurait pu terminer debout et fier. Fassent les Dieux que mon frère ne soit jamais mon adversaire ! Nous avons fini le combat sous un superbe éclat de Lune… et sous le regard fier et impressionné de nos maîtres. Aurais-je pu rêver plus beau trophée ?

Aurais-je pu jamais imaginer le chevalier de la Vierge descendre dans l'arène pour venir mettre sa main sur l'épaule de mon frère et lui sourire tendrement sous tant de fierté ? Je n'eus pas besoin de lire dans le cosmos de la Lune de Bronze ce soir là pour comprendre que ce simple geste valait à ses yeux bien plus que toutes les paroles du monde. Shaka l'aida à se relever et ils partirent les premiers.

Je me relevais tant bien que mal sans l'aide de personne et rejoignis mon maître sur les gradins. Mû restait impassible et je craignis un moment que mon initiative lui avait déplu. Je m'assis à ses côtés attendant le verdict. Mais il ne dit mot… Il se releva au bout de quelques minutes et je le suivis, anxieuse.

Nous revîmes dans le jardin de notre arrivée pour partir. Je vis dans les yeux de mon maître un regard étrange, à la fois ému et déterminé. Il me sourit et me pria de le suivre afin de faire ses adieux et présenter ses hommages à la Lune en personne une dernière fois. Je le suivis. Il vint s'agenouiller au pied de la statue, je fis de même, profitant de cet instant pour remercier ma Mère Divine de m'avoir permit une telle entorse dans notre règlement. Pour rien au monde, je n'aurais échangé ce moment de pure félicité. A mes côtés, Mû, le front baissé et les yeux fermés priait à voix basse.

- Majesté… L'honneur est mien de m'avoir confié un tel élève…

A partir de là, Mû continua sa prière sans mot prononcé. Je me relevais et me reculais, sentant que l'échange devait se faire entre lui et la Lune… une prière à laquelle, je n'étais pas conviée. Je me reculais… et gravais dans ma mémoire et dans mon cœur cette image unique… l'image de Mû, chevalier d'or du Bélier, à genoux devant la statue de la Déesse de la Lune, le front baissé, un sourire sur les lèvres et la main droite posé sur le cœur… comme une promesse, un serment secret… Il se releva à son tour et vint me rejoindre. Ses yeux brillaient d'une émotion incroyable… Des étoiles, Ô Lecteur inconnu, j'entrevis des étoiles dans les yeux de mon maître à cet instant là. A ce magique et féerique instant, j'entrevis le temps d'une seconde toutes les splendeurs de l'univers dans un seul regard… et c'était celui de mon maître. Emue, je lui tendis la main pour rentrer. Il la prit dans la sienne, leva les yeux au ciel et dans un souffle, murmura :

- Merci…

Son regard était dirigé vers ma Déesse, mais je compris que le remerciement m'était adressé. Et je compris également que Mû, fier et secret chevalier d'or du Bélier, m'avait sciemment laissé entendre le début de sa prière…

C'est là un instant que je n'échangerais pour rien au monde Lecteur inconnu… Tous les trésors de la terre ne sont que peccadilles face à la valeur de ce souvenir dans mon cœur…

Une fissure à ma seule intention… une fissure dans le masque de marbre de mon maître… Une de plus…

Une loi sciemment enfreinte à l'intention de mon maître… une de plus… une parmi tant d'autres…

Nous sommes rentrés au sanctuaire… Je l'ai accompagné au pied de son temple… J'ai posé un genou à terre et j'ai attendu qu'il disparaisse de ma vue pour me relever et enfin permettre un petit sourire de triomphe sur mes lèvres…

Et le jour se leva… le jour se leva pour saluer la venue solennelle de deux nouveaux chevaliers au sein de la garde dorée de la Déesse Athéna.

Pour honorer la Déesse de la Lune, la cérémonie eut lieu à la tombée de la nuit dans le treizième temple. Vêtus de nos tenues officielles d'enfants sacrés, accompagnés par nos maîtres, devant une assemblée réduite exclusivement à Athéna, au Pope et aux chevaliers d'or, nous nous sommes dépouillés de nos atouts pour recevoir nos armures… Et c'est là que les choses se compliquent…

Symboliquement, la cérémonie prévoyait que les maître devaient dévêtir les enfants sacrés de leur tunique d'enfant de la Lune pour endosser les armures d'Athéna… jusque là pas de problème. Mais… Si se mettre en calçons devant toute une assemblée d'homme n'était pas un souci pour Sorrente… Pour moi en revanche… il fallut trouver un subterfuge… Je te laisse imaginer le saut qu'a fait mon maître lorsqu'il apprit qu'il lui faudrait me déshabiller face à ses collègues – masculins – pour me présenter à Athéna et me passer mon armure. Cela impliquait une bonne partie de la cérémonie… en sous-vêtement. Pourquoi faire simple quant on peut faire compliqué ? C'est ainsi que je me suis retrouvée à jouer les presque momie, enveloppée dans des bandages qui me compressèrent la poitrine durant toute la cérémonie… mais la pudeur était sauve !

Et cela dit en passant, je garderais un souvenir inoubliable de la rougeur des joues de mon maître lorsqu'il dû me faire passer ma tunique par-dessus la tête pour me dévêtir… alors que le reste de la chevalerie faisait semblant de garder les yeux baissés au sol.

Non décidemment, que ce fut officieusement par le biais du Cancer… ou officiellement avec Athéna en personne, mon intronisation à la garde dorée ne fut vraiment pas le moment dont j'avais tant rêvé.

Une fois dépouillés de nos atouts d'enfants sacrés, nous nous agenouillâmes face à Athéna et au Pope… et je ne pus empêcher un petit pincement au cœur à la vue de nos vêtements jetés à terre. J'avais beau savoir que la chose n'était que symbolique, je me sentais coupable face à la Déesse de la Lune.

Athéna s'approcha de nous et nous posa tour à tour la main sur le front en signe d'acceptation. Lorsque je sentis sa paume sur mon front, je sentis tout son amour et toute sa force envahir mon être tout entier et je sus que c'était face à la Déesse, et non à la réincarnation que je me trouvais. Tant d'amour ne pouvait pas me tromper…

Elle renforça son contact, me demandant par le biais de son cosmos fidélité… Je la lui donnais sans hésiter…

Me demandant ma vie… Je la lui livrais sans une once de regret…

Me demandant… de l'aide ? Je relevais brusquement la tête sous le coup de la surprise et croisais le regard méprisant de… Saori ! Juste une seconde, et sans que les chevaliers ne s'en rendent compte…

- Me jurez-vous fidélité ?

La phrase rituelle… Le cérémonial continuait, mais moi, je pouvais voir tout ce temps Athéna et Saori se débattre dans un seul et même corps… Une lutte acharnée pour le pouvoir… Une lutte invisible aux yeux des autres chevaliers…

- Je le jure !

La réponse fusa des lèvres de Sorrente. Je restais une seconde coite… une seconde de trop… assez pour que tous les chevaliers tournent la tête dans ma direction…

- Je jure fidélité à Athéna !

J'avais choisis ma réponse… L'armure d'or de la Lune d'Argent vint recouvrir mon corps. Et je vis un sourire parfait se dessiner sur les lèvres de la femme face à moi… Mais qui souriait à cet instant là ? Je me pose encore la question… Saori… ou Athéna ?